J’avoue que je ne connaissais pas Bernard-Marie Koltès, ou très peu. Son nom bien-sûr, je le connaissais. Je connaissais aussi les sujets de prédilection de cet auteur mort jeune à la fin des années 80 et régulièrement mis en scène par Chéreau. Alors je suis descendu au sous-sol du Théâtre de Poche-Montparnasse avec l’excitation d’enfin découvrir sur scène ce dramaturge emblématique, et avec aussi la peur d’être déçu par un texte que j’avais envie d’admirer a priori.
Je n’ai pas été déçu. « La Nuit juste avant les forêts » est un choc, et cela commence dès l’entrée dans la salle. On ne peut pas tout dire ici, mais avant de rejoindre sa place, chaque spectateur doit traverser une partie du plateau où le comédien est déjà installé. On frôle cet être fragile, contorsionné de douleur.
@DR-JPG
C’est un tas, accroupi par terre, qui tord son corps élastique. Le noir se fait dans le public, et le jeune homme prend la parole. C’est un appel sans réponse, une main puissamment tendue, une révolte continue et circulaire, répétitive comme une chanson. Il nous jette à la figure la solitude, l’exclusion, la fuite, l’inadaptabilité. Il nous envoûte par ses gestes, sa sensibilité, sa voix, son charme rugueux. Il est à la fois d’une grande violence et d’une fragilité extrême.
Le comédien, c’est Eugène Marcuse. Il est encore élève au Conservatoire et il nous prouve que le talent n’a pas d’âge, puisqu’il est magnifique d’humanité dans ce rôle très difficile. Il n’en fait jamais trop, il joue sa partition en respectant le ton d’un soliloque qui a souvent des accents céliniens. On assiste à ce cri sourd pendant un peu plus d’une heure et on en sort un peu vidé, mais grandi. On a envie de dire merci à Koltès et merci à Eugène Marcuse de nous montrer ce qu’est l’art de servir un grand texte.
http://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gif00Stéphane Aznarhttp://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gifStéphane Aznar2016-11-29 17:50:062016-11-29 17:50:06La violente fragilité de "la nuit juste avant les forêts"
Il trucide, trahit, complote, abuse, enferme, exécute; Richard III reste le tyran machiavélique et monstrueux que l’on connait. On a vu beaucoup d’hivers changés en étés glorieux par un soleil d’York mais jamais aucun avec deux clowns évoluant dans un décor de fête foraine. Fascinant et inquiétant. L’un se prend pour Richard III, l’autre incarne une multitude de personnages -une quarantaine au total- avec une facilité étonnante.
@Tristan Jeanne-Valès
Cet univers forain s’avère tout particulièrement séduisant. Il prend appui sur un décor de bois peint, regorgeant de trappes secrètes et autres machineries toutes aussi ingénieuses que surprenantes que l’on découvre au fil de la pièce. Il est à lui seul un personnage, mi-adjuvant, mi-opposant, et plutôt machiavélique. Les deux clowns semblent le maitriser mais se retrouvent plus d’une fois pris au piège de cette machine infernale. La cruauté et la poésie en deviennent d’autant plus intriguantes. Folie d’un roi.
L’utilisation technologique vaut le détour. On retiendra des projections de têtes animées sur des ballons de baudruche ou sur des barbes à papa. Effet magique garantie. On croise comme cela le spectre de Clarence. On se laisse surprendre, on se laisse rêver, parfois.
“Je veux m’allier au noir désespoir contre mon âme et devenir l’ennemi de moi-même !”
Image frappante d’un clown Richard III en armure bleue ciel de porcelaine, dont il ressort une grande poésie et une grande fragilité. Serait-on touché par ce roi affreux ? La scène finale le permet peut être, en rupture avec l’esthétique du reste du spectacle… Combat et défaite d’un roi.
Richard III – Loyaulté me lie
D’après William Shakespeare
Avec Elodie Bordas et Jean Lambert-wild
Direction Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et Gérard Garutti
Théâtre de l’Aquarium de la Cartoucherie
Du 3 novembre au 3 décembre 2016 – 20h
http://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gif00Redaction PianoPanierhttp://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gifRedaction PianoPanier2016-11-27 14:20:472016-12-01 16:16:36Richard III - Loyaulté me lie : l'inquiétante fête foraine
Une athlète. Une sprinteuse qui se jetterait dans une course folle, désespérée et inéluctable. C’est ainsi qu’apparaît Johanna Nizard, seule sur scène, avec les mots de Laurent Mauvignier. Il ne fallait pas moins que l’immense talent de cette comédienne pour tenir sur la longueur un texte aussi dense, percutant, incisif, intense. L’étendue de sa palette, la finesse et la sensibilité de son jeu lui permettent d’interpréter cette partition brillante, étoffée, éclatante. En quelques secondes, elle passe d’une infinie douceur, d’une touchante fragilité à une dureté rageuse, explosive, inquiétante. Elle nous surprend par tant de colère contenue. Une violence aussi peu légère que cette fameuse blessure qui ne sera dévoilée qu’à la fin.
“Moi je peux gaspiller mon temps à tout dire, rien ne me touche plus assez pour que j’ai peur de le perdre.”
Qui donc est cette femme ? La quarantaine, une certaine classe sociale. Elle attend à dîner ses parents qui ne sont pas venus depuis longtemps. Elle s’adresse à une autre femme, une femme de ménage qu’on ne voit pas, qu’on n’entend pas, qui ne parle pas la même langue qu’elle. Tout au long de ce dialogue – ce monologue – elle libère une parole, des choses difficiles à dire. Comme une sorte d’introspection, elle évoque ses rapports avec les hommes, avec son père, sa mère, son frère, les enfants qu’elle n’a pas eus…
“Une souris qui déplace une montagne, dans le regard des gens ça reste une souris.”
La course effrénée de Johanna est rythmée par les mot de Mauvignier. Et les mots de Mauvignier dessinent un cercle de plus en plus étroit. De plus en plus vicieux… En débutant la course, elle a ouvert les vannes, et le secret qu’elle cache, cette “légère blessure”, elle va finir par le dévoiler.
Othello Vilgard retrouve ici Johanna Nizard, qu’il avait déjà mise en scène dans Trois Ruptures de Rémi de Vos. Il lui fait occuper tout l’espace, telle une lionne en cage. Une cage qui aurait des allures de ring de boxe, tant la puissance qu’elle dégage nous fait l’effet de véritables uppercuts.
Quand on vous dit que Johanna est une incroyable athlète de la scène…
UNE LEGERE BLESSSURE
Du 6 au 29 juillet 2018, 19h30 au Théâtre des Halles
Salle Chapiteau
Texte et dramaturgie : Laurent Mauvignier
Mise en scène : Othello Vilgard
Avec : Johanna Nizard
Voici un spectacle intelligent, subtil, à la gloire d’un auteur trop souvent méconnu. Catherine Sauval a découvert le Journal de Jules Renard suite aux représentations de Poil de Carotte au Studio-Théâtre de la Comédie-Frrançaise en 2010. Ce fut une révélation, un véritable coup de foudre. Cette passion pour l’homme, pour le poète, elle la dépose avec douceur, intensité, sensibilité sur la scène du “petit Poche-Montparnasse”.
Son spectacle ne serait pas ce petit bijou si l’ancienne sociétaire du Français y proposait une simple succession des plus célèbres aphorismes du poète (“Si l’on bâtissait la maison du bonheur, le plus petite pièce serait la salle d’attente”, “La nature fait du fumier avec les souvenirs de son année”, “Dieu n’est pas une solution, ça n’arrange rien”, “Je vois la vie en rosse”…).
Catherine Sauval raconte que l’agencement des différents extraits qu’elle avait retenus “se fit comme par magie en moins d’une heure”.
Elle nous apprend ou nous rappelle que Jules Renard était mal aimé (sa mère ne le surnommait-elle pas “le chieur d’encre” ?), d’une timidité maladive, neurasthénique, voire suicidaire…
“C’est l’homme que je suis qui me rend misanthrope”.
Cette magie opère au plateau et nous fait voyager dans les différents univers de Jules Renard : sa famille plus ou moins bienveillante, son travail d’écriture plus ou moins facile, sa campagne toujours chérie… Car l’auteur d’Histoires Naturelles et de Bucoliques, chronique paysanne avait un rapport à la nature qui est ici souligné. Les “scènes de vie de campagne” modifient le rythme du spectacle. Pleines de vie, elles sont souvent très drôles.
La scénographie de Catherine Sauval est toute simple, épurée, faisant la part elle aux jeux de lumières et à son jeu à elle, immense comédienne, tout en justesse, retenue, sensibilité et délicatesse.
Si l’émotion est toujours présenté, la dernière scène nous “cueille” littéralement. Preuve que Catherine Sauval, elle aussi magicienne, parvient à transformer ses spectateurs, l’espace d’un instant, en une véritable petite forêt…
Dans la petite et charmante salle de La Huchette, Arnaud Denis signe, pour sa première pièce en tant qu’auteur, un troublant thriller théâtral.
En pleine représentation, un personnage se révolte contre son auteur. Il refuse le destin qui lui a été tracé. S’engage alors un rapport de force entre l’écrivain et sa créature.
Sur scène, un dispositif astucieux, emboîtement de portes s’ouvrant les unes sur les autres pour mener sur un au-delà du plateau ; manifestation simple et efficace du jeu du théâtre dans le théâtre qui va s’engager là sous les yeux des spectateurs – y jouant de bonne grâce le rôle… des spectateurs.
Le sujet et le procédé ne sont pas neufs – hier, en illustre prédécesseur, Pirandello et ses insatisfaits Personnages en quête d’auteur, aujourd’hui, en voisins quasiment, au « paradis » du Théâtre du Lucernaire, Monsieur Kairos*, où Yann Collette, voix douce, et Fabio Alessandrini (l’auteur, et aussi l’interprète pertinent de… l’auteur) tessiture plus basse, accent italien légèrement chantant – mêmes têtes nues, mêmes petites lunettes rondes, ombres de barbe, silhouettes presque jumelles, jumeaux aussi dans le doute comme l’entêtement -, donnent vie avec beaucoup de malice et de sensibilité à la confrontation entre un auteur de roman et son personnage – rétif, comme il se doit, à son destin.
Mais qu’importe l’innovation, Le Personnage désincarné parle de théâtre, de destin et donc de liberté, de création, de transmission, de pouvoir, d’amour, de mort, de peur de la mort : interrogations de toujours. Arnaud Denis, acteur séduisant, metteur en scène reconnu, nourrit son texte avec honnêteté de sa culture, de son intelligence, et des ses propres interrogations d’artiste – sans doute ; sans concession, il ne cherche pas d’échappatoires dramatiques, pas de fioritures, on reste concentré sur les questions centrales.
Dos aux spectateurs, deux silhouettes immobiles, une femme debout, côté jardin, un homme assis, côté cour. Du fond de la scène s’engouffre par l’enfilade des portes un nuage de fumée. Le jeune homme qui le traverse, déboulant essoufflé, en panique, voit son élan coupé net. Personnage de théâtre, il se fait tancer par son auteur, installé aux côtés du public. Le personnage est sorti de son rôle, de sa vie, du « cours des choses » – semble-t-il.
Semble-t-il, car ici tout est écrit, l’auteur le répétera à plusieurs reprises. Incrédulité du personnage face à sa conception, refus obstiné face à l’irréductibilité de son destin ; le personnage revendique même une autre identité, une personnalité plus fougueuse : « Vos mots m’ennuient, vous m’ôtez toute spontanéité »
Mais le doute du personnage, son rejet, tout est dans le « cours des choses », tout est écrit, texte imprimé en main l’auteur persiste à proclamer cette « réalité » au personnage.
Pourtant jusqu’où l’auteur est-il maître de la rébellion de sa créature, jusqu’où contrôle-t-il failles et fissures ?
Egoïsme contre égoïsme, celui de l’auteur qui soumet son personnage à la nécessité dramaturgique de son propos, contre celui du personnage qui refuse sa destinée. Pouvoir contre pouvoir : qui crée l’autre, qui façonne la vie de l’autre ?… Arnaud Denis fêle le miroir. Les reflets se difractent, rebondissent l’un sur l’autre – qui de l’auteur ou du personnage révèle l’autre ou l’expose, qui emprisonne et qui libère ?
Pour donner chair à l’affrontement : trois générations, trois talents
Marcel Philippot incarne l’auteur, et ce verbe ici n’est pas usurpé : acteur rompu à la comédie, il met ici sa maturité de comédien et d’homme au service d’un rôle presque austère. Evident, juste, investi, il apporte sa sensibilité au cérébral et cruel auteur, aux peines anciennes pétrifiées sous un rigide masque d’exigence et de dureté.
« J’ai vingt ans », dit le personnage, et Audran Cattin a l’âge du personnage, sa fraîcheur, sa spontanéité, sa fougue, son envie de vivre. Il lui offre son jeune talent, plus que prometteur, déjà d’une précision et d’une intensité qui donne des ailes à son rôle. Grégoire Bourbier, tendre, pertinent, pugnace, interprète avec vivacité le régisseur, qui interviendra à plusieurs reprises, dans ou contre le « cours des choses », rappel du monde concret, du monde « humain », celui où ce n’est pas la question de la création et du créé qui prend le dessus mais celle de ce qui est ressenti, de ce qui est partagé, celle de l’empathie et du désir d’insoumission.
« Le théâtre répond à des règles très précises
que tout le monde ignore. »
On effleure, sans s’y égarer, la piste psychanalytique, le temps pour le personnage de s’inventer un fils, le temps pour l’auteur de souffrir de l’absence du sien, le temps pour un homme au cœur de chair de regarder, les yeux flottant au ras du public, par une fausse fenêtre, le souvenir d’un fils passer.
Qui gagne la bataille de ces combats de mots, de ses affrontements ? Monsieur Kairos au Lucernaire comme Le Personnage désincarné d’Arnaud Denis font la part belle au personnage, à l’œuvre, qui restera libre et vivante, même lorsque l’auteur, lui qui s’arroge droits de vie et de mort, lui qui est vivant, ne sera plus. Façon paradoxale et humble de saluer tout de même le pouvoir du créateur.
Le Personnage désincarné – spectacle vu le 28 octobre 2016
À l’affiche du Théâtre de La Huchette
Ecriture et mise en scène Arnaud Denis
Avec Marcel Philippot, Audran Cattin, Grégoire Bourbier
*Kairos – A l’affiche du théâtre Le Lucernaire jusqu’au 3 décembre – Écriture et mise en scène Fabio Alessandrini – Avec Yann Collette et Fabio Alessandrini
http://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gif00Marie-Hélène Guérinhttp://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gifMarie-Hélène Guérin2016-11-07 17:00:062016-12-01 11:50:56Le Personnage désincarné à La Huchette : l’auteur, le personnage et le destin
Puis ramasser le caillou tombé sur le Brésil et décider de s’envoler vers ce pays lointain, inconnu, inédit, secret et forcément fascinant.
C’est sur ce coup de tête que Suzanne quitte la France, son frère Gino, et une vie sans doute un peu trop dénuée de sens…
Arrivée à Belo Horizonte – une ville dont le nom même est une invitation au voyage – Suzanne devient bénévole dans un couvent au sein duquel viennent parfois se réfugier des femmes sur le point d’accoucher.
Une nuit – l’une de ces “nuits où même dormir te donne chaud” – Suzanne aide Soeur Maria Luz à mettre au monde un enfant. Cet enfant-là que sa mère sera forcée d’abandonner à peine le premier cri jailli. Cet enfant-là pour lequel Suzanne éprouvera une sorte de coup de foudre. Cet enfant-là qui éveillera à jamais son instinct maternel. Cet enfant-là, Tiago, qu’elle décidera, coûte que coûte, d’adopter et de ramener en France.
Aucun obstacle ne sera assez fort pour empêcher Suzanne de devenir mère. Ni la hargne de la police brésilienne, ni les lourdeurs kafkaïennes de l’administration. Ni même la terreur de se faire enlever Tiago au poste frontière entre l’Espagne et la France. Pour cette femme que le cri d’un enfant a métamorphosée en une seconde, plus rien ne compte que l’amour infini, éternel, illimité… Maternel…
Pour que Suzanne puisse un jour raconter à Tiago “son histoire vraie vivante”, il lui faut aller jusqu’au bout du parcours.
Un parcours initiatique, un parcours de vie qui chavire le spectateur. Lentement, doucement, délicatement. À l’image de la roue Cyr maniée par l’un des trois comédiens mais dans laquelle s’imbriquent si habilement les deux autres. Car ils ne sont que trois sur scène, pour interpréter ce texte écrit à six mains. Trois auteurs, trois comédiens, pour clore la trilogie d’Olivier Letellier “Maintenant que je sais/Je ne veux plus/Me taire”, qui avait été présentée à Chaillot la saison dernière et dans laquelle on croisait déjà certains personnages de La Nuit où le jour s’est levé.
“Je serai un arbre généalogique à moi toute seule”
Trois formidables acteurs (Clément Bertani, Jérome Fauvel et Théo Touvet) passent d’un rôle à l’autre, se les échangent, les font tourner à la manière de cet immense cerceau qui est l’un des seuls accessoires au plateau. Car la scénographie est toute simple, épurée, brillante, pénétrante. Elle fait la part belle aux jeux de lumière signés Sébastien Revel et à la création sonore de Mikael Plunian. Le résultat bouleverse petits et grands, chacun s’appropriant l’histoire de Suzanne par un niveau de lecture différent. Olivier Letellier est un formidable conteur, et lorsqu’il nous raconte l’évidence d’être une mère, tout le monde, absolument tout le monde est touché au cœur.
LA NUIT OÙ LE JOUR S’EST LEVÉ – spectacle vu le 3 Novembre 2016 au Théâtre des Abbesses
Du 3 au 10 Novembre 2016
Texte et co-écriture au plateau : Sylvain Levey, Magali Mougel, Catherine Verlaguet
Mise en scène : Olivier Letellier
Avec : Clément Bertani, Jérôme Fauvel, Théo Touvet
http://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gif00Sabine Aznarhttp://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gifSabine Aznar2016-11-04 20:26:012016-11-10 19:28:35La Nuit où le jour s'est levé : une nuit solaire...
“Je n’en fais pas une affaire d’état mais à partir de 1983, François Mitterrand et moi-même avons tenu une correspondance assidue”.
Passer une heure et quelque en compagnie d’Hervé Laugier (sommes-nous réellement dans une salle de conférence ? dans l’antichambre de l’Elysée? Ou, plus probablement, dans le salon d’Hervé ?). L’écouter nous raconter la naissance d’une grande et indestructible amitié, non seulement avec François Mitterrand, mais aussi avec Jacques Chirac. Le voir revivre sa relation, moins ardente certes, mais réelle, avec Nicolas Sarkozy. Apprendre que François Hollande voit en lui un confident…
De tous ces témoignages d’amitié, Hervé Laugier a conservé des traces qu’il nous expose avec une fierté teintée d’affection. Ce sont des dizaines, des centaines de lettres, datées, signées du Président de la République. Toujours la même lettre, la même circulaire. Mais Hervé est le seul à ne pas comprendre…
@Giovanni Cittadini Cesi
“Et même si nous nous sommes, par la force des choses, quelque peu éloignés l’un de l’autre, le fil n’est pas tout à fait rompu.”
Hervé nous fait sourire, il nous fait rire, il nous attendrit.
Car derrière ces grands discours, ces révélations liées aux trente dernières années de règne présidentiel français, Hervé cache une immense solitude. Il nous parle de François, de Jacques, de Nicolas, de l’autre François… pour éviter de trop évoquer l’absence de celle qui l’a quitté il y a déjà longtemps.
Il fallait un immense comédien pour s’approprier le texte d’Hervé Le Tellier, cette curieuse correspondance à sens unique. Seul sur scène, sorte de “nobody” surgi de nulle part, Olivier Broche est parfait, excellent, magistral. Le comique de répétition fonctionne ici, grâce à l’incroyable palette du jeu qu’il sait déployer : tendresse, folie, intelligence, colère parfois, sensibilité toujours.
Tout en délicatesse et en douceur, il nous renvoie l’image de ces êtres solitaires qui s’inventent des histoires incroyables. Juste pour continuer à vivre…
Moi et François Mitterrand– Une pièce de Hervé Le Tellier
Mise en scène : Benjamin Guillard
Avec Olivier Broche
Jusqu’au 20 novembre 2016 au Théâtre du Rond-Point – 18h30 mardi au dimanche
http://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gif00Sabine Aznarhttp://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gifSabine Aznar2016-10-30 07:18:532016-11-16 08:32:02Moi et François Mitterrand : la désopilante mythomanie d'Olivier Broche
Trois femmes aux existences éloignées se retrouvent dans le compartiment d’un train qui les mènera à Destination en passant par Maturité. Il y a Bruna (Gaëlle Lebert), aux longs cheveux noirs, à la féminité impeccable et à la voix des italiennes du Sud dont on se demande parfois si elles sont hommes ou femmes et qui craint la confrontation avec son père à Destination ; il y a Sabine (Sandrine Molaro), dite ça, qui attend un homme qui a « perdu sa mobilité », qui ne viendra pas et préférera se débarrasser d’elle sans même lui parler ; il y a Marie Douceur (Aurélie Boquien), pas si douce que ça, qui, enceinte, peut-être du contrôleur du train, sera hissée dans le compartiment malgré elle. Ces trois-là sont orchestrés par un personnage masculin, Wilhem (David Talbot) tantôt « contrôleur », tantôt « couchettiste », tout dépend de la casquette et du patron.
@B Basset
On suit, tout au long du voyage, le rapprochement de chaque personnage et leurs conversations, où ils nous livrent peu à peu des pans de leur existence, de leurs failles et de leurs attentes.
L’ambiance parfaitement réussie et maîtrisée, au rythme lent et déstructuré, porte la pièce de bout en bout dans une espèce d’interzone où l’auteur, David Talbot, nous entraîne à travers le fil conducteur de la question du genre. Se mêlent alors les genres et les rôles pour ne plus laisser place qu’à une montée de la cruauté et de la folie des personnages. Tout se mélange dans cette pièce et pourtant le train poursuit son chemin jusqu’à Destination, nous emportant de métaphore en métaphore et de symbolisation en symbolisation.
La mise en scène, très ingénieuse, pleine de trouvailles, avec une bande sonore qui fait quasi un quatrième personnage, mêle, elle aussi, les genres et les registres et ne laisse rien au hasard. C’est une mise en scène du détail et de l’infinitésimal.
Le jeu des comédiens, très travaillé, frôle l’excellence et nous embarque ailleurs.
Enfin une pièce innovante à l’humour subtil d’où, même si on ne rit pas à gorge déployée, on sort époustouflé et grandi.
TRAIN-TRAIN è pericoloso sporgersi – Une pièce de David Talbot
Mise en scène : La Compagnie C’est bien agréable
Avec : Aurélie BOQUIEN, David TALBOT, Gaëlle LEBERT, Sandrine MOLARO
Jusqu’au 26 décembre à la Comédie Bastille – les dimanche et lundi à 20 h
http://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gif00Isabelle Buissonhttp://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gifIsabelle Buisson2016-10-26 14:20:102017-02-19 20:42:58Train-Train à la Comédie Bastille : Interzone
“Je ne sais pas où ils allaient, je sais seulement que les gens ne revenaient jamais.”
Plus qu’un spectacle “de” marionnettes, ce spectacle à l’affiche du Lucernaire est un spectacle “avec” des marionnettes. Alexandre Haslé donne vie à celles qu’il a fabriquées. Leur prêtant une partie de son corps. Il n’est donc pas seul en scène, mais accompagné par dix-sept personnages, dont le principal, la narratrice Hanna, est une femme très âgée qui va bientôt mourir et qui se souvient… Elle était jeune, elle habitait près d’une voie ferrée, elle voyait monter des tas de gens dans des trains. Et ces voyageurs mystérieux, ces inconnus furtivement aperçus lui confiaient des objets personnels avant de monter dans ces trains…
@D Guyomar
“Aujourd’hui,je ne peux plus rien faire d’autre que me souvenir.”
Peu à peu, Hanna parvient à remonter au plus loin de sa mémoire, à faire revivre les objets que tous ces gens lui ont confiés avant de s’évanouir à jamais… Le spectateur a un avantage sur Hanna : il sait que ces gens ne reviendront pas. Il sait que les objets entassés au fur et à mesure des déportations ne seront jamais réclamés. Qu’ils demeureront dans la maison d’Hanna, passant de l’état d’orphelins à celui de poussière. L’ampleur de la catastrophe qui se bâtit sous les yeux d’Hanna est proportionnelle au nombre d’objets qu’on lui donne : ils seront un jour tellement nombreux qu’elle sera forcée d’aller dormir dehors. Devenant ainsi, à force de tant recevoir, une exilée de plus. Comme exilée d’elle-même.
Les objets étant devenus poussière, toutes ces vies croisées et jamais revenues n’existent plus désormais que dans le souvenir d’Hanna. Et Hanna va mourir… La femme en noir et au bouquet de fleurs jaunes, le gros homme à la pomme, le violoniste et le saltimbanque, la très jeune femme, sorte de réminiscence de la jeunesse d’Hanna : tous défilent sous nos yeux chavirés.
Et parmi tous ces gens qui lui ont remis des objets, une personne a marqué Hanna plus que les autres. Un petit garçon qui lui a donné la seule chose qu’il avait : de la pluie dans une bouteille.
Avoir le courage d’évoquer tous ces objets. Parler des gens qui les lui confièrent. Ranimer l’ombre du petit garçon. Se libérer de son fantôme avant de mourir. C’est bien de cela dont nous parle le magnifique texte de Keene.
En donnant vie à cette pièce troublante de poésie, les marionnettes d’Alexandre Haslé la transcendent et la subliment. Le résultat est bouleversant, poignant, troublant, captivant, hypnotique. Un spectacle dont on ne ressort pas indemne. Un spectacle essentiel, indispensable, fondamental, presque vital…
La Pluie – Une pièce de Daniel Keene
Vu au Lucernaire le 12 octobre 2016
Fabrication, mise en scène et jeu : Alexandre Haslé
Avec la complicité de Manon Choserot
Jusqu’au 26 novembre 2016 – 19 h mardi au samedi
http://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gif00Sabine Aznarhttp://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gifSabine Aznar2016-10-21 15:25:012016-11-16 08:36:25La Pluie, qui reste après la poussière...
Florian Zeller nous invite à passer un week-end dans la maison familiale d’André (Robert Hirsch) et de Madeleine (Isabelle Sadoyan) rejoints, -comme cela est répété à plusieurs reprises : « du fait de la situation »- par leurs deux filles Anne (Anne Loiret) et Elise (Léna Bréban).
Ce qui se joue dans cette histoire d’amour de 50 ans entre deux êtres et leur environnement immédiat ne peut se résumer de façon factuelle et limitante. L’auteur invente de nouveaux repères dans le temps et l’espace, de telle façon que le spectateur, face au miroir de sa vie, s’interroge en permanence sur les relations à ses parents, la perte inéluctable de l’être aimé et sa propre fin. Au-delà d’une écriture concrète, ancrée dans l’actualité (évocation du couple d’amants qui a choisi de partir ensemble vers l’au-delà, au Lutetia en novembre 2013), la subtilité géniale de Florian Zeller provient d’un monde parallèle nourri de non-dits, de silences et de regards.
L’interprétation des comédiens est simplement magistrale : Robert Hirsch, dans une dernière danse, nous saisit par le flot continu d’émotions qu’il transmet : amour pour son épouse, colère vis-à-vis de l’agent immobilier voulant vendre sa maison, gène par rapport à une ancienne relation amoureuse qui apparait …
Isabelle Sadoyan campe une épouse et une mère bienveillante et les deux sœurs nous renvoient avec une grande sincérité, la boule au ventre et les yeux rougis, aux scènes familiales de fin de vie que nous avons tous connues.
Enfin, la vérité et l’authenticité de cet objet théâtral hors normes (car on y rit aussi, souvent) sont liées au travail de mise en scène réalisé par Ladislas Chollat et son équipe. Les grimaces et postures d’André donnent vie au fauteuil où il trône, le décor nous renvoie à notre vie d’enfant, les rituels familiaux de préparation des repas sont d’un réalisme vertigineux.
Sans hésiter, allez-vous envoler au Théâtre de l’Œuvre, et comme le suggère André, citant René Char : « Au plus fort de l’ orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C’est l’oiseau inconnu. Il chante avant de s’envoler. »
Magali Rossello
Avant de s’envoler, une pièce de Florian Zeller
Mise en scène : Ladislas Chollat
Avec : Robert Hirsch, Isabelle Saroyan, Claire Nadeau, Anne Loiret, François Feroleto, Léna Bréban Théâtre de l’Oeuvre – spectacle vu le 12 octobre 2016
A l’affiche jusqu’au 15 janvier 2017
http://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gif00Redaction PianoPanierhttp://pianopanier.com/wp-content/uploads/2023/10/pianopanier.gifRedaction PianoPanier2016-10-17 17:28:172023-10-09 22:28:37Avant de s’envoler, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer...