Depuis que je suis né : joyeuse visite en enfance !
Voilà un bien joli et vif spectacle sur l’enfance et pour les enfants !
Samy, petit bout de 6 ans, découvre en même temps 1° qu’il sait lire et écrire 2° qu’on peut écrire l’histoire de sa vie.
Sa mamie, compositrice notoire – la postérité l’attend !, s’attelle justement à l’ouvrage. En voilà donc une bonne idée ! À 6 ans, on a déjà une vie bien remplie, pourquoi Sami n’écrirait-il pas lui aussi ses Mémoires ? C’est qu’il en a beaucoup, de la mémoire, se vantent régulièrement ses parents (un peu vexés d’être systématiquement perdants au Memory, malgré quelques tentatives de triche peu glorieuses).
Alors, au boulot ! Une fois réglé l’épineux problème du support (l’ardoise magique, non; le mur, ben, non plus; le cahier d’école, c’est pour l’école…), on démarre du début, et même d’avant le début…
– 1ère partie de mes mémoires : Bienheureux bébé barbotant dans le ventre maternel (mon fils, discrètement : « wouah, on dirait qu’il est vraiment dans l’eau. Mais il devrait enlever ses vêtements. »)
– 2e partie de mes mémoires : « en dehors du ventre de ma maman »
Sami va nous faire revivre les grands événements de sa petite vie, invitant quelques adultes, famille, nounous, au gré d’imitations savoureuses, manipulant objets et jouets pour animer ses souvenirs.
Les drames hautement dramatiques et globalement incompris (l’étiquette du body ! la dépose à la crèche ! le retrait de la crèche !), les joies infinies (le lait ! le lait ! les passions exclusives – motos, fourmis, ad libitum; les amis…), les interrogations existentielles (peut-on retourner vers avant ? comment me rappeler si j’ai d’abord su marcher ou parler ? pourquoi les parents n’aiment pas quand les choses s’arrêtent ?) : on s’amuse des situations brossées avec une acuité qui sent le vécu, on se régale du récit alerte, on se réjouit des trouvailles sonores et visuelles.
Le décor malin et beau de la plasticienne Alwyne de Dardel est un plaisir en soi, une chambre-cabane faite d’empilements de palettes, sur lesquelles trône un lit-igloo : c’est un vrai terrain de jeu, avec marches, caches, trappes escamotables d’où surgissent peluches, poupées, tableau blanc ou instruments de musique.
Sami est interprété en alternance par deux jeunes comédiennes, Louise Guillaume et, vue ce soir-là – menue, lumineuse, une voix fraîche d’enfance sans contrefaire le bébé, un jeu très juste – Mirabelle Kalfon. Pour son premier spectacle à destination du jeune public, David Lescot leur a composé un solo rythmique, dans une langue rapide, ludique, joyeuse.
Quelques chansons cocasses et judicieuses ponctuent le texte – on connaît le goût de David Lescot pour l’expression musicale – : Mirabelle Kalfon y est tout aussi à l’aise, et nous fait savourer de son joli brin de voix un hilarant opéra contemporain, une ballade ou un gentil rap de l’ère post-doudou.
Un spectacle pétillant d’intelligence, qui s’adresse à la bonne hauteur aux enfants, jouant autant de leurs imaginaires que de leurs réalités, avec une drôlerie pleine de tendresse. Une promenade en enfance malicieuse et pertinente, à savourer en famille (dès 6 ans, 6 ans moins le quart).
Marie-Hélène Guérin
DEPUIS QUE JE SUIS NÉ
Spectacle de la Cie du Kaïros
Vu à l’Espace Cardin (Théâtre de la ville hors les murs), jusqu’au 26 février
Texte, mise en scène & musique David Lescot
Scénographie Alwyne de Dardel / conception sonore, électronique Anthony Capelli / costumes Olga Karpinsky / perruques Catherine Bloquère / lumières Paul Beaureilles / collaborateur artistique Romain Pignoux
Avec en alternance Louise Guillaume, Mirabelle Kalfon
Photos © JM Lobbé
Texte édité chez Actes Sud Papier Heyoka en janvier 2022. David Lescot est artiste associé au Théâtre de la Ville Paris
David Lescot en parle ici :