Fasci(s)nant Arturo Ui

C’est la petite bête qui monte qui monte qui monte… Les doigts taquins se hissent irrésistiblement jusqu’au creux de notre cou où arrivent à leur paroxysme ces chatouilles tant attendues et redoutées… On se souvient de notre ambivalence d’enfant face aux chatouilles qui nous faisaient passer du plaisir au supplice. Cet Arturo est chatouilleur, horriblement détendant, redoutablement amusant, merveilleusement terrifiant.

Guili-guili-guili… Cette petite bête nous fait passer de l’humour au sarcasme, de l’adhésion au rejet, de la bêtise à l’intelligence, du grotesque à la poésie, de la joie au macabre… On est dans l’absurde et le rationnel, c’est une délicieuse imposture. On adhère, on s’englue, on se ment, on devient schizophrène, on adore – c’est le danger.

Brecht nous met en péril. On sombre sans l’avoir vu venir. La pièce dresse une analogie entre l’ascension d’Hitler et les gangs du Chicago des années 30 qui symbolisent le pouvoir du capitalisme naissant.

On oublie l’Histoire et notre brûlante actualité, pour se délecter comme un gamin devant Monsieur Loyal (Bakary Sangaré) le cousin du clown Krusty (irrésistible Serge Bagdassarian), l’acteur déchu et aviné (énorme Michel Vuillermoz), cette idiote de Dockdaisy (atomique Florence Viala) ces gangs de la pègre investis d’une mission de Blues Brothers (Eric Génovèse, Jérôme Pouly et Elliot Jenicot incarnent un terrifiant Joker tricéphale), un démoniaque Ernesto Roma (Thierry Hancisse), un hilarant duo « père & fils » (Bruno Raffaelli et Nicolas Lormeau) et ces hommes araignées dont la toile se referme sur nous. Le malaise s’installe… On ne voit plus la petite bête… mince… ne jamais perdre de vue le danger… on le savait pourtant…

La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht, Katharina Talbach, Comédie-Française
@Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

« Si les petits gagnent de moins en moins, qui nous achètera notre chou-fleur ? »

Elle est où la petite bête? Ah ! Elle est là, timide, hésitante, désorientée… Pas si terrible en fait… Le voici, ce ridicule pantin capricieux et piètre orateur qui veut juste pouvoir se tenir debout et droit, qui veut simplement apprendre à marcher, à parler… Touchant de fragilité, si petit cet Arturo qu’on lui donnerait presque la main, qu’on lui remettrait sa mèche en ordre, qu’on lui cèderait la place. Gigantesque Laurent Stocker ! Ne point trop en dire, afin qu’à votre tour vous vous laissiez surprendre par la petite bête… Juste saluer son immense performance : il passe d’un état à l’autre avec la rapidité sidérante d’un personnage cartoonesque.

Il est pervers, ce théâtre qui nous fait oublier le mal et l’urgence.

Katharina Thalbach, épaulée par Ezio Toffolutti pour la scénographie et les costumes, porte à la perfection le parti pris du théâtre populaire recommandé par Brecht, terrain d’expression de son père à elle (Benno Besson). C’est du pur Shakespeare (Brecht y fait référence) dont nous oublions qu’au Globe il devait avant tout divertir un public inculte. C’est un jeu vif, efficace, fulgurant. Les acteurs sont magnifiques dans cet exercice.

La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht, Katharina Talbach, Comédie-Française

« Si n’importe qui peut faire ce qu’il veut, et ce que sa folie lui dicte, si un monstre abominable peut débouler dans n’importe quel lieu public, une arme à la main, alors c’est la guerre de tous contre tous, et donc, le règne du chaos. »

Enfin le décor, le son, les effets, la musique, la lumière… Tout, absolument tout sert ce théâtre populaire ! Les références à la culture du peuple sont innombrables : Chaplin, Keaton, la BD (on se surprend à parcourir des planches de comics), le cirque, le pantomime, Pacman, les arts de la rue, les automates, le robot dont la voix s’enraye parce qu’il n’a plus de pile – ou serait-ce une allusion à l’obsolescence programmée à laquelle nous conduit la société de consommation ? C’est si délectable et divertissant qu’on en oublie l’ascension des mauvais et le filet qui nous emprisonne. La petite bête qui monte a tissé sa toile – de la dictature, de l’argent roi, de la mondialisation, de l’internet.

Le rideau ne s’était-il pourtant pas ouvert sur une vision hyper-réaliste d’Hitler, de Goering et d’Hindenburg ? Leurs trois visages plus vrais que nature étaient éclairants – signalisation du danger -… oups… On les avait oubliés ! On salue ici le travail de la géniale plasticienne Valérie Lesort-Hecq.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment avons-nous oublié le fascisme et ses armes de séduction pernicieuse ? Comment avons-nous pu fermer les yeux sur les laissés pour compte du capitalisme ? On s’est fait manipuler. On a même adoré ces jeux du cirque et leur abjecte cruauté hilarante. On est terrifié. On devrait fuir mais on y est terriblement attaché… irrésistible Arturo Ui.

– Géraldine Vasse –

La résistible ascension d'Arturo Ui

LA RESISTIBLE ASCENCION D’ARTURO UI
À l’affiche de la Comédie-Française du 27 février au 21 mai 2018
Une pièce de Bertolt Brecht
Mise en scène : Katharina Thalbach
Avec : Thierry Hancisse, Eric Génovèse, Bruno Raffaelli, Florence Viala, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Michel Vuillermoz, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Jérémy Lopez, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Julien Frison
Et les comédiens de l’Académie de la Comédie-Française : Matthieu Astre, Robin Goupil, Juliette Damy, Maïka Louakairim, Aude Rouanet, Alexandre Schorderet

La Cerisaie de Christian Benedetti, percutante

Pour moi, il y a Tchekhov, Shakespeare, Molière… et les autres. Et pour moi, en première place du trio, il y a Tchekhov. Alors forcément, je guette les multiples mises en scène de ses différentes pièces, et s’il m’arrive d’être déçue je ne manquerais pour rien au monde ces rendez-vous. Et forcément, parmi ces rendez-vous, je ne pouvais louper la rencontre d’exception avec la Cerisaie de Christian Benedetti. Car amoureux de Tchekhov, il l’est depuis fort longtemps ! À tel point qu’il s’est lancé, voilà plus de cinq ans, dans le projet de monter l’intégralité de l’œuvre. Après La Mouette, Oncle Vania et Les Trois Sœurs, voici donc « sa » Cerisaie. Ultime pièce d’Anton Tchekhov. Celle dont il sait qu’elle sera la dernière. Celle qui l’accompagne inexorablement vers la mort.

La Cerisaie, mise en scène Christian Benedetti au Studio-Theatre d'Alfortville@Roxane Kasperski

Comme le dit très justement Christian Benedetti, « il faut accepter de ne pas tout comprendre chez Tchekhov ». Cette œuvre inépuisable est souvent traduite par des mises en scène obscures, nébuleuses, voire inintelligibles… Rien de tout cela chez Benedetti ! Son spectacle est fluide, limpide. Il s’écoule à toute vitesse. Il nous embarque dès les premières secondes. A tel point qu’on a du mal à les quitter, ces Lioubov, Varia, Lopahkine, Gaïev et consorts. On ressort nostalgique. Car on a passé des moments de pur bonheur avec chacun d’eux. Outre le rythme effréné, la scénographie dépouillée, réduite à l’essentiel – celle-là même que Tchekhov revendiquait – la vraie réussite de ce spectacle tient à la direction d’acteurs. Christian Benedetti parvient à faire cohabiter leurs partitions respectives, à nous enticher de chacun des rôles, à guetter les instants de collision. La distribution est parfaite : il faudrait tous les citer.

La Cerisaie, mise en scène Christian Benedetti au Studio-Theatre d'Alfortville, coup de coeur pianopanier

Au final, on sort du spectacle en rêvant de ces « Nuits Tchekhov » que la Compagnie Benedetti nous offrira un jour. Tant il est vrai que ce dialogue privilégié entre les deux compères est délicieusement infini…

Poursuivant ce qui, un jour, fera date dans l’exploration de l’œuvre de Tchekhov, Christian Benedetti nous jette un sort :

1 – La pièce « aussi abstraite qu’une symphonie de Tchaïkovsky », il sait nous la rendre accessible et perceptible.
2 – Trop souvent l’émotion n’est pas au rendez-vous ; ici on rit, on pleure, on est gai et mélancolique.
3 – Cette mise en scène libérée de tout artifice rejoint le propos de Tchekhov : « il faut effrayer le public, c’est tout, il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus ».

À ne louper sous aucun prétexte : une conversation avec le génie Tchekhov, orchestrée de main de maître par Christian Benedetti.

La Cerisaie – Du 5 au 24 mars 2018 (20h30 du lundi au samedi) au Théâtre Studio d’Alfortville
Adaptation du texte d’Anton Tchekhov : Brigitte Barilley, Laurent Huon, Christian Benedetti
Mise en scène : Christian Benedetti
Avec : Brigitte BARILLEY, Alix RIEMER, Hélène VIVIÈS, Philippe CRUBEZY, Christian BENEDETTI, Antoine AMBLARD, Philippe LEBAS (en alternance), Laurent HUON (en alternance) Lise QUET, Nicolas BUCHOUX, Hélène STADNICKI, Jean-Pierre MOULIN, Christophe CAROTENUTO, et la voix de Jenny BELLAY

« Venez… on s’arrête là ! »

Ce n’est pas parce qu’il fait froid qu’il faudrait arrêter de sortir. Et « Nouveau(s) genre(s) » est un bon moyen de se divertir et de s’interroger.
 » Nouveau(x) Genre(s)  » met en scène une suite de séances de psychanalyse, très courtes, à la manière de Lacan, d’une femme, Caroline de Diesbach, ordonnées par thèmes cristallisant les moments clefs : la mère, le père, le savoir, la féminité, le désir, la jouissance, le manque, très peu l’absence malgré la mort du compagnon de l’analysante pendant son analyse, la transmission avec son lot d’aristo depuis l’an 1000, le langage, etc.
À chaque bon mot ou expression éloquente ou signifiante de l’analysante, la psychanalyste, Isabelle Gomez, archétype de la psychanalyste avec sa posture rivée à son fauteuil, son collier primitif, son animal sur le dos et ses pantalons marron, l’interrompt par un  » on s’arrête là  » sur lequel l’analysante repart pour mieux s’interroger sur elle-même. Le second leitmotiv de la psychanalyste sera  » Venez  » dès qu’elle s’apprête à recevoir sa patiente. Entre ces deux expressions qui bornent les temps de séances, une parole fluide passe de l’analysante à la psychanalyste et inversement et les premiers pas d’une danse organisent l’espace.

Nouveaux Genres, de Caroline de Diesbach à la Manufacture des Abbesses

L’ensemble est ponctué de chants, de projections, la pièce s’ouvre sur la projection de concepts psychanalytiques en toutes lettres qui serait comme le voile qu’on enlève pour peu à peu mieux découvrir qui est Caroline, de danses symbolisant forcément la féminité, d’ombres et de lumières comme dans l’inconscient du sujet, de masques et de dénudements. Mais à travers le voyage en inconscient de Caroline, les spectateurs s’introspectent et trouvent des correspondances à leurs propres interrogations d’être.  » Qui suis-je ?  » est le fil conducteur qui parcoure la pièce de bout en bout et  » Pourquoi je suis comme ça ? « , jusqu’à nous mener à  » Qu’est-ce que j’ai ? « . Et la réponse est délivrée comme dans une enquête sur soi-même et sur le genre humain.

Nouveaux Genres, de Caroline de Diesbach à la Manufacture des Abbesses

On pourrait remettre en cause la pertinence de montrer ainsi son  » trou du cul  » qui n’intéresse que soi-même… Mais Caroline de Diesbach qui relate ici son analyse, a su en tirer la substantifique moelle pour nous amener sur le terrain de l’universel à travers sa classification thématique.
Une pièce originale, clairvoyante, qui nous renvoie à nous-même en nous amusant, car Caroline de Diesbach n’oublie pas qu’on est ici au théâtre et malgré l’angle sciences humaines que prend la pièce avec sa batterie de concepts, on assiste tout de même à une histoire qui parfois nous fait rire. Et si vous désirez poursuivre votre investigation, retrouvez le dimanche, après la pièce, des discussions avec des psychanalystes venus débattre avec le public.

Nouveau(x) Genre(s) – Jusqu’au 7 mars 2018 (Dimanche 20h, du lundi au mercredi 21h) à la Manufacture des Abbesses
Texte et mise en scène Caroline de Diesbach
Avec Caroline de Diesbach et Isabelle Gomez

Une vie sur mesure : une batterie, un prodige : la claque !

Nommé aux Molières 2016 pour la catégorie Seul-en-Scène, ce spectacle de et avec Cédric Chapuis qui le joua à guichet fermé en 2016, est aujourd’hui revisité par la fraîcheur d’un très jeune comédien et batteur : Axel Auriant-Blot.

Dès le départ on est bluffé. Dès les balbutiements obsessionnels et les signes de maladresse corporelle du jeune être fragile qui se confie devant nous, on reste suspendu au tempo que ses gestes de percussionniste imposent. On retient son souffle jusqu’au salut final tellement ce jeune homme donne tout. Il donne toute son énergie à son instrument, il donne tout à son personnage, Adrien Lepage, un lycéen un peu autiste, un peu surdoué, un peu attardé, sans beaucoup de chance de son côté… sauf pour la musique et la batterie.

Adrien se confie, raconte son enfance, ses parents, ses profs, sa passion pour la batterie – une passion à la mesure de sa souffrance que l’on découvre progressivement. On suit amicalement ce génie incompris jusqu’au plus profond de son âme, au point de chuter avec lui. Vous vous demandez si cette histoire de jeune musicien talentueux n’est pas un peu niaise et déjà vue ? Si l’on prend des références universelles, il y a bien un peu de la folie d’Amadeus mais ce Wolfie nous est contemporain et cela confère de la gravité au sujet. On se surprend aussi à y voir Whiplash bien entendu et le talent révélé d’un batteur surdoué !! Mais la magie de l’instrument sur scène donne une tout autre dimension au son et nos corps se meuvent au rythme de l’histoire d’Adrien. La mise en scène parvient à faire de l’instrument le personnage principal de l’histoire… monstre salvateur et dévorant. En lieu et place des caisses et des cymbales, on se surprend à voir les tentacules d’une pieuvre perverse narcissique.

 

L’habilité avec laquelle Cédric Chapuis nous amène à tutoyer la folie du génie sans qu’on le voit venir est troublante. On passe de la compassion à l’agacement, du rire aux larmes, de la stupeur au swing, de l’amitié à la terreur.

Face au tonnerre d’applaudissement et une standing ovation mérités, Axel Auriant-Blot lâche même des larmes… comme s’il revenait à la réalité et découvrait après nous son talent. C’est très touchant. A suivre donc… on aimerait beaucoup le revoir sur scène, affranchi de l’instrument… car cet énergumène de musicien est aussi une révélation théâtrale !

 

Un Poyo Rojo : un concentré d’énergie et de sensualité

Lorsqu’on s’installe dans la salle du Théâtre Antoine – ils sont déjà là, les bougres…- on ne sait pas trop ce qu’on vient voir. On se souvient d’avoir été frustré la saison précédente : la blessure d’un des deux artistes avait entrainé l’annulation du spectacle. Blessé comment, pourquoi ? De quoi s’agit-il au juste ? Match de boxe ? Combat de coq ? Lutte endiablée ? Mise « à mâle » ?
Un Poyo Rojo c’est tout cela à la fois. Mais c’est par dessus tout une danse de vie. Une ode à l’amour, à la passion, à la miraculeuse relation qu’entraine une si forte proximité. Car ces deux-là se connaissent par cœur, à tel point que leurs corps s’attirent tels des aimants.
Dès les premières minutes, une douceur brutale règne sur le plateau. Alfonso Barón et Luciano Rosso se défient du regard, se jaugent tels des animaux avant d’enchaîner les figures, d’entrer dans la danse qui les mènera au combat. Mi-comédiens mi-danseurs, ils font de chaque micro parcelle de leurs corps un simple prodige.

un-poyo-rojo-Pianopanier
© Paola Evelina

Les prémices de ce spectacle inclassable se déroulent dans un silence total. S’il n’était couvert par l’écho de leur souffle court, on entendrait battre leurs cœurs à l’unisson.
Et puis d’un coup, des sons de radio s’en mêlent, crachotés par une chaine portative délicieusement old-school. Dès lors, les pas de danse de nos deux compères seront calés sur la programmation retransmise en direct. Quelle est la part d’improvisation ? Trouvent-ils l’inspiration à force de faire défiler les stations, alternant flash info, tubes disco et standards de la chanson française ? Ou bien cherchent-ils, à force de zapper sur les ondes, le morceau qui s’accordera le mieux au déroulé du spectacle ? Peu importe, seul le résultat compte : ils parviennent ainsi à nous intégrer totalement dans l’immédiateté de leur pas de deux. Peu à peu l’alchimie qui les unit gagne du terrain : l’énergie communicative d’Alfonso et Luciano se loge en chacun de nous et cela fait un bien fou !

un-poyo-rojo-Pianopanier

Ils arrivent tout droit de Buenos Aires où ils jouent à guichet fermé depuis 2008, 3 raisons d’aller les découvrir au Théâtre Antoine :
1 – Ils dansent comme des dieux ; dieux du stade, dieux de l’arène, dieux de la scène.
2 – Mais il serait réducteur de les classer dans la catégorie « danse contemporaine » : ils nous offrent un succulent moment de théâtre qui fait la part belle à l’improvisation.
3 – La jolie surprise tient au troisième personnage : une radio vintage qui nous connecte aux joies du direct…

 

UN POYO ROJO – À partir du 7 février 2018 au Théâtre Antoine (mercredi au samedi, 19h)
Conception et Mise en scène : Hermes Gaido
Avec : Alfonso Barón et Luciano Rosso

Une chambre en Inde : le monde dans une chambre

Voir une pièce au Théâtre du Soleil est un voyage en soi, on quitte les oripeaux du quotidien pour pénétrer dans l’îlot du Théâtre du Soleil niché dans l’îlot de La Cartoucherie niché dans l’îlot du bois de Vincennes… Là, des odeurs, des sons, des couleurs autres accueillent les spectateurs. Des divinités indiennes, bigarrées et bienveillantes, surplombent le foyer du haut de larges bannières, le curry mijote dans les marmites, le tchaï aux arômes suaves réchauffe les palais. Le spectacle n’est pas commencé, mais quelque chose, une atmosphère du spectacle, a déjà pris forme.
 

Une chambre en Inde - création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine - photo © D.R.
 

Dans cette Chambre en Inde, sur l’immense et lumineux plateau du « Soleil » dévoilé dans toute son ampleur, c’est le monde qui s’engouffre. Le monde avec son goût du théâtre – de la représentation, du questionnement ; son goût de la guerre, son goût de l’oppression des femmes ; son besoin de joie, d’amitié et d’art ; son talent pour le partage et la fraternité…

Une troupe de théâtre part en Inde, perd son metteur en scène, perd ses repères, part en quête du Terukkuttu, d’idées, et du metteur en scène égaré, rencontre des femmes, des hommes, quelques singes, quelques verres de gin, des grains de folie épicés, des pas de danse martelés…

 

« Vous avez déclaré être un grain de sable.
Pourriez-vous préciser quel est l’impact réel de ce grain de sable sur l’état du monde ?
« 


Ariane Mnouchkine
a réuni une troupe sans faille, prête à se jeter avec fougue dans les plus invraisemblables péripéties burlesques comme à tenir au plus juste, au plus tendu, l’émotion des moments où la farce cède la place non pas au sérieux, mais à la gravité. Cette généreuse troupe fait corps autour de la formidable Hélène Cinque qui gambade, s’époumone, dépérit, hallucine.
Son personnage, Cornelia, se collette avec un sacré défi ! Le directeur de la troupe, Constantin Lear – un patronyme qui ne nomme pas les choses à moitié… -, resté dans la sidération après les attentats de Paris, disjoncte… Dans un accès de folie, il va escalader, nu comme au premier jour, la statue du Mahatma Gandhi – ce qui froisse évidemment les autorités locales… le voilà hors-circuit, laissant aux mains de Cornelia la troupe, et la mission de mener à bien la création du spectacle pour L’Alliance Française qui les accueille (et qui, ce qui a son importance, les finance).
Puisque subitement le moteur de la troupe fait défaut, les questions majeures ou mineures, qui sans doute flottent perpétuellement dans l’air du Théâtre du Soleil comme de toute troupe, s’imposent : pourquoi faire du théâtre ? pour quoi ? comment faire du théâtre, où, jusqu’où ? avec qui, sous quelle forme ? à quel prix ? de quoi parle-t-on, à qui ? peut-on rire de ce qui nous fait enrager ? de ce qui nous fait pleurer ? qu’est-ce qui rentre dans le théâtre et qu’est-ce qui en sort ? et qu’est-ce que les institutions viennent faire là-dedans ?
 

Une chambre en Inde - création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine - photo © Michèle Laurent Une chambre en Inde - création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine - photo © Michèle Laurent
 

« Si tous les théâtres du monde étaient détruits,
à qui manqueraient-ils ?
« 

Cornelia et ses acteurs, dans une urgence concrète autant qu’existentielle, rêvent, tâtonnent, tentent, dégagent des priorités, des combats… Parler du monde et des hommes qui le font – et le défont : c’est l’heure d’un théâtre vigoureusement politique, un théâtre qui prend part. Sans discours, sans didactisme, chacun va « au front », monte à « son » créneau contre ceux qui détruisent – la nature, les femmes, les peuples, la pensée, la liberté…

Les saynètes montées par la troupe pour essayer de créer ce fichu spectacle se succèdent, basculant d’un instant à l’autre de la dinguerie la plus débridée au silence le plus poignant…

Ici, une bande de djihadistes peu dégourdis va mal finir ; là, le comité des droits de l’homme d’Arabie Saoudite découvre qu’ils sont classés 131e en ce qui concerne les droits des femmes, sur 136, soit mieux que le Yemen et la Syrie, mais moins bien que l’Iran, ce qui les vexe un peu. Ils prennent conseil auprès de la nation la mieux classée, l’Islande… Le dialogue sera… disons… malaisé ! On s’étrangle, on s’esclaffe, les zygomatiques fourbus : Cornélia, soutenue moralement par William Shakespeare qui l’enjoint à « moquer les vilains » et épaulée par sa vaillante troupe, a décidé d’ébranler les méchants à grands coups d’éclats de rire dans leur face.
Mais maintenant, sur un coin de table, quelqu’un attache avec soin une ceinture d’explosifs sur un petit mannequin, pendant qu’une poupée à taille d’enfant reste debout au centre du plateau, les cheveux agités par les passages des comédiens qui la frôlent à vive allure : ce léger, minuscule mouvement, ce vent dans les cheveux de la poupée-enfant donne la troublante illusion de la vie, et la sensation violente de sa fragilité, et les gorges se nouent.

 

Une chambre en Inde - création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine - photo © Michèle Laurent

Le docteur Tchekov, accompagné par trois sœurs délicates comme des oiseaux, va passer, en fugace effraction. Il apportera à une Cornélia épuisée par le spectacle qu’elle doit monter, mais plus encore par le monde qu’elle veut montrer, un moment de douceur et de légèreté, comme plein d’une consolation ; elle (ou son autrice…) avoue à Tchekov qu’il a compté beaucoup pour elle, même si elle ne l’a jamais joué ; avec tendresse, tandis que les trois sœurs rangent la chambre en désordre, aèrent, font entrer la lumière, il lui promet des retrouvailles, peut-être, un jour…
 

« Ceux qui disent que le théâtre n’est pas indispensable,
n’en déplaise au Mahatma Gandhi, on les zigouille !
« 

 

Le spectacle a été élaboré suite à un voyage en Inde de la troupe du Soleil pour aller en quête du Terukkuttu : spectacle dans le spectacle et cadeau magnifique de la troupe aux spectateurs, cette sorte d’opéra issu des traditions populaires tamoules surgit dans les rêves de Cornelia et sur scène à plusieurs reprises, déployé avec une générosité et une vitalité réjouissantes. Percussions, danseurs, chanteurs, costumes fastueux saturent le plateau de couleurs vives et de sonorités hypnotisantes.

C’est la voix de Chaplin qui, avec les mots du Dictateur, fera faire silence à toute cette folie, remplissant l’espace d’humanité chaleureuse.
« Les êtres humains sont comme ça, nous aimons la joie des autres, nous ne voulons haïr personne »… Heureusement, les dictateurs meurent, comme tout un chacun…

Ariane Mnouchkine encore une fois a fait de son théâtre du Soleil un lieu à part et pourtant qui sait intensément relier à tous les ailleurs, tous les ici, les hier et les aujourd’hui. Dans sa « Chambre en Inde », spectacle profus, multiple, militant et généreux, il y a des bougainvilliers aux fenêtres et de l’espoir au cœur.
On la quitte comme il se doit d’un théâtre : vivifiés.

 

Une chambre en Inde - création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine - photo © Michèle Laurent

 

UNE CHAMBRE EN INDE
À l’affiche du Théâtre du Soleil, création en novembre 2016 à La Cartoucherie, reprise à partir du 24 février 2018
Une création collective du Théâtre du Soleil
dirigée par Ariane Mnouchkine
Musique de Jean-Jacques Lemêtre
en harmonie avec Hélène Cixous
avec la participation exceptionnelle de Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran

photos © Michèle Laurent (à l’exception de la photo du hall, perso)

 

Une heure avec Maria Callas : J’ai rencontré la Callas

Ce samedi 30 septembre 2017 j’ai rencontré Maria Callas, LA Callas, l’IMMENSE Callas… en face à face, dans l’intimité de son salon parisien, hors du temps, sans filtre… et ses mots résonnent encore : « Vous voulez des idoles, et vous les détruisez »… « Mon art m’a tout donné mais il m’a aussi tout pris. »

C’est Armelle qui incarne la chanteuse morte il y a 40 ans tout juste. L’idée de rendre hommage à Maria Callas en se détachant des clichés ou des opéras qu’elle a chantés est venue à Armelle et Nicolas Delas, tous deux amoureux de la musique, avec le souhait de nous faire entendre les mots glanés dans les interviews qu’elle a accordées aux journalistes.

La Callas est là, dans son fauteuil, son légendaire caniche sur les genoux, elle nous livre son incompréhension du public, des journalistes, des hommes, de ses parents. Elle revient sur son succès et ses échecs, sur son exigence professionnelle, sa quête de la perfection qui l’a emprisonnée… le tout dans la plus grande fidélité aux interviews passées. Le décor nu de son intérieur, la voix-off du journaliste désincarné, la solitude de la femme dans sa robe de chambre luxueuse, avec pour seuls compagnons ses caniches et son Gramophone…. Il y a de quoi se sentir prisonnière. On apprend d’ailleurs qu’elle n’aimait pas du tout le personnage de Carmen… peut-être parce qu’elle incarnait trop la liberté… Liberté perdue dès son enfance, liberté volée par sa renommée, liberté factice offerte par les hommes riches de sa vie amoureuse.

L’intention de Nicolas Delas et d’Armelle n’était pas de « jouer à Callas », ou de « ressembler à Callas » mais de nous donner authentiquement ses mots.

Une Armelle qu’on découvre merveilleusement douée pour ce registre sensible, subtile et empathique. La comédienne dont on garde un souvenir mitigé de son Voyage en Armélie nous emmène cette fois-ci en pleine évasion dans un coeur à coeur poignant avec Maria Callas qui confie qu’elle détestait cette voix si connue et mondialement adulée… et on en découvre tant sur cette femme.

Le spectacle ne triche pas, il reprend mot pour mot les interviews de Callas. Armelle sert chacun de ses mots. On est touché en plein coeur par la lucidité, la philosophie et l’humour de la cantatrice. On en sort en ayant envie de réécouter Callas.

Bienvenue à l’Interlope

Un cabaret imaginaire – L’Interlope, c’est le nom de ce cabaret qui nous accueille, lorsque le noir se fait. Un cabaret imaginaire, comme il en existait des dizaines, dans le Paris de l’entre deux-guerres, théâtre de la culture underground homosexuelle, où des femmes et des hommes travestis faisaient vivre un répertoire… pas toujours très délicat.
Point d’indélicatesse ici, tout est intelligence et sensibilité : Serge Bagdassarian, aidé par les arrangements toujours réjouissants de Benoît Urbain (qui œuvrait déjà dans les meilleurs cabarets du Français : Vian, Brassens, Ferré…), a choisi des titres d’époques différentes, parlant d’amour, de souffrance, de passion, de poésie, de vies… Quatre personnages, tout de suite attachants, nous embarquent avec eux à bord de ce cabaret formidable.

L'Interlope (cabaret) - Bagdassarian - Studio-Theatre

© Brigitte Enguerand

Des plumes, des voix, des comédiens… et beaucoup d’émotion.
La scénographie nous plonge instantanément dans les coulisses de l’Interlope – quelle belle idée d’avoir introduit les deux dimensions : la coulisse et ses angoisses, avant l’entrée en scène, flamboyante et lumineuse. Tout est extrêmement soigné dans ce spectacle qui passe trop vite : le jeu simple mais efficace des musiciens (piano/contrebasse), la direction des comédiens, sur scène comme au chant, les voix de ces comédiens (les précédents cabarets étaient parfois assez inégaux sur ce plan ; ici les quatre comédiens sont aussi de formidables chanteurs), le choix du répertoire et son agencement chronologique dans le spectacle, les textes écrits par Serge Bagdassarian qui révèlent des personnages tellement attachants…
Car c’est sans doute la grande trouvaille de ce cabaret : il s’y dessine en creux un portrait de quatre artistes, de différentes générations, qu’on est presque frustré d’accompagner sur un temps si court. Il y a là Axel (Véronique Vella), la directrice de l’établissement, âme de l’endroit, Camille (Serge Bagdassarian), la diva sensible et amoureuse, Pierre (Benjamin Lavherne), la meneuse égotique – marié par ailleurs à une femme – et Tristan (Michel Favory), le doyen, grave et émouvant.
Ce cabaret est une totale réussite : il renouvelle un genre qui semblait s’essouffler ces temps derniers au Français et place la barre très haut.
Gageons que le public va se presser en masse dans la petite salle du Studio-Théâtre, battre des mains, secouer les jambes, rire, pleurer… et vibrer au son de l’enthousiasmant Interlope.

L'Interlope (cabaret) - Bagdassarian - Studio-Theatre

Et s’il ne vous fallait que 3 raisons pour vous convaincre d’y courir :
1 – C’est une proposition artistique totalement originale que nous offre la Comédie-Française, en ouverture de sa saison 2016/2017. Ce n’est pas si courant.
2 – À l’issue de l’une des chansons, Pierre (Benjamin Lavernhe) suggère qu’en ces temps de crise, cela ne ferait pas de mal aux gens d’’aller s’encanailler aux « Tuileries »… Sans aller jusque là, un peu plus d’une heure à l’Interlope est un remède garanti contre la morosité.
3 – Nouveau pari réussi pour Eric Ruf qui inaugure ainsi en fanfare, – et en plumes -, sa deuxième saison d’administrateur avec cette commande que Serge Bagdassarian s’est manifestement beaucoup amusé à honorer.

L'Interlope (cabaret) - Bagdassarian - Studio-Theatre

L’INTERLOPE (CABARET) – spectacle vu le 18 Septembre 2016 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française.
Du 17 Septembre au 30 Octobre 2016
Conception et Mise en scène : Serge Bagdassarian
Avec : Véronique Vella, Michel Favory, Serge Bagdassarian et Benjamin Lavernhe
Et les musiciens : Benoît Urbain en alternance avec Thierry Boulanger (piano), Olivier Moret (Contrebasse)

Le Jardin d’Alphonse : Kramer contre Kramer

« Le Jardin d’Alphonse » est une pièce délicieuse, qui parle de la famille et de ses affres et qui est à voir en famille. Outre l’histoire qui nous emmène en Bretagne après la crémation de l’aïeul, Didier Caron, l’auteur, évoque les sujets qui lui sont chers comme à l’accoutumée : la religion, la foi, la transmission et le mensonge.

Avec 9 comédiens sur scène, cette pièce renoue avec l’esprit de troupe et l’on saluera l’effort du Théâtre Michel de se risquer à monter une pièce avec autant de comédiens quand on sait l’investissement que cela engendre.

Très vite, la torpeur de l’après crématorium est remplacée par une électricité communicative, qui va faire péter les plombs à chacun, où les retrouvailles exacerbent des rancunes et font naître des règlements de compte. Tout démarre avec la fille, Sandrine Le Berre, présente avec sa petite amie, Gaëlle Lebert. Dès le début, cette dernière nous annonce par voie de pendule et de communication avec l’arbre centenaire du jardin du mort, que de mauvaises ondes circulent ici et que des choses terribles s’y sont produites. La fille en veut à son père, Michel Féder, de ne pas avoir joué son rôle de père, mais dès lors, les secrets se révèlent enfouis depuis bien longtemps. Et cette étincelle de haine et de rancœur ne sera plus jugulée et passera d’un membre à l’autre du duel au truel.

C’est souvent dans ces moments de désarroi qu’explosent les ressentiments, que les mots dépassent la pensée et qu’on découvre des secrets et également la joie des réconciliations. Et on est servi par l’avalanche de conflits ouverts, de départs et de retours, de trahisons, d’accusations et d’explications.

On pourra reprocher à la structure de la pièce d’emboîter les conflits de manière un peu trop systématique, on aurait apprécié un tressage ménageant des vitesses et des lenteurs, et on pourra reprocher à l’auteur, Didier Caron, de ne pas y aller de main morte dans l’afflux de répliques acerbes, mais, d’un autre côté, ceci est fait pour le plus grand plaisir des spectateurs qui de se gausser passent carrément à l’éclat de rire incontrôlable.

Karina Marimon, dans le rôle de « Suzanne », excelle dans son profil de bourgeoise juive séfarade fustigée par les récriminations de son mari.

Et pour finir, on pourra regretter que tous les personnages soient sauvés sauf un, qui d’une certaine manière, portera le fardeau de tous.

Un spectacle drôle, efficace et réussi, à voir en famille.

Le Jardin d’Alphonse
Une pièce écrite et mise en scène par Didier Caron
Avec Julia Dorval, Sandrine Le Berre, Gaëlle Lebert, Michel Feder, Jérémy Malaveau, Didier Caron, Karina Marimon, Christiane Ludot, Romain Fleury

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Jamais seul : grandeur des petits

C’est parce que les critiques de théâtre contemporain lui reprochent sa longueur, parfois son écriture, son manque de rythme… qu’on a envie de vous parler de Jamais Seul.

Au contraire, on n’a pas vu passer les 3h30 !! Et quand il y a de rares scènes où les minutes se font sentir, c’est pour mieux nous rappeler la langueur et la déprimante vie des laissés pour compte. Ce sont eux le sujet de la pièce : les petites gens des zones pavillonnaires fantômes, les abonnés à Pôle Emploi, les migrants, les migrés, les immigrés, les sdf, les simplets, les simplettes, les simples, les vrais gens qui existent pour de vrai.

Jamais Seul, de Mohamed Rouabhi, mise en scène Patrick Pineau, coup de coeur Pianopanier@Eric Miranda

Les comédiens sont touchants de vérité. Ils sont 15 à interpréter 40 personnages. Le temps de ces 3h30, on a copiné avec chacun d’entre eux et chacune d’entre elles : au groupe de parole des sans-emploi, sur un canapé de HLM, en poussant un caddie de supermarché hard-discount, sur un quai de RER, en traversant un no man’s land au pied des barres de la cité, sur la table en Formica de la cuisine familiale, dans un jardin mal entretenu, dans l’ombre d’un garage ou à la lumière d’un téléviseur.

La mise en scène de Patrick Pineau est efficace. Elle ne laisse pas de place à autre chose que l’idée. Pourtant dans son efficacité elle n’est pas mécanique. Il y a un aiguillage sophistiqué qui permet au spectateur de se mettre automatiquement à la bonne fréquence dans cette succession de rencontres en des lieux variés : sans effort on devient l’intime d’un groupe de parole, le membre d’une équipe de foot alpaguée par son coach, le copain de boisson, le paumé fasciné par les révélations d’un prophète, l’ami impuissant face à un geste fatal, l’accoucheur qui tient un bébé mort, le fan d’Eric Cantona même si on n’a jamais aimé le foot… c’est magique !

amais Seul, de Mohamed Rouabhi, mise en scène Patrick Pineau, coup de coeur Pianopanier

Les décors, l’utilisation du hors-scène, la vidéo, la musique, la lumière, viennent parfaire cette fresque politico-sociétale. Ils viennent souligner et mâcher le texte de Mohamed Rouabhi. On a aimé ces mots, d’une simplicité apparente, mais ô combien efficaces dans leur révolte, leur misère, leur poésie et leur espérance. Ces héros populaires peuvent être taiseux, mais quand ils parlent, c’est pour vous dire 3 choses en même temps. Il y a la réalité de leur situation, les raisons de leur désespoir, et les lueurs de leur espérance.  On ne peut rester insensibles à ces facettes que Patrick Pineau voulait mettre en relief. Les gens même les plus simples et les plus insignifiants sont moins seuls que nous.

Enfin, gros coup de foudre pour le personnage d’Emilie la simplette, ou même la folle… mais tellement en prise avec la réalité. Elise Lhomeau l’incarne avec splendeur et nous montre des étoiles qu’on ne regardera plus jamais de la même façon. Valentino Sylva en Jimmy comme en clown nous élève lui aussi ! On ne veut pas redescendre de l’orbite céleste sur laquelle ces gens si simples nous ont envoyés. Les pieds liés et les mains dans la merde, ces personnages de la vraie misère nous touchent par tous les sentiments déployés en nous. Le rire jaune convoque la légèreté, la haine la poésie, le réalisme le rêve, et la peur l’espérance.

On a envie de les inviter à bouffer chez soi ces anonymes, juste pour les écouter, et être moins seul !

Géraldine Vasse

 

Texte : Mohamed Rouabhi
Mise en scène : Patrick Pineau –  Cie Pipo
Avec : Birane Ba, Nacima Bekhtaoui, Nicolas Bonnefoy, François Caron, Morgane Fourcault, Marc Jeancourt, Aline Le Berre, Elise Lhomeau, Nina Nkundwa, Fabien Orcier, Sylvie Orcier, Patrick Pineau en alternance avec Christophe Vandevelde, Mohamed Rouabhi, Valentino Sylva, Selim Zahrani