Finlandia, de Pascal Rambert, aux Bouffes du Nord : couple sous haute tension

Dans l’espace si théâtral des Bouffes du Nord, une chambre d’hôtel aseptisée, à l’élégance internationale, va pendant 1h20 enclore un couple comme une boîte de Petri où s’agitent des bacilles affolés.

La chambre d’hôtel et la pièce ont été inventées pour Irène Escolar et Isreal Elejalde, acteurs madrilènes familiers de Rambert (elle, dans Hermanas, lui dans La Clausura del amor – les versions espagnoles de Sœurs et Clôture de l’amour), puis transplantées aux Bouffes du Nord. Ce sont Victoria Quesnel – particulièrement intense, interprétation à vif, et Joseph Drouet – plus contenu, mais toujours juste, déjà appréciés chez Julien Gosselin, qui s’emparent avec acuité du texte désormais traduit.

Ils sont un couple d’artistes, parents d’une enfant de 9 ans. Elle s’impose au premier plan dans le cinéma grand public, lui poursuit sa carrière dans l’ombre. Il y a deux jours, il a quitté Madrid en voiture pour la retrouver en Finlande où elle tourne dans une grosse production chinoise. Ils sont en pleine séparation, il vient réclamer son dû d’explications, et compte repartir avec leur fillette, endormie dans une chambre voisine sous la garde d’une nounou. Il a roulé 40 heures, il est arrivé en pleine nuit, il est épuisé et plein de colère. Elle est attendue à 7h pour le début de sa journée de tournage, elle est épuisée, et pleine de colère. Il veut parler, elle veut dormir. Le réveil à côté du lit indique 3 :47.

Comme dans Clôture de l’amour ou Ranger, le temps du jeu et le temps de la vie se superposent exactement, sans ellipse ni parenthèse. Plan-séquence radical et sans échappatoire sur une désunion, entre deux ex-aimés ex-aimants qu’on découvre en pleine crise.

Si Finlandia n’a pas – ou pas encore – la compacité, la densité de pièces antérieures de Rambert, l’auteur continue de tracer son sillon, creusant toujours plus profondément la veine du couple et de la famille, d’une écriture moins lyrique qu’elle ne le fût, plus concrète, aiguë et rapide.
« L’amour n’est pas une chose intime, l’amour, c’est l’affrontement de deux mondes réfugiés dans deux corps », dit Joseph ; et c’est cela que porte Finlandia, cet affrontement de deux mondes, ces deux corps remplis de leurs rêves et de leurs sensibilités mais aussi de leurs familles, leurs milieux sociaux, leurs cultures, leur argent. Passée la tempête chimique de dopamine, sérotonine, ocytocine, passé l’éblouissement, l’amour est colonisé par le monde, et le couple doit faire avec, ou contre.

Pascal Rambert aère ou plutôt contraste ce pugilat verbal de silences épais envahissant la chambre un instant éteinte pour une tentative de sommeil ; mais aussi de moments d’une folle drôlerie qui font jaillir les éclats de rire (le potentiel comique de Pascal Rambert n’est pas assez reconnu !) avant que la cruauté banale, ou la banalité cruelle, de la dispute ne nous les fassent ravaler sèchement.
On est de plain-pied dans le noyau dur de l’affrontement entre Victoria et Joseph – comme dans Clôture… les personnages portent les noms des acteurs –, chacun s’évertuant à se montrer sous son pire jour tout en accablant l’autre de reproches. Le texte acéré est débité sur un rythme tendu. Toute tentation de connivence ou d’empathie se trouve balayée en deux répliques, chacun a raison, chacun a tort, chacun est le monstre de l’autre et en désamour comme en amour le cœur a ses raisons que la raison ignore…

Pour s’interdire autant toute séduction, il faut l’audace de la jeunesse et la solidité de l’expérience, et Pascal Rambert possède largement de ces deux richesses. Le parti pris est sans concession, le couple ne s’extirpera ni de sa chambre d’hôtel, ni de sa crise. De cette victoire à la Pyrrhus, nul ne sort indemne. Pourtant, la conclusion, encore un peu brouillonne dans sa réalisation mais d’une très tendre et très jolie idée (une chanson traduite, dont les paroles malheureusement à force de superposition se perdent) apporte une accalmie ; comme un œil du cyclone autour de l’enfant, dont la présence mutique se transforme en un espace d’apaisement.

Marie-Hélène Guérin

 

FINLANDIA
Au Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 10 mars
Avec Victoria Quesnel et Joseph Drouet
Et avec Blanche Massetat, Anna Nowicki et Charlie Sfez en alternance
Texte et mise en scène Pascal Rambert
Lumières Yves Godin | Costumes Marion Régnier | Collaboration artistique Pauline Roussille
Photos © Pauline Roussille

Production structure production
Coproduction Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord

À la vie ! : interroger la mort, et les vivants, avec tendresse.

Démarrage en trombes. En fond de scène, un « théâtre dans le théâtre », un rideau bleu, trois coups, mille morts, répétées, loufoques, crépitantes, languissantes, tragiques, bavardes, hystériques, secrètes…
On meurt sur un matelas placé au centre du plateau, ou n’importe où alentour, en vrac sur le parquet, en tas sur une volée de marches, en Médée, en Cyrano, à l’arme blanche, en flammes, avec panache, en une tentative sinistre et jubilatoire d’épuiser le sujet sous les éclats de rire déchaînés du public.

Puis on mourra pour de vrai, ça prendra plus de temps, dans les mots tranchants de la médecine, dans la compassion des siens et des soignants, on mourra sans le savoir d’un cancer muet comme une tombe, d’un cœur au bout du rouleau.

Devant l’ample et épuré décor gris-bleu composé avec pertinence par Charles Chauvet, un haut rideau se déplace pour modeler l’espace. La limpide mise en scène d’Elise Chatauret s’y inscrit avec délicatesse. L’espace et les comédiens glissent d’un lieu – chambres, salle de repos, salle d’attente – et d’un rôle à l’autre – tour à tour médecins, proches, patients – avec beaucoup de fluidité et de lisibilité, accompagnés par la discrète et rigoureuse création lumières de Léa Maris. Une composition électro étoffe ou allège l’air, l’enjoue ou en élargit l’émotivité.

La troupe est très homogène, tous sont également justes et sensibles, ont une grande plasticité, une acuité de jeu les rendant aussi évidents dans tous les personnages qu’ils endossent. La plupart ont déjà travaillé avec Elise Chatauret et sont familiers de son univers et sa méthode.
Juliette Plumecoq-Mech, nouvelle venue dans la compagnie, particulièrement fine et tendue, apporte son charisme et sa voix si singulière à cette troupe à la belle incarnation.

Ce spectacle a la densité de la vie qu’il représente, nourri d’enquêtes et de rencontres. Elise Chatauret travaille volontiers ainsi, puisant dans le réel et l’aujourd’hui, mettant en scène la parole d’une nonagénaire (Ce qui demeure, vu et aimé en 2016 à La Manufacture à Avignon), celles d’habitants d’un hameau français (Saint-Félix, enquête sur un hameau français – 2018), celles de pères (Pères).

Ici, le spectacle est né d’une envie d’interroger la mort, et ce qu’elle raconte d’une société.
Car le sujet est tout autant intime que politique, mystérieux qu’anthropologique. Elise Chatauret et sa compagnie sont allées se frotter à l’hôpital, puisque c’est là que souvent on meurt, et puisque c’est là que souvent la question se fait cruciale. Ils ont appris du centre d’éthique clinique, de récits personnels, se sont nourris aussi de leur confrontation à la pandémie qui les a envahis, comme l’ensemble de la société, pendant qu’ils avançaient dans cette création, et s’est télescopée à leur vie comme à leur réflexion.

Comment appréhender ce passage de la vie à la mort quand, côté patients ou côté soignants, on doit le parler, le peser, quand ce n’est pas la nature seule qui fait son œuvre mais des êtres conscients qui vont devoir prendre des décisions… Quand il y a la loi, et qu’il y a les souffrances. Quand il y a chacun, et qu’il y a la société.
Les patients sont jeunes ou presque centenaires, tous « à la limite », là où la vie s’échappe, bon gré ou mal gré. À ce moment où ni patients ni médecins ne peuvent plus se dispenser de penser la mort à venir – moment que certains refusent, que d’autres réclament.

« La loi ne bouge que pousser aux fesses par la vie » revendique une de l’équipe médicale, « y’a que les riches qui ont le droit de mourir proprement » rage la sœur d’un patient à bout de forces mais pas assez à bout de vie pour la loi Clayes-Leonetti (qui accepte la sédation si la fin est à court terme, c’est à dire à quelques jours), « j’ai prêté le serment d’Hippocrate » répond celle-ci, « on ne peut pas me demander de tuer quelqu’un » se défend celui-là.
Les voix pour, les voix contre… « Pour » ou « contre » ce sont toutes des voix humaines.

De cette matière hautement documentée, Elise Chatauret et la compagnie Babel ont sculpté un spectacle hautement théâtral. La véracité n’appauvrit pas la théâtralité : à l’inverse, elles se nourrissent et s’intensifient l’une l’autre.
L’espace se défractionne, les lieux s’interpénètrent. Parfois même, une incursion onirique, un enfant devenu adulte redevient enfant au bord du lit de son père au cœur usé, et retourne dans les récits fantastiques et initiatiques pour y apprendre la fin de l’histoire.
Les mots tragiques d’autrefois se tressent aux douleurs contemporaines pour les faire résonner au travers des temps. Des enregistrements des débats récents au Sénat et à l’Assemblée nationale soulignent l’acuité et l’urgence du propos.
Sur une chanson de Dalida, surgit une danse sauvage, gaie et déchirante du dégingandé Charles Zevaco qui expulse chagrin et rage, et exulte.
Le spectacle est à l’image de cette chanson populaire : grave, tonique, poignant et en mouvement. On y parle beaucoup, on y ressent encore plus. Il ne nous donne pas de réponses, mais d’utiles et vivifiantes questions. Ou plutôt, une réponse tout de même : on quitte le spectacle dans l’art, dans la beauté et dans la douceur. Et c’est un fragment de réponse, déjà, à notre peur de mourir.

Marie-Hélène Guérin

 

À LA VIE !
Un spectacle de la Compagnie Babel
Au Théâtre Silvia Monfort, Paris (75) du 6 au 16 mars 2024
Ecriture Élise Chatauret, Thomas Pondevie et la Compagnie Babel
Mise en scène Élise Chatauret
Dramaturgie et collaboration artistique Thomas Pondevie
Avec Justine Bachelet, Solenne Keravis, Emmanuel Matte, Charles Zévaco et Juliette Plumecocq-Mech
Conseil médical à l’écriture Véronique Fournier (directrice du centre d’éthique clinique de l’Hôpital Cochin)
Photographies © Christophe Raynaud de Lage

Puis en tournée : 27 > 29 Mar 24 Le Grand T – Théâtre Loire-atlantique, Nantes (44)
28 Mai 24 Les Quinconces – Scène nationale, Le Mans (72)

Backlash, au Théâtre de Belleville

Backlash, littéralement, c’est le contrecoup. En 1991, l’Américaine Susan Faludi a employé le terme pour titre de son essai féministe : Backlash : la guerre froide contre les femmes.
L’expression, passée dans le langage courant, désigne les réactions conservatrices et masculinistes face aux progrès des droits des minorités et en particulier ceux des femmes, et revient dans l’air du temps avec le retour de bâton réactionnaire post-MeToo.

Un lundi matin, un homme américain, qui fut mieux classé professionnellement, qui fut plus heureux en famille et en ménage, un homme américain nouvellement chômeur, divorcé papa d’un ado qu’il perd de vue entre deux vacances scolaires, amoureux d’une Courtney pas méchante mais qui ne s’en laisse pas conter, découvre un nouvel espace d’empowerment masculin, un endroit où il va enfin se sentir de nouveau bien, de nouveau puissant, de nouveau agissant. Un lundi matin, un homme américain, un peu désabusé, pas mal désoeuvré, errant dans le vortex de google, tombe sur Angry Alan.
 

Angry Alan, gourou des Men’s Rights, prend les hommes dans ses bras, dans ses rets, dans les filets de son discours à la fois lénifiant et belliqueux.
À ceux qui n’ont pas le secours d’une pensée politique élaborée, d’un soutien familial ou professionnel, d’une souplesse de caractère ou d’une force mentale pour trouver d’autres réponses à leur désarroi, Angry Alan offre le réconfort d’une cause à leur rage et leur faillite : le gynocentrisme. Pas la dureté d’une société capitaliste où compétitivité et narcissisme tiennent lieu de vertus. Pas la solitude, pas le manque d’échanges. Les femmes, voilà l’ennemi.
Avec un ennemi commun, on peut redresser la tête, se serrer les coudes et se sentir fier.
Angry Alan redessine la carte d’une société où les hommes seraient les grandes victimes. Maltraités par les femmes, et par voie de conséquence par la justice, le monde du travail, les médias, la culture. Asservis. Cantonnés aux tâches subalternes. Mal payés. Séparés de leurs enfants par les juges des affaires familiales lors des divorces. Pointés du doigt à chaque blague déplacée. Rabroués. Moqués, vilipendés. Victimes. Et les victimes ont le droit légitime de se défendre. S’organiser. Prendre les armes s’il le faut. L’instinct de survie dictera jusqu’où il faudra aller.
Angry Alan fait payer cher le billet d’entrée à ses colloques masculinistes et antiféministes, mais chacun jette son obole pour la grande cause anti-gynocentriste, pour la consolation, pour la confraternité.

Angry Alan n’est ici qu’une image sur un écran, comme il l’est pour Danny et tous les followers de sa chaîne vidéo. Il est interprété avec une finesse glaçante par Guillaume Trotignon, filmé dans un élégant noir & blanc.
 

C’est Danny qui occupe la scène. Danny et son inextinguible soif de chaleur humaine. Son pathétique besoin de justification. Sa terrible nécessité d’un monde binaire, simple à décoder. Hommes, femmes, victimes, bourreaux, ce qui mérite et ce qui ne mérite pas. Danny pris au piège de la réthorique masculiniste, dont le manichéisme l’empêchera d’entendre le monde plus complexe et plus nuancé de son enfant, qui cherche à conquérir de nouvelles libertés, de nouvelles façons d’être soi. Danny qui payera son aveuglement un prix incommensurable. Le “backlash”, le contrecoup, a lui aussi son contrecoup.

Acteur au jeu très sûr et très juste, à l’incarnation fluide et concentrée, Philippe Bodet offre la normalité de son grand corps d’adulte et l’expressivité déliée de son visage à ce Danny en chute libre. Il fait basculer ce gars de la bonhomie du pote qui traverse une mauvaise passe avec vaillance, à la joie naïve de se découvrir des frères de combat, puis à la joie mauvaise de se découvrir un ennemi à affronter. On le voit se défaire sous nos yeux, croire trouver un sens à sa vie puis le perdre.

Le beau ciel projeté sur un large cyclo de l’ouverture du spectacle laisse place, en alternance aux vidéos youtube d’Angry Alan, à un habillage vidéo très graphique, souvent intéressant, mais disparate, qui aurait gagné sans doute à trouver une forme plus homogène, qui aurait densifier l’attention.
Mais cela n’altère ni la réception du texte de Penelope Skinner, à l’écriture rapide, dont la dureté est allégée par un humour piquant et un sens précis du quotidien, ni la perception du jeu à vif, débordant de sincérité, de Philippe Bodet.

Ce qui est beau, et fort, c’est que texte et interprétation ne jugent pas Danny. Guillaume Doucet et Bérangère Notta, qui ont amené ce texte sur scène dans une traduction de Guillaume Doucet, ne cherchent pas le procès, ils cherchent l’humain.
L’autrice et le comédien font de Danny un être de chair et de vie, d’espoirs et de peines, un être fragilisé emporté par une spirale qu’il rêvait salutaire et qui, nourrie de haines de soi et des autres, ne pouvait être que destructrice. 
Une descente aux enfers, implacable, pudique et subtile, magnifiquement incarnée.

Marie-Hélène Guérin


 
BACKLASH
Un spectacle du Groupe Vertigo
Au théâtre de Belleville jusqu’au 30 mars 2024
Un texte de Penelope Skinner
Traduction Guillaume Doucet
Conception Guillaume Doucet et Bérangère Notta
Interprétation Philippe Bodet
Avec la participation de Guillaume Trotignon
Création lumière Juliette Besançon | Création sonore Maël Oudin | Régie Adeline Mazaud
Administration Marine Gioffredi, Hélène Lega, Chloé Montel

Photos Caroline Ablain

Production Théâtre de Belleville & Le Groupe Vertigo
Coproduction L’Archipel Pôle d’action culturelle (Fouesnant), Pont des Arts (Cesson-Sévigné), Pôle Sud (Chartres de Bretagne)
Soutiens DSN Dieppe Scène Nationale – Dieppe, Centre Culturel Juliette Drouet – Fougères, EVE – Scène Universitaire – Le Mans, Théâtres L’Arche-Le Sillon – Pleubian-Tréguier, Espace Beausoleil – Pont-Péan, La Manekine – Pont-Sainte-Maxence, Le Strapontin – scène de territoire de Bretagne pour les arts du récit – Pont-Scorff, Le Tambour – Rennes
Avec le soutien de la Ville de Rennes et de la Région Bretagne
Le groupe vertigo est conventionné par le Ministère de la Culture – DRAC Bretagne

Zoé, de Julie Timmerman : Tuer le père ou tuer l’insouciance ?

Je pense qu’il vaut mieux commencer par le sujet : Zoé raconte l’histoire poignante d’une enfant en proie aux tumultes de son père bipolaire, oscillant entre dépression et manie. Avant de passer à l’écriture… Julie Timmerman, dans une explosion textuelle explosive parsemée de citations et de références classiques à Hugo, Corneille et Racine, nous plonge dans l’univers intérieur de cette enfant dont chaque erreur, chaque fragilité, est jugée inadmissible.

L’univers de Zoé, incarnée par Alice Le Strat, se dévoile à nous dans un tourbillon de couleurs et de fumées, une mosaïque de souvenirs qui s’enchaînent. Nous devenons les témoins de cette croissance entravée par un environnement parental tourmenté, une enfant qui ne saisira la complexité et la dureté de son passé que bien des années plus tard. La pièce nous interpelle, nous engage, par l’universalité de son sujet : nombreux sommes-nous à avoir été au moins déstabilisés par les traces des névroses parentales qui, parfois, vont jusqu’à nourrir nos pulsions autodestructrices.
 

À mesure que l’esprit de Zoé s’alourdit de souvenirs poignants, la scène se remplit d’un chaos poétique, teinté de nostalgie.
Zoé se révèle être une toile visuelle captivante, habilement tissée pour refléter les tumultes intérieurs de la protagoniste. La scénographie évolue avec le personnage et nous sommes d’abord plongés dans un univers coloré et fait d’artifices évoquant la perspective de l’enfant. Puis, à mesure que la narration progresse et que les souvenirs douloureux s’accumulent, l’espace se fait de plus en plus chaotique, traversé d’éclairs de lumière projetant des ombres évocatrices, comme les fantômes du passé de Zoé. Tout est pensé pour accentuer progressivement l’intensité émotionnelle de l’expérience.
Zoé se révèle être une œuvre psychanalytique, cathartique et profondément personnelle, écrite avec les tripes. La générosité du texte est appuyée par les performances solides de Mathieu Desfemmes, Julie Le Strat et Jean-Baptiste Verquin, entraînés par la virtuosité d’Anne Cressent, incarnant magistralement la mère.

Zoé explore les profondeurs complexes de l’âme humaine. Julie Timmerman offre au public une méditation sur l’influence durable des expériences familiales sur notre propre développement. En naviguant à travers ce tumulte émotionnel, la pièce laisse une empreinte indélébile dans l’esprit du spectateur, rappelant que, parfois, c’est dans la confrontation avec nos démons intérieurs que se trouve la clé de notre libération.

Janis Bordes

 

ZOÉ
Un spectacle de la compagnie Idiomécanic
Au Théâtre de Belleville jusqu’au 29 février
Conseillé à partir de 10-12 ans
Texte et mise en scène Julie Timmerman
Avec Anne Cressent, Mathieu Desfemmes, Alice Le Strat et Jean-Baptiste Verquin
Dramaturgie Pauline Thimonnier | Collaborateur artistique et conseiller musical Benjamin Laurent | Assistante à la mise en scène Véronique Bret | Scénographie James Brandily assisté de Laure Catalan et Lisa Notarangelo | Lumières Philippe Sazerat | Costumes Dominique Rocher | Création sonore Xavier Jacquot assisté de Paul Guionie | Directeur technique Vincent Tudoce
Chargée de production & diffusion Anne-Charlotte Lesquibe | Construction du décor Benjamin Bertrand et Agnès Champain
Attachée de presse Nicole Czarniak | Administratrice Isabelle Frank pour Gingko Biloba

Photos © Pascal Gély

À voir en tournée :
2 mars : dans le cadre des ATP de l’Aude
6 mars : Espace culturel Boris Vian, Les Ulis
10-11 mars : Centre culturel Marcel Baschet St-Michel-sur-Orge
15 mars : Théâtre des 2 Rives, Charenton-le-Pont
26 mars : dans le cadre des ATP de Nîmes
28 mars : dans le cadre des ATP d’Uzès
11 avril : dans le cadre des ATP de Dax
16 avril : dans le cadre des ATP d’Avignon
18 avril : dans le cadre des ATP de Lunel
3 mai : dans le cadre des ATP de Roanne
25 mai : dans le cadre des ATP de Villefranche-de-Rouergue
28 mai : Espace Jean Legendre, Théâtres de Compiègne

Production Idiomécanic Théâtre
Coproductions Fédération d’Associations de Théâtre Populaire (FATP) – Espace Jean Legendre, Théâtre de Compiègne – Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine –Théâtre des 2 Rives, Charenton-le-Pont.
Soutiens Espace culturel Boris Vian, Les Ulis
Coréalisation Théâtre de Belleville, Paris
Résidences de création Scène de Recherche de l’ENS Paris-Saclay, Théâtre des 2 Rives – Charenton-le-Pont, Espace Jean Legendre – Théâtre de Compiègne, Super Théâtre Collectif – Charenton-le-Pont
Subventions Conseil départemental du Val-de-Marne, Département de l’Essonne, Spedidam
Mécénat MNA Taylor

Futur : le futur est la nouvelle création du Groupe Fantôme

temps de lecture 5 mn 30

Le Groupe Fantôme aime décidément les énigmes… On avait suivi les trois larrons dans l’enquête policière et existentielle de La Disparition, leur précédent opus, en 2022. À nouveau accueillis par la très vivante fabrique culturelle des Plateaux sauvages, ils nous embarquent cette fois dans une autre sorte de quête, plus vaste et métaphysique.

Dans une douce obscurité, exactement dosée pour qu’on s’y sente bien, des voix se modulent imperceptiblement d’enfant à adulte, d’homme à femme, pour nous bercer d’une brève histoire du temps. D’avant l’explosion qui fit naître espace et temps, en passant par l’ère de la cohabitation entre Neandertal et Homo Erectus et nos ancêtres les Homo Sapiens, nous voilà projetés, en une brusque accélération du récit, à l’invention de l’ampoule à incandescence puis à la rencontre qui présida à la création du spectacle auquel on assiste (et du futur éponyme qui en découlera).

Surgissant de tous côtés les voix de Paul, Romain et Clément nous enveloppent pour nous annoncer le programme. Nous parlant depuis le futur, ils entreprennent de nous convaincre de nous joindre à eux pour le faire advenir, nous en distillant les charmes de leurs voix invisibles, mobiles, souriantes et caressantes, flottant dans l’espace comme un conte murmuré à un enfant avant qu’il ne s’endorme.

Ce futur restera récit – u-topie au sens strict, société « sans lieu ». Un futur aux allures de carte postale, d’émission feel good. Les « oïkos » (les maisons, en grec d’aujourd’hui et en français du futur) sont « spacieux, lumineux et harmonieux », les matériaux y sont « réconfortants » : le futur ressemble à une émission de home staging ? Pollution, travail et argent ont disparus, avidité et prédation n’ont même plus de noms, les êtres sont sereins et pacifiques, et pour ce qui est du sexe, sachez qu’« on n’est pas là pour se décharger mais pour se recharger »… Un futur moelleux et fondant, une utopie en peluche, sortie tout droit d’un magazine consacré au glamping de luxe branché new age néo hippy (mais qui n’a jamais, un peu honteusement, rêver de vivre dans un magazine consacré au glamping de luxe branché new age néo hippy ?)
 

Dans nos oreilles, le futur, et sous nos yeux, le présent.
Un beau décor de clairière au sol de terre battue, un igloo de toile, un amas de rochers, un brasero.
Les trois larrons, en polaires, bonnets et barbes mal fagotées, font griller des chamallows et poussent la chansonnette. Ils ont décidé de prendre le large, quitter leur métier d’acteurs trop prenant et la ville trop grise. Renouer avec la nature et la liberté. On s’ensauvage… mais dans un espace délimité par un scotch blanc, qui trace une frontière nette, bien civilisée, entre le dehors-chez eux et le dehors-dehors – jusqu’à l’arrivée d’un intrus, Émile, qui va ouvrir des brèches dans toutes les strates de l’existant, à commencer par la ligne de frontière du campement. Romain, Clément et Paul se sont établis là où lui-même cherche à entrer en contact avec une entité venue du fond des âges, vivante mais blessée, dont il retranscrit les sons, chants, appels à l’aide, en ondes sonores et lumineuses – hommage manifeste à une Rencontre du troisième type matrice du genre.

Romain, Clément et Paul, qui n’étaient pas encore formatés « bienveillance du futur », se révèlent aussi peu accueillants qu’ils semblent cool. Mais Émile, pas loin d’un Théorème, rompt l’ordre établi presque avec passivité, et s’impose au groupe, qui finit par se joindre à sa quête – et c’est là, semble-t-il, le moment exact où a pu commencer à exister ce fameux futur… ce moment précis où le petit groupe clos a accepté l’autre et l’altérité, ouvrant ainsi la porte à la survenue de possibles encore impensés. Ce moment idéel où un groupe d’humains accueille l’ancestral, l’indéfini et le primitif, pour ouvrir le chemin vers un avenir plus doux, plus inclusif et écologique.

Les interprètes ont un art du jeu si délié, si spontané, et une telle complicité qu’on ne démêle pas l’improvisation de la part écrite.
Adeptes des neurosciences et amateurs de jeu, le Groupe Fantôme prêche le faux pour avoir le vrai, ou plutôt prêche le réel pour avoir le théâtre. Avec une foi solide et enthousiaste/enthousiasmante dans la fonction performative du langage et le pouvoir de l’imaginaire, ils font du public non seulement le spectateur mais aussi le potentiel acteur de l’utopie de leur Futur, nous invitant “à nous souvenir du futur pour qu’il puisse arriver”…
Un spectacle métis, gamin et intello, farceur et rêveur, où l’on bascule sans complexe d’un humour potache au surgissement d’un intense sentiment d’étrangeté. Dans une jolie scénographie enveloppée d’une obscurité sculptée de lumières très élégantes, nourrie par une composition musicale jouée en direct par Colombine Jacquemont et Émilien Serrault, Futur est un spectacle inventif, intrigant, très ludique et joyeux. Grâce à eux et à nous tous, “tout va très bien aller”.

Marie-Hélène Guérin

 


 
FUTUR
Conception, texte et mise en scène Clément Aubert, Romain Cottard et Paul Jeanson
Scénographie Heidi Folliet
Costumes Léa Gadbois-Lamer
Assistanat costumes Aude Pelletier
Création lumière Stéphane Deschamps
Création musicale et sonore Colombine Jacquemont et Émilien Serrault
Avec Clément Aubert, Romain Cottard, Colombine Jacquemont, Paul Jeanson et Émilien Serrault
Photos © Bastien Bernini

Production Le Groupe Fantôme
Coproduction Les Plateaux Sauvages, Les Gémeaux – Scène Nationale de Sceaux, le Théâtre de Châtillon et le Théâtre de Suresnes Jean Vilar
Coréalisation Les Plateaux Sauvages
Compagnonnage Théâtre de la Fleuriaye – Carquefou
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
Avec le soutien de l’Adami
Avec l’aide de la SPEDIDAM

Les Sœurs Dalton : la nouvelle création des Nomadesques, un western cartoonesque branché sur 10000 volts !

temps de lecture 3 mn

Les éponymes sœurs Dalton sont bien décidées à ne pas être que « les sœurs de leurs frères ».

Nettement plus barjottes que leurs renommés frangins, Eva, Lilia et Leona – dite Tornada – sont aussi nettement plus honnêtes, sans doute sérieusement plus courageuses, et, est-ce possible, sacrément plus fûtées.
Citoyennes de cette « bonne vieille ville calme de Toucalm City », elles se retrouvent chargées de convoyer la fortune que lègue à la ville le défunt James Poker Winner jusqu’à la banque, sise dans cette « satanée vieille ville dangereuse de Dangerous City ». La coquette somme devra servir à de grands et nobles projets : construire des écoles, des crèches, des orphelinats, des infrastructures routières, des bacs à fleurs (ad libitum, les bonnes causes ne manquent pas)… Autant vous dire que le trajet ne sera pas de tout repos (sinon n’importe quel autre Toucalmien aurait pu s’en charger). Tout ce que la région compte de malfrats et de benêts se met en travers de leur périple, et leur allié Luc Lechanceux, shérif aussi brave que borné, est presque aussi préjudiciable que leurs ennemis.

Rien ne manque : banjo, portes de saloon qui claquent, shérif à chapeau de shérif, bastons, fusillades et courses poursuite, farouches Indiens, chevauchées à travers les plaines, évasion de prison et french cancan en froufrous…
Les six interprètes ont une énergie folle, et la comédie est menée tambour battant.
Les dialogues fusent, croustillants à souhait, parsemés de référence qu’apprécieront les adultes – sans pour autant égarer les enfants. Les jolis décors « vintage » sont astucieux, manipulés à vue au fur et à mesure de l’histoire, pour transformer les lieux en un tour de main. Les costumes savamment patinés sont tout aussi réussis.

Les plus petits se régalent tout particulièrement des jeux de bruitages, équivalents hilarants des ZimBoumPifPaf Tacaclop Tacaclop Pan Pan Aaargh des bulles de BD. Un joueur de banjo-ménestrel pas loin d’être aussi horripilant qu’Assurancetourix distille des apartés loufoques et hilarants. Second et premier degrés rivalisent pour réjouir l’assemblée.

Les Nomadesques, compagnie qui a déjà mitonné quelques spectacles qui sont devenus des incontournables du Jeune public (tel « Le loup est revenu » à l’affiche depuis 10 ans sans faiblir !), ont composé là un spectacle familial malin, enlevé, joyeux, bien produit, et qui, ce qui ne gâte rien, se laisse savourer aussi bien par les adultes que les enfants avec un plaisir contagieux. Un futur classique ?
 

LES SŒURS DALTON
Au théâtre Le Ranelagh
Texte Karine Tabet
Mise en scène Vincent Caire
Lumières Valentin Tosani
Costumes Magalie Castellan
Avec Aurélie Babled, Claire Couture, Karine Tabet, Gael Colin, Cédric Mièle, Cyprien Pertzing

Conseillé à partir de 7-8 ans

40 degrés sous zéro, du Munstrum Théâtre : folie furieuse

temps de lecture 6 mn

Ça commence dans le noir (profond) et le blizzard (glaçant).
Cernant un plateau vide et vaste comme une plaine de Sibérie, des tentures hautes et grises comme des ruines.
Une queen (François Praud, magistral) haut perchée tiare somptueuse robe patchwork flashy interprète un Girls wanna have fun qu’on tarde à reconnaître, ses atours pop devenus obscurs et lyriques sous la voix de velours de la majestueuse reine et les nappes de sons électroniques orchestrées par Jean Thévenin. Humm, ronronnements de bien-être acoustique et visuel !

Le suave et le velouté ne tardent pas à prendre une bonne claque, reine et plateau se font métamorphoser à vue, l’une dépouillée de ses flamboyances, l’autre de sa nudité.
Le Munstrum Théâtre, compagnie du Grand Est, est adepte d’une pratique contemporaine, tonique et acérée, du masque, sous la houlette avertie de Louis Arene et Lionel Lingelser. Il nous entraîne, de L’Homosexuel ou La Difficulté de s’exprimer aux Quatre Jumelles – deux courtes et denses pièces de Copi -, dans un diptyque effréné, à 40 degrés sous zéro mais en ébullition.
 

Travail, famille, hémoglobine

C’est L’Homosexuel ou La Difficulté de s’exprimer qui ouvre le bal. Nous voilà en Alaska, où les loups – humains ou canidés – rôdent autour de Madre et Irina (Louis Arene et François Praud, qui s’en donnent à cœur joie), ci-devant messieurs devenues mesdames – de leur plein gré, et exilées en Alaska – contre leur volonté.
Irina livre son corps et son envie d’ailleurs aux êtres de tous sexes et de tous genres. Immense bébé immature, contre les duretés d’un monde avide elle oscille entre le besoin d’être consolée par sa Madre à poigne et le rêve de fuir avec une Madame Garbo qui l’a peut-être mise enceinte (impériale Olivia Dalric).
Rien de tel qu’une rasade de mirabelle de Biarritz (?), et quelques viscères encore fumantes, pour apporter chaleur et couleurs à cet univers de grisaille et de désespoir…
 

Après un Paradis Blanc envoûtant, on plongera dans la frénésie des Quatre Jumelles, une sorte de Quad de Beckett qui serait atteint du syndrome de la Tourette.
Les jumelles meurent, démeurent, remeurent, ressuscitées ad libitum par des injonctions d’héroïne, administrées dans le bras, l’autre bras, la poitrine, le cou, la cuisse.
On s’arrache les mains, les yeux, les (faux) seins, (fausses) fesses, on meurt étranglée, une balle dans l’œil, étouffée, avalée par un canapé, overdosée, une balle dans le dos, aveugle, sourde – toutes combinaisons épuisées, jumelle 1 tue jumelle 2, jumelle 3 tue jumelle 4, jumelle 4 tue jumelle 2 , ou 1, ou 3, qui survit, qui part avec qui, avec les biftons, les lingots, la poudre, en Suisse, à Boston, à Rio, en brassant du voguing, du kungfu, du airboxing.
La voracité consume les êtres, la drogue ravive leur flamme.
C’est une course folle, une surenchère de violence et d’absurde, traitée avec un sens du rythme irrésistible.
 

Dans un splendide décor, majestueusement lugubre, conçu par le metteur en scène lui-même, Christian Lacroix a inventé des costumes chatoyants et gothiques pour vêtir ces êtres hybrides, mi-hommes mi-femmes, humains et monstrueux, fragiles et destructeurs. Impératrice d’une Chine fantasmatique ou poupées déglinguées, Marie-Antoinette de cellophane perchée sur des patins à glace ou Morticia Adams sous acide : 40 degrés sous zéro convoque sur scène tout un imaginaire post-punk, queer, extravagant et délabré.

À la férocité des textes de Copi répond le grotesque flamboyant et la drôlerie effrayante de la mise en scène. Sous les masques aux crânes nus, les interprètes, tous fantastiques, réjouissants, parfaits de maîtrise et de générosité, jouent entre quotidienneté et outrance, quelque chose d’à la fois très familier et très baroque.

C’est aussi un hommage à l’art du théâtre, dont le grand rideau rouge à demi-dégringolé en fond de scène se fait le témoin. Le (génial) gros chien d’Irina est un amoncellement de perruques, les entrailles sanguinolentes ne cachent qu’elles sont des lanières de tissus rougeâtres, les corps sont remodelés par les prothèses de latex, les crânes rendus chauves par les masques – tout est artifice pour faire surgir la réalité brute et folle, démon(s)trer la violence des rapports de domination, débusquer les pulsions de mort et de vie qui animent les êtres peuplant ces cauchemars polychromes.

Et puis, finalement, se dévoilent la machinerie du théâtre, rampes de projo, perches, transfos, et des comédien.ne.s – prothèses, genouillères, caoutchouc des faux crânes. Plateau et corps dénudés.
Après ces déchaînements dionysiaques, le final – lunaire et choral – est magnifique et poignant, sombre et étonnement lumineux.
Car au théâtre les morts se relèvent, et sur les décombres, tous artifices tombés, restent les vivants, et ils dansent, ensemble. Et c’est beau.

Marie-Hélène Guérin

 

40° SOUS ZÉRO
Une création originale du Munstrum Théâtre
Texte : Copi
Mise en scène : Louis Arene
Conception : Louis Arene, Lionel Lingelser
Dramaturgie : Kevin Keiss
Avec Louis Arene (Madre), Sophie Botte (Maria), Delphine Cottu (Garbenko et Fougère), Olivia Dalric (Madame Garbo), Alexandre Ethève (Leïla et Le chien), Lionel Lingelser (Général Pouchkine et Joséphine), François Praud (Irina)
Création costumes : Christian Lacroix
Scénographie et masques : Louis Arene
Création lumière : François Menou
Création sonore : Jean Thévenin
Création coiffes-maquillages : Véronique Soulier-Nguyen
Regard chorégraphique : Yotam Peled

Photographies © Darek Szuster

Administration, production et diffusion : Clémence Huckel (Les Indépendances), Florence Bourgeon | Assistanat à la mise en scène : Maëliss Le Bricon | Assistanat costumes : Jean-Philippe Pons, Karelle Durand | Assistanat son : Ludovic Enderlen | Assistanat à la scénographie, régie générale et accessoires : Valentin Paul | Accessoires et régie son : Ludovic Enderlen | Assistanat aux accessoires : Julien Antuori | Régie lumière : Victor Arancio | Habillage : Audrey Walbott | Cheffe d’atelier costumes : Lucie Lecarpentier | Costumes : Tiphanie Arnaudeau, Hélène Boisgontier, Castille Schwartz | Stage mise en scène : Mo Dumond | Stages costumes : Marnie Langlois, Iris Deve
Presse : Murielle Richard

Production Munstrum Théâtre Coproduction La Filature – Scène nationale de Mulhouse, Scène nationale de Châteauvallon, CPPC / Théâtre de L’Aire Libre (Rennes), Espace 110 – Illzach – Avec le soutien de la DRAC Grand Est, la Région Grand Est, le département du Haut-Rhin / Collectivité européenne d’Alsace, la Ville de Mulhouse, l’Agence culturelle du Grand Est, l’ONDA, le CENTQUATRE-PARIS, la Comédie- Française, le Théâtre de Vanves, le CRÉA – Ville de Kingersheim – Le Munstrum Théâtre est associé à la Filature – Scène nationale de Mulhouse ainsi qu’aux projets du Théâtre Public de Montreuil – Centre dramatique national, du TJP-CDN Strasbourg-Grand Est et des Célestins – Théâtre de Lyon. La compagnie est conventionnée par la DRAC Grand Est et la Région Grand Est. Elle est soutenue par la Ville de Mulhouse. Les pièces de Copi sont représentées par l’agence Drama – Suzanne Sarquier

« La Chute des anges », et l’envol des êtres : magistrale leçon de ténèbres de Raphaëlle Boitel

Le rideau s’ouvre, le noir et le silence se font, soyeusement.
Une maigre forêt de perches armées d’un projecteur-œil encadre la scène, vaguement inquiétante dans sa sècheresse et ses angles, entités mécaniques et autonomes, épiantes et directives.

Des longs manteaux noirs tombent des cintres, des cintres tombent des cintres, des cintrés se glissent dans les manteaux, étranges marionnettes, cousines de celles de Philippe Genty – cet homme en fond de plateau, ces deux femmes sans doute, visage dissimulé sous un voile de cheveux, corps désarticulés, acrobates danseurs clowns désespérés. Trois drôles de petits humains, trois anges déchus, qui tentent d’apprivoiser la pesanteur.
Des mains cherchent leur tête, des corps cherchent leur axe, de êtres cherchent leur centre et leurs limites.

© Georges Ridel

Bientôt leurs compagnons d’infortune vont les rejoindre, arpentant le plateau en un mathématique mouvement perpétuel, Quad beckettien chaotique où comme par accident quelques pas se déploient en acrobaties, se prolongent en torsions de dos courbés jusqu’à l’impossible. Circassiens virtuoses ou non, les interprètes ont tous la même netteté dans le geste, et la même densité dans la présence.

Une ange aurait-elle la nostalgie des cieux, une humaine aurait-elle le souvenir d’une jeunesse plus lumineuse ? Une des anges se détache du chœur, tourne son visage plein d’appétits vers un soleil artificiel, lui adresse une mélopée chantante, un fouillis de mots, un esperanto d’espoir. C’est elle qui poussera le plus loin les tentatives d’échappée, les désirs d’envol.

Les noirs sont profonds comme les notes de contrebasse qui vibrent dans l’espace, ciselés de graphiques lumières dorées – presque des lumières de « théâtre noir », qui découpent de fines lames dans l’obscurité, de fines lames de réalité et de vie dans la poix des contraintes, dans l’ombre des assujettissements et des surveillances. La composition sonore d’Arthur Bison est de même dense, prenante, sophistiquée et organique, avec des grondements sourds de tempête et des vivacités de clairière après la pluie.

Les silhouettes dessinent des calligraphies, des ombres chinoises, creusent des tourbillons dans la fumée. Une femme plus âgée passe avec une opacité tranquille de vieux chaman. Un vertigineux numéro de mât chinois époustoufle et émeut, élévation et chute, élévation et chute, tragique destinée en réduction.

© Marina Levistskaya

Dans cette esthétique de fin du monde, il y a aussi de la cocasserie, une guerre des « chut » rigolarde, des moments de sourires au milieu des décombres : deux tubes métalliques arrachés à une des machines feront une paire d’ailes de fortune, sait-on jamais (spoil : ça ne suffira pas). L’image est drôle, et déchirante. Très drôle aussi, et très tendre, un « pas de deux » à quatre, deux des êtres tentant tant bien que mal d’en animer deux autres, tâtonnant, expérimentant, réinventant les gestes les plus simples…

Le danger peut rôder dans les objets, les perches se démantibulent, pourchassent, ordonnent, menacent – en contrepoint un majestueux gramophone offre sa beauté incongrue et une occasion de bouffonnerie légère, un rail suspendu s’envole au-dessus des spectateurs avec la souplesse et la joie des balançoires de l’enfance.

Ce monde de métal glacé et oppressant, univers sombre troué de somptueuses mordorures (magnifique scénographie et création lumières de Tristan Baudoin), Raphaëlle Boitel le peuple d’êtres faits de servitude et de pesanteur, mais surtout de curiosité et d’empathie, qui vont trouver, ensemble, un chemin vers la liberté.

Danse contemporaine et équilibrisme, contorsion et hip-hop, prouesses techniques et clowneries délicates, mât chinois et métaphysique, on ne distingue plus où une discipline s’exprime, où l’autre prend le pas, tant Raphaëlle Boitel les pétrit, les étire et mêle pour en faire le vocabulaire et la grammaire de son propre langage, extrêmement maîtrisé, poétique, gracieux, in-quiet et tendre.
« Dans la chute, il y a toujours la question de la manière dont on s’en relève. » précise Raphaëlle Boitel à La Terrasse : elle donne une beauté hypnotisante aux deux, à la chute et à la manière dont on s’en relève.
C’est onirique, envoûtant, et bienfaisant.

Marie-Hélène Guérin

© Sophian Ridel

LA CHUTE DES ANGES
Un spectacle de la Cie L’Oublié(e) – Raphaëlle Boitel
vu au Théâtre du Rond-Point, Paris
Mise en scène et chorégraphie Raphaëlle Boitel
Collaboration artistique, scénographie, lumière Tristan Baudoin | Musique originale, régie son et lumière Arthur Bison | Costumes Lilou Hérin | Accroches, machinerie, complice à la scénographie Nicolas Lourdelle
Interprètes Alba Faivre ou Marie Tribouilloy, Clara Henry, Loïc Leviel, Emily Zuckerman, Lilou Hérin ou Sonia Laroze, Tristan Baudoin, Nicolas Lourdelle

DATES DE TOURNÉE 2023-2024
• 29 septembre au 7 octobre 2023 – Célestins, Théâtre de Lyon (69)
• 10 et 11 octobre 2023 – Le Volcan, Scène nationale du Havre (76)
• 8 et 9 décembre 2023 – Théâtre de Suresnes Jean Vilar (92)
• 12 décembre 2023 – Centre culturel Jacques Duhamel, Vitré (35)
• 15 et 16 décembre 2023 – Le Théâtre, centre national de la marionnette de Laval (53)
• 20 et 21 décembre 2023 – La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc (22)
• 16 et 17 janvier 2024 – Théâtre de Lorient, CDN (56)
• 25 et 26 janvier 2024 – Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper (29)
• 17 et 18 mars 2024 – TCM, Théâtre de Charleville Mézières (08)

Neige, de Pauline Bureau : subtile et merveilleuse fable de la métamorphose des âges

“Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien n’arrivera, jamais ta vie ne commencera.
Va dans les bois, va.”
— Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, Grasset, 1996,
citée par Pauline Bureau en exergue de son travail

Une étrange et lumineuse forêt, parcourue de piafs colorés et de biches rêveuses, a envahi le théâtre de La Colline. Dans la salle, les murs enveloppent les spectateurs d’immenses photos d’arbres en bleu et blanc, comme des cyanotypes outremer. La Colline s’est verdoyée pour nous immerger dans le beau conte que nous invente cette fois Pauline Bureau.
On la connaît et on l’aime prenant à bras le corps, sans concession ni esthétique ni morale, des sujets de société vibrants d’actualité – scandale du Médiator (Mon cœur), GPA (Pour autrui), ou plongeant dans des univers moins documentaires mais pas moins réels (Bohème, notre jeunesse).
Dans Dormir cent ans, déjà une enfant se perdait/se trouvait dans une forêt… Comme dans tout conte qui se respecte ! Depuis si longtemps c’est dans les forêts que se déroulent les rites initiatiques et leurs déclinaisons narratives que sont les contes.

 

 
Dans Dormir cent ans, les enfants étaient au sortir de l’enfance, au seuil de l’adolescence. Aujourd’hui Neige a bientôt 15 ans, et sa mère bientôt 50. Chacune à une extrémité de la vie fertile, du temps de la fécondité biologique, doit trouver le chemin de sa liberté et de l’affection envers soi-même et les autres.
La mère est une belle femme, active, élégante, sans pitié, elle a la bienveillance tyrannique, et s’étonne de vieillir – dépitée de voir apparaitre dans un selfie les traits de sa propre mère. Neige fait de la danse classique en tutu et pointes, vient d’avoir pour la première fois ses règles, a encore des airs d’enfant, se sent grandir, les habits corsetés de petite-fille-idéale la compriment et l’étouffent. Histoire d’oxygéner ses poumons, d’agrandir son horizon, elle suit en douce quelques jeunes gens – plus délurés qu’elle, un joli Chris qui ne sait pas qu’il fait battre son cœur, une vive Delphine à l’aise dans ses baskets, partis faire la fête dans la forêt voisine.
 

 

Apprends-moi l’inutile.
Ce qui ne sert à rien mais qui fait du bien.
Apprends-moi à rêver, à marcher sur les mains, à aimer le temps qui passe.
— Pauline Bureau, Neige

Ce conte d’aujourd’hui nous emmène sur ces frontières où oscillent mère et fille, en ces moments instables faits de continuités et de ruptures, d’étonnements et d’interrogations, où l’on passe d’un âge à l’autre, comme un élément passe d’un état à l’autre sans cesser d’être lui-même.
Comme dans les contes de toujours, il y a un miroir où l’on mire ses traits et ses rêves, une princesse, une reine et un roi, un chasseur, des biches et des loups, et l’on y fait l’apprentissage d’être soi.

Neige est un spectacle extrêmement délicat et tendre, où le chasseur-guetteur n’est pas un prédateur mais un protecteur, où les loups alertent mais ne dévorent pas, où les êtres ne sont pas univoques et où le cœur de chacun finit par trouver son chemin. Pauline Bureau sait comme peu d’autres conférer de la magie à la technologie. Elle use de la vidéo avec un à-propos et une poésie rare, et teinte le réalisme quasi-documentaire de l’écriture de ses personnages d’un onirisme, d’un merveilleux vibrant. La scénographie est spectaculaire et rêveuse, les séquences subaquatiques sont envoûtantes, évoquant dans leur lente chorégraphie les fascinantes vidéos de Bill Viola, la composition musicale électro est ample et prenante. Les interprètes – mention spéciale à l’irrésistible Marie Nicolle dans le rôle de la mère et à Régis Laroche, singulièrement touchant en chasseur qui aime la solitude et les animaux – ont tous une justesse qui irradient d’humanité leurs personnages.

À voir, de préférence avec un.e ado mais ce n’est pas nécessaire. De 10 ans à 110 ans, les mouvements de l’âme et de la vie des protagonistes de ce conte contemporain sauront vous mouvoir et émouvoir, avec sensibilité, humour et finesse. Un spectacle gracieux et profond, d’une grande douceur, et d’une incroyable beauté.

Marie-Hélène Guérin

 

NEIGE
Au Théâtre de la Colline jusqu’au 22 décembre 2023
Un spectacle de la compagnie La part des anges
Texte et mise en scène Pauline Bureau
Avec Yann Burlot, Camille Garcia, Régis Laroche, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Claire Toubin
Scénographie et accessoires Emmanuelle Roy | costumes Alice Touvet | composition musicale et sonore Vincent Hulot | dramaturgie Benoîte Bureau | magie et vidéo Clément Debailleul | lumières Jean-Luc Chanonat | perruques Julie Poulain | collaboratrice artistique Valérie Nègre | assistanat à la mise en scène Léa Fouillet | cheffe opératrice tournage subaquatique Florence Levasseur
Construction décor Atelier de La Comédie de Saint-Étienne
Photos de répétitions © Christophe Raynaud de Lage

Conseillé à partir de 10 ans
 

Production
La part des anges
Coproduction La Colline – théâtre national, La Comédie de Saint-Étienne – Centre dramatique national, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, L’Espace des Arts – Scène nationale de Chalon-sur-Saône, Théâtre Sénart – Scène nationale EPCC, Le Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque, Théâtre des Quartiers d’Ivry – CDN du Val-de-Marne, Scène nationale 61 – Alençon-Flers-Mortagne
Le spectacle bénéficie de l’aide à la création du Conseil général de Seine-Maritime.

Avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet
Avec la participation à l’écran de Camille Chamoulaud, pré-apprentie du CFA des arts du cirque – L’Académie Fratellini, Sylvia Rozenman-Conti, Oriane Fischer
remerciements la Jeune Troupe de La Colline, le Labec, Valérie Fratellini et Agnès Brun

Pauline Bureau est actuellement associée à La Comédie de Saint-Étienne – CDN, à la Scène nationale 61 Alençon-Flers-Mortagne, au Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque, et à L’Espace des Arts – Scène nationale de Chalon-sur-Saône.
La part des anges est conventionnée par le Ministère de la culture / Drac Normandie et la Région Normandie.

Spectacle créé le 17 octobre 2023 à La Comédie de Saint-Etienne – Centre dramatique national

Virile et touchante Tendresse d’une jeunesse tourmentée

La Tendresse, mis en scène par Julie Berès, compose avec le premier spectacle Désobéir, un dyptique sur une jeunesse en rupture avec les modèles du passé et à la recherche de nouveaux repères. En 2016, elle proposait de rencontrer quatre femmes issues de l’immigration qui s’exprimaient sur le cadre familial et intime dans lequel elles évoluent en abordant de nombreux sujets encore tabous sur les scènes de théâtre ou mal traités par les médias (la religion, les relations entre hommes et femmes, la famille…).
Dans son nouveau spectacle, la metteuse en scène s’intéresse à la masculinité et à ses codes. Poursuivant sa démarche de terrain en allant récolter des récits dans le cadre de rencontres et d’entretiens, elle réunit huit jeunes comédiens sur le plateau, aux parcours, aux origines et aux milieux très différents, proposant ainsi un large panorama de la société française urbaine. À partir de la matière documentaire collectée, en collaboration avec les auteurs Kevin Keiss et Alice Zeniter, elle fait surgir des personnages et des récits qui parlent des hommes et les représentent dans leur diversité et leur complexité.

Nous sommes bien au théâtre pour raconter une histoire, des histoires. Il ne s’agit ni d’une leçon d’éducation civique, de genre ou de sexualité ni d’un documentaire. La parole, ou plutôt les paroles, jaillissent de manière très frontales, brutales parfois, comme si nous venions d’ouvrir une boîte de Pandore dont le contenu bouillonne et doit déborder pour évacuer un trop-plein. La scène devient alors une place libre et ouverte pour donner à chacun la possibilité de s’exprimer, de raconter son vécu, de témoigner et surtout de se confier. La frontière entre le récit et l’improvisation se brouille. Assiste-t-on au spectacle d’hier et à celui de demain ? Les personnages et les histoires seront-ils les mêmes ? On a le sentiment d’avoir mis le doigt dans un trou noir infini et que les vannes sont ouvertes, que le temps du grand témoignage est arrivé. Ouvrir son sac et dire, parler, mettre des mots pour soulager, nettoyer, vider puis soigner. Car si les personnages parlent du passé, des générations précédentes et de cet héritage dont ils sont trop lourdement chargés, c’est vers l’avenir qu’ils regardent, un avenir qui les effraient. Âgés d’une vingtaine d’années, ils se lancent dans la vie comme sur des sables mouvants. Les fondations du monde d’hier qui a forgé leur éducation et leur vision du monde viennent de s’écrouler. Ils doivent désormais écrire leur rôle, définir leur nouvelle identité, trouver leur place malgré le flou et le brouillard qui les enveloppent. La Tendresse interroge le poids de la responsabilité qui leur incombe, les doutes et les peurs qui les habitent. Le spectacle agit comme un parcours initiatique pour interroger ce nouveau monde, s’adresser à lui, le tâter avant de s’y plonger totalement.

La troupe formée sur scène prend des allures d’une bande de copains, de gamins même, qui se retrouvent dans un lieu interlope et neutre, tantôt un vestiaire masculin où la virilité s’exacerbe, un club où les corps et le désir s’expriment, un square ou une place publique où les adolescents se retrouvent pour traîner et finalement une tribune où chacun prend la lumière à tour de rôle pour déclamer son histoire. Dans un effet de brouhaha choral, les comédiens s’interpellent, se chamaillent, se charrient, se bagarrent comme des enfants dans une cour de récréation. De l’anecdote partagée timidement au sein du cercle masculin des potes, le récit se transforme en une confession publique, plus profonde, universelle, et le public, qui partageait la complicité du groupe à la manière d’un membre silencieux, se transforme en une assemblée populaire face à des orateurs, des grands témoins d’une génération malmenée et effrayée. Ce doute incessant face à l’avenir et au cadre que la société est censée nous offrir fait ressortir de manière saillante tous les paradoxes auxquels nous sommes confrontés. Les discours bien-pensants, les réactionnaires, les injonctions contradictoires, tout y passe.
Dans une époque où il semble ne plus y avoir de tabous, ici, la parole dérange, interpelle et éclate comme si elle faisait résonner haut et fort ces petites voix qui nous taraudent devant une actualité si complexe et si violente. Tout est dit frontalement, sans aucun filtre, et le spectateur se retrouve scotché dans son fauteuil. Acquiesçant souvent, parfois dérangé, intimidé de voir ses questionnements intimes déballés publiquement. On rit jaune aussi.

La Tendresse évite tous les lieux communs, les discours éculés et les leçons de morale. Avec une grande bienveillance et sans parti pris, le spectacle offre de la place à chacun dans un discours pluriel où rien n’est noir et rien n’est blanc et où l’incertitude, finalement, prend toute son importance. Il donne confiance et rassure pour aller de l’avant, affronter les jugements et la fausse morale.
L’énergie phénoménale déployée sur scène par les comédiens est galvanisante. Deux heures durant, c’est un tourbillon qui se répand sur scène et déborde, encore une fois, jusque dans la salle. Nous sommes tous pris à parti, concernés et impliqués. On ne peut plus faire semblant. La danse se mêle à la violence, les corps s’expriment.
On rit beaucoup aussi. Et cet humour simple, naïf et trivial parfois, révèle les paradoxes et les contradictions des situations, des débats et des stéréotypes. On souffle, on prend du recul, et le spectacle qui pourrait être écrasant et insupportable prend soudain une autre dimension, plus réflexive.
Julie Bérès et son collectif de comédiens et d’auteurs nous offrent un spectacle puissant et troublant d’une vive intelligence, courageux et libre. Il est bon d’entendre ces voix qui nous rassurent, nous donnent de la force et nous réconcilient.

Alban Wal de Tarlé

LA TENDRESSE
Un spectacle de la compagnie Les Cambrioleurs
Le texte est publié aux éditions Librairie Théâtrale – collection L’Œil du Prince.
Vu en mars 2022 au TGP, Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis
Actuellement aux Bouffes du Nord (du 6 au 23 décembre 2023)
Conception et mise en scène Julie Berès
Dramaturgie et écriture Kevin Keiss, Julie Bérès et Lisa Guez, avec la collaboration d’Alice Zeniter
avec Bboy Junior (Junior Bosila), Natan Bouzy, Charmine Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner, Mohamed Seddiki / Et en alternance Ryad Ferrad, Saïd Ghanem et Guillaume Jacquemont
Chorégraphe Jessica Noita – création lumière Kélig Lebars – assistante éclairagiste Edith Biscaro – création son Colombine Jacquemont – régie générale Quentin Maudet – régie plateau Dylan Plainchamp – scénographe Goury chef atelier de construction – Grand T François Corbal – création costumes Caroline Tavernier – régie de tournée Quentin Maudet et Loris Lallouette
Photos © Axelle de Russé
Dates de tournée et autres informations à retrouver ici

Production Compagnie Les Cambrioleurs, direction artistique Julie Berès
Coproductions et soutiens La Grande Halle de La Villette, Paris ; La Comédie de Reims, CDN ; Théâtre Dijon-Bourgogne ; Le Grand T, Nantes ; ThéâtredelaCité – CDN de Toulouse Occitanie ; Scènes du Golfe, Théâtres de Vannes et d’Arradon ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Les Tréteaux de France, Centre Dramatique Itinérant d’Aubervilliers ; Points Communs, Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise / Val d’Oise ; Théâtre Public de Montreuil, CDN ; Théâtre L’Aire Libre, Rennes ; Scène nationale Châteauvallon-Liberté ; Théâtre de Bourg-en-Bresse, Scène conventionnée ; La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc ; Le Canal, Scène conventionnée, Redon ; Le Quartz, Scène nationale de Brest ; Espace 1789, Saint-Ouen ; Le Manège-Maubeuge, Scène nationale ; Le Strapontin, Pont-Scorff ; TRIO…S, Inzinzac-Lochrist ; Espace des Arts, Scène nationale de Chalon-sur-Saône ; Théâtre de Saint- Quentin-en-Yvelines, Scène nationale
Soutiens Fonds d’insertion de l’ESTBA et de l’ENSATT, avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
La Compagnie Les Cambrioleurs est conventionnée par le Ministère de la Culture / DRAC Bretagne et soutenue par la Région Bretagne, le Conseil Départemental du Finistère et la Ville de Brest. Julie Berès est artiste associée du projet du Théâtre Dijon-Bourgogne, dirigé par Maëlle Poésy.
Nous remercions toutes les personnes qui ont accepté de nous partager des apports biographiques et artistiques pour ce projet.

Le décor a été construit par l’Atelier du Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique-Nantes