Articles

Wall Street malgré moi : une fable moderne folle et drôle, au Funambule Théâtre

Le petit et accueillant Funambule Théâtre, perché dans le XVIIIe arrondissement de Paris, accueille un seul-en-scène jouissif qui s’arme d’absurde, d’humour et de tendresse contre la mécanique vorace de l’ultralibéralisme.
2028. Elu manager du siècle, l’homme le plus riche de la planète a Wall Street à ses pieds, et est le dos au mur. Bondissant de succès industriels en overdose d’argent, il doit se démener pour rompre ce « cercle vicieux de la win » qui le mène à l’AVC (accident vénal cérébral) et l’éloigne de sa famille et ses valeurs de jeunesse. Pas si simple…

Dans une mise en scène rythmée d’Anne Bouvier, Christophe de Mareuil, drôle, grave, joueur, cynique, attendrissant, incarne le piteux et flamboyant héros et la dizaine de personnages qui l’entoure. Il campe avec une précision et une allégresse délectables sa piquante épouse, le vice-président de son empire tout en veulerie, la farfelue richissime Mouna… Le texte composé à six mains et trois têtes affutées par l’interprète, Stéphane Guignon et Carole Greep, est brillant, on rit beaucoup et de toutes les couleurs, jaune tant le fond est inquiétant et réaliste, vert comme les billets qui lui servent de drogue…
Antoine Lhonoré-Piquet a offert à cette vive « fable morale » une élégante scénographie qui envoie notre héros dans une BD en crayonné noir et blanc réalistico-baroque, nous baladant des habitacles feutrés des bagnoles de luxe de Rusquin aux méandres de son cerveau en surchauffe. Pour Richard Rusquin, moderne roi Midas, pas de Dyonisos pour lever le miracle-malédiction : il va devoir se débrouiller tout seul. Croisons les doigts pour qu’il trouve le moyen de s’extraire de la « matrice financière » qu’il nourrit et qui le nourrit – et l’empoisonne, en même temps que le reste de la planète : de son salut dépend le nôtre !
En attendant l’issue fatale ou heureuse (allez voir, vous saurez !), savourons ce seul-en-scène jouissif qui pousse l’absurdité d’un système jusque dans ses derniers retranchements, et, sur le terreau de l’ironie et de la farce, fait finalement place à l’émotion.

WALL STREET MALGRÉ MOI
Au Théâtre le Funambule les mercredis jusqu’au 4 janvier
Texte de Stéphane Guignon, Carole Greep et Christophe de Mareuil
Mise en scène Anne Bouvier
Avec Christophe de Mareuil
Création lumières et animation graphique Antoine Lhonoré-Piquet
Un spectacle de la compagnie Le Théâtre des Possibles
Photos © Manu Marques

20000 bulles sous les mers : une pétillante fantaisie maritime pour écolos en herbe !

De doux flonflons un brin nostalgiques, cousins de René Aubry ou Yann Tiersen, nous accueillent dans la petite et coquette salle du Funambule.
Bottés de caoutchouc et vêtus de rayures marins en vrais p’tits titis bretons, Plick et Plock, deux marins pêcheurs impatients jouent en vain de la canne à pêche. Leurs mimiques et burlesqueries amusent d’emblée les plus petits, qui sans compassion aucune se bidonnent aux grondements des estomacs vides pleurant pitance ! Plus rien à s’mettre sous la dent, et c’est pas la vieille godasse qu’on remonte finalement du fond des eaux qui va améliorer le dîner…
Les deux marins pêcheurs privés de poisson prennent le mors aux dents et décident de partir en quête du plus gros mammifère des océans : la baleine.

Les voilà embarqués dans une aventure pleine de rebondissements, qui les fera rencontrer une Toute-petite-sirène, César le Homard, de gracieuses méduses et autres espadons-pirates, tout coincés dans la même galère, le ventre d’une baleine qui a bien du mal à digérer les monceaux de détritus qui se sont entassés dans son estomac, la faute aux humains pas bien soigneux de la mer de leur planète-mère.

Airs du répertoire traditionnel comme Pique la baleine ou Les Trois Marins de Groix et morceaux originaux rythment le spectacle et ponctuent l’action, très joliment interprétés par Eva Dumont, et Serge Ayala, tous deux aussi comédiens alertes et délicats que clowns farfelus.

Le décor de bric et de broc est malin et charmant, astucieusement modulables à vue et au gré de l’histoire par les deux comédiens, un banc retourné sur un demi-bidon se métamorphose en bateau, une voile en baleine…

Il y a du merveilleux dans cette « fable écologique »; on y crée tout un bestiaire incroyablement poétique avec mille babioles des placards de la cuisine recyclées en marionnettes « low tech » dont les enfants (et parents) curieux découvriront les secrets de fabrication après le spectacle lors d’un « bord de scène » (très apprécié des spectateurs), et on y invente de joyeuses solidarités trans-espèces.
C’est plein de fraîcheur, tendre, cocasse et pertinent. La pédagogie se fait avec le sourire, sans être anxiogène mais sans mièvrerie.
Une bien jolie façon de stimuler l’imaginaire et la conscience écologique des minots, avec fantaisie et malice.

Marie-Hélène Guérin

 

20000 BULLES SOUS LES MERS
Vu au Théâtre Le Funambule
Un spectacle de la compagnie L’Oiseau Lune
Texte et mise en scène Serge Ayala et Eva Dumont
Avec Serge Ayala et Eva Dumont, en alternance avec Alix Mercier
Durée 45 minutes
Pour jeune et moins jeune public, dès 3 ans