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Futur : le futur est la nouvelle création du Groupe Fantôme

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Le Groupe Fantôme aime décidément les énigmes… On avait suivi les trois larrons dans l’enquête policière et existentielle de La Disparition, leur précédent opus, en 2022. À nouveau accueillis par la très vivante fabrique culturelle des Plateaux sauvages, ils nous embarquent cette fois dans une autre sorte de quête, plus vaste et métaphysique.

Dans une douce obscurité, exactement dosée pour qu’on s’y sente bien, des voix se modulent imperceptiblement d’enfant à adulte, d’homme à femme, pour nous bercer d’une brève histoire du temps. D’avant l’explosion qui fit naître espace et temps, en passant par l’ère de la cohabitation entre Neandertal et Homo Erectus et nos ancêtres les Homo Sapiens, nous voilà projetés, en une brusque accélération du récit, à l’invention de l’ampoule à incandescence puis à la rencontre qui présida à la création du spectacle auquel on assiste (et du futur éponyme qui en découlera).

Surgissant de tous côtés les voix de Paul, Romain et Clément nous enveloppent pour nous annoncer le programme. Nous parlant depuis le futur, ils entreprennent de nous convaincre de nous joindre à eux pour le faire advenir, nous en distillant les charmes de leurs voix invisibles, mobiles, souriantes et caressantes, flottant dans l’espace comme un conte murmuré à un enfant avant qu’il ne s’endorme.

Ce futur restera récit – u-topie au sens strict, société « sans lieu ». Un futur aux allures de carte postale, d’émission feel good. Les « oïkos » (les maisons, en grec d’aujourd’hui et en français du futur) sont « spacieux, lumineux et harmonieux », les matériaux y sont « réconfortants » : le futur ressemble à une émission de home staging ? Pollution, travail et argent ont disparus, avidité et prédation n’ont même plus de noms, les êtres sont sereins et pacifiques, et pour ce qui est du sexe, sachez qu’« on n’est pas là pour se décharger mais pour se recharger »… Un futur moelleux et fondant, une utopie en peluche, sortie tout droit d’un magazine consacré au glamping de luxe branché new age néo hippy (mais qui n’a jamais, un peu honteusement, rêver de vivre dans un magazine consacré au glamping de luxe branché new age néo hippy ?)
 

Dans nos oreilles, le futur, et sous nos yeux, le présent.
Un beau décor de clairière au sol de terre battue, un igloo de toile, un amas de rochers, un brasero.
Les trois larrons, en polaires, bonnets et barbes mal fagotées, font griller des chamallows et poussent la chansonnette. Ils ont décidé de prendre le large, quitter leur métier d’acteurs trop prenant et la ville trop grise. Renouer avec la nature et la liberté. On s’ensauvage… mais dans un espace délimité par un scotch blanc, qui trace une frontière nette, bien civilisée, entre le dehors-chez eux et le dehors-dehors – jusqu’à l’arrivée d’un intrus, Émile, qui va ouvrir des brèches dans toutes les strates de l’existant, à commencer par la ligne de frontière du campement. Romain, Clément et Paul se sont établis là où lui-même cherche à entrer en contact avec une entité venue du fond des âges, vivante mais blessée, dont il retranscrit les sons, chants, appels à l’aide, en ondes sonores et lumineuses – hommage manifeste à une Rencontre du troisième type matrice du genre.

Romain, Clément et Paul, qui n’étaient pas encore formatés « bienveillance du futur », se révèlent aussi peu accueillants qu’ils semblent cool. Mais Émile, pas loin d’un Théorème, rompt l’ordre établi presque avec passivité, et s’impose au groupe, qui finit par se joindre à sa quête – et c’est là, semble-t-il, le moment exact où a pu commencer à exister ce fameux futur… ce moment précis où le petit groupe clos a accepté l’autre et l’altérité, ouvrant ainsi la porte à la survenue de possibles encore impensés. Ce moment idéel où un groupe d’humains accueille l’ancestral, l’indéfini et le primitif, pour ouvrir le chemin vers un avenir plus doux, plus inclusif et écologique.

Les interprètes ont un art du jeu si délié, si spontané, et une telle complicité qu’on ne démêle pas l’improvisation de la part écrite.
Adeptes des neurosciences et amateurs de jeu, le Groupe Fantôme prêche le faux pour avoir le vrai, ou plutôt prêche le réel pour avoir le théâtre. Avec une foi solide et enthousiaste/enthousiasmante dans la fonction performative du langage et le pouvoir de l’imaginaire, ils font du public non seulement le spectateur mais aussi le potentiel acteur de l’utopie de leur Futur, nous invitant “à nous souvenir du futur pour qu’il puisse arriver”…
Un spectacle métis, gamin et intello, farceur et rêveur, où l’on bascule sans complexe d’un humour potache au surgissement d’un intense sentiment d’étrangeté. Dans une jolie scénographie enveloppée d’une obscurité sculptée de lumières très élégantes, nourrie par une composition musicale jouée en direct par Colombine Jacquemont et Émilien Serrault, Futur est un spectacle inventif, intrigant, très ludique et joyeux. Grâce à eux et à nous tous, “tout va très bien aller”.

Marie-Hélène Guérin

 


 
FUTUR
Conception, texte et mise en scène Clément Aubert, Romain Cottard et Paul Jeanson
Scénographie Heidi Folliet
Costumes Léa Gadbois-Lamer
Assistanat costumes Aude Pelletier
Création lumière Stéphane Deschamps
Création musicale et sonore Colombine Jacquemont et Émilien Serrault
Avec Clément Aubert, Romain Cottard, Colombine Jacquemont, Paul Jeanson et Émilien Serrault
Photos © Bastien Bernini

Production Le Groupe Fantôme
Coproduction Les Plateaux Sauvages, Les Gémeaux – Scène Nationale de Sceaux, le Théâtre de Châtillon et le Théâtre de Suresnes Jean Vilar
Coréalisation Les Plateaux Sauvages
Compagnonnage Théâtre de la Fleuriaye – Carquefou
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
Avec le soutien de l’Adami
Avec l’aide de la SPEDIDAM