Sombre rivière : flamboyant cabaret post-attentats

 

“Je ne suis pas en train de jouer au poète maudit,
je te dis que je suis un poète visionnaire.”

Une comptine sinistre, filmée en direct dans les coulisses, nous embarque directement dans un théâtre bien d’aujourd’hui, où la caméra fait partie des outils de mise en scène, et où le gros plan plaque les spectateurs aux acteurs.
Il y a quelque chose de lugubre et de grotesque dans cette introduction qui refuse le lisse et le sérieux pour se collecter d’une manière très physique au réel. Et c’est un Lazare de fiction, clownesque, baroque et bricolo qui déboule – enfin, un tiers de Lazare, bientôt suivi par deux autres tiers de Lazare.
 

“Dire tout à la fois,
la violence trop actuelle du monde et la force des songes.”

 

C’est l’histoire de la création d’un spectacle né tant bien que mal après les attentats de 2015.
C’est l’histoire d’un pays dont le passé colonial reste en travers de la gorge des colonisateurs comme des colonisés.
C’est l’histoire d’un homme de langage rendu muet par les cris de la barbarie.
 

Et nous ne faisons rien pour les arrêter et nous n’inventons pas les contre-valeurs, chacun depuis notre lieu. La séparation qui est déjà là, ils veulent la creuser, creuser le fossé de cet « être ensemble » séparé, être ensemble par le sang, par le meurtre. Ils s’attaquent à des lieux de représentation, où ils ne sont pas représentés. Artistes, vraiment, allumez vos lampes d’inventeurs. Mettez les yeux en face des cœurs. Entrouvrez réellement votre porte de lumière.” Lazare, 16 nov. 2015

 

Lazare, lors d’un bel entretien avec Télérama au lendemain des attentats de novembre 2015, clamait “Artistes, allumez vos lampes d’inventeurs”.

Et c’est celui qui dit qui y est, Lazare s’y colle.
La genèse du spectacle, ça devait être les centaines de poèmes que Lazare l’auteur a rédigé dans l’effroi et le silence où l’ont plongé les attentats de 2015. Mais cette castratrice de collaboratrice, rôle assumée dans la vie et sur scène par Anne Baudoux, cofondatrice de la Compagnie Vita Nova, cette castratrice de collaboratrice, allez savoir pourquoi, les a tous censurés un par un. Alors, la genèse du spectacle : deux conversations téléphoniques , l’une avec Ouria, la mère de l’auteur “allô maman”, l’autre avec Claude Régy, ami dramaturge, “allô Claude”. Et la volonté de “dire tout à la fois, la violence trop actuelle du monde et la force des songes.”
 

“Qu’on soit très clair
il y a la prière bon cœur que fait ma mère et la prière des monstres”

 

Lazare, qui à vingt ans rencontre le métier d’acteur au Théâtre du Fil (théâtre de la protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse), Lazare né d’une mère et d’un père algériens; Lazare dont la mère se souvient du massacre de Guelma, dont la mère se souvient du 8 mai 45 et ce n’est pas la capitulation de l’Allemagne, c’est le jour où elle a vu mourir son père en Algérie, le jour des massacres de Guelma, de Sétif, de Kherrata; Lazare qui aime la vie, le vin et la langue française; Lazare est tiraillé entre deux mondes et jette son corps, son cœur, son théâtre au-dessus du gouffre pour tenter de faire pont. Il se fait personnage, bientôt diffracté en trois acteurs.

Il entraîne avec lui une bande de sales gosses, brillants et joueurs, compagnons de longue date pour la plupart : Anne Baudoux, Mourad Musset, Olivier Leite – tous deux rencontrés au Théâtre du Fil en même temps que Florent Vintrignier, avec qui ils forment le trio La Rue Ketanou, Laurie Bellanca, Ludmilla Dabo, Marion Faure, Julie Héga, Louis Jeffroy, Veronika Soboljevski, Julien Villa. Tous fiévreux et doués, aux talents multiples, chanteurs, acteurs, musiciens, ils ont le même engagement et la même justesse dans la farce comme dans la poésie.
 

“Par-dessus la fosse
on entrechoque les verres de vin aux mille fleurs”

 

La “sombre rivière”, c’est, dans un vieux blues, celle où les esclaves en fuite tentaient de cacher les traces de leurs pas. Celle qui délivrait ou noyait.
Sur le plateau, c’est une sorte de folle comédie musicale post-apocalyptique protéiforme; de belles chansons chaleureuses la traversent, du jazz manouche, du gros punk qui tache, des airs de toutes sortes, presque opérette, presque Prévert, presque Renaissance, et tout ça à la fois. Baladin, raï-rap, rock, voix – magnifiques timbres gospel de Ludmilla Dabo, lyrique de Julie Héga, guitares, contrebasse, une flûte passe, une batterie migre de cour à jardin… La vidéo y a sa part, on y croise les sourires irrésistibles, l’œil qui pétille et l’accent mélodieux d’Ouria, la maman de Lazare, quand elle n’est pas sur le plateau interprétée avec finesse par Anne Baudoux.

 

C’est un creuset bouillonnant, crépitant. Ça buissonne, ça rhizome, parfois pousse un surgeon tordu, bizarroïde, dont on se voit pas bien d’où il sort ni quel fruit ou fleur étrange en sortira; une pièce de puzzle d’une drôle de forme, d’une couleur mal assortie, mais, bah, ça s’emboîte alors faut croire que c’était la bonne pièce.

La mise en scène est très rythmique, très mobile, mais attention “on ne fait pas de bouffonneries nous c’est très rigoureux !”, déclare un des Lazare – et c’est vrai ! il y a une énergie folle, mais tout est très précis, et, comme dans un jam de freejazz, même au milieu d’un déchaînement de notes qui semblent partir en tous sens, tout le monde se retrouve à l’accord.

Lazare exorcise ses peurs, et les nôtres, tente de les noyer dans l’alcool – “L’alcool, c’est haram. – Dégage, je fais ce que je veux avec mes deux moi” – et jette contre elles tout ce qu’il peut de vie, de passions, de plaisirs, de désirs. “Il n’y a plus d’utopie au bord du Canal”, tremble-t-il. Mais le long du Canal, un beau cheval blanc passe devant un mur tagué. Il n’y a plus d’utopie mais la joie, la beauté et la poésie sont encore possibles. Un spectacle d’une vitalité et d’une générosité nécessaires.

Marie-Hélène Guérin

 

SOMBRE RIVIERE
à voir au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 30 décembre
Texte et mise en scène : Lazare
Avec Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Ludmilla Dabo, Marion Faure, Julie Héga, Louis Jeffroy, Olivier Leite, Mourad Musset, Veronika Soboljevski, Julien Villa
Collaboration artistique : Anne Baudoux, Marion Faure
Avec la participation filmée d’Ouria et Olivier Martin-Salvan

Photos : Jean-Louis Fernandez
 

Les Mystiques : le gai savoir !

“Les Mystiques ou Comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers” : c’est par la seconde partie du titre que nous commencerons… Sur la vaste scène de ce fantastique lieu de création et d’échanges que sont les Plateaux sauvages, un jeune homme nous attend… Il compte nous narrer la mésaventure qui l’a conduit à égarer dans un train son ordinateur, et avec lui le contenu d’une année de recherches sur les mystiques et la révélation mystique. Très vite, ce n’est plus dans son voyage ferroviaire que nous voilà embarqués mais dans son voyage intellectuel et intime, là où l’a mené son sujet de réflexion.

La tête au ciel et les pieds dans la vie

Si le sujet peut sembler abstrait, c’est sans didactisme que la pièce l’aborde, les deux pieds dans la vie.
Au cours de son travail, le jeune écrivain, frère siamois de l’auteur, confrontera son enquête, sa démarche, à ses proches – amis, parents, collaborateurs, producteurs : autant d’occasions pour Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, avec la collaboration de son demi-frère Eric, dominicain, de proposer un regard multiple sur la question, d’offrir au sujet la possibilité d’être entendu de diverses manières, d’être rejeté ou accueilli, interrogé ou nourri. Mais il faudra aussi au personnage faire sa part du voyage seul – comme il se doit, car c’est dans le secret de l’athanor d’une âme que peut s’accomplir la maturation lente – l’oeuvre au noir – des richesses collectées pour en tirer l’essence -; et découvrir que c’est autant par les matières précieuses que communes, par les tâtonnements que par les découvertes que naissent “force et courage” et qu’on avance sur le chemin.

 
Les Mystiques ou comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers - photo Baptiste Muzard

 

“C’est pas je me connais et après j’apprends mieux ! ou je me connais et après je
vis mieux !
C’est pas du développement personnel ! C’est une quête qui ne s’arrête pas !
C’est toute la vie je cherche ! C’est aller au bout du bout du bout du bout d’une
expérience putain !”

 

À l’image du cheminement mental du héros, la mise en scène est tout en mouvements, rythmique, fluide; les scènes se glissent les unes dans les autres, des accessoires apparaissent, restent, laissent une trace d’un lieu dans un autre. L’espace scénique est protéiforme, vaste boîte blanche, un incongru point d’eau en forme de rocher, comme un surgissement d’une nature farouche en plein cœur d’un quotidien très civilisé, longue table, chaise, ordinateur, projecteur, un lit et une lampe de chevet dans un coin, des meubles aux formes très fonctionnelles, simples, nettes, qu’on déplace parfois pour créer un lieu différent. Les hauts rideaux blancs qui closent le mur du fond s’ouvrent parfois, sur la nuit, ou sur un ailleurs.
Les morts se baladent et discutent en fumant leur clope, les souvenirs se matérialisent pendant qu’on les évoque, rêves et visions prennent corps, aussi réels que le réel… Le présent et le passé, Niort et Sienne, la cité où l’on se paye une glace au yaourt et le désert où l’on rencontre les mots de Patti Smith, la “mystique sans dieu”, le tangible et l’imaginaire… Temps, espaces et états d’existence se chevauchent, s’incluent, s’interpénètrent.
 
Les Mystiques ou comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers - photo Baptiste Muzard
 

Réjouissance de voir une pensée en marche

C’est docte, drôle, poétique. Inspirant. Savant et joyeux. Ça respire l’intelligence et le plaisir.
Ces “Mystiques” ont un humour vif où ce sont autant les situations que les mots dits ou tus qui provoquent le rire – l’humour n’est d’ailleurs pas opposé à la Révélation, quelques malicieux sages, chinois, persans…, en usant comme d’un outil aussi percutant et incontestable que la prière ou la méditation, pourraient vous le confirmer. Il y a des silence vibrants comme certains de ces moments suspendus qu’on trouve dans les ballets de Pina Bausch. Mêlant cérébral et trivial, sérieux et léger, le ton est en accord avec le sujet !

Les comédiens sont tous remarquables. Mention spéciale à Mathieu Genet, au physique et au jeu rapides, fins et déliés. Son personnage est riche et subtil : il a l’élégance de nous faire croire à la facilité de son interprétation. Les autres comédiens ont tous la même aisance, la même liberté, et un beau grain de folie parfaitement maîtrisé. On avait apprécié Makita Samba, mis en scène par Guillaume Vincent dans Songes et Métamorphoses, on retrouve ici sa générosité; Lisa Pajon a une inventivité et une énergie qui semblent inépuisables; Bruno Gouery trimballe d’un personnage à l’autre sa silhouette longiligne et poétique; Mireille Herbstmeyer, comédienne ultrasensible et sobre, en demi-soeur religieuse récitera du Catherine de Sienne en italien, avec une ferveur et une conviction décalée, dérisoire et touchante; Flore Lefebvre des Noëttes apporte sa présence solaire aussi bien à une robuste productrice qu’à une jeune fille pleine de fêlures… C’est un bonheur de voir une telle distribution, plusieurs générations et origines rassemblées en une troupe très homogène, au jeu sans faux naturel mais d’une belle lisibilité, très précis et souple, toujours juste et sincère dans la fantaisie comme dans la gravité.

Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre et Lisa Pajon avec leur compagnie du Théâtre Irruptionnel ont manifestement le goût d’une certaine allégresse de la connaissance; ils créent un spectacle populaire et savant, revigorant, stimulant : un théâtre qui a les grandes vertus d’émouvoir, amuser, nourrir l’esprit et le cœur.

Marie-Hélène Guérin

 

“En t’attendant j’ai lu
Catherine de Sienne, Etty Hillesum, Simone Weil…
C’est pas facile
C’est obscur même et puis elles se répètent beaucoup
J’ai laissé tomber plusieurs fois mais comme t’étais pas là, je me suis accrochée
Et puis y a eu cette phrase
Depuis elle m’accompagne
En fait c’est de nous dont ces femmes parlent, sans cesse, à chaque page
C’est pour ça que ça nous touche
Elles nous donnent de la force”

 

Les Mystiques ou comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers - photo Baptiste Muzard

LES MYSTIQUES
ou Comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers

À voir actuellement aux Plateaux sauvages, jusqu’au 30 novembre
Texte et mise en scène Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre
Éditions Les Solitaires Intempestifs
Avec la participation d’Éric Tillette de Clermont-Tonnerre
Dramaturgie Sarah Oppenheim
Avec Mathieu Genet, Bruno Gouery, Mireille Herbstmeyer, Flore Lefebvre des Noëttes, Lisa Pajon, Makita Samba
Création lumière Kelig Lebars – Création sonore Nicolas Delbart – Création vidéo Christophe Waksmann

Photos © Baptiste Muzard

Dates de tournée à venir :
Bar-le-Duc, 6 décembre 2018 – Versailles, 11-12 Décembre 2018 – Bressuire, 20 Décembre 2018 – Saintes, 29 Janvier 2019 – Châtellerault, 31 janvier 2019

À noter : à partir du 8 janvier prochain, la reprise d’un autre spectacle de la compagnie du Théâtre Irruptionnel, Les Deux frères et les Lions au Poche-Montparnasse, à guetter avec intérêt !

 

La Guerre des salamandres, ou les batraciens prophétiques

Titre énigmatique et propos sans ambiguïté

Karel Čapek, né en 1890, mort en 1938, homme de lettre, dramaturge, essayiste, journaliste, romancier, a laissé en 1920 à l’usage des hommes un mot devenu bien quotidien : il a popularisé le néologisme “robot”, création de son frère Josef, dans sa pièce R.U.R. – à la création de la pièce en France, Antonin Artaud interprétait l’un des robots-humanoïdes…
Karel Čapek est un observateur éclairé de son époque, un des ces observateurs si avisés que de leur lointain présent ils voient le nôtre.

Dans “La Guerre des salamandres”, un Auteur se prend à imaginer ce qui naîtrait de la rencontre entre les hommes et une nouvelle peuplade, suffisamment différente des humains pour qu’on puisse les considérer comme des animaux, mais suffisamment proche pour qu’on puisse communiquer, échanger des biens et des savoirs. On pense aussi à la pièce – plus tardive (1963) -, “Zoo ou l’assassin philanthrope”, de Vercors. Ou comment l’homme s’ingénie à justifier l’esclavage et l’asservissement par la catégorisation des espèces, voire des “races”.

Un marin rêveur découvre une tribu sous-marine, des bipèdes un peu batraciens mais pas mal humains, aux mains agiles, à l’esprit curieux, aux facultés d’adaptations étonnantes. Ils se nourrissent d’huîtres, et troquent volontiers les perles contre des coutelas pour se protéger de leur unique ennemi, les requins voraces. Le capitaine au long cours imagine une relation fructueuse, qui remplirait ses poches et celles de son armateur de perles fines et apporterait les outils nécessaires aux salamandres. Jusque là, comme on dit avant que ça ne se gâte méchamment, “tout va bien”. Comptons sur l’avidité des hommes pour faire de toute ressource un commerce, de tout commerce un marché (de dupes).

La Guerre des salamandres © JC Bardot

L’avidité des hommes… Robin Renucci interrogeait déjà ce sujet avec “L’Avaleur” . Comme alors, ni le texte ni l’angle d’attaque choisis ne cèdent au didactisme. Auteur comme metteur en scène : moralistes, pas moralisateurs ! Trop fins, et trop hommes de théâtre.

La fable s’offre un bel écrin. Ambiance steampunk, mélange d’artisanats et de technologies “rétrofuturistes”, raffinement et bricolage. Il y a des moyens, il en est fait un usage économe, judicieux, plein de malice. Un espace unique figure tous les lieux et tous les temps, la majestueuse table marquetée est aussi bien le dallage d’un salon chic que le comptoir d’un bistrot portuaire. On se sert des changements à vue de perruques, de costumes ou d’un bruitage en direct pour s’amuser du jeu du théâtre : le sujet est grave mais le ton est vif, allègre.
A l’unisson du texte, la mise en scène est rythmée et regorge de fantaisie. Des réclames “d’époque” inventées pour l’occasion font sourire (jaune). Les costumes années 30 aux tons chauds et doux habillent d’élégance une troupe de comédiens alertes. Tous les sept sont précis et justes dans tous leurs rôles. Avec limpidité, fluidité, une certaine gaieté même – en attendant des jours pires -, ils nous font oublier qu’ils ne sont pas vingt, trente, tout un petit monde – médias, capitalistes, voisins, scientifiques, employés, braves gens et vils profiteurs – qui court à sa perte.

La Guerre des salamandres © JC Bardot

Tout un petit monde qui court à sa perte… la fable est écologique et humaniste, un grondement alarmiste d’une lucidité saisissante. Reflet étrangement précis de notre aujourd’hui, dans un miroir pourtant tendu depuis le début d’un siècle déjà fini. On vérifiera par deux fois la date d’écriture du texte, avant de réprimer un frisson d’inquiétude devant ses prophéties glaçantes. Le futur de Čapek est notre présent. Pourtant c’est un signal mais non une défaite. Les glaces fondent, les mers montent mais des hommes savent encore chanter ensemble. L’humour est grinçant, mais la vitalité tenace.
Un spectacle d’une acuité, d’une probité et d’une intelligence remarquables. Salutaire. Stimulant.

“Et ensuite ?
Ensuite ? Tout est possible.”

– Marie-Hélène Guérin –

 

La Guerre des salamandres © Raynaud de Lage

LA GUERRE DES SALAMANDRES
D’après Karel Čapek – Mise en scène Robin Renucci
Avec Judith d’Aleazzo, Solenn Goix*, Julien Leonelli*, Sylvain Méallet*, Gilbert Epron et Henri Payet (en alternance), Julien Renon, Chani Sabaty*
* comédiens permanents des Tréteaux de France
Adaptation Evelyne Loew à partir de la traduction de Claudia Ancelot (1925-1997) parue aux éditions La Baconnière
Scénographie Samuel Poncet
Objets / Accessoires animés Gilbert Epron
Lumières Julie-Lola Lanteri-Cravet
Images Philippe Montémont et Samuel Poncet
Costumes et perruques Jean-Bernard Scotto assisté de Cécilia Delestre et Judith Scotto
Bruitage Judith Guittier

A la Maison des Métallos jusqu’au 28 octobre 2018
Retrouvez les dates de tournée sur le site des Tréteaux de France

La résilience, un sport de combat

Comment dire la perte d’un enfant? Comment la déposer sur une scène? Comment raconter une vie de treize jours? Comment témoigner de treize nuits d’un père et d’une mère dévastés, hantés par l’angoisse et la terreur? Comment dire le dernier souffle d’un nouveau-né qu’on n’a pas même eu le temps de ramener chez soi, chez lui? Comment annoncer à deux petites filles qu’à peine arrivé leur frère a déjà disparu? Comment dire les malformations congénitales, les sondes, les couveuses, les tuyaux, les opérations? Comment décrire les médecins, les infirmières, les professeurs – toutes ces blouses blanches annonciatrices du deuil?

Tu seras un homme Papa, Gaël Leiblang, Thibault Amorfini, Festival Avignon, Ninon Théâtre, Pianopanier@Véronique Fel 

Ce sont les alarmes, qui rappellent que dans telle chambre, la vie est souvent plus fragile qu’il n’y parait“.

Sans doute faut-il avoir vécu un tel drame, une telle blessure pour connaître la réponse à toutes ces questions. Pour avoir le courage de mettre en scène cette terrible tragédie de vie. Acte de résilience s’il en est, Gaël Leiblang porte en scène son histoire, sa perte, sa déchirure. Et à la question : “comment ?” il répond : “par le prisme du sport“. Car le sport, il connait. Le sport, pour cet auteur-réalisateur, ancien journaliste sportif, c’est une marotte, une passion, un métier. Au quotidien, en mode passion, gêne familial, histoire générationnelle, Gaël Leiblang décline le sport à tous les temps et toutes les personnes.

Tu seras un homme Papa, Gaël Leiblang, Thibault Amorfini, Festival Avignon, Ninon Théâtre, Pianopanier

Il n’y a qu’une seule décision à prendre, c’est de poursuivre ou non les soins thérapeutiques“.

Course effrénée contre la montre, contre la mort. Combat de boxe contre une armada de pédiatres. Escalade périlleuse vers une issue fatale. Duo de canoë-kayak avec une épouse (et mère) embarquée dans la même galère… Derrière chaque discipline olympique émerge un instant, une heure, une journée de la trop courte vie de Roman. Et chacun de ces coups de poing, coups de pied, coups de tête, chacun de ces sprints, tours de stade, échappées athlétiques nous offre une respiration salutaire, à nous, spectateurs hagards aux yeux forcément humides. Grâce à son père, Roman nage tous les jours sur la scène du Ninon Théâtre : c’est tellement beau à voir…

TU SERAS UN HOMME PAPA
À l’affiche du Lucernaire du 24 octobre au 8 décembre 2018
Texte et interprétation : Gaël Leiblang
Mise en scène : Thibaut Amorfini

Parlons d’autre chose, choral de la jeunesse

9 chaises en ligne, 8 jeunes filles qui semblent sages, mocassins, jupettes, un clavier d’ordinateur à leurs pieds, 1 jeune homme en bout de ligne qui leur tourne le dos.
Chacun va se présenter, on fait connaissance avec la classe de terminale L du lycée Saint-Sulpice, le ton est grave, les visages sont fermés, la jeunesse ne s’avance pas le sourire aux lèvres.
Une communauté bien huilée, avec ses secrets et ses règles strictes. Un « repère» qui leur permet de s’extraire d’une société qui les asphyxie.
Jusqu’au jour où…
Lors d’un de leurs rendez-vous clandestins, tout dérape. La violence jusqu’ici contenue se défoule jusqu’à l’insupportable.
Début d’un naufrage pour cette jeunesse… ou possible résilience?

Un spectacle actuel, pertinent et plein d’humour qui questionne en profondeur
les horizons possibles d’une génération nourrie à grandes cuillerées de crise.
Léonore Confino

La mise en scène de Catherine Schaub propose un dispositif simple et franc, tout le monde à vue tout le temps, en action ou en attente, en groupe, en individu, ou en groupe-individu, petit chœur antique d’aujourd’hui. On parle beaucoup, on s’adresse au spectateur, on l’apostrophe directement ou on l’oublie pour se plonger dans le jeu, on chante, on danse. Beaucoup de musiques traversent le spectacle, variées comme celles du quotidien, sons pop dance Lady Gaga, standards plus rares, Wild is the wind, Lillies of the valley
 
Parlons d'autre chose - photo 01

Décérébrés ? maladivement connectés ? incapables d’engagement politique ?
ou familial ? limités dans leur vocabulaire ? matérialistes ? Mais pas seulement.
Alors s’il vous plaît, parlons d’autre chose.

Léonore Confino dresse un portrait de génération nourri des questions adolescentes.
Les peurs grandes et petites, j’ai peur de déplaire à mes parents, peur du cancer du sein, peur de boire de l’eau avec une tartiflette, peur du vide… “Mais on ne peut pas avoir peur du vide, il y a toujours quelque chose pour le remplir : la mort de Michaël Jackson, la mort de Jean-Paul II, les sms illimités, la carte de ciné illimité…” Pour oublier tout ce qu’on sait, on a trouvé une solution miracle, on fait la fête. Et ça nous coûte cher en alcool.

On n’est pas en colère, faut du temps pour la colère.

Les amours, la jalousie, la peur de l’amour, plutôt baiser sans aimer, ça évite de souffrir, ça évite de se faire embobiner par la neurochimie “l’amour c’est mieux dans les livres, l’amour c’est mieux chez les vieux”, fredonne-t-on en chœur…
Et le corps ? qu’en faire, comment l’aimer, l’accepter, le transformer, peut-on se plier à l’injonction de perfection sans se détester, peut-on résister à l’injonction, veut-on résister… ?; et la liberté ? la soif de liberté, celle qu’on peut admirer chez la “chanteuse à succès international” : “Lady Gaga, elle est libre. La chanteuse à succès international, elle danse. Et elle danse comme si un rappeur l’obligeait à s’éclater dans son clip, sauf que le rappeur, il est éjecté, il a plus besoin d’être là”; et l’amitié ? “Nous, c’est vachement important pour nous”.

Parlons d'autres choses - photo

Autogénération de la jeunesse

Et les hommes ? Comment faire avec eux, avec l’image qu’on a de l’ancestrale phallocratie qui a soumis nos mères ? Leur faire payer, leur pardonner, continuer ? Chacune cherche, ensemble elles vont repousser les limites, découvrir le pouvoir des dangereuses amazones qu’elles peuvent devenir, l’apprivoiser peut-être, avec la complicité un peu rudoyée de l’ami Tom…

La lutte est âpre mais la (ré)conciliation possible : au bout de ce parcours initiatique cette jeunesse clame – comme toutes les jeunesses de tous temps ? – son envie de “réinventer tout, le couple, l’éducation, le désir”. Et affirme, enfin solaire, que “ce qui est sûr, c’est qu’on est bien vivant, et en mouvement”.

Les questions posées sont sans doute celles qui se posent depuis que l’adolescence existe, mais elles sont offertes sans impudeur et sans tabou. Et elles sont portées par une belle justesse d’observation, servies par une troupe aux personnalités riches, à l’énergie fraîche et intense, et cette jeunesse “bien vivant(e), en mouvement”, c’est très beau à voir.

Parlons d’autre chose
Actuellement à l’affiche du théâtre Tristan Bernard (jusqu’au 22 décembre)
Un texte de Léonore Confino
Mise en scène : Catherine Schaub
Avec Aliénor Barré, Solène Cornu, Marion de Courville, Faustine Daigremont, Thomas Denis, Marguerite Hayter, Elise Louesdon, Camille Pellegrinuzzi, Léa Pheulpin
Un spectacle du Collectif Birdland

 

Mes tissages

Un monde de questions et de réponses : celui des demandeurs d’asile en face des officiers de la république. Un monde de sphinx et d’énigmes. D’errances et de douleurs, dites, racontées, redites, traduites, transcrites, déformées, raturées, tapées, transmises, répétées. Un palimpseste humain.

Qui parle à qui ? Qui est le noir ? Qui est le blanc ? Où est la salle ? Où est la scène ? Qui sont les gentils ? les méchants ? La vérité… qui la dit ? Qui la détient ? Qui la veut ? Ces demandeurs d’asile ont échappé à leurs enfers… Mais pour quel paradis ? Toutes ces binarités semblent bien absconses, réductrices, ridicules. D’un manichéisme grossier. La réalité est bien plus complexe et ce spectacle nous la donne à voir, intimement, subtilement, avec délicatesse et précision.

 © Christophe Raynaud de Lage

Moi, spectatrice, je me regarde tomber dans les pièges de la norme. Découvrir après coup que le spectateur était acteur, la noire ébahie était en fait une russe, que la blanche glaciale est devenue réfugiée tremblante, que le noir éperdu est européen.

Trois acteurs. Dont deux femmes. Dont deux noirs. Qui joue quoi ? Les repères sont perdus, le jeu des acteurs ne se laisse pas enfermer dans une case, une esthétique, et les comédiens glissent de la salle à la scène, d’un personnage à l’autre, d’une ethnie à l’autre. Les paroles sont dites, redites, traduites, répétées. Les langues chantent. La musique de l’albanais nous enveloppe, les traductions deviennent échos, les regards se font miroirs… Les pudeurs s’exposent sous la lourde lampe torche de l’administration. Trois comédiens et une intimité pour dire le déshabillage tremblant des âmes sous les regards blasés des gardes de l’Europe, satisfaits, sûrs de leur fait, agissant au nom de la richesse et de l’ordre.

Rien n’est appuyé. Les choses sont dites. Ce théâtre fait sens. Il est politique. Ancré dans le monde. Dans notre (in)humanité d’aujourd’hui. Le théâtre d’Aiat Fayez et de Matthieu Roy ne brouille pas les pistes, il tisse et métisse les êtres, au creux des âmes, au cœur des costumes, des personnages. Et le public même est pris dans les mailles de ce textile précieux, de langues, de cœurs et de vies.

Métissons.

Agnès  T.

Spectacle vu à la Scène Thélème 
Texte : Aiat Fayez
Commande d’écriture et mise en scène : Matthieu Roy
Avec Hélène Chevallier, Gustave Akakpo et Aurore Déon

Dates de tournée ici

 

Maelström, un grand cri muet

Une jeune femme brune semble attendre, dans un abribus. Elle est menue, athlétique, elle a la voix sourde. Directement au creux de nos oreilles.
Les spectateurs sont munis de casques audio. Vera, l’ado qui soliloque au coin d’une rue aveugle à sa présence, est sourde. Si elle n’a pas ses implants cochléaires en marche, y’a rien qui passe. Écoutilles fermées, elle dedans les autres dehors. Quand elle parle, ça sort mal, de guingois. Nous, c’est sa voix intérieure qu’on entend, flot continu, directement de l’intérieur d’elle à l’intérieur de nous.

C’est le monologue d’une ado emplie de chagrin, de rancoeur; emphatique, grandiloquente, absolue comme on peut l’être à 15 ans, quand une peine de coeur peut sembler terrible comme un avion qui percute une tour; en colère contre un siècle dont l’école lui apprend qu’il a vu naître en 1933 des lois qui ont décidé que les gens “comme elle” n’avaient pas le droit de procréer; furieuse, rêveuse, vorace de vie comme on peut l’être à 15 ans.
Maelström - une pièce de Fabrice Melquiot - avec Marion Lambert - photo Thomas Guené Photo © Thomas Guené

3 bonnes raisons de se laisser emporter par ce Maelström (ou 4) :

1 – Pour la rencontre avec une comédienne, Marion Lambert, bouillonnante, feu follet, dirigée avec finesse. Une expressivité très vive, très mobile, parfaitement maîtrisée, sans l’ombre d’une approximation. Un engagement sans faille du corps, du timbre, du regard et du moindre souffle.

2 – Pour l’intelligence et la richesse du dispositif. La scénographie est très actuelle, des “boîtes” vitrées, coulissant sur des rails – avec la modernité d’assumer la manipulation à vue. Boîtes de verre : boîtes de Pétri, prisons, vitrines… mais aussi lieux ouverts, d’où l’on voit l’extérieur, d’où l’on peut sortir. Le travail sur la matière sonore est d’une grande cohérence par rapport au propos. La voix de la comédienne se niche droit dans les oreilles du public, se fiche droit dans son cœur. Les bruits de la ville circulent, se gonflent, refluent, créent un véritable espace sonore.

3 – Pour le texte, elliptique, en spirale, qui suit les rebonds et vagabondages de la pensée intime de Vera.

4 – Pour un sourire qui disparaît aussi vite qu’il été apparu, lumineux et immense comme un soleil, fugace et obstiné comme un battement d’aile de papillon dans une tempête.

Marie-Hélène Guérin

 

MAELSTRÖM
De Fabrice Melquiot
Mise en scène : Pascale Daniel-Lacombe
Avec Marion Lambert (en alternance avec Anne-Clotilde Rampon)

Guettez les dates de tournée, d’octobre 2018 à avril 2019 : vous les retrouverez sur le site de la compagnie : https://theatredurivage.com/creations/maelstrom

ILLUSIONS : il était une fois l’amour. Ou pas.

Une fois n’est pas coutume, nous commencerons cette chronique festivalière par un conseil exclusivement réservé aux lecteurs de PIANO PANIER.
Il faut en effet essayer d’être au tout début de la file d’attente d’ILLUSIONS, pour pouvoir être les premiers à pénétrer dans la salle 2 du 11 Gilgamesh et bénéficier d’un privilège particulier. Nous n’en dirons pas plus. Conseil d’ami. Faites-nous confiance. Dès que le noir se fait, quatre comédiens prennent place au cœur du plateau. Deux femmes, deux hommes. Nous ne connaîtrons jamais leurs noms. Ne saurons rien d’eux. Mais nous serons invités, par leur parole, à écouter une histoire. Ou plutôt, des histoires. Tout d’abord celle de Sandra et de Dennis, un couple lié par cinquante-deux ans d’amour sans nuages. Au crépuscule de sa vie, sur son lit de mort, Dennis prend la main de Sandra et, avant de partir, tient à lui livrer la plus belle déclaration d’amour qui soit.

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh © Jeanne Garraud

On imagine la scène. C’est la première femme, incarnée par Clémentine Allain, qui nous la narre dans les moindres détails, au cours d’un long monologue où l’émotion peu à peu grandit et la submerge. Les spectateurs que nous sommes accueillent cette histoire dans un très grand silence, suspendus aux lèvres et aux yeux de la narratrice, qui prend bien soin de nous envelopper collectivement, par un jeu de regards pénétrants, dans sa belle histoire. Quand celle-ci se termine, on « entend » le silence. Toute la salle est manifestement cueillie par ce que nous venons d’entendre.
C’est alors que la deuxième femme prend la parole. Elle est interprétée par Fanny Chiressi, dans un registre moins empathique mais plus direct. Elle va nous raconter, à son tour, l’histoire d’une autre déclaration. Celle d’un autre couple de personnes âgées, Robert et Margaret. Et cette histoire va très vite apporter un éclairage radicalement différent sur celle de Dennis et Sandra.

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh © Julie Allard-Schaefer

Il ne faut bien entendu pas révéler ce que nous apprendrons. Après la deuxième femme, ce sont ensuite les deux hommes, interprétés par Mickaël Pinelli et Arthur Fourcade qui prendront tour à tour la parole et lèveront un nouveau voile sur l’histoire croisée des deux couples Dennis-Sandra et Robert-Margaret.
C’est pourtant, en filigranes, une très belle histoire que l’on écoute avec émotion : il s’agit bel et bien d’ausculter ce qu’est l’amour entre deux personnes, de comprendre son origine, sa raison d’être. Mais au fur et à mesure que la pièce avance, comme autant de focales que l’on appliquerait sur un objectif, notre vision devient de moins en moins précise… alors même que les quatre personnages s’emploient paradoxalement à nous livrer des anecdotes très précises, des détails plus nombreux, et à utiliser des périphrases qui ne laisseraient planer aucun doute sur l’authenticité de leur parole.

 

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh

 «Et maintenant, je veux vous raconter une soirée »

C’est tout le sel de cette pièce écrite par l’auteur russe contemporain Ivan Viripaev : par la grâce d’une écriture absolument virtuose, il met en place progressivement un savant jeu d’illusions, un savoureux système de poupées gigognes, où rien ne s’est vraisemblablement passé comme on nous l’a raconté. Le style est direct et s’emploie à nous convaincre sans aucune hésitation que les quatre personnages devant nous ont été les témoins de première main de ce qu’ils nous racontent. Ou peut-être l’ont-ils complètement inventé : et si la fonction du langage était le personnage principal de cette pièce décidément fascinante ? « Tout est vrai, puisque je vous le raconte » semblent nous dire en permanence les quatre personnages devant nous. Mais rien n’est moins sûr.

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh

Il faut ici rendre grâce à la mise en scène d’Olivier Maurin, qui, par sa direction d’acteurs d’orfèvre, crée une intimité rare entre ses personnages et son public. L’utilisation d’un dispositif bifrontal, (et même un peu plus…), très original, nous place au cœur de cette narration collective.
Clémentine Allain, Fanny Chiressi, Mickaël Pinelli et Arthur Fourcade sont réellement formidables. A la fois habités par les histoires qu’ils racontent, et stimulés par le jeu qu’ils nous jouent, ils passent sans cesse de chaque côté du miroir avec une jubilation communicative. Leur jeu sans texte, leurs regards croisés, ou portés vers nous, sont particulièrement précis et efficaces.
« La fleur de l’illusion produit le fruit de la réalité », disait Paul Claudel. Nous sortons d’ILLUSIONS avec beaucoup de doutes sur la véracité des histoires qu’on nous a contées, mais avec une certitude, bien réelle : celle d’avoir assisté à une démonstration de théâtre de haute volée.

Stéphane Aznar

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh

ILLUSIONS
Un spectacle texte d’Ivan Viripaev
Mise en scène : Olivier Maurin
Avec Clémentine Allain, Fanny Chiressi, Arthur Fourcade, Mickaël Pinelli
Avignon Off 2018 : au 11 Gilgamesh du 6 au 27 juillet à 17h05

 

Le Voyage de Miriam Frisch

De longues tablées de bois clair attendent les spectateurs, à leurs bouts deux estrades, sur les côtés deux écrans. On prend place, un petit verre à la main, coude à coude avec son compagnon peut-être, ou un inconnu. Quatre jeunes gens entament des silencieux rituels, lavage des mains, allumage des bougies… Des bouteilles d’eau, de vin, passent de main en main… Autour de ces tables de banquet va pouvoir se déployer l’histoire du spectacle.
Linda Blanchet a composé ce récit à partir l’ histoire de Miriam Coretta Frisch, jeune Allemande qui a décidé de partir en kibboutz pendant 7 semaines, l’année de ses 25 ans, en 2012. Du témoignage de cette expérience, enrichi par un travail collectif de la troupe sur les questions d’identité, de transmisson, elle a fait naître une forme hybride – théâtre documentaire autant que monologue polyphonique -, où se côtoient fragments de réalité et fantaisie, faux reportage et vraies confidences, entretien à la webcam et séances diapos, touchants moments de chants et cuisine paternelle…
Et si le “kibboutz” signifie la “collectivité”, Miriam dans sa quête de sens et de communauté sera collégiale : ils seront quatre à offrir leur voix, leur corps, leurs souvenirs, à Miriam, la jeune femme en quête d’identité : elle sera brune, blonde, garçon ou fille, elle changera de taille, de couleur de peau, d’accent !

Qu’est-ce qui fait courir Miriam Frisch ?

“Je voulais voir ce qui se cache derrière l’idée du collectif, comment les gens s’organisent ensemble”… mais aussi “je me demandais qu’est-ce qui était possible en dehors du capitalisme”… mais surtout “j’avais une sorte de culpabilité abstraite” : un besoin – pour celle qui est de la génération d’après la génération d’après – de prouver qu’être un Allemand ce n’est pas forcément être “un monstre”, de passer outre le passé, sans l’oublier. Miriam, jeune femme allemande, non juive, pérégrinant en ce début de XXIe siècle de kibboutz en kibboutz, porte ces questions de son temps. Les rêves personnels, les envie d’utopie se frottent au lourd poids de l’Histoire, et de l’histoire familiale.

4 bonnes raisons de prendre part au voyage de Miriam Frisch :

1 – Les comédiens, tour à tour dans la narration ou l’action, ont tous les quatre de la pertinence, de la bienveillance et de la sincérité. Quatuor harmonieux et vivace, ils sont aussi justes dans la légèreté fantasque que dans la gravité.
2 – Il est bon parfois de laisser de côté les réponses pour offrir de l’espace et du temps aux interrogations. Ici, on leur accorde la place d’honneur – aux “pourquoi”, aux “comment”, aux “que faire avec hier”, aux “pourquoi faudrait-il forcément faire avec hier”, “comment faire pour demain”… chacun fera son propre voyage en compagnie de Miriam Frisch pour débusquer celles qui résonnent en lui, celles qui creuseront un sillon qui fera une place à une réponse, peut-être, un jour.
3 – L’intelligence du dispositif, qui s’affranchit des frontières entre réalité et fiction à chaque rouage : dans l’écriture, dans la mise en scène, dans le registre de jeu, dans le rapport “scène-public”.
4 – Un de ces cadeaux que fait parfois le théâtre au spectateur : l’occasion d’un partage.

Marie-Hélène Guérin

 

Le Voyage de Miriam Frisch, Compagnie Hanna R Photo © Gaëlle Simon

LE VOYAGE DE MIRIAM FRISCH
Un spectacle écrit et mis en scène par Linda Blanchet
Avec Calypso Baquey, Angélique Zaini, William Edimo, Cyril Texier ou Maxime Coggio
Avignon Off 2018 : à La Manufacture du 6 au 26 juillet à 17h55

Chili 1973 : Rock around the Stadium

Le foot et le rock ont une emprise et un retentissement mondial sans équivalent. Les dictatures aussi ! En mettant en parallèle le déclin de l’esprit du rock, la montée des dictatures en Amérique du Sud et la consécration du roi football, la compagnie Escabelle propose un spectacle coup de poing, une pièce de théâtre musical non fictionnel que ne renierait pas Elise Lucet.

Chili 1973 : rock around the stadium

Le 11 septembre 1973, coup d’état au chili. Le stade de Santiago se transforme en camp de concentration où plus de 12 000 opposants y seront torturés, violés, assassinés -il est vrai qu’un stade de foot, pour ça, c’est idéal !… Le tube planétaire Angie des Rolling Stones, sorti la même année, y sera diffusé à fond par le pouvoir militaire pour couvrir les cris des torturés. Le cynisme du pouvoir est poussé à son paroxysme au moment des phases de qualification pour la coupe du monde 1974… mais que vont-ils bien pouvoir imaginer pour jouer à domicile dans “le stade de la mort” ?

Chili 1973 : rock around the stadium

Trois raisons de prendre son billet pour les tribunes de CHILI 1973: ROCK AROUND THE STADIUM

1 – Un dirigeant de la FIFA vous confiera qu’un moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour pouvoir organiser une coupe du monde dans de bonnes conditions. Et ce n’est pas faux !
2 – Un spectacle percutant, efficace, redoutablement ciselé, qui confère tout son sens au théâtre, en remplissant parfaitement sa fonction d’éveilleur des consciences.
3 – En revivant des évènements oubliés ou juste ignorés, ce spectacle est une succession de révélations toutes plus hallucinantes les unes que les autres, sur les liens terribles entre rock, foot et dictatures… ou comment le foot a été tué par Pinochet. Guitare et batterie live sur scène vous accompagneront devant le peloton d’exécution !

-Jean-Philippe Renaud-

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=wCp9aKqYH3Q]

CHILI 1973 : ROCK AROUND THE STADIUM
Ecrite et mise en scène : Hugues Reinert
Interprétation : Hugues Reinert , Kevin Le Quellec
Lumière / vidéo : Karim M’Sir
A la CASERNE DES POMPIERS du 7 au 23 juillet 2018, 19h15