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Le Dragon : un sombre et fastueux conte contemporain

Sur le dos de ce Dragon, Thomas Jolly nous emmène dans une fable politique en forme de conte sombre et fantasque.

Evgueni Schwartz a vu la langue de son Dragon coupée à peine la gueule ouverte : Staline l’a interdite dès sa première représentation, en 1944. Tiens donc, que n’aurait pas apprécié ce despote à cette histoire de dragon tyrannique ?
Depuis 400 ans, un dragon tricéphale hante une ville, qui achète la paix par un sacrifice annuel d’un de ses jeunes gens. Tout le monde s’accommode de l’arrangement, le dragon bien sûr, mais aussi la ville, satisfaite d’avoir « son » dragon, dont les concitoyens imaginent qu’il tient à distance les éventuels dragons des autres villes et leur apporte sa protection.

Ce Dragon cousine avec Miss Peregrine de Tim Burton ou Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro par les thèmes abordés – construction d’une oppression, mécanismes de soumission et de résistance, comme par l’esthétique baroquement obscure.
L’horrifique de carton-pâte y camoufle autant qu’il exalte la vraie horreur, la vraie monstruosité, qui n’est pas celle des monstres mais celle des humains.
La forme du conte permet de s’en donner à cœur joie avec les archétypes, et Thomas Jolly ne s’en prive pas, garnissant le dragon d’une triple tête impeccablement maléfique à base de dandy pervers narcissique + vampire en bonne et due forme, pâleur et cape incluses + teutonne à monocle, bottes ferrées et fume-cigarette long comme le bras (une sorte d’Eric von Stroheim dans La Grande Illusion, mais avec une tresse).

Le Dragon de Schwartz est d’emblée triple et protéiforme, mais se fera légion quand ses têtes seront coupées par le héros, le chevalier au cœur pur, tout de clair vêtu, venu de loin pour vaincre, lors d’un combat homérique.
Car c’est là la grande morale de l’histoire : veut-on vraiment être délivré de nos dragons ? La ville et ses concitoyens se trouvent bien désorientés avec leur belle liberté toute neuve. Ils avaient appris à vivre sous le joug, pas à vivre libres, et cela leur semble si dangereux et inquiétant qu’ils n’auront de cesse que de recréer une nouvelle tyrannie, avec des habits plus souples certes, une tyrannie « soft power », qui ne mange pas littéralement ses enfants mais se contente de dévorer leurs âmes. Et le dragon mort revivra dans la multitude.
Mais Schwartz et Jolly n’ont pas abandonné foi en l’humanité, et le preux chevalier, épaulé par la demoiselle promise à l’ancien puis au nouveau dragon et entouré d’une petite corporation d’artisans un peu magiciens, parviendra à ramener espoir et lumière en ce sombre royaume.

Une machinerie théâtrale fastueuse, une création sonore très riche, envoûtante, et des costumes (parfaitement réussis, pleins de malice et d’allure) extrêmement stylisés éloignent définitivement tout réalisme. Et peut-être un peu, malheureusement, la possibilité d’être ému, malgré l’interprétation parfaite, toujours juste et fine même dans la caricature la plus échevelée, de l’ensemble de la troupe, subtil et irréprochable orchestre de chambre dans cette imposante symphonie où se conjuguent Grand Guignol et expressionnisme, cabaret et romantisme noir, heroic fantasy et théâtre politique.
Les 2h30 passent dans un tourbillon et sont saluées par un tonnerre d’applaudissements.

Ce Dragon au message limpide et à l’esthétique forte devrait être conseillé aux adolescents : c’est un spectacle touffu, foisonnant, ludique, réservant mille surprises visuelles, exigeant autant qu’accessible, rythmé, drôle, et hautement spectaculaire. Ouvrant une belle porte d’entrée au goût du théâtre.

Marie-Hélène Guérin

 

LE DRAGON
Vu au Théâtre des Amandiers, Nanterre
D’Evgueni Schwartz, traduction Benno Besson (la pièce est parue chez Lansman)
Mise en scène Thomas Jolly
Avec Damien Avice, Bruno Bayeux, Moustafa Benaibout, Clémence Boissé, Gilles Chabrier, Pierre Delmotte, Hiba El Aflahi, Damien Gabriac, Katja Krüger, Pier Lamandé, Damien Marquet, Théo Salemkour, Clémence Solignac, Ophélie Trichard
Collaboration artistique Katja Krüger \ scénographie Bruno de Lavenère \ lumière Antoine Travert \ musique originale et création son Clément Mirguet \ costumes Sylvette Dequest \ accessoires Marc Barotte et Marion Pellarini \ maquillage Catherine Nicolas et Élodie Mansuy \ consultation pour la langue russe Anna Ivantchik
Construction du décor Ateliers du Théâtre Royal des Galeries, Bruxelles \ participation à la construction des décors, mobilier et accessoires Atelier de décors de la ville d’Angers
Photo de famille Solange Abaziou
Photos © Nicolas Joubard

Production Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire \ coproduction Théâtre National de Strasbourg ; Comédie – CDN de Reims ; Théâtre National Populaire ; Théâtre du Nord – CDN Lille-Tourcoing Hauts-de-France ; La Villette – Paris \ avec la participation artistique du Jeune Théâtre National

À VOIR EN TOURNÉE:
5 et 6 avril – Le Mans – Les Quinconces-L’Espal
du 11 au 13 mai – Marseille – La Criée
 


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Ça ira – fin de Louis : le spectateur en pleine Révolution

Ça ira (1) – fin de Louis – Spectacle vu le 8 novembre 2015
A l’affiche du Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 29 novembre 2015, puis en tournée (dates ici)
Création théâtrale de Joël Pommerat

Interview de Saadia Bentaïeb à lire ici

 

Etre plongé au cœur de la Révolution Française, au point de s’en trouver soi-même acteur davantage que spectateur : telle est la promesse de ce spectacle incontournable…

Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites sur la dernière création de Joël Pommerat. Et il y aurait encore tant à dire et à écrire. S’agissant d’un spectacle aussi dense et foisonnant, il paraît quasi impossible de retranscrire ce que l’on a vécu. Plutôt l’envie de jeter des mots, de les balancer, de les offrir pêle-mêle. Souhaitant que l’un ou l’autre de ces mots suscite l’envie de vivre une telle expérience. Une expérience qui nous situe au-dedans de la scène, au cœur-même de la représentation. Peu à peu, on se sent partie intégrante de ce qui se passe. Sous nos yeux, derrière nous, à côté, tout en haut des gradins, en avant-scène et au fond de l’immense plateau. Les comédiens sont partout. Eux-mêmes sont plusieurs, chacun d’eux incarnant plusieurs individus. Un révolutionnaire fanatique se métamorphose en membre de la famille royale. La sœur de Louis est un député de la Noblesse mais aussi un représentant du Tiers-Etat. En un rien de temps, les acteurs « changent de camp », retournent leur veste, tiennent des propos totalement contradictoires.
Joël Pommerat a donc « destructuré » l’espace, fabriquant une sorte de « scène façon puzzle », n’interdisant pas au spectateur d’être lui-même une pièce de ce puzzle. N’ai-je pas applaudi moi-même à plusieurs discours enflammés de tel ou tel député ?… Joël Pommerat joue également avec nos repères temporels. En effet, si le personnage central – le seul qui soit nommé – est Louis XVI, la révolution dont il parle n’est pas uniquement celle de 1789. Les paroles, les discours, les harangues résonnent si précisément en nous que les parallèles nous percutent de plein fouet. A tel point que souvent, au cours du spectacle, on se dit : « c’est fou, c’est exactement comme cela aujourd’hui ! ». Là encore, Joël Pommerat nous embarque totalement, intégralement, parfaitement. Il nous parle de nous, il nous raconte d’où nous venons, où nous sommes, nous interroge sur notre devenir. Merci à lui de nous faire vivre une telle expérience théâtrale, rare, précieuse et révolutionnaire !…

Avec ce spectacle qui est à mon sens l’un des incontournables de la saison, Joël Pommerat révolutionne jusqu’à son propre travail :

1 – Les aficionados dont je fais partie seront sans doute surpris, étonnés, subjugués par cette création en parfaite rupture avec ses précédents spectacles.
2 – La troupe est exemplaire, homogène, réussissant la prouesse de nous confronter à une cinquantaine de personnages d’horizons différents, voire discordants.
3 – Ce qui se passe avec Ça ira (1) – Fin de Louis, c’est que deux jours après on songe déjà à revenir voir le spectacle pour approfondir les émotions qu’il nous a procurées. En attendant, secrètement, l’arrivée du (2)…


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Revue de presse du 11 novembre 2015 : Ça ira (1) – fin de Louis, Nobody et Fin de l’Histoire

 

1. Aux Amandiers, Joël Pommerat fait sa révolution avec Ça ira (1) – fin de Louis :

– « On sort sonnés et électrisés à la fois de l’épopée historique dans laquelle Joël Pommerat et sa troupe nous ont embarqués plus de quatre heures durant. » – Telerama

– « Le spectacle a un aspect pédagogique, en dépit des voix qui se chevauchent, de la violence des enjeux, de la confusion du réel recréé, et surtout, de l’absence d’imagerie révolutionnaire. » – Libération

– « Tous les débats philosophiques et politiques depuis deux siècles sur la liberté, l’égalité, la justice, l’autorité de l’Etat… brillent d’un éclat nouveau. » – Les Echos

– « C’est éminemment politique et philosophique. Passionnant ! » – Les Trois Coups

– « Avec ce nouveau spectacle, Joël Pommerat opère une rupture esthétique, abandonnant les dispositifs circulaires ou en bi‑frontal qu’il avait explorés précédemment. » – France Inter

 

2. Le Montfort présente Nobody, un spectacle entre performance scénique et cinématographique :

– « La pièce, filmée en temps réel par deux cadreurs, se joue derrière de grands panneaux de verre tout en étant montée et projetée simultanément au-dessus de la scène créant ainsi chez le spectateur l’impression discordante d’être en immersion et en observation, dans l’empathie et le jugement. »- Froggy’s Delight

– « Performance filmique. C’est le nom donné par le metteur en scène Cyril Teste, du collectif MxM, pour qualifier la forme de spectacle qu’il élabore depuis quelques années, entre théâtre filmé et cinéma éphémère. » – L’Express

– « Au cœur de ce spectacle d’une intelligence folle et jubilatoire, le spectateur va découvrir le destin de Jean Personne, consultant en restructuration d’entreprise. » – Sortir à Paris

– « Les interprètes évoluent dans différentes situations : «case meeting», entretiens en binôme, accueil d’un stagiaire et même pot. La caméra se focalise sur un visage, une situation, un échange. » – Libération

– « Nobody est une tragédie contemporaine. Celle de la perte du « moi » dans le monde de la surveillance généralisée. » – Time Out

 

3. Fin de l’Histoire, le nouveau spectacle de Christophe Honoré à la Colline divise la critique :

– « Une nuit d’attente qui va partir en vrille, interprétée par une bande d’acteurs capables d’aller très loin dans les dérapages et le politiquement incorrect. » – Les Inrocks

– « Le texte trop brouillon, les bonnes idées gâchées font de cette « Fin de l’Histoire » une machine folle qui tourne trop souvent à vide. » – Les Echos

– « On a bien envie de tirer à boulets rouges sans sommation, au sortir de Fin de l’histoire, le nouveau spectacle que Christophe Honoré. »– Le Monde

– « Fin de l’histoire, spectacle désordonné, furieux, spectacle qui nous égare et s’égare parfois, éloge joyeux du désordre et de l’hétérogénéité du monde. »– Le Figaro

– « Fin de l’histoire, d’après l’œuvre de l’écrivain polonais Witold Gombrowicz (1904-1969), interminable pensum que l’on classera dans la catégorie des ratés à oublier au plus vite. » – Marianne