Les Idiots

Des adolescents qui attentent tout de la vie, qui veulent la réinventer, qui veulent de l’amour, du vrai. Des cris de jeunesse face à l’immobilité du monde, face à la frustration morbide de ces adultes, qui cherchent à lui faire porter “leurs valises” pour qu’elles leur soient moins lourdes. Parce que eux ne veulent pas avoir peur, parce que eux aiment la vie. “On dit, les idiots. Ces idiots ne sont pas des idiots. Ils ont développé leur intelligence en dehors des règles. La véritable intelligence n’est pas de savoir ce que tout le monde sait. C’est d’inventer sa vie”.

Trois raisons d’aller voir (absolument) LES IDIOTS:

1 – pour la première scène qui instaure une tension digne d’une prise d’otages. Vous avez le souffle coupé, vous êtes cernés, vous êtes en joue, vous êtes un jouet. Vous êtes inquiets? Vous avez raison. Mais rassurez-vous c’est du théâtre
2 – pour la mise en scène, pour le rythme, pour la modernité, pour la composition musicale et la musique live, pour le texte, pour le jeu. Vous voyez les lumières au dessus de la scène ? ce sont les âmes de Bonny and Clyde qui les font scintiller.
3 – LES IDIOTS a reçu le prix de la meilleure mise en scène 2018 au festival A Contre Sens … et vous allez comprendre pourquoi !

LES IDIOTS
Une pièce de Claudine Galea
Mise en scène : Théa Petibon
Avec Alice Daubelcour, Tanguy Vrignault, Emilie Lehuraux, Quentin Kelberine, Tali Cohen, Paul Meynieux, Paul Lourdeaux, Richard Pfeiffer
Avignon Off 2018 : à L’Archipel Théâtre, du 6 au 29 juillet, relâche les mardis

Au nom du pèze, ou “Le Syndrome de Richard” le bien-nommé

Elu manager du siècle, l’homme d’affaires le plus riche de la planète n’a plus d’autre issue que d’entamer une cure de désintoxication à l’argent pour sauver ses proches. Il réussit tout mais rate ses enfants et sa vie; c’est même ce qu’il rate le mieux. Plus il est riche et plus sa fille anorexique perd du poids. L’homme est avalé par le système ultralibéral qui l’a enfanté. Mais ne subirions nous pas la même destinée si nous étions à en situation de pouvoir gagner autant d’argent?

Au bout du compte, il ne réussira à sauver le monde qu’en sacrifiant totalement son argent. Ou pas.
Au nom du pèze, seul-en-scène de Stéphane Guignon et Christophe de Mareuil, avec la complicité de Carole Greep.Mise en scène Anne Bouvier. Avec Christophe de Mareuil. Au Pandora Avignon. Photo Lucas Grenier
Trois raisons d’aller voir un Christophe de Mareuil pour son premier seul-en-scène :

1 – En incarnant avec talent une dizaine de personnages, il se rapproche peu à peu des performances de James Mc Avoy l’effrayant psychopathe du Split de M. Night Shyamalan, qui revendiquait 23 personnalités différentes. Lui ne tue pas encore ses victimes, quoi que …
2 – Drôle, grave, joueur, cynique, attendrissant, il confirme comme la vénéneuse Lucrèce Borgia que, “quand on est entrainé dans un torrents de crimes on ne s’arrête pas quand on veut”. On peut donc lui trouver quelques circonstances atténuantes.
3 – Le texte est brillamment écrit, on rit beaucoup et de toutes les couleurs, jaune tant le fond est inquiétant et réaliste, vert comme les billets qui lui servent de drogue, marron comme sa toute dernière idée loufoque destinée à le ruiner sans efforts et ainsi régler ses problèmes (mais chuuut, je ne vous en dis pas plus) mais qui démontrera malgré lui qu’il est impossible de perdre dans le monde libéral quand on possède tout.
Au nom du pèze, seul-en-scène de Stéphane Guignon et Christophe de Mareuil, avec la complicité de Carole Greep.Mise en scène Anne Bouvier. Avec Christophe de Mareuil. Au Pandora Avignon
AU NOM DU PEZE, ou Le Syndrome de Richard
Une pièce de Stéphane Guignon et Christophe de Mareuil,
avec la complicité de Carole Greep
Mise en scène : Anne Bouvier
Interprétation : Christophe de Mareuil
Création sonore : Luc Rouzier
Au PANDORA du 6 au 29 juillet 2018, relâche le 23

Kohlhaas, un désir de justice

Michael Kohlhaas est un éleveur de chevaux sans problème, qui rêve de voir battre son cœur en harmonie au milieu du cercle des hommes. Victime naïf de l’abus de pouvoir d’un noble, à qui il avait confié ses chevaux, il ressentira cette aiguille à “l’intérieur de l’enclos de son cœur”, comme une fissure annonciatrice de l’effondrement irrésistible.

Il ne contient sa soif de vengeance qu’avec l’espoir que la justice sache l’apaiser. Mais elle l’abandonnera bien vite, avec un cynisme et un dédain qui ne lui laisseront que la violence pour seule échappatoire.

Même la bible ne lui donne plus la force de pardonner; ce pardon qui lui est impossible, tant que ses beaux et noirs chevaux ne lui seront pas rendus.

“Si le désir des injustes est la vengeance,
quel peut être donc le désir des justes”, si ce n’est la justice ?

 


Monologue à plusieurs personnages et un narrateur, le texte de Baliani questionne avec poésie les mécanismes qui nous entrainent de la naissance de la souffrance vers la violence aveugle. Kohlhaas est l’histoire de cet homme ordinaire qui bascule dans la violence extraordinaire, poussé par la justice des hommes au service des plus forts et des puissants. Histoire du XVIe siècle ou histoire d’aujourd’hui ?

Kohlhaas voulait tout simplement la justice, il voulait rester homme parmi les hommes, dans ce cercle idéalisé auquel il croyait, mais les hommes l’en ont chassé. Qui peut avoir le droit de déchirer ainsi le cercle du monde ?

La mise en scène de Julien Kosselek est toute en finesse et en précision. Sur scène, une chaise et 2 haut-parleurs, dans la salle un public transporté, et l’âme d’Heinrich von Kleist qui flotte… et voici le théâtre sublimé !

Du sur-mesure pour Viktoria Kozlova, qui livre une prestation exceptionnelle, époustouflante. Jouant de malice, d’une fougue vissée au corps et d’un accent terriblement enchanteur et séduisant, elle nous raconte cette histoire avec passion comme personne. Elle incarne avec toute sa chair une histoire d’hommes et de cercle idéalisé du monde, qui se brisent sous les coups portés par l’injustice et l’abus de pouvoir.

Un tel tourbillon mérite bien un Molière … on en reparlera !
KOHLHLAAS
Texte Marco Baliani et Remo Rostagno
D’après Michael Kohlhaas de Heinrich Von Kleist
Mise en scène Julien Kosellek
Création sonore Cédric Soubiron
Interprétation Viktoria Kozlova
Avignon Off 2018 : au Train bleu du 6 au 29, relâche les lundis

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=I7pHp0USGx8&w=560&h=315]

Pigments

Aimer c’est regarder ensemble dans la même direction, disait Paul Eluard.

Nicolas et Chloé s’aiment passionnément, mais après 4 ans d’amour, ils ne regardent plus tout à fait dans la même direction, ou peut-être pas assez. Nicolas est neurologue, il taquine volontiers la passion artistique de Chloé, la moque parfois jusqu’à l’agacement. Elle rêve de pouvoir peindre son corps; lui s’y refuse, trop cartésien pour se “mettre ainsi à nu”, même devant la femme qui l’aime.

Elle rencontre presque inévitablement un alter ego, un artiste comme elle, qui lui offre le frisson indicible des émotions et la fusion que Nicolas tient à distance. Elle ne dira rien à Nicolas de cet élan, laissant le secret prendre racine et devenir trahison. Il se laissera submerger par la rage, son ego balaiera des années d’amour en quelques secondes. Impossible pour lui d’entendre quoi que ce soit et encore moins d’accepter par amour, que l’autre puisse en aimer un autre.

Nicolas sera sans pitié, ses mots auront la violence des coups de couteaux s’acharnant sur la dépouille d’un amour blessé.

“j’ai le droit de te dire tout ce que je veux, tu n’es rien,
tu n’existes plus, tu es minuscule”

 

Pigments, de Nicolas Taffin

La suite ne se raconte pas, elle s’effeuille, elle se révèle, elle s’élève dans la magnifique salle ronde de la Condition des Soies, qui servira d’écrin à cette histoire d’amour pas comme les autres.

La suite sera surprenante et bouleversante, comme un signe troublant du destin, un fil qui apparaît soudain quand on ne l’attend plus, qui montre le chemin pour éviter le précipice.

Eric Ruf a bien raison de dire qu’on va sans doute au théâtre parce qu’on croit apercevoir sur scène des fragments de soi-même, déposés là par un auteur et virevoltants dans le souffle des comédiens.

Pigments est un rendez vous, une histoire d’amour unique qui touche le cœur et les sens, servi par le texte superbe d’un auteur habité et une interprétation juste parfaite de Mathilde Molinat et de Nicolas Taffin.

 

Pigments, de Nicolas Taffin

PIGMENTS
De Nicolas Taffin
Metteur en scène : Elodie Wallace
Avec Mathilde Moulinat, Nicolas Taffin
Avignon 2018 : à La Condition des Soies du 6 au 29 juillet à 19h35

Bohème, notre jeunesse – pour l’amour de l’art, et de l’amour.

Sortons de nos sentiers battus, et osons une fugue vers l’opéra… C’est la talentueuse metteuse en scène Pauline Bureau dont on a tant aimé Les Bijoux de pacotille ou Mon cœur qui nous y entraîne, nous prenant la main de son délicat talent.

La Bohème, œuvre « maison », a été jouée 1522 fois à l’Opéra-Comique depuis sa création. 113 Mimi, 94 Rodolphe ont défilé sur ses planches… Puccini lui-même avait pris ses quartiers à l’Opéra-Comique pour superviser l’adaptation en français de ces œuvres : c’est dire si cette Bohème se sent chez elle entre ces murs !
On nous propose là une version « légère », 1h30, avec un orchestre réduit, une version voulue plus mobile, plus accessible, resserrée sur l’intimité de ses personnages, « la fragilité de leur condition, la fraîcheur de leurs émotions ». Il y a quelques protagonistes en moins. Des hommes, car des femmes, il n’y en a que deux dans cette œuvre : Pauline Bureau a souhaité préserver l’intégralité de leurs rôles, pour rééquilibrer un peu la présence des femmes dans cet univers si masculin – reflet d’une époque.
 

Il faut redire combien l’harmonie de Puccini est d’une clarté,
d’une transparence et d’une précision sublimes.

Marc-Olivier Dupin, adaptation musicale

 

Une haute façade noire nous fait face, sous les ors de la vénérable salle de l’Opéra-Comique, très minérale, très contemporaine. Elle prend vie en se faisant tableau noir où s’écrit comme à la craie une lettre que Mimi, petite provinciale fraîchement débarquée à Paris, rédige pour rassurer sa mère…
Une belle projection d’immeubles parisiens vient recouvrir ces murailles d’obsidiennes, fenêtres, enseignes, pierres noircies de suie, on y est ! C’est un Paris de la fin du XIXe qui se dessine, un panneau s’estompe, l’appartement de Rodolphe s’ouvre et devient une autre scène, petit théâtre de tréteaux perché au premier étage d’un immeuble qui a perdu de sa superbe. La bohème, ce sont ces jeunes gens d’hier, pas si loin des jeunes gens d’aujourd’hui, étudiants, artistes en devenir, cousettes, grisettes, fauchés, coloc’ et débrouille, un jour on a de quoi becqueter, le lendemain de quoi se payer un verre chez Momus, au gré d’un petit boulot, d’un tableau vendu, d’un « papier » commandé par une revue… des jeunes gens qui se réchauffent d’amitié, d’eau-de-vie, d’un poêle garni de la dernière pièce de l’auteur de la bande et d’amours fiévreuses.
 

C’est le frottement entre hier et aujourd’hui qui crée l’univers de Bohème, notre jeunesse.
Deux époques qui dialoguent et s’éclairent mutuellement.
Pauline Bureau, adaptation et mise en scène

 

La mise en scène est fluide, malicieuse, pleine d’humanité, de légèreté et de poésie. Pauline Bureau comme elle sait le faire utilise avec une grande subtilité la vidéo (belle création de Nathalie Cabrol), jamais redondante, toujours utile et élégante. Elle ne se refuse pourtant pas à offrir au spectateur des images d’un grand lyrisme, où la nature – une neige tombant doucement, une silhouette d’arbre dénudé – s’immisce dans la ville et invente un espace plus irréel, plus affectif.
L’orchestre glisse avec à-propos au milieu de ses sonorités classiques quelques notes d’accordéon, qui apportent une touche de bal populaire, une ombre de nostalgie.
Les chanteurs ont l’âge et la fougue de leurs rôles, la voix bien timbrée et une belle expressivité, sans emphase mais avec une riche sensibilité. Un « parlé-chanté » plus théâtral, plus quotidien, alterne avec des duos flamboyants ou poignants, à la hauteur du drame qui se noue – car il faut bien qu’un drame se noue…
Le final, déchirant, sous une lune gigantesque dans une lumière de crépuscule, laisse les gorges nouées.

Marie-Hélène Guérin

 

BOHÈME, NOTRE JEUNESSE
À l’affiche de l’Opéra-Comique jusqu’au 17 juillet 2018
D’après La Bohême de Giacomo Puccini
Adaptation musicale : Marc-Olivier Dupin
Direction musicale : Alexandra Cravero
Adaptation, traduction et mise en scène : Pauline Bureau
Avec Sandrine Buendia, Kevin Amiel, Marie-Eve Munger, Jean-Christophe Lanièce, Nicolas Legoux, Ronan Debois, Benjamin Alunni et Anthony Roullier
Orchestre : Les Frivolités Parisiennes

Photographies @Pierre Grosbois

Frères humains

Il y a des spectacles qu’on aimerait ralentir tellement on y prend du plaisir. On regrette qu’ils passent si vite.
Bien sûr on pourrait revenir les voir mais on sait que ce ne sera pas la même chose. Comme les bons livres, on envie ceux qui ne les ont pas encore lus. On voudrait pouvoir retrouver la virginité.
Comme un enfant ébloui à la fête foraine, de tant de lumières, de tant de bruits, on tourne la tête dans tous les sens, on ouvre le cœur à tous les vents, prêts à être surpris par une autre émotion.
On suffoque presque de tant de grâce. En douceur.
Déjà en le voyant, on voudrait le garder en entier en nous. Pouvoir s’y replonger.
On y repense comme à une rencontre amoureuse. Une soirée, une nuit d’amour.
Tel moment. Tel geste. Tel frisson. Tel regard.

Pas lu le programme. Juste une envie. Une intuition. On arrive à la Patinoire de la Manufacture.
De quoi ça cause?
Une fratrie. Nombreuse. Perdues au milieu, deux soeurs. Une absente, une présente.
Un chant. Délicat. Friable. Des chants.
Pas de micros. Ouf.

Une jeunesse s’approprie le théâtre, le fait avancer. Sans révolte. En douceur et en précision. Sur le fil de la justesse. Sans excès. Ou si plutôt : avec une telle justesse dans les excès qu’on l’y accompagne sans effort.
On pourrait citer sans doute des inspirateurs, des parrains de théâtre, conscients ou inconscients, mais ces fantômes sont déjà loin, digérés, intégrés. Ce théâtre-là est ici, maintenant; il est jeune, il regarde devant.

Un Homme Qui Fume c'est plus sain Collectif Bajour Festival Avignon La Manufacture coup de coeur Pianopanier

Dans ce spectacle le théâtre tremble, vit, progresse.
Avec intelligence, sans affectation, sans outrance, sans posture.
Il travaille le vrai, la matière humaine, la fouille sans la résoudre, sans la dissoudre. L’écorche et l’émeut.
Des pépites.
Je les garde.
Je ne raconte pas.

Allez-y.

Agnès T.

Un Homme Qui Fume c'est plus sain Collectif Bajour Festival Avignon La Manufacture coup de coeur Pianopanier

 

UN HOMME QUI FUME C’EST PLUS SAIN
Manufacture du 6 au 26 juillet, 11h30
Création collective de BAJOUR
Mise en scène Leslie Bernard

Heroe(s), des humains d’aujourd’hui

Un premier spectacle à Avignon, c’est une première fois.
Comme pour toutes les premières fois, on n’a pas envie d’être déçu.
On sait que ce spectacle ne sera pas comme les autres. Quel qu’il soit. Il est le premier. Il donnera la couleur. Il donnera le ton. Il mettra du temps à s’effacer.
Même sans le vouloir, on y met ses espoirs, ses envies. Presque tous ses espoirs, et toutes ses envies. Malgré soi. On ne partage pas (encore) avec les petits frères et petites sœurs à venir.
On y vient entier. Ouvert. En friche.
Alors ça fait du bien quand la première graine semée est de qualité. On sent que « ça part bien. » On sort ragaillardi, confiant, serein, même si on sait que le mauvais temps surgit toujours sans prévenir, malgré toutes nos certitudes, et que le risque se renouvelle à chaque fois qu’on entre dans une salle.

Heroe(s)

Trois hommes s’adressent à nous. Leur projet, faire un spectacle à trois compagnies. Ils sont trois metteurs en scène. Un projet longue durée. Un spectacle sur le monde d’aujourd’hui. Et tout un rêve d’interactivité, et de déambulation, … enfin surtout, l’envie (l’utopie ?) d’un partage avec le public, d’une adéquation, d’une cohérence du théâtre avec le monde qui l’entoure.

Des hommes. Trois. Différents. Qui surgissent et se parlent. Expliquent et sont.
La sobriété des chiffres, leur froideur, l’immatérialité de ces suites de zéro trop longues pour qu’on ait envie de tenter de les compter.
Et comment lutter? quoi faire contre un système?
Les scandales du capitalisme révélés par les robins des forêts d’algorithme.
Étranges super-héros que ces êtres que rien ne protège.
Rien.
Pire que les repentis de la mafia. Un mauvais film. Ou — pire — un bon…
Pas de la fiction. Du cinéma du réel.
Un film de guerre. Non. Pas un film. LA guerre. La Guerre d’aujourd’hui. Pas le vieux re^ve d’hier, englué dans les contes et les fictions d’antan
Vous ne savez plus ce que c’est que la guerre.
La résistance est à réinventer.
Le théâtre se réinvente aussi.

Le musicien…? on n’avait pas tout de suite compris. Cette silhouette à capuche sur le plateau, comme un mystère, une menace,… la caricature d’une menace, oui. Une capuche serait menaçante? (Honte de cette pensée)
Cette présence physique de la musique sur scène, présence à la fois humaine et technologique nous ressemble, à nous êtres humains de 2018, à la fois humains et technologiques.
Un ordinateur, un violon électrique, et surtout un être vibrant qui les anime, les caresse, les guide.
Branchés en permanence à nos machines. Presque perdus sans elles, nous sommes.
Ou tentons d’être.
Nous restons terriblement humains, charnus, transpirants. Veules, faibles parfois.

Les bulles électroniques naissent et retombent dans le silence.
Et chante le cri écorché du violon électrique.

 

Heroe(s) - affiche

Heroe(s).
De Guillaume Barbot, d’après un travail collectif
Mise en scène et interprétation : Philippe Awat / Guillaume Barbot / Victor Gauthier-Martin
Création sonore et musique live : Pierre-Marie Braye-Weppe
A La Manufacture, du 6 au 26 juillet 2018, à 10h20

 

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Dévaste-moi, le corps des femmes chansigné

Une étrange silhouette, très longue robe rouge quelque part entre le sensuel et le solennel, recouvrant étroitement le visage, quelques notes de Carmen égrenées à la trompette, le corps d’Emmanuelle Laborit se courbe, ses doigts s’envolent, on voit l’amour, on voit les oiseaux, on voit la loi et on voit le “non”.
Bientôt elle va dégager son visage, et retrouver une expression moins abstraite, où la mobilité des traits accompagne la vivacité des gestes.
 

Qu’est-ce que ça veut dire chanter en langue des signes ?
« Avant tout chanter, c’est transmettre un message, s’exprimer, exprimer une énergie, un sentiment, des émotions, exprimer ce que nous a dit un texte, l’histoire qu’il raconte et ce qu’il nous raconte, à nous-même. » Emmanuelle Laborit

 


 
Emmanuelle Laborit, actrice, metteure en scène, fondatrice et directrice de l’International Visual Theatre, s’avance aujourd’hui sur scène pour nous offrir son chant, son chant de femme sourde qui n’« oralise” pas mais qui, nous rappelle-t-elle, n’est pas muette, et parle avec ses mains dans sa langue, la langue des signes française, parle avec les sons de sa gorge, avec son souffle et son expression physique. Et ici, il s’agit bien d’un chant, qui n’est pas la parole du discours ou du quotidien : son chansigne nait de la langue des signes comme la poésie nait de sa propre langue natale, s’y nourrit, s’y structure, s’en détache, s’en envole, parfois même s’y rebelle. Et ça devient alors une langue neuve et personnelle, un poème, une danse.

Johanny Bert, créateur de spectacles hybrides, en collaboration avec Yan Raballand pour le travail chorégraphique, crée un espace élégant, soigné, inventif – écrin mais pas carcan ; les costumes sont poétiques, spectaculaires. The Delano orchestra l’accompagne avec une joyeuse énergie folk-rock, tonique et électrisante.
 

 

Une veste d’homme – rose à la boutonnière, un bustier de laine tressé, très beau, tombent des cintres ; glamour, rock, en escarpins, en maillot 1900, éventail de plumes et petite tournure, en peignoir ou en simple pantalon noir, Emmanuelle Laborit est multiple comme les femmes. Et c’est avec sa propre multiplicité qu’elle parle d’elle, mais aussi de la multiplicité de ses sœurs les femmes, et de leurs corps, sans fausse pudeur, parfois avec une cocasserie détachée, souvent avec une sensibilité à fleur de peau maîtrisée autant que vibrante.
Le propos est sans équivoque féministe, mais sans didactisme ni pesanteur. Féminin, en fait. Politique, au sens large. Vivace. Vivant, par-dessus tout.
 

“La liberté, c’est tout ce qui me fait jouir, ô liberté ma tourterelle, à toi seule je reste fidèle et quand je te trompe, tu t’en fous !) (Infidèle, Evelyne Gallet)

 

Certains titres seront surtitrés, d’autres non. Ceux qui ne connaissent pas la LSF se repèrent parfois aux mélodies familières, et de toutes façons se laissent porter par la force d’interprétation de la comédienne et la précision délicate de cette langue. Ainsi on découvre au générique final le titre de Magyd Cherfi, Classée sans suite, dont on comprendra qu’on avait discerné assez justement le propos.
La chanson qui donne son nom au spectacle, Dévaste-moi, de Brigitte Fontaine, restera un moment particulièrement fort, Emmanuelle Laborit au micro, les sons de sa gorge, sa respiration, les sons de son corps martelé, brusqué, peau frappée, textile froissé.

D’un tango des vapeurs, burlesque adieu aux ragnagnas, à la difficulté d’être mère (Anne Sylvestre : “que savent-ils de mon ventre, moi qui suis tant de choses »), des coups reçus au désir brûlant, Emmanuelle Laborit met en jeu mille moments, mille pulsions de femme. Ce sont des mots et des airs populaires ou moins connus, d’hier ou d’aujourd’hui : on croise souvent Brigitte Fontaine, mais aussi Bizet, Bashung (pour un gracieux Madame rêve), Amy Winehouse, Agnès Bihl (« Le Très-Saint Père a dit, il faut faire des gosses, même séropos, ils iront vite au paradis, d’toutes façons ici y’a pas d’boulot »), Donna Summer, Ariane Moffat – autant d’hymnes à la liberté, à l’affirmation de soi, à la pulsion de vie, avec ses fêtes et ses duretés, avec sa voracité et sa tendresse.
Porté par une interprète intense, précise et généreuse, un spectacle rare, qui met l’esprit et les sens en éveil.
 

Marie-Hélène Guérin

 

DÉVASTE-MOI
Aux Métallos jusqu’au 8 juillet 2018, puis en tournée (voir ci-dessous) : une date exceptionnelle le 17 juillet à Avignon
Mise en scène Johanny Bert
en collaboration avec Yan Raballand
Comédienne chansigne Emmanuelle Laborit
Musiciens The Delano Orchestra : Guillaume Bongiraud, Yann Clavaizolle, Mathieu Lopez, Julien Quinet, Alexandre Rochon
Interprète voix off Corinne Gache

Photographies © Jean-Louis Fernandez

Accessible au public sourd et malentendant

TOURNÉE
17 juillet : Avignon (84) – Festival Contre Courant (île de la Barthelasse)
24 juillet : Périgueux (24) – Festival Mimos (L’Odyssée, scène conventionnée d’intérêt national “Art et création”)
9 et 10 octobre : Dunkerque (59) – Le Bateau Feu, scène nationale
18 > 20 octobre : L’apostrophe – Scène nationale Cergy-Pontoise & Val d’Oise (95)
6 > 9 novembre : Lyon (69) – Théâtre de la Croix-Rousse
20 et 21 novembre : Brest (29) – Le Quartz, scène nationale
15 et 16 février 2019 : Besançon (25) – Les Deux Scènes, scène nationale
8 mars 2019 : Mâcon (71) – Le Théâtre, scène nationale (Mois des Drôle de Dames)
 

L’amour Amok

Où il est question d’honneur, d’orgueil, d’amour à mort et… d’amok.

Voici un spectacle qui a déjà rencontré un énorme succès lors de sa création au Théâtre de Poche Montparnasse. Il s’agit de la toute première création de Chayle et Compagnie. Dès les premiers instants, on comprend pourquoi le bouche à oreille a fait un tel travail autour de cet Amok. Le matériau de départ n’est ni plus ni moins qu’une de ces nouvelles de Stefan Zweig dont on raffole. Amok ou le Fou de Malaisie, c’est l’histoire d’un médecin allemand parti pratiquer en Indonésie. C’est l’histoire de son amour obsessionnel pour une femme. Une passion tellement funeste que le narrateur la compare à l’amok, cet accès subit de violence meurtrière observé par de nombreux ethnologues, notamment en Malaisie. Adapter à la scène cette œuvre de Zweig constituait déjà une gageure. Décider d’en façonner un seul en scène était un pari plus risqué encore. Caroline Darnay et Alexis Moncorgé le relèvent avec brio.

 

Amok_1
©Christophe Brachet

Imposant, captivant, envoûtant, le comédien incarne avec entrain l’ensemble des protagonistes mais c’est indéniablement son personnage principal du jeune médecin fuyant la Malaisie qui nous émeut violemment. Lorsqu’il nous confie son lourd secret, lorsqu’il se dévoile, se met à nu, nous sommes conquis. Les yeux tantôt mouillés tantôt hargneux, la voix tantôt chancelante tantôt éclatante, il nous fait revivre son histoire d’amour enflammée. Peu à peu, l’air de rien, il nous entraîne dans sa chute, dans son plongeon à mort, dans son amok à lui.

Ce spectacle affiche souvent complet, il est donc préférable de réserver à l’avance car il serait dommage de passer à côté :

1 – On aime être aussi proche de ce comédien jusqu’ici méconnu : un moment rare et privilégie, pour lui comme pour nous.
2 – Stefan Zweig a souvent été mis à l’honneur sur les planches de théâtre, cette nouvelle sans doute moins connue rassemble tous ses thèmes de prédilection.
3 – La mise en scène au cordeau et les jeux de lumière pénétrants participent de la belle écoute qui règne dans la salle.

Amok, Alexis Moncorgé Avignon 2018

À l’affiche du Théâtre du Roi René du 6 au 29 juillet à 14h45
Mise en scène : Caroline Darnay
Avec Alexis Moncorgé