Face au Gorille
Il entre dans la salle par une porte dérobée et nous surprend, nous, public, immédiatement. Un gorille en redingote et haut de forme, très chic, vient nous saluer et entreprend, au pupitre dressé devant nous, de nous entretenir de son bien curieux destin.
Capturé dans la forêt africaine, enfermé dans une caisse à bord d’un cargo, il a traversé les océans pour venir jusqu’à nous. Et pour sortir de sa condition de gorille, on lui propose de devenir un homme. Le Gorille-conférencier nous conte alors son apprentissage : serrer une main, boire de l’alcool, dire bonjour…mais, surtout, être un humain : apprendre les sentiments, apprendre à être sociable, apprendre les différences, les bassesses, les compromissions. Apprendre, surtout, à être un autre, et à être accepté comme tel par la communauté des humains.
©Adrien Lecouturier
« Pour les humains, la place d’un singe est dans une cage. Eh bien, alors, voilà : j’allais cesser d’être un singe… »
Alejandro Jodorowsky, dont on connait l’œuvre foisonnante, a pris la nouvelle de Kafka comme point de départ à une réflexion assez vertigineuse et bougrement efficace sur l’absurdité de notre condition. Son fils, Brontis, incarne ce Gorille. Rarement le terme « incarner » avait été plus juste pour définir ce que réalise ce comédien accompli. Perruqué, grimé, cravaté, il nous apostrophe, nous prend à parti, nous interpelle. Il saute, bondit, mime, danse. Quelque fois, ses instincts de Gorille se réveillent, mais l’humanité reprend malgré tout le dessus, à moins que ce ne soit l’inverse… l’homme derrière le Gorille ou le Gorille derrière l’homme ? Qui triomphera ? Brontis nous renvoie la question, en nous transperçant plusieurs fois au cours de ce spectacle de son regard hypnotique. Mais tout cela, avant tout, n’est que théâtre. Et grand théâtre.
Ce Gorille a déjà triomphé près de 300 fois en France et à l’étranger : il reste encore quelques dates à Avignon pour le découvrir ou le revoir.
1 – Brontis Jodorowsky, qui a travaillé au Théâtre du Soleil, a une maîtrise incroyable de son corps. Il produit, pendant plus d’une heure, une performance scénique proprement hallucinante.
2 – L’adaptation d’Alejandro et Brontis Jodorowsky de la nouvelle de Kafka « Compte-rendu à une académie » est vivante et dynamique : ce gorille nous aura littéralement capturés à son tour.
3 – Cette harangue fiévreuse est un de ces spectacles que l’on n’oublie pas : il renvoie à la vacuité de nos pauvres existences d’humain…qui seraient encore plus ternes sans des spectacles de cette qualité.
LE GORILLE– spectacle vu le 25 juillet 2016 au Théâtre des 3 Soleils / Avignon Off 2016.
Un spectacle d’Alejandro et Brontis Jodorowsky d’après une nouvelle de Franz Kafka (Compte-rendu à une académie)
Avec : Brontis Jodorowsky