Spectacles jeune public/tout public

23 (ou 36) fragments de ces derniers jours : Ordem, Progresso e Amor !

« Les répétitions de ce spectacle appelé 23 fragments de ces derniers jours ont commencé à Brasilia au début de l’année 2019. Elles listent comme points de départ des hypothèses pour un monde en pièces. Construire un spectacle, donc, pièce par pièce, fragment par fragment, dans un pays qui littéralement traite avec la destruction. Essayer de comprendre, puisqu’il n’est donné de transformer que ce que nous comprenons. »

Maroussia Diaz Verbèke, circographe*, a composé ce spectacle mosaïque avec 3 femmes artistes du collectif Instrumento de Ver et trois artistes de Rio, Recife et Salvador de Bahia. Entre 2019 et 2022, entre le Brésil et la France, s’est inventé ce spectacle protéiforme. C’est l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir qui a poussé ce spectacle a continué sa croissance hors de son territoire de naissance. Et qui va nourrir aussi leur travail. Trapézistes, acrobates, fakir, voltigeurs, danseurs, clowns… et citoyen.ne.s ! Et jeunesse vivante !
 

 
Ces 23 Fragments de ces derniers jours sont autant de débuts, fins, souvenirs des années passées, ils s’intitulent « Toute l’année 1998 », « 36 janvier de je ne sais plus quelle année », « ce 1er octobre 2021 », ou « Heure d’une grande ville où existent des pics anti-humains »…
Les 23 Fragment seront 36, car 23, finalement c’était trop peu. 23 36 fragments choisis parmi mille qui ont permis à leurs créateur.rice.s de supporter la dureté de ce temps. 23 36 fragments comme autant de revendications, protestations mais surtout envies, élans, désirs, luttes, éclats de rires. 23 36 fragments qui racontent le Brésil d’aujourd’hui, multiple et en mouvement.

Sur la scène du Monfort, on a disposé un tapis circulaire, on y retrouve la piste de cirque, on y échappe à la lecture frontale, les artistes entourent la piste, les spectateurs entourent les artistes, le théâtre entoure les spectateurs, la ville/la société entoure le théâtre…
Une litanie, rapidement, donne l’axe, les axes, du spectacle, celle la liste des choses fragiles : « coquilles d’œufs, écran de téléphone, démocratie, droit à la propriété des terres par les populations originelles de l’Etat brésilien, cœur, coquillages, boucle d’oreille… » : importe l’intime, importe le minuscule, importe le monde.
 

 
Pour ceux qui s’en souviennent, la forme fragmentaire, numérotée et dés-ordonnée des 23 Fragments… peut rappeler les incroyables Notes on the circus, du collectif Ivan Mosjoukine. Maroussia Diaz Verbèke faisait partie de l’aventure, la parenté est des plus naturelles.

Dès le début du spectacle, les artistes apportent les accessoires qu’ils utiliseront plus tard, en une oulipienne parade d’objets aussi banals qu’inattendus. Défilent donc boîtes de Légo®, bouteilles de verre, rampes d’ampoules, céleris, une édition de la Constitution du Brésil, légèrement écornée, photo grand format de cafard, poulpe en plastique, paillassons, ad libitum. Lumières plein feu, objets à vue, artistes autour du plateau, on ne joue pas le mystère, pourtant les surprises ne manqueront pas !

Une partition musicale enlevée, à la fois très brésilienne et sans folklore, où samba, fanfares recifiennes et sons électro se métissent, électrise la représentation. Maïra Moraes, fakir moderne, traversera la piste sur maintes choses inconfortables tandis que Julia Henning se perchera sur des empilements qui méritent qu’on retienne (et tout le monde retient) son souffle ; André Oliveira DB, extrêmement vif, fera tenir sa danse effrénée sur la Constitution brésilienne, format poche, édition 1988. Lucas Cabral Maciel, technique et farfelu, se déchaînera en d’échevelés frevo ; Béatrice Martins brisera des milliers de bulles sous ses pieds de contorsionniste contemporaine ; Marco Motta, avançant en équilibre sur une bouteille, nous emportera dans les notes troublantes de sa trompette.
 

 
On bascule du franc rire au souffle coupé, du ludique au virtuose. Toujours, dans une égale gaité, une tenace joie de vivre.

Petit à petit, le texte reflue, les fragments se déploient, les corps s’envolent, le spectacle gagne en intensité. On quitte le sol, les artistes se font aériens pour de magnifiques numéros de trapèze, de corde, de vol, émouvants de beauté – combinaisons rares de souplesse et de puissance, poétiques prouesses d’une grâce saisissante. Il émane d’eux une exultation communicative, une sensation de « pouvoir » – pouvoir être libre, pouvoir s’affranchir des limites des possibilités de la physiologie humaine, de la pesanteur, de ce qui réduit et contraint.

 

 

« L’amour pour principe, l’ordre pour base, et le progrès pour but; tel est le caractère fondamental du régime définitif que le positivisme vient inaugurer. » Auguste Comte, Système de politique positive (1852)

Sur la « photo de famille », aux côtés d’Ordre et Progrès , la troupe invite Amour – comme le proposait Auguste Comte il y a bientôt 2 siècles. Et puis finalement pourquoi ne pas inviter aussi Mémoire, Multiplicité, Joie, Enthousiasme ?
Avec leurs 23 Fragments, en effet, Maroussia Diaz Verbèke et les 6 artistes interprètes et créateurs, invitent Mémoire, Multiplicité, Joie, Enthousiasme sur le plateau, en armes allègres et toniques contre la violence et le désespoir, pour qu’un « précieux après » ait son lever du jour, pour faire vaincre le collectif, la fête, le plaisir partagé ! Alors… adhérons à leur programme hautement réjouissant ! Allons nous faire réchauffer à leur générosité, enchanter à leurs folies, égayer à leur farce et leur poésie !

Marie-Hélène Guérin

 

*Circographie [siʁkɔɡʁafi] n.f. (2015 ; néologisme de Maroussia Diaz Verbèke en open source)
Écriture ou mise en scène spécifique d’un spectacle de cirque. Forme verbale : circographier. (veut aussi dire « soyons fous » en brésilien du Nord, mais c’est un hasard.)

 

 
23 FRAGMENTS DE CES DERNIERS JOURS
Au Monfort – Paris – Du 8 au 18 février 2023
Tout public à partir de 8 ans
Circographie* Maroussia Diaz Verbèke
Assistante à la circographie* Élodie Royer
Interprètes créateurs Lucas Cabral Maciel, Julia Henning, Beatrice Martins, Maíra Moraes, Marco Motta et André Oliveira Db
Régie générale Thomas Roussel | Conception technologique Bruno Trachsler | Création lumière Diego Bresani et Bruno Trachsler | Recherche musicale Loic Diaz Ronda et Cícero Fraga | Recherche scénographie Charlotte Masami Lavault | Technique costumes Emma Assaud | Chargé de production Marc Délhiat
Photographe João Saenger
Graphiste Lisa Sturacci

À voir ensuite :
Cirque Jules Verne – Amiens
Le 3 mars 2023
• CoOp Maison des Métallos – Paris
Du 3 au 21 juin 2023
• Festival Multi-pistes, Le Sirque – Nexon
Du 9 au 19 août 2023

Depuis que je suis né : joyeuse visite en enfance !

Voilà un bien joli et vif spectacle sur l’enfance et pour les enfants !

Samy, petit bout de 6 ans, découvre en même temps 1° qu’il sait lire et écrire 2° qu’on peut écrire l’histoire de sa vie.
Sa mamie, compositrice notoire – la postérité l’attend !, s’attelle justement à l’ouvrage. En voilà donc une bonne idée ! À 6 ans, on a déjà une vie bien remplie, pourquoi Sami n’écrirait-il pas lui aussi ses Mémoires ? C’est qu’il en a beaucoup, de la mémoire, se vantent régulièrement ses parents (un peu vexés d’être systématiquement perdants au Memory, malgré quelques tentatives de triche peu glorieuses).

Alors, au boulot ! Une fois réglé l’épineux problème du support (l’ardoise magique, non; le mur, ben, non plus; le cahier d’école, c’est pour l’école…), on démarre du début, et même d’avant le début…

– 1ère partie de mes mémoires : Bienheureux bébé barbotant dans le ventre maternel (mon fils, discrètement : « wouah, on dirait qu’il est vraiment dans l’eau. Mais il devrait enlever ses vêtements. »)
– 2e partie de mes mémoires : « en dehors du ventre de ma maman »


 
Sami va nous faire revivre les grands événements de sa petite vie, invitant quelques adultes, famille, nounous, au gré d’imitations savoureuses, manipulant objets et jouets pour animer ses souvenirs.
Les drames hautement dramatiques et globalement incompris (l’étiquette du body ! la dépose à la crèche ! le retrait de la crèche !), les joies infinies (le lait ! le lait ! les passions exclusives – motos, fourmis, ad libitum; les amis…), les interrogations existentielles (peut-on retourner vers avant ? comment me rappeler si j’ai d’abord su marcher ou parler ? pourquoi les parents n’aiment pas quand les choses s’arrêtent ?) : on s’amuse des situations brossées avec une acuité qui sent le vécu, on se régale du récit alerte, on se réjouit des trouvailles sonores et visuelles.
Le décor malin et beau de la plasticienne Alwyne de Dardel est un plaisir en soi, une chambre-cabane faite d’empilements de palettes, sur lesquelles trône un lit-igloo : c’est un vrai terrain de jeu, avec marches, caches, trappes escamotables d’où surgissent peluches, poupées, tableau blanc ou instruments de musique.


 
Sami est interprété en alternance par deux jeunes comédiennes, Louise Guillaume et, vue ce soir-là – menue, lumineuse, une voix fraîche d’enfance sans contrefaire le bébé, un jeu très juste – Mirabelle Kalfon. Pour son premier spectacle à destination du jeune public, David Lescot leur a composé un solo rythmique, dans une langue rapide, ludique, joyeuse.
Quelques chansons cocasses et judicieuses ponctuent le texte – on connaît le goût de David Lescot pour l’expression musicale – : Mirabelle Kalfon y est tout aussi à l’aise, et nous fait savourer de son joli brin de voix un hilarant opéra contemporain, une ballade ou un gentil rap de l’ère post-doudou.

Un spectacle pétillant d’intelligence, qui s’adresse à la bonne hauteur aux enfants, jouant autant de leurs imaginaires que de leurs réalités, avec une drôlerie pleine de tendresse. Une promenade en enfance malicieuse et pertinente, à savourer en famille (dès 6 ans, 6 ans moins le quart).

Marie-Hélène Guérin

 

DEPUIS QUE JE SUIS NÉ
Spectacle de la Cie du Kaïros
Vu à l’Espace Cardin (Théâtre de la ville hors les murs), jusqu’au 26 février
Texte, mise en scène & musique David Lescot
Scénographie Alwyne de Dardel / conception sonore, électronique Anthony Capelli / costumes Olga Karpinsky / perruques Catherine Bloquère / lumières Paul Beaureilles / collaborateur artistique Romain Pignoux
Avec en alternance Louise Guillaume, Mirabelle Kalfon
Photos © JM Lobbé

Texte édité chez Actes Sud Papier Heyoka en janvier 2022. David Lescot est artiste associé au Théâtre de la Ville Paris

David Lescot en parle ici :

Je suis un lac gelé : emmener les enfants rêver

Les toujours vivaces et ouverts Plateaux sauvages accueillent pour la première fois un spectacle destiné au très jeune public. Laëtitia Guédon et Mathieu Roy avaient envie de porter à la scène un spectacle de texte, forme encore peu développée pour ce public dès 3 ans. Ils ont fait appel à Sophie Merceron : Matthieu Roy avait déjà travaillé sur un de ses textes Manger un phoque (lors de la Brigade de lecture de la Maison Casarès en 2020) et « avait été profondément ému par son univers à la lisière du fantastique et de la réalité…»

Au centre, une malle couverte d’une couverture en patchwork, au ciel des grands oiseaux de bric et de broc, un peu brinquebalants.
La malle se fait lit, sur lequel Göshka, 5 ans, dort, lové autour de son violon… le lit et son dormeur se mettent à glisser, glisser, s’échapper, jusqu’à un lac gelé… Parents et enfants aussi sont installés sur la glace de ce lac, en cercles concentriques faisant nid autour de la scène nue.
 

Dans la chambre de Göshka, dans la tête de Göshka, il y a des oiseaux, qu’il sait nommer, et qu’il brise pourtant, parfois.
Göshka casse ses jouets, cache des spaghettis sous son oreiller, aime l’odeur de sa maman, et celle d’Olga qui sent le yaourt à l’abricot. Göshka aime danser, enrage contre sa mère qui le traite comme un enfant et une fois même il l’a mordu, pour lui apprendre. Göshka connaît le nom des oiseaux migrateurs.
Göshka a de la colère au cœur car il voudrait que le printemps arrive. Parce qu’avec le printemps, reviennent les oiseaux migrateurs. Parce que son père est un oiseau parti avec l’hiver et qu’il s’inquiète qu’il ne revienne pas avec le printemps…
Göshka n’est pas triste, paraît-il. Göshka ne pleure jamais, dit-il.

Göshka a un ami, Anatole le violon alto, qui sait lui murmurer quelques paroles réconfortantes, ou traduire ses tempêtes intérieures. Sous le lac gelé sur lequel glisse le lit, dort un garçon-glaçon, un petit fantôme tombé là il y a mille ans, il s’appelle Milan-sous-la-glace, et s’ennuie, s’ennuie… Mille ans c’est long, et rencontrer enfin un ami, c’est bon ! Milan le fantôme reste invisible, sa voix (voix off facétieuse et tendre de Théophile Sclavis), se déplace autour des spectateurs (espaces sonores habiles de Grégoire Leymarie), titille son nouvel ami Göshka, invente avec lui des jeux et des joutes – on joue à « de quoi tu es le roi », à « ce qui te réchauffe l’intérieur », pour s’amuser et pour s’explorer.
 

Sophie Merceron a composé une jolie et farouche partition, n’oubliant pas que les enfants ont de la légèreté et de la sauvagerie, qu’ils ont le goût du jeu autant que d’intenses profondeurs. Et qu’ils savent inventer le monde. Mathieu Roy a construit un espace simple, chaleureux, propice aux déambulations physiques et mentales.

C’est Iris Parizot qui est Göshka. Alex Costantino l’a vêtue de frusques poétiquement rapiécées, à la façon du kintsugi, cet art japonais de la réparation qui ne dissimule pas les cassures, plaies et bosses mais les montre et les embellit – comme Sophie Merceron le fait des failles et brisures de son petit héros…
Iris Parizot a une petite bouille enfantine, un regard pétillant, l’élocution limpide. C’est avec son violon alto qu’elle a l’expressivité la plus naturelle, la plus spontanée, peut-être à l’image de Göshka, qui se sert du langage de la musique pour dire les paroles les plus intimes, ses tourments et ses émotions.
 

Avec une grande délicatesse, sans aucune mièvrerie, faisant confiance à la puissance de l’imagination des enfants, à la richesse de leur intériorité, à l’évidence de leur empathie, ces artistes emmènent Göshka et ses spectateurs dans un onirique et apaisant voyage initiatique. Il sera doux et âpre, on y découvre la tristesse pour mieux retrouver la joie, on y explore le manque pour mieux célébrer les retrouvailles – car, n’ayez crainte, on entendra chanter la glace, lorsque le printemps reviendra !
Les plus petits, emportés dans cette bulle rêveuse et joueuse, à la durée parfaitement adaptée, restent captivés, et les plus grands, charmés par la finesse de ce spectacle gracieux.

Marie-Hélène Guérin

 

JE SUIS UN LAC GELÉ
Vu aux Plateaux sauvages
Un spectacle de la compagnie Veilleur©
Texte Sophie Merceron
Mise en scène et dispositif scénique Matthieu Roy
Avec Iris Parizot et la voix de Théophile Sclavis et Johanna Silbertsein
Collaboration artistique Johanna Silberstein
Costumes Alex Costantino
Espaces sonores Grégoire Leymarie
Régie générale Thomas Elsendoorn
Photos © Reynaud de Lage

À retrouver en séances scolaires ou tout public :
31 janvier et 1er février
 – Théâtre de Chelles – Festival Solo
6 au 10 mars – 
Glob Théâtre, Bordeaux
4 au 7 avril
 – Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec
 

Songe à la douceur : shoot de bonheur

Dès son titre, le spectacle musical Songe à la douceur, adapté du roman jeunesse de Clémentine Beauvais et mis en scène par Justine Heynemann, nous fait la promesse d’un voyage vers un pays où rêver d’absolu et d’horizons enchantés. Ici, ce pays prend les contours de l’adolescence et c’est au rythme de chansons survitaminées, interprétées au clavier, à la batterie et à la guitare électrique, que l’histoire de Tatiana, Eugène, Olga et Lenski se dessine.

En narratrice – slash – commentatrice – slash – Madame Loyal – slash – main du destin, Rachel Arditi, toute en charme et facétie, mène la danse de ce ballet musical où, comme dans le poème de Baudelaire, il est question d’« aimer et de mourir », mais aussi de jeunesse, de commencement, de fuite, d’amitié, de perte et d’idéal. Traversé de références à la littérature, Songe à la douceur est avant tout une réinterprétation libre du roman Eugène Onéguine, de Pouchkine : à 14 ans, Tatiana tombe amoureuse du ténébreux et flegmatique Eugène, 17 ans. Dans un décor de grandes fleurs bleues et de carrés de pelouse surélevés, les temporalités se mélangent. A l’adolescence, Eugène rejette Tatiana. Dix ans plus tard, leurs chemins se recroisent et les dés de leur histoire amoureuse sont relancés.

Frais, vif, Songe à la douceur est un petit shoot de bonheur et de fantaisie, qu’infusent de belles lumières ouatées et des pluies de paillettes bleutées. La question de l’amour croise celle de l’absolu, sans jamais se départir d’un regard tendre et malicieux sur les personnages et l’histoire racontée, comme lors du récit de l’éveil sensuel de Tatiana : le torse d’Eugène entraperçu inopinément lors d’un pull relevé un peu trop vite et c’est toute la narration qui s’emballe, dans un jeu de ralenti et de commentaires troublés de Tatiana, sur la promesse contenue dans cette vision. Drôlerie et sensibilité s’entremêlent ainsi tout au long du spectacle, sans éluder pour autant les moments plus graves ; le récit des tourments ou des tragédies qui peuvent traverser des vies liées les unes aux autres. Les comédiens, qui se font tour à tour musiciens et chanteurs, nous embarquent du début à la fin du spectacle. Une parenthèse de douceur, donc, dans un pays qui nous ressemble.

Constance Trautsolt

SONGE À LA DOUCEUR
Au Théâtre Paris-Villette du 13 au 30 décembre 2022
D’après le roman de Clémentine Beauvais Songe à la douceur (éditions Sarbacane) / musique Manuel Peskine / livret Rachel Arditi, Clémentine Beauvais, Justine Heynemann / mise en scène Justine Heynemann / assistante à la mise en scène Stéphanie Froeliger / avec Manika Auxire ou Lucie Brunet, Rachel Arditi, Elisa Erka ou Charlotte Avias, Valérian Béhar-Bonnet, Manuel Peskine, Benjamin Siksou / scénographie Marie Hervé / costumes Madeleine Lhopitallier / lumières Aleth Depeyre / chorégraphie Alexandra Trovato / © Cindy Doutres
Recommandé à partir de 9 ans

« La chute des anges », et l’envol des êtres : magistrale leçon de ténèbres de Raphaëlle Boitel

Le rideau s’ouvre, le noir et le silence se font, soyeusement.
Une maigre forêt de perches armées d’un projecteur-œil encadre la scène, vaguement inquiétante dans sa sècheresse et ses angles, entités mécaniques et autonomes, épiantes et directives.

Des longs manteaux noirs tombent des cintres, des cintres tombent des cintres, des cintrés se glissent dans les manteaux, étranges marionnettes, cousines de celles de Philippe Genty – cet homme en fond de plateau, ces deux femmes sans doute, visage dissimulé sous un voile de cheveux, corps désarticulés, acrobates danseurs clowns désespérés. Trois drôles de petits humains, trois anges déchus, qui tentent d’apprivoiser la pesanteur.
Des mains cherchent leur tête, des corps cherchent leur axe, de êtres cherchent leur centre et leurs limites.
 
© Georges Ridel

Bientôt leurs compagnons d’infortune vont les rejoindre, arpentant le plateau en un mathématique mouvement perpétuel, Quad beckettien chaotique où comme par accident quelques pas se déploient en acrobaties, se prolongent en torsions de dos courbés jusqu’à l’impossible. Circassiens virtuoses ou non, les interprètes ont tous la même netteté dans le geste, et la même densité dans la présence.

Une ange aurait-elle la nostalgie des cieux, une humaine aurait-elle le souvenir d’une jeunesse plus lumineuse ? Une des anges se détache du chœur, tourne son visage plein d’appétits vers un soleil artificiel, lui adresse une mélopée chantante, un fouillis de mots, un esperanto d’espoir. C’est elle qui poussera le plus loin les tentatives d’échappée, les désirs d’envol.

Les noirs sont profonds comme les notes de contrebasse qui vibrent dans l’espace, ciselés de graphiques lumières dorées – presque des lumières de « théâtre noir », qui découpent de fines lames dans l’obscurité, de fines lames de réalité et de vie dans la poix des contraintes, dans l’ombre des assujettissements et des surveillances. La composition sonore d’Arthur Bison est de même dense, prenante, sophistiquée et organique, avec des grondements sourds de tempête et des vivacités de clairière après la pluie.

Les silhouettes dessinent des calligraphies, des ombres chinoises, creusent des tourbillons dans la fumée. Une femme plus âgée passe avec une opacité tranquille de vieux chaman. Un vertigineux numéro de mât chinois époustoufle et émeut, élévation et chute, élévation et chute, tragique destinée en réduction.
 
© Marina Levistskaya

Dans cette esthétique de fin du monde, il y a aussi de la cocasserie, une guerre des « chut » rigolarde, des moments de sourires au milieu des décombres : deux tubes métalliques arrachés à une des machines feront une paire d’ailes de fortune, sait-on jamais (spoil : ça ne suffira pas). L’image est drôle, et déchirante. Très drôle aussi, et très tendre, un « pas de deux » à quatre, deux des êtres tentant tant bien que mal d’en animer deux autres, tâtonnant, expérimentant, réinventant les gestes les plus simples…

Le danger peut rôder dans les objets, les perches se démantibulent, pourchassent, ordonnent, menacent – en contrepoint un majestueux gramophone offre sa beauté incongrue et une occasion de bouffonnerie légère, un rail suspendu s’envole au-dessus des spectateurs avec la souplesse et la joie des balançoires de l’enfance.

Ce monde de métal glacé et oppressant, univers sombre troué de somptueuses mordorures (magnifique scénographie et création lumières de Tristan Baudoin), Raphaëlle Boitel le peuple d’êtres faits de servitude et de pesanteur, mais surtout de curiosité et d’empathie, qui vont trouver, ensemble, un chemin vers la liberté.

Danse contemporaine et équilibrisme, contorsion et hip-hop, prouesses techniques et clowneries délicates, mât chinois et métaphysique, on ne distingue plus où une discipline s’exprime, où l’autre prend le pas, tant Raphaëlle Boitel les pétrit, les étire et mêle pour en faire le vocabulaire et la grammaire de son propre langage, extrêmement maîtrisé, poétique, gracieux, in-quiet et tendre.
« Dans la chute, il y a toujours la question de la manière dont on s’en relève. » précise Raphaëlle Boitel à La Terrasse : elle donne une beauté hypnotisante aux deux, à la chute et à la manière dont on s’en relève.
C’est onirique, envoûtant, et bienfaisant.

Marie-Hélène Guérin

 

© Sophian Ridel

LA CHUTE DES ANGES
Un spectacle de la Cie L’Oublié(e) – Raphaëlle Boitel
vu au Théâtre du Rond-Point, Paris
Mise en scène et chorégraphie Raphaëlle Boitel
Collaboration artistique, scénographie, lumière Tristan Baudoin | Musique originale, régie son et lumière Arthur Bison | Costumes Lilou Hérin | Accroches, machinerie, complice à la scénographie Nicolas Lourdelle
Interprètes Alba Faivre ou Marie Tribouilloy, Clara Henry, Loïc Leviel, Emily Zuckerman, Lilou Hérin ou Sonia Laroze, Tristan Baudoin, Nicolas Lourdelle

DATES DE TOURNÉE 2022-2023
• Actuellement et jusqu’au 31 décembre 2022 I Théâtre du Rond-Point, Paris (75)
• 28 février 2023 I Théâtre Equilibre-Nuithonie, Fribourg (17)
• 3 et 4 mars 2023 I Théâtre municipal de Grenoble (38)
• 7 mars 2023 I Espace Albert Camus, Bron (73)
• 10 et 11 mars 2023 I Le Manège, Maubeuge (59)
• 14 et 15 mars 2023 I Opéra de Massy (91)
 

Salti : vivifiante danse-médecine !

Trois mômes en baskets trouvent le temps long, c’est Jim, Louise et Léa, 8 ans, 10 ans peut-être, on est fin juillet début août sans doute, on n’a pas la petite excitation de ne plus avoir classe, on n’a pas encore la préparation de la rentrée, le nouveau cartable, les fournitures, retrouver les copains.
On languit, on s’ennuie… mais ce qu’on s’ennuie ! Autant qu’on le peut au creux de l’été, à l’âge où quelques semaines sont une éternité.

Pour tromper la lenteur du temps, on fait des pierre-papier-ciseau, on joue à être celui qui s’ennuie le plus, on suit du regard une araignée grande comme une vache, et ah ! ben tiens ! on n’a qu’à à jouer à celui qui sera piqué ! Les corps se réveillent en pointes, jambes tendues haut levées, salti/sauts effrenés, corps caoutchouc, défiant la rigidité du squelette et les lois de la pesanteur, bondissant pour échapper à la monstrueuse arachnide, à la morsure féroce de la tarentule.
 

 
Par la danse, la musique mais aussi les mots, dialogues ou narration, Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna, les autrices du spectacle, ont entrepris de nous faire partager les vertus thérapeutiques de la danse. Depuis toujours, les humains s’en sont servis pour soigner leurs peurs, leurs tristesses et leurs solitudes, leurs maux de tête, de dos, et même… les piqûres d’araignées ! La tarentelle italienne est même tout spécialement prescripte pour contrer le poison de la mélancolie que la venimeuse tarenta instille à ses victimes, les tarentolato et tarentolata, les plongeant dans l’inertie, l’apathie, l’atonie. Depuis l’Antiquité et aujourd’hui encore, ici même, danseurs, chanteurs et musiciens attirent celui, celle qui a été vidée de ses forces par la sinistre bestiole vers le mouvement, lui réinjecte le désir et la pulsation, l’envie et la pulsion !
 

 
La complicité et l’énergie du trio sont manifestes… et contagieuses ! Des malicieuses inventions verbales ou gestuelles secouent la salle d’éclats de rire, il y a du farfelu et du cocasse qui font pétiller les yeux d’amusement et quelques parenthèses plus rêveuses qui apportent une respiration de douceur.
Sur une prenante composition électro habilement tressée de tarentelles traditionnelles aux voix nasillardes et aux tambourins frénétique, une danse très tonique, matînée de hip-hop, drôle et alerte, emporte l’adhésion.

C’est vivifiant et enjoué, et tel le tarentolato tiré de sa somnolence, battant du pied en mesure, nous voilà réanimés, ré-énergisé, plus légers, plus forts, dopés au rythme et au sourire !
Belle démonstration par l’exemple des puissants effets de la danse-médecine, l’araignée perd, la joie gagne ! A ne pas manquer, avec ou sans enfant…

Marie-Hélène Guérin

 

SALTI
Spectacle de théâtre/danse jeune public
(vu en version 25 mn 3 – 6 ans, il existe une version 50 mn à partir de 6 ans et tout public)
Un spectacle de la compagnie Toujours après minuit
Vu à La Manufacture (du 7 au 26 juillet)
Conception, texte, mise en scène et chorégraphie : Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna
Avec Jim Couturier, Louise Hakim et Lisa Carmen Martinez
Lumières Guillaume Tesson
Composition originale Hugues Laniesse
Musiques additionnelles : Bruno Courtin « Personne ne dort », L’Arpeggiata/Christina Pluhar « Antidotum tarantolae », Nuova Compagnia di Canto Popolare « Tarantella »
Photos Christophe Raynaud de Lage
 

Soudain, Chutes et envols : C’est quoi, l’amour ?

Soudain, Chutes et envols, Librement inspiré des Fragments d’un discours amoureux, de R. Barthes.
L’intitulé laisse envisager le spectacle à thèse, un petit air universitaire, une chansonnette à langage abscons… Loin de là ! et ça va d’autant mieux à Barthes, philosophe et universitaire qui avait les pieds, la tête et la chair dans la vie.

Laurent Vacher avait envie d’explorer le rapport des enfants et ados au sentiment amoureux. Une évidence : s’appuyer sur les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes – sorte d’abécédaire hautement subjectif et palpitant, voyageant de A comme Absence à V comme Vérité, en passant par le C de Corps et le J de Jalousie dans une moderne carte du tendre.

« Pour l’écriture de ce projet, j’ai de suite proposé à Marie Dilasser de faire partie de cette aventure pour ses qualités d’autrice : son irrespect des conventions, des clichés, sa pertinence, son humour cinglant, son non conformisme, son sens de l’observation. Sa dramaturgie éclatée, l’entrelacement de ses idées, les ruptures et fantaisies qui ne quittent jamais le service du sens, un sens poétique, aiguisé et léger qui me paraissait essentiel pour traiter ce sujet. » écrit Laurent Vacher, metteur en scène et initiateur du projet.

Le spectacle et le texte se sont nourris de confrontations, de rencontres, les Fragments de Barthes s’entrechoquant aussi bien au Banquet de Platon, aux mots de Nan Goldin, qui sera citée, qu’aux témoignages recueillis pendant une longue enquête, pour faire jaillir questions, interrogations et inventions.

C’est perché au cœur du beau Parc des Buttes-Chaumonts, à Paris, qu’en ce mois de mai Soudain, Chutes et Envols nous a emporté au cœur de son parc archétypal, l’endroit idéal pour s’aimer, parce c’est « un trou dans la ville, parce qu’il y a assez d’espace entre les gens, un endroit où il y a de la place pour que les rêves fassent irruption ». À Avignon, il se nichera dans les Jardins de Saint-Chamand.

Les trois jeunes comédiennes, streetwear bigarré, leggings, jeggings, minikilt gentiment post punk, sacs à dos, smartphones. 3 grandes gamines, Cookie, dite Poupée (Ambre Dubrulle), Guido (Inès do Nascimento), Jo (Constance Guiouillier). Trois grandes gamines-gamins car, comme dans les Fragments, l’être aimé n’est pas d’un genre déterminé. Guido fut autrefois une petite fille nommée Trixi, Jo n’est pas un garçon, Cookie, blonde princesse 2.0 aimera l’un et l’autre.

Guido rechigne qu’on puisse lui dire qu’iel est une fille « vous dites ça juste parce que j’ai une jupe et des seins ! », Jo la sapiosexuelle préfère remplir sa vie de livres, découvrir le monde, Cookie demoiselle dépressive – « Pas d’envie. Pas de désir. Pas de problèmes. Rien » – retrouvera le goût d’être aimée afin de pouvoir retrouver celui d’aimer…

Ambre, Constance, Inès, se métamorphosent à vue, sur un jean une robe apparaît, un blouson disparaît, un jupon tombe, Jo et Cookie brièvement deviennent les géniteurs de Trixi/Guido, des pages deviennent tulipes, bleuets, anémones, un bouquet devient fontaine.

Comme à l’adolescence, comme en amour, tout devient tout autre.

« J’ai des visages que je n’aurais pas eu
si je ne t’avais pas rencontré.e »

Soudain, Chutes et Envols : car sans doute dans l’amour il y a du soudain, des chutes et des envols. Soudain soi accueillant l’autre devient autre qu’avant, soudain on se prend les pieds dans le tapis du rêve ou celui de la réalité, ou à la jonction des deux, et nous voilà falling in love, chutant en amour, tombant amoureux, et sentant cœurs, âmes et corps frémissants s’envoler, s’élever, s’aérer…

On parle du désir et de peau qui appelle l’autre, de chemins où l’on se promène, tracés par les mains de l’autre, d’un corps qui est devenu la carte du parc où l’on se retrouvait – à moins que le parc ne fût la carte par anticipation du corps qu’on apprendra à aimer, bientôt.

L’air de rien, tout en délicatesse, en légèreté, en humour et en mouvement, on met en jeu la fluidité des genres, la construction de soi, l’estime de soi, l’ouverture à l’autre, les aspirations et inquiétudes menues ou immenses d’une jeunesse d’aujourd’hui.

Les comédiennes ont de la justesse et de la fraîcheur ; l’écriture est alerte, parfois littéraire, toujours vive ; la mise en scène se fait fantaisiste pour raconter une quotidienneté foisonnante. Le public, multiculturel, multigénérationnel, quitte le parc réel et son double théâtral avec une petite pétillance de plus au coin de l’œil et quelque chose de guilleret en plus au coin du sourire ! C’est réjouissant et rafraîchissant, d’une intelligence vivace et gaie, et sans doute, si on partage ce moment en famille avec des jeunes ados, ce sera une jolie porte d’entrée pour le dialogue.

Marie-Hélène Guérin

 
P.S.
Un monsieur à la belle barbe blanche, visage buriné, anorak décati et chaussures râpées, un vieux cabas à ses pieds, sur un banc en périphérie de l’espace scénique s’est rapproché. On est venu déranger l’ordre de son havre, on s’est invité en plein sur son aire. Manifestement, ça valait le coup ! Ce spectateur à la dérobade, regard clair et vigilant, mains tranquilles croisées sur les genoux, est un discret témoin du pouvoir et de la magie du théâtre.

 
SOUDAIN, CHUTES ET ENVOLS
Vu au Parc des Buttes-Chaumont à Paris XIXe
À retrouver dans le cadre de la programmation toujours passionnante de La Manufacture, toujours en plein air (Jardin de St Chamand), du 7 au 26 juillet 2022
Texte de Marie Dilasser
Mise en scène Laurent Vacher
Avec Ambre Dubrulle, Constance Guiouillier, Inès Do Nascimento.
Une production Compagnie du Bredin – Laurent Vacher avec la participation artistique du Studio d’Asnières – ESCA et le soutien du Festival Aux quatre coins du Mot (La Charité-sur-Loire)

Festival Silence : La rencontre du cinéma et de la musique

Je me suis rendu cette semaine dernière au festival Silence, 4e édition, du 18 au 22 mai 2022, au théâtre et cinéma Georges Simenon, à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis.
Il s’agit-là de la première scène française conventionnée d’intérêt national Musique et Cinéma, destinée à toutes les tranches d’âge. On se dit Rosny-sous-Bois, c’est paumé et puis on découvre, dans le petit centre-ville, non loin de la gare du RER E, arrêt Rosny-sous-Bois, la fine fleur des correspondances entre les arts.
J’ai vu 2 spectacles parmi l’ensemble de la programmation et je n’en ai pas été déçue, bien au contraire.

La soirée inaugurale, en grandes pompes avec le Ministère de la Culture et la Ville de Rosny, nous a permis de voir et d’entendre la si charmante et si délurée Jeanne Cherhal. Dressée sur des escarpins de star à anses de strass, court vêtue d’une robe noire au dos dénudé, elle a offert ses jambes galbées au spectacle de nos yeux esbaudis. Ses jambes, à elles seules faisaient déjà le spectacle, mais c’était sans compter sur son art vocale, son piano à queue et ses histoires de troubadour en tournée. Jeanne Cherhal nous a livré en chansons ses goûts cinématographiques, tantôt stridulante et d’autres fois toute velours de la voix. Elle nous a fait rire de bon coeur avec ses clowneries et a su nous émouvoir par les cordes sensibles de son art et par ses choix de bandes originales de films si bien restituées. C’est ainsi qu’elle nous a fait vibrer avec Piensa me d’après Talons aiguilles d’Almodovar ou encore Porque te vas d’après Cria Cuervos de Carlos Saura ou encore retrouver en surimpression au piano la voix de Michel Piccoli qui nous parle de son métier d’acteur. Et que dire de l’élasticité de son dos de pianiste, qui nous transporte quand elle est debout et qui se voûte avec tant de souplesse quand elle est face à son piano la faisant soudain ressembler à Quasimodo ? Un récital haut en couleur, même si le noir, comme il se doit, était à l’honneur. Au terme de son récital, le public, fort nombreux dans cette belle salle de spectacle où l’on est installé très confortablement, tapait des pieds et des mains pour encore une fois, entendre la belle Jeanne, qui, en guise de rappel a interprété Véronique Samson.

25/05/2022 – New-York (US) Florence Gould Hall / 27/05/2022 – Los Angeles (US) Théâtre Raymond Kabbaz / 26/06/2022 – Angers (49) Festival d’Anjou / 09/09/2022 – Saint-Emilion (33) Festival Vino Vocce / 15/09/2022 – Saint-Sébastion-sur-Loire (44) L’Embarcadère / 07/10/2022 – Rezé (44) La Soufflerie – le Théâtre / 14/10/2022 – Dunkerque (59) Bateau Feu / 09/11/2022 – Le Bouscat (33) L’Ermitage Compostelle / 16/11/2022 – Nîmes (30) Théâtre Christian Liger / 17/11/2022 – Grasse (06) Théâtre de Grasse / 20/11/2022 – Loudéac (22) Palais des Congrès et de la Culture / 11/12/2022 – Vannes (56) Scènes du golfe, Théâtre Anne de Bretagne

Le second spectacle que j’ai vu et entendu, puisqu’il s’agit bien de voir et d’entendre dans un festival musique et cinéma, a ravi toute ma petite famille, y compris les nombreux enfants présents. Nous avons assisté à la projection de Le Petit Fugitif, un film en noir et blanc, de 1953, écrit et réalisé par Raymond Abrashkin, Ruth Orkin et Morris Engel. Cette projection, sous-titrée, a été soutenue par un orchestre sur scène, Iñigo Montoya, qui revisite en musique les aventures de Joey, le petit fugitif, en invitant Clémentine Buonomo au cor anglais, le trio navigue entre musique de chambre, boucles électroniques, tambourins, et bruitages psychédéliques. On a vraiment l’impression que cette bande sonore en live a été imaginée au moment de la réalisation du film. Tout colle, tout est en symbiose avec les images et les aventures que vit Joey au parc d’attractions de Coney Island. On sort non seulement émus par ce que nous donne à voir ce film, la pugnacité de cet enfant esseulé, qui ramasse sur la plage les bouteilles de Coca et de Pepsi consignées, pour s’offrir encore et encore des tours de poney et par la virtuosité, quasi en téléobjectif, des cadrages, par les plans à hauteur de Joey et par la lenteur à vitesse de Joey du montage, mais également par l’hypnose dans laquelle nous place la musique. C’est un film proche du documentaire avec l’émotion en plus, mais qui nous donne à voir des images de l’enfance crue, des images authentiques, portées par le petit Richie Andrusco. Un film réalisé avec peu de moyens et auto-produit et filmé avec une caméra portative, en 35 mm, spéciale, fabriquée par Charles Woodruff, fabriquée en un an, une caméra quasi expérimentale, munie notamment d’un système optique à deux objectifs. Une vraie réussite, la rencontre entre Inigo Montoya et Joey Norton.

Et également Le Petit Fugitif à Paris, au Studio 28 mardi 24 mai 2022 à 23h45, mercredi 25 mai 2022 à 23h25, mais sans Inigo Montoya malheureusement.

Toute la programmation du festival
(même si c’est fini, vous trouverez ces artistes ailleurs en cherchant bien) :
Festival Silence à Rosny-sous-Bois du 18 au 22 mai 2022.
Mercredi 18 mai: Ciné-chanson Chantons dans la ville, à partir de 3 ans / 14h30 au Théâtre et Cinéma Georges Simenon
Vendredi 20 mai : Ouverture du festival – Jeanne Cherhal / 20h30 au Théâtre et Cinéma Georges Simenon
Samedi 21 mai : Ciné-concert 1001 couleurs, à partir de 18 mois / 11h au Centre social des Marnaudes
Ciné-spectacle L’Agent 00203 contre Mr K / 14h30 au Théâtre et Cinéma Georges Simenon
Flashmob par Keatbeck / 15h20 sur le Parvis du Théâtre
Ciné-concert Les Gosses de Tokyo, à partir de 8 ans / 17h au Conservatoire Francis Poulenc
Ciné-concert Dark Star de Ropoporose / 20h30 au Théâtre et Cinéma Georges Simenon
Club DJ Nanar disco club de Jeanne Frenkel et Cosme Castro / 22h au Théâtre et Cinéma Georges Simenon
Dimanche 22 mai : Ciné-concert Buster fait des vagues, à partir de 4 ans / 11h à Théâtre et Cinéma Georges Simenon
Brunch ciné quizz / 12h Théâtre et Cinéma Georges Simenon
Concert Bandes Originales de Vincent Courtois / 15h au Conservatoire Francis Poulenc
Flashmob par Keatbeck / 15h50 sur le Parvis du Théâtre
Ciné-concert Le Petit Fugitif, à partir de 8 ans / à 17h au Théâtre et Cinéma Georges Simenon

​Et une exposition, un karaoké et d’autres festivités entrée libre.

Festival Silence est porté par le Théâtre et Cinéma Georges Simenon de la Ville de Rosny-sous-Bois (93) avec le soutien de la DRAC et de la Région Île-de-France, en partenariat avec le Conservatoire Francis Poulenc, le Centre socioculturel des Marnaudes, la Médiathèque Aragon et la Fabrique Artistique et Numérique de Rosny-sous-Bois.

Le Monde à l’envers : mission : sauver le monde !

‌À l’envers le monde ?
Et si pour le remettre à l’endroit, le monde, il nous fallait écouter les secrets d’enfants ? Ceux qui hantent, qui chantent, qui dansent. Qui obsèdent les cœurs et développent les imaginations ? Les secrets joyeux, fous, tendres, éberlués, stratosphériques, douloureux… Mais comment entendre ces secrets, puisque par définition, le secret ne se communique pas, le secret reste secret ? Comment écouter encore et malgré tout, les échos lointains de l’innocence, dans un monde ou les préoccupations d’adultes semblent seules avoir autorités ? Comment se faire comprendre lorsque, déjà loin de l’enfance mais pas encore tout à fait mûrs nous devons admettre que nous ne sommes pas un super-héros ?
Un répondeur téléphonique (auquel Denis Podalydès prête sa voix), joue le rôle du messager. Du super amplificateur ! C’est lui, qui restitue pour notre plus grand plaisir, la parole des enfants qui livrent leurs précieux messages, leurs secrets !
Et déjà les spectateurs, petits ou grands, enfants eux-mêmes, profitent de ces mots pour imaginer un monde ré-enchanté, un monde un peu moins de traviole, un monde un peu plus à l’endroit.

La chorégraphe Kaori Ito et ses trois interprètes s’emparent de ces secrets d’enfants, pour les mettre en espace, en matière, en danse ! Comme un mantra, la phrase de Pina Bausch, « dansez, sinon nous sommes perdus » s’impose au long du spectacle. Tous les thèmes délivrés par ce drôle de répondeur téléphonique d’un autre temps, sont prétexte à danse, à rire, à peine, à joie, à rêve, à révolte, à effroi, à partage… L’enthousiasme et le talent des jeunes interprètes (deux danseuses et un danseur à la générosité contagieuse) nous dépeignent certes, ce monde qui n’est plus droit depuis longtemps, ce monde qui a cessé d’entendre ses émois de culotte courte, de cour de récré, de super petits héros, ce monde dans lequel grandir c’est renoncer parfois, avoir peur souvent, se révolter pourtant, mais qui nous laisse deviner que tout reste possible tant que la part d’enfance de chacun reste en éveil. Le ré-enchantement par la liberté, la fantaisie, le partage… la danse ! Le miracle de la danse qui se fait messagère. La danse qui donne à voir et à comprendre. Avec pour arguments premiers l’envie, l’authenticité, le don ! Merci.

Les enfants ouvrent des billes enchantées et les parents chaussent leurs plus grands sourires comme preuve que tout est encore possible pourvu que ce tout soit partagé.
Pendant les quarante minutes de spectacle notre monde était bel et bien à l’endroit et dansait sur ses deux pieds !

LE MONDE À L’ENVERS
Vu au 104 dans le cadre du festival Séquence Danse
Direction artistique et chorégraphie : Kaori Ito
Interprètes : Morgane Bonis, Bastien Charmette et Adeline Fontaine
collaboration artistique : Gabriel Wong | aide à la dramaturgie : Taïcyr Fadel | composition : Joan Cambon | création lumière et direction technique : Arno Veyrat | design sonore : Adrien Maury | conception téléphone : Stéphane Dardet | aide pour les costumes : Aurore Thibout | regard extérieur : Michel Ocelot
Photos : © Anaïs Baseilhac

Durée indicative : 35/40 min, à partir de 4 ans

À retrouver en tournée :
du 6 au 8 mai 2022 • TOURCOING (FR) • Théâtre du Nord CDN Lille, Tourcoing Hauts-de-France
du 1er au 2 juin 2022 • COGNAC (FR) • L’avant-scène
du 8 au 9 juillet 2022 • VITRY-SUR-SEINE (FR) • Nouveau Gare au Théâtre

Une orang-outang bleue comme une orange

Voici donc l’histoire remarquable d’une remarquable orang-outang…

 

« Ses poils
TOUS ses poils
et dieu seul sait si elle en avait ! …
tous ses poils, mes chers grands enfants
étaient Bleus !
Les orangs-outangs c’est roux.
Une orang-outang qui se respecte a le poil roux, point.
Elle avait le poil bleu, point.
»

 

Une orang-outang bleue, il n’y en a pas deux au monde, nous déjà on reste un brin étonné et pourtant on en a déjà vu des vertes et des pas mûres, alors vous imaginez l’effroi de la mère et de la horde. La maman orang-outang, maternelle mais faut pas abuser, coupe le cordon avec les dents et balance la rejetonne fautive de bleuitude dans le ravin voisin. « On rigole pas avec la couleur chez les orangs-outangs ». Tiens, ça me rappelle quelqu’un.
Dans le ravin vit un troupeau de placides pachydermes. Une éléphante à la vue basse ou au cœur grand, pas regardante sur les teintes et textures de peaux et poils, prend la nourrissonne sous son aile de géante, un éléphanteau de plus à la mamelle, 11 ou 12 ça ne change pas grand-chose, surtout si l’éléphanteau surnuméraire est une petite orang-outang.
Ouf, plutôt que de périr sur ce flanc de ravin, notre charmante orang-outang bleue va pouvoir vivre sa vie, qui sera ô combien édifiante pour nos charmantes têtes blondes (ou brunes, ou bleues).

 

« C’est quoi une couleur de peau, une couleur de poil ? C’est quoi une horde, une communauté, une famille, une mère ? C’est quoi l’argent, la rapacité ? A quel prix devient-on riche ? Pour quel poids de chair ? Et puis aussi, c’est quoi une fille ? Comment on se dépatouille de la violence quand on est une fille ? Comme une fille ou comme un garçon ? Fille ou garçon, comment on se dépatouille de la cupidité incompréhensible des humains ? De leur cruauté ? Et c’est quoi un humain ? C’est quoi un animal ? C’est quoi moi ?… »
(note d’intention de l’auteur)

 

S’il est des conférences gesticulées, celle-ci est conférence, confession, plaidoyer, éclats de rire, autant qu’elle est gesticulée, dansée, slamée, rappée, contée, grognée.
Le plateau est presque nu, paré de lumières bleues et d’un pied de micro. Pauline Jambet, fine et vive comédienne, est elle aussi vêtue de bleu, encapuchonnée et velue à souhait. Pas de décor, pas de vidéo, pas de trucage ni d’habillage, c’est la parole et l’imagination qui feront naître lieux et figurants, jungle tropicale, cale de cuirassier, hordes de grands singes ou de journalistes.
Pauline Jambet a le talent des métamorphoses et dans sa silhouette gracile et son sourire lumineux cohabitent éléphante, orang-outang (bleue, ou roux, au besoin), papillon, capitaine de corvette (rôle à accent…), présentatrice tv suave et rappeur à cagoule. Cela dit au minimum, je la soupçonne d’abriter encore bien d’autres êtres, tant elle bondit des uns aux autres l’air de rien.

 

« De banane et de nostalgie »

 

L’orangue-outangue devenue grande tente le voyage de retour vers sa tribu de naissance. Accueillie à coups de latte, elle cherche refuge dans la solitude où, tout compte fait, c’est tranquille mais on s’emmerde. Se nourrir «de banane et de nostalgie », ça rend l’âme poète mais ça ne réjouit pas son simien. Parlant mille langues, « l’orang-outang évidemment, l’humain à cause de sa douleur, la mer à cause des vagues, le cuirassier pour rêver de voyages », la revoilà donc pérégrinant au gré des phobies des uns, des avidités des autres, rencontrant la mère de son grand bleu, la mère du bleu et de la vie, la mère-mer, sauvant sa peau, et son cœur, et nos secrets désirs d’histoires qui finissent bien.

Jean-Michel Rabeux a fait « philo » en son jeune temps, et comme le disait mon ci-devant auguste professeur à la fac, devenu depuis auteur à succès, ce qui est bien la preuve, « la philo mène à tout, il suffit d’en sortir ». Ou, disons plutôt : la philo t’emmène partout… Rabeux nous dit lui-même que « les raisons qui [l’ont] poussé vers la philosophie sont les mêmes que celles qui [l’ont] poussé à faire du théâtre : dire non à un état des choses. » On avait aimé Les Fureurs d’Ostrowsky qu’il avait mitonné avec son complice Gilles Ostrowsky.
On retrouve ici sa verve, sa langue crue et rapide, un appétit vorace pour la vie, un univers où la bienveillance n’est jamais mièvre, une tendresse rageuse pour ses frères humains.

Un conte féroce, gai et doux, à voir entre adultes de 6 à 96 ans qui ont le goût des voyages initiatiques farfelus, où le rire, la farce et la fantaisie mènent la danse.

Marie-Hélène Guérin

 

L’ORANG-OUTAN BLEUE
Spectacle créé le 28 septembre 2020 au LoKal, à Saint-Denis
Texte et mise en scène Jean-Michel Rabeux
Avec Pauline Jambet
Assistant mise en scène Vincent Brunol | Lumières Jean-Claude Fonkenel | Costumes Sophie Hampe

A découvrir actuellement en tournée :
En mars
• Au Théâtre La Passerelle, Gap
du 14 au 18 mars 2022
www.theatre-la-passerelle.eu
• A L’Agora, Billière (64)
Les 24 et 25 mars 2022
agora-asso.com
En avril
• Au Théâtre de Nîmes
du 5 au 7 avril 2022
theatredenimes.com