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Reprise du Tartuffe de Luc Bondy à l’Odéon Théâtre de l’Europe

Le plateau des Ateliers Berthier façon échiquier géant nous invite à une partie où tous les coups sont permis. Que d’énergie dans ce spectacle, de plaisir, de sensations, de beauté, de subtilité, d’intelligence, d’efficacité, de trouvailles. Ce qui passionnait Luc Bondy dans Tartuffe, c’est l’histoire de famille que raconte la pièce – “parce qu’elle fournit un modèle de toute une société”. Et quelle famille que celle d’Orgon ! À commencer par lui, ce maître de maison qui ne l’est plus du tout, un être influençable, malléable, manipulable. En adoration totale devant celui qui l’a “tartuffié”.

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© Thierry Depagne

Les histoires de famille finissent mal en général, mais pas toujours…

Autour d’un formidable Samuel Labarthe, tous semblent en souffrance. Son épouse Elmire – flamboyante Audrey Fleurot qui reprend le rôle créé par Clotilde Hesme – délaissée, négligée, abandonnée… Sa fille Marianne – la prometteuse Victoire du Bois qui fut une magnifique Sacha, dans l’Ivanov de Luc Bondy – introvertie, timide, gauche, mal dans sa peau, éperdue d’amour et promise à un autre. Son fils Damis, – irrésistible Pierre Yvon – impétueux et prêt à en découdre avec la monstruosité, l’ignominie qui rôdent dans la demeure. Son frère, peut-être le plus raisonnable de tous, et sa mère, encore plus entichée de Tartuffe représentent les deux extrêmes de cette cellule familiale moribonde.

Pour faire éclater ce noyau familial, pour en dénouer les liens un à un, Luc Bondy avait eu cette idée géniale de faire appel à Micha Lescot. Longiligne en dépit d’une fausse bedaine, dégingandé, svelte et voûté, agile et souple, il apparaît brusquement, il est là sans qu’on l’ait vu arriver. Malsain à souhait, obséquieux, inquiétant, dérangeant, louche, menaçant, terrifiant. Evoquant une sorte de créature mi-insecte, mi-lombric. Toutes ses scènes sont glaçantes, même si certaines nous font rire, comme celle où il s’en prend à Damis. Pas de doute, Luc Bondy nous a légué ici une mise en scène mémorable, et pleine de vie…

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Jean Giraudoux déclarait que “la plupart des pièces que nous considérons comme des chefs d’oeuvre tragiques ne sont que des débats et des querelles de famille” :

1 – C’est bien sous cet angle que Luc Bondy avait abordé l’une des plus belles pièces de Molière.
2 – La distribution qui n’est pas celle d’origine est encore plus percutante, notamment grâce au talent de Samuel Labarthe.
3 – Sur le plateau, on assiste à une histoire parallèle : celle d’une troupe de comédiens devenus orphelins, qui chaque soir rend hommage à un immense artiste.

Tartuffe – Spectacle vu le 28 janvier 2016 aux Ateliers Berthier
A l’affiche de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 25 mars 2016
Mise en scène : Luc Bondy

 

Ivanov

Un Ivanov sublime de noirceur

Vu le 29 janvier 2015
Reprise à l’Odeon Théâtre de l’Europe du 2 octobre au 1er novembre 2015
Mise en scène : Luc Bondy

 

Copyright : Thierry Depagne

“Sur la scène de l’Odéon, Micha Lescot en Ivanov nous procure un bonheur à la hauteur du désespoir qui le hante.”

Moi qui suis une inconditionnelle de Tchekhov et qui n’hésite pas à le placer sur le podium entre Molière et Shakespeare, je n’avais encore jamais vu Ivanov!
Peut-être attendais-je inconsciemment la mise en scène qui me révèlerait cette “oeuvre de jeunesse” – rappelons que Tchekhov en écrit la première version à 27 ans. Autant vous dire que je n’ai pas été déçue de cette découverte  à l’Odéon.

Invanov, c’est l’histoire assez banale d’un être assez banal, un “monsieur tout le monde” qui sombre dans la dépression. Tchekhov disait : “Il y en a des milliers, des Ivanov… l’homme le plus normal du monde, pas du tout un héros”. 

Pour incarner cet “anti-héros”, Luc Bondy a fait appel au formidable Micha Lescot (qui était son Tartuffe la saison dernière). 1,92m de pur génie sur scène : Micha Lescot parvient à nous faire sentir la déshérence de son personnage, il se désincarne quasiment sous nos yeux, s’évanouit à mesure que la pièce avance. Il est là sans être là.  Comme si Luc Bondy lui avait demandé de jouer “le rien”, d’incarner “la vacuité”. Impossible pari, pourtant réussi!

Autour d’Ivanov, participant de son état et l’entraînant dans sa mélancolie, une distribution sans faute : Marina Hands “maladémouvante”, Marcel Bozonnet alcoolique et sous l’emprise de son épouse Christiane Cohendy, aussi richissime que radine, Chantal Neuwirth méchante et cancanière, Ariel Garcia Valdès misogyne et antisémite, Fred Ulysse joueur de cartes invétéré, Laurent Gréville affairiste rêveur… Dans cette galerie de personnages, il n’y en a aucun de “récupérable” : ils sont tous plus mesquins les uns que les autres. Sauf peut-être le médecin (il y en a toujours un chez Tchekhov). Et celle qui tente vainement de sauver Ivanov de lui-même : Sacha (Sashenka) remarquablement interprétée par Victoire du Bois.

3 raisons de prendre vos places pour cet Ivanov de Luc Bondy

1 – Que vous soyez comme moi fan de Tchekov ou non, vous ne pouvez passer à côté de sa première grande pièce – sa plus cruelle, plus désespérée, et peut-être sa plus belle.
2 – Micha Lescot livre une véritable performance : il parvient à incarner l’ennui, la mélancolie, le désespoir ; aussi impressionnant dans ce rôle qu’il l’était dans Tartuffe.
3 – Pour entourer son Ivanov, Luc Bondy a su trouver la distribution idéale, il a réussi le prodige de réunir 18 comédiens virtuoses sur la scène de l’Odéon.

 

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