Machine de cirque : remède à la mélancolie !

Cinq jeunes circassiens québécois enflamment la Scala !
La jeune compagnie canadienne Machine de cirque, déjà passé par ici (en 2019) et repassé par là (jusqu’au 2 janvier) vient secouer le public, de 5 à 105 ans – ravi et qui en redemande. D’éclats de rire en frissons, d’instants de poésie en prouesses virevoltantes, ils ne s’accordent (et ne nous accordent) aucun répit.
 

 
Sur le vaste plateau, patiente une spectaculaire scénographie, une fabuleuse “machine de cirque”, quelque chose comme un drôle de chantier délaissé pour la nuit, de bric et de brocs, avec lampadaire, échafaudages, antenne et câbles électriques, bâches et seaux, un chantier délaissé par ses ouvriers, mais déjà tout bruissant de grondements citadins, d’éclairages crépitants, de fumées mouvantes. La machine piaffe d’impatience à la perspective d’être bientôt animée par une bande de farfadets joueurs et inventifs bien décidés à exploiter le moindre recoin de cet agrès urbain. Un compère créateur de son, poly-instrumentiste, batteur fou – voire fou furieux, souffleur d’accordéon à bouche, percussionniste sur dos, sur tubes, sur tout ce qui peut se marteler, frapper, scander, guitariste, fredonneur, les accompagnent, les rythment et les dopent – si besoin était…
Les cinq jeunes gens, gaillards athlétiques ou sveltes échalas, envahissent l’espace de haut en bas, de bas à haut, de long en large, offrant une prestation généreuse et allègre. Du cirque sans clown, mais où l’humour du clown est partout, tressé aux acrobaties les plus techniques, aux fantaisies sonores ou visuelles les plus excentriques.
 

 
Un cycliste lunaire se lance dans une aérienne danse sur un vélo rouge vif et léger, défiant toutes les lois de la pesanteur d’un air rêveur. Au trapèze, à la planche coréenne, escaladant les trois étages de l’échafaudage, enchaînant d’impressionnantes suites de vrilles, jonglant aux quilles ou… à la serviette de bain – savoureuse burlesquerie !, rivalisant d’audace et de fantaisie, ils gardent toujours une magistrale fluidité, une inaltérable fraîcheur et un sens du collectif réjouissant.

Leur agilité rieuse, leur complicité, leur rapidité tout en souplesse feraient presque oublier la virtuosité dont ils font preuve. C’est beau, tonique, gai, joyeux, époustouflant. Le public s’enthousiasme, se bidonne, s’émerveille, et finit en ovation debout. Cette Machine de cirque offre un beau cadeau : du plaisir ! Ne nous en privons pas !

Marie-Hélène Guérin

 

MACHINE DE CIRQUE
à La Scala
Direction artistique Vincent Dubé
Avec Guillaume Larouche , Thibault Macé, Samuel Hollis , Laurent Racicot et en alternance Raphaël Dubé (du 15 au 24 octobre) et Tom Prôneur (du 25 octobre au 2 janvier)
Composition musicale et interprétation, en alternance : Frédéric Lebrasseur (du 15 au 24 octobre), Olivier Forest (du 25 octobre au 27 novembre) et Steve Hamel (du 28 novembre au 2 janvier)
Photos © L’Œil du loup

20000 bulles sous les mers : une pétillante fantaisie maritime pour écolos en herbe !

De doux flonflons un brin nostalgiques, cousins de René Aubry ou Yann Tiersen, nous accueillent dans la petite et coquette salle du Funambule.
Bottés de caoutchouc et vêtus de rayures marins en vrais p’tits titis bretons, Plick et Plock, deux marins pêcheurs impatients jouent en vain de la canne à pêche. Leurs mimiques et burlesqueries amusent d’emblée les plus petits, qui sans compassion aucune se bidonnent aux grondements des estomacs vides pleurant pitance ! Plus rien à s’mettre sous la dent, et c’est pas la vieille godasse qu’on remonte finalement du fond des eaux qui va améliorer le dîner…
Les deux marins pêcheurs privés de poisson prennent le mors aux dents et décident de partir en quête du plus gros mammifère des océans : la baleine.

Les voilà embarqués dans une aventure pleine de rebondissements, qui les fera rencontrer une Toute-petite-sirène, César le Homard, de gracieuses méduses et autres espadons-pirates, tout coincés dans la même galère, le ventre d’une baleine qui a bien du mal à digérer les monceaux de détritus qui se sont entassés dans son estomac, la faute aux humains pas bien soigneux de la mer de leur planète-mère.

Airs du répertoire traditionnel comme Pique la baleine ou Les Trois Marins de Groix et morceaux originaux rythment le spectacle et ponctuent l’action, très joliment interprétés par Eva Dumont, et Serge Ayala, tous deux aussi comédiens alertes et délicats que clowns farfelus.

Le décor de bric et de broc est malin et charmant, astucieusement modulables à vue et au gré de l’histoire par les deux comédiens, un banc retourné sur un demi-bidon se métamorphose en bateau, une voile en baleine…

Il y a du merveilleux dans cette « fable écologique »; on y crée tout un bestiaire incroyablement poétique avec mille babioles des placards de la cuisine recyclées en marionnettes « low tech » dont les enfants (et parents) curieux découvriront les secrets de fabrication après le spectacle lors d’un « bord de scène » (très apprécié des spectateurs), et on y invente de joyeuses solidarités trans-espèces.
C’est plein de fraîcheur, tendre, cocasse et pertinent. La pédagogie se fait avec le sourire, sans être anxiogène mais sans mièvrerie.
Une bien jolie façon de stimuler l’imaginaire et la conscience écologique des minots, avec fantaisie et malice.

Marie-Hélène Guérin

 

20000 BULLES SOUS LES MERS
Vu au Théâtre Le Funambule
Un spectacle de la compagnie L’Oiseau Lune
Texte et mise en scène Serge Ayala et Eva Dumont
Avec Serge Ayala et Eva Dumont, en alternance avec Alix Mercier
Durée 45 minutes
Pour jeune et moins jeune public, dès 3 ans

Amour amère : amour a-mère, par delà le bien et le mal

Edouard et Marie-Joséphine se sont aimés, trente années. Trente années à faire jaillir la vie, à bâtir, entreprendre, fonder une famille, fructifier. Leur rencontre a été un coup de foudre, de ces évidences inéluctables.
Avant, oh, avant, ils s’attendaient… dans les affres d’une jeunesse, d’une enfance d’orphelin ballotté de famille d’accueil en famille d’accueil; dans la morosité d’un médiocre mariage, pour échapper à une mère mal aimante.
Mais aujourd’hui, on enterre Marie-Jo. Edouard s’échappe un instant du brouhaha des amis, de la famille, réunis dans la pièce adjacente. Clope au bec, lunettes noires, voix au grain rocailleux, belle gueule, l’homme se réfugie près du cercueil de la très-aimée, se laisse aller aux confidences…
Penaud et malicieux, il cache sa clope éteinte dans les fleurs du cercueil.


Un cercueil, des banquettes marbrées comme des tombeaux. Quelques taches de rouge, fleurs couvrant le catafalque, bouquet au bras de l’homme. La scénographie est élégante, d’une netteté très graphique.
Des vrombissements de voitures traversent le spectacle, le crissement de l’accident qui a failli les emporter, le feulement de l’Impala bleue 1965 qui fait partie de leur flotte de location de « Tacots Rétro ».

« Putain de douleur,
putain que j’ai pleuré, je devais ressembler à Heïdi »

Chant d’amour rieur, tendre, rageur.
Avec lui, comme lui, on a le cœur serré et l’œil pétillant, parce qu’une vie, un amour, c’est comme ça, d’ombres, de sourires, d’éclats.
La deuxième clope rejoint la première…

« Elle a 15 ans de plus que moi,
la majeure partie de l’année »

Par moment, les lumières baissent, se resserrent autour de l’acteur, un piano égrène quelques notes, on glisse de la confidence au monologue intime, Edouard nous oublie, se replie. Son tangage, sa déambulation s’interrompent. L’attention des spectateurs se densifie.
Elle est morte d’un cancer, lui ne tardera pas. Maintenant qu’il a trouvé une place pour ses clopes, plus d’hésitation, hop, au milieu des fleurs. Dans les volutes de fumées, les confidences s’égrènent, et l’étau du secret se desserre.

« L’amour est un animal étrange »

Jean-Pierre Bouvier est bouleversant.
Une interprétation implacable, d’une fine justesse dans chacune de ses nuances, un art précis de la rupture, un condensé d’humanité, avec ses houles et ses douceurs, ses rires de gaieté et de douleur.
« L’amour est un animal étrange », nous dit-il, et chacun se fera juge, ou acceptera de ne pas juger, cet amour étrange, étrangement émouvant.

Marie-Hélène Guérin

 


AMOUR AMÈRE
Au théâtre La Bruyère automne 2021
De Neil Labute, adapté par Dominique Piat
Mise en scène et interprétation : Jean-Pierre Bouvier

Mon premier festival d’opéra au Comique : Gretel et Hansel offre au jeune public ses premiers émois lyriques

Depuis sa réouverture au printemps 2017, l’Opéra-Comique peut se vanter d’avoir su trouver sa place au sein du paysage lyrique parisien. Tant dans sa programmation que dans sa communication, cette illustre institution, qui a souvent œuvré à l’ombre de Garnier notamment, ose, propose et innove dans un genre qui paraissait figé, dépassé et en décalage avec le foisonnement et la créativité de la scène parisienne. Véritable électron libre, cet opéra de poche accueille son public, comme à la maison, dans son écrin doré, avec une simplicité appréciable, sans pour autant renier le faste du lieu et l’exigence artistique liée à son histoire.

Avec Mon Premier festival d’opéra, l’Opéra-Comique s’adresse au jeune public, souvent considéré, mais sans raison véritable, comme peu concerné par l’art lyrique. Tout le mois de février, les enfants sont conviés à occuper les fauteuils rouges de la vénérable institution et à assister à une série de propositions artistiques qui leur sont dédiées. L’objectif est à la fois pédagogique puisqu’il vise à faire connaître l’univers opératique dans toutes ses dimensions, la musique, le chant, le jeu, la danse, mais également à communiquer sur de formidables initiatives, notamment la merveilleuse Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique. Ce sont d’ailleurs ces jeunes chanteurs, de 10 à 25 ans, qui sont mis dans la lumière à l’occasion de cette manifestation.

Gretel et Hansel est une adaptation de l’œuvre célèbre d’Engelbert Humperdinck, Hänsel und Gretel. Le fameux conte allemand est entièrement interprété par les jeunes chanteurs aguerris à la scène, donnant un air de kermesse de fin d’année haut-de-gamme à la superbe salle. Quel plaisir de voir les petites têtes blondes courir dans le foyer, où un atelier de respiration et d’exercices vocaux est proposé, se pencher aux balcons pour admirer la foule au parterre, et d’entendre les cris et les rires des familles réunies pour une sortie exceptionnelle.
Sarah Koné, créatrice et directrice de la Maîtrise Populaire, assure la direction musicale et la mise en scène de cet ambitieux projet. À la tête d’un orchestre réduit, elle dirige du bout de sa baguette de jeunes enfants et adolescents encore en apprentissage.

L’opéra jeune public ne rime pas avec économie de moyen, au contraire ! Ici, une large distribution évolue sur les planches dans une très belle scénographie, monumentale et poétique, à l’image de ces légères feuilles d’automne doucement déversées sur les jeunes danseurs pleins d’entrain. Les costumes traditionnels et féeriques reprennent les codes de l’imaginaire enfantin des contes d’Europe de l’Est. La partition est audacieuse et permet de découvrir de belles voix en devenir.

La joie d’être sur scène, ensemble, le travail acharné, l’investissement et l’énergie de ces jeunes artistes nous font oublier les quelques faiblesses vocales et maladresses scéniques. Nous ne sommes pas ici pour juger mais pour se réjouir de voir éclore, en communion, une nouvelle génération de chanteurs et de spectateurs.
Un tonnerre d’applaudissement vient finalement conclure cette soirée remarquable. À n’en pas douter, ce spectacle ravive la foi dans le théâtre, vecteur d’expériences fortes et fondatrices dès le plus jeune âge. Vivat !

Alban Wal de Tarlé

GRETEL ET HANSEL
Opéra-Comique du 9 au 11 février 2019
D’après l’opéra d’Engelbert Humperdinck
Adaptation française d’Henri-Alexis Baatsch et Sergio Menozzi 

Photos : © Stefan Brion

20 000 lieues sous les mers : le fabuleux monde de Némo

En ce moment, en plein coeur de Paris, il est possible d’embarquer pour un fabuleux voyage sous-marin. Et ce ne sont ni vidéo 3D ni installation high-tech qui vous entraîneront à 20 000 lieues sous les mers. Car Valérie Lesort-Hecq et Christian Hecq ont eu l’idée géniale de recourir à la complicité de marionnettes pour nous faire vivre cette aventure.
Des marionnettes en latex qui s’invitent à la Comédie-Française : il ne faut pas louper ça!

2OOOO lieues sous les mers_Louis Arène© Brigitte Enguérand / coll. Comédie-Française

Nul besoin d’avoir lu le roman de Jules Verne : les néophytes plongeront à 20 000% autant que les fans du récit. On admire l’ingéniosité du Capitaine Némo interprété par un Christian Hecq tout en retenue et parfait dans son côté misanthrope. On fait la connaissance de trois compères débarqués par hasard et par accident sur le fameux Nautilus. Christian Gonon en belliqueux Ned Land, Nicolas Lormeau en Professeur Aronnax, Benjamin Lavernhe en désopilant serviteur de ce dernier. On sursaute et l’on bondit de son siège à plusieurs reprises, de peur de se faire accoster par des créatures aussi inquiétantes que poulpes criminels, poissons lanternes et araignées de mer géantes. On pleure de rire face aux pitreries de Flippos – étonnant Noam Morgensztern- et du Sauvage – Thomas Guerry, extérieur à la troupe, reprenant le rôle créé par Elliott Jenicot sur la saison précédente. Tout au long du périple, on se laisse entraîner par la voix chaude et envoûtante de Cécile Brune.

20 000 LIEUES SOUS LES MERS

On part très très loin, on découvre une sorte de quatrième dimension, une matrice insoupçonnée. En bref, on accomplit un réjouissant, un passionnant voyage, et c’est pour ce genre de voyage que l’on hante les salles de spectacle. Un immense merci à Valérie Lesort-Hecq et à Christian Hecq pour leurs talents de magiciens ! Leur équipage un peu dingue nous transforme, le temps d’une soirée, en créatures subaquatiques…

Le seul bémol de ce “20 000 lieues sous les mers”, c’est qu’il est très compliqué de trouver des places pour y assister. Accrochez-vous, cela vaut le coup, tellement c’est une réussite :

1 – Réussite dans l’adaptation du roman de Jules Verne : un véritable “condensé de fidélité”.
2 – Réussite dans la mise en scène et l’interprétation : le plaisir que les comédiens du Français prennent à ce voyage est palpable et contagieux.
3 – Réussite dans la conception et la manipulation des fameux “poissons-marionnettes”, prodigieusement mis en lumière par Pascal Laajili, l’un des maîtres en la matière.

Ce spectacle a reçu le Molière 2016 (bien mérité) de la création visuelle.


20 000 lieues sous les mers
Á l’affiche du Théâtre du Vieux-Colombier – du 25  janvier au 12 mars 2017 (20h30, dimanche 15h)
Adaptation et mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq
Avec : Christian Gonon, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, Thomas Guerry et la voix de Cécile Brune

Pinocchio : quand le magicien Pommerat rencontre le génie Collodi

Pinocchio – Spectacle vu le 12 décembre 2015
A l’affiche de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 3 janvier 2016, puis en tournée (dates ici)
Un spectacle de Joël Pommerat, d’après Carlo Collodi

 

Pinocchio réinventé par l’un des génies du théâtre contemporain : incontournable pour les petits et les grands

Un spectacle de Joël Pommerat : c’est toujours un cadeau précieux, un rendez-vous privilégié, une promesse de bonheur… Le retour de Pinocchio, je l’attendais d’autant plus que c’est grâce à un autre conte – Cendrillon – que j’avais découvert le Pommerat magicien. Dans ma vie de spectatrice, il y a clairement un avant et un après Cendrillon.

Succédant sur la scène des Ateliers Berthier à la truculente Cendrier, un curieux pantin blafard nous invite à un voyage tout aussi inoubliable. Dès les premières secondes, le charme opère, avec l’apparition d’un conteur aux allures de forain (réincarnation du fameux criquet). Ce Monsieur Loyal nous décrit ce qu’il voyait lorsqu’il ne voyait pas… Le voyage vient de débuter. Il nous entraînera tour à tour dans la forêt, dans une salle de classe, sur une piste de danse, dans un cachot, chez une Fée, au plus profond de l’océan ainsi qu’à la surface d’une mer déchaînée. Tout cela sans autre artifice que les jeux de clair obscur. La lumière, toujours la lumière…

Mais l’efficacité du texte n’a rien à envier à la beauté de ces images. Joël Pommerat revisite le mythe créé par Collodi avec intelligence, finesse, subtilité, humour souvent, philosophie toujours. Il aborde des thèmes tels que la pauvreté (“En plus d’être vieux, tu es pauvre, alors ça c’est la meilleure de la journée !“), le mensonge (“Rien n’est plus important dans la vie que la vérité”), la paternité (“J’ai envie de rentrer chez moi et de revoir mon père, il me manque”) et surtout la liberté (“Pinocchio, c’est le symbole de la transgression, la liberté par la bêtise et l’ignorance” explique Joël Pommerat). Au final, ce spectacle est une sorte de parcours initiatique pour l’enfant – et parfois le pantin – qui sommeille en nous.

A découvrir ou revoir en famille, cette variation magique de Joël Pommerat autour du mythe de Pinocchio :

1 – L’occasion de découvrir, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, un auteur de spectacles d’une intelligence rare et précieuse.
2 – Par son jeu de noirs et de lumières tellement caractéristique, Joël Pommerat grave en nous des images d’une beauté mémorable.
3 – Un spectacle destiné, non pas aux enfants, mais à la part d’insouciance, de candeur et d’indispensable naïveté enfouie en chacun de nous.

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