Je suis venue, j’ai vu du pont, j’ai été convaincue…
“On voudrait parfois crier gare et dire sans ménagement à un homme de façon précise ce que lui réserve l’avenir.”
L’avocat Altieri – l’excellent Alain Fromager – fait figure de Chœur, de Cassandre.
Il s’apprête à nous exposer le destin d’Eddie Carbone, un docker new-yorkais qui travaille dur pour élever Catherine, la nièce de sa femme Béatrice. Un destin qui va prendre la forme d’un véritable drame antique. Ivo van Hove avait d’ailleurs déclaré s’être attaqué à la pièce d’Arthur Miller comme à une tragédie grecque.
Très vite, on se sent happé par l’intensité des rapports unissant les six personnages. Chacun d’eux défend des enjeux considérables. L’apparent dénuement de la scénographie nous recentre sur l’essentiel : les différents combats qui se livrent sous nos yeux. Combat d’un homme fou d’adoration pour celle qu’il ne lui est justement pas permis d’aimer. Combat d’une femme pour son mari qu’elle voit s’éloigner, se détruire et se perdre. Combat de deux immigrés italiens qui luttent contre la pauvreté et la mise à l’écart.
© Thierry Depagne
Pour incarner ces combattants, ces guerriers, ces lutteurs aux pieds nus, Ivo van Hove a rassemblé une troupe d’exception. Charles Berling, troublant de désespoir, de sincérité, de colère rentrée, de passion jalouse, apparaît au sommet de son art. Face à lui, deux comédiennes se le disputent : une incroyable Caroline Proust – trop rare sur les scènes de théâtre – et la jeune et prometteuse Pauline Cheviller. Nicolas Avinée, le plus jeune des frères, impose une remarquable et saisissante figure de héros. Chacun d’eux prend place dans l’arène façon ring de boxe proposée par Ivo van Hove. Une arène qui se déploie au coeur même des spectateurs, grâce à un dispositif trifrontal extrêmement approprié.
La scène finale est aussi belle que bouleversante, elle referme la page ouverte par Alfieri au tout début du spectacle. On comprend d’où vient cette pluie mystérieuse. On la voit après l’avoir entendue. On sort de là un peu sonné, comme si l’on avait pris place sur ce fameux ring, et le combat orchestré par l’un des plus grands metteurs en scène nous restera longtemps en mémoire…
VU DU PONT
A l’affiche de l‘Odéon Théâtre de l’Europe – du 4 janvier au 4 février aux Ateliers Berthier (20h)
Une pièce d’Arthur Miller
Mise en scène Ivo van Hove
Avec : Nicolas Avinée, Charles Berling, Pierre Berriau, Frédéric Borie, Pauline Cheviller, Alain Fromager, Laurent Papot, Caroline Proust
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