Vive Marie, la féministe

Faire parler Marie, la mère de Dieu. Faire parler celle qui, dans l’imaginaire collectif, jamais ne souffle mot. La faire parler longtemps, doucement, puis violemment, bruyamment puis calmement de nouveau. L’entendre nous saoûler de paroles sur son fils. Et la découvrir, la redécouvrir. Réaliser enfin, après tout ce temps, que Marie était peut-être la mère de Dieu, mais d’abord et surtout la mère d’un enfant. Une mère identique à toutes les mères du monde. Une mère en mal de celui qu’elle n’arrive même plus à nommer, parti sur la route avec “une bande de désaxés”. Une mère qui a connu la pire des tragédies : celle d’assister, impuissante, à la lente agonie de son enfant…

Pour incarner cette mère-là, cette femme-là, Deborah Warner a choisi l’une des comédiennes les plus inouïes, l’une de celles qui font de n’importe quel spectacle un moment de pure beauté et de grâce incomparable.

Le Testament de Marie, Odéon-Théâtre de l'Europe, Colm Toibin, Dominique Blanc, Deborah Warner, critique Pianopanier

« Mon fils a réuni autour de lui une bande de désaxés qui n’étaient que des enfants comme lui…»

Seule sur le plateau, immobile, vêtue comme l’une de ces icônes représentant la Vierge Marie, avec en arrière-fond des dizaines et des dizaines de bougies telles qu’on les croise dans les églises, Dominique Blanc apparaît. La pièce n’a pas encore démarré que déjà elle nous attire, nous intrigue, nous hante, nous trouble. Magnétique, envoûtante, énigmatique : elle flotte ici et maintenant… Noir, changement de décor. La voici à terre, jean et chemise. Elle se relève, et se met à parler. Enfin… À nous raconter. Le voyage durera à peine une heure trente. Toute une vie. Une vie de misère à attendre ce fils prodige, ce soi-disant “fils de Dieu” (l’ahurissement que provoque cette affirmation sur Marie/Dominique…).

Le Testament de Marie, Odéon-Théâtre de l'Europe, Colm Toibin, Dominique Blanc, Deborah Warner, critique Pianopanier

« Vous affirmez qu’il a sauvé le monde, mais moi je vais vous dire ce qu’il en est. Cela n’en valait pas la peine. Cela n’en valait pas la peine.»

La scénographie est d’une élégante sobriété, l’immense plateau de l’Odéon pour une immense comédienne. Quelques objets : des chaises, une table pliante, des seaux, une bassine, une cage, une échelle, un tronc d’arbre sorti de terre, déraciné, comme suspendu dans les airs… De Nazareth à Ephèse en passant par Jérusalem, on retrace avec cette femme un parcours qui résonne plus ou moins en chacun de nous, mais dont on a forcément déjà reçu quelques bribes : la résurrection de Lazare, les Noces de Cana, le calvaire du chemin de croix…

Toute cette histoire que l’on a intégrée, plus ou moins consciemment, on la découvre sous un jour nouveau. Tout à coup, par la magie du théâtre, on entend pour la première fois la voix de Marie. Mère de Dieu, peut-être, qu’importe. Mère tout simplement, femme et féministe avant l’heure. Alleluia !

 

Le Testament de Marie, de Colm Toíbín, m.e.s. Deborah Warner, avec Dominique Blanc - Théâtre de l'Odéon-Europe - © Carole Bellaïche@Carole Bellaïche

LE TESTAMENT DE MARIE
À l’affiche de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 3 juin
Une pièce de Colm Toibin
Mise en scène Déborah Warner
avec Dominique Blanc de la Comédie-Française

photos @Ruth Walz

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