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L’Autre, la première pièce de Florian Zeller reprise au Poche-Montparnasse

Garder en tête les images d’un spectacle vu dix ans plus tôt. Un souvenir vague, mais suffisamment évident pour avoir l’envie d’y revenir, dix ans plus tard. Et dix ans plus tard, avec dix ans de plus, “se prendre la pièce en pleine tête”. Au point de ne pas comprendre le caractère si vague, si brumeux du fameux souvenir…
La pièce est de Florian Zeller : sa première, son oeuvre de jeunesse pourrait-on dire. Créée en 2004 au Théâtre des Mathurins, elle avait connu un large succès. Ceux qui promettaient à l’époque un brillant avenir au jeune auteur ne s’y étaient pas trompés.

Plaisir, donc, de retrouver, réentendre, reméditer ce texte. Et de plonger à corps perdu dans cette tragi-comédie. Qui va bien au-delà d’une sordide histoire d’adultère. Car si l’Autre est l’Amant, il est aussi la Mort, la Solitude, le Remords, l’Enfance, la Colère… L’Autre est tellement de sentiments et d’impressions.

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©Pascal Gely

D’après la distribution, l’Autre est incarné par Jeoffrey Bourdenet (séduisant, inquiétant, énigmatique). Mais l’Autre n’est-il pas également le talentueux Benjamin Jungers ? Et aussi l’incandescente Carolina Jurczak – autre promesse, dix ans plus tard ? Benjamin Jungers est lui (Lui). Il nous entraîne dans son histoire, ses doutes, jusqu’au plus loin de son inconscient. Passant à merveille d’une douceur angélique à une brutalité froide et intrigante. Lui, c’est une part de nous. La part de nous que l’on souhaiterait oublier. Celle que l’on préfèrerait laisser profondément enfouie. Mais l’Autre veille, l’Autre nous surveille : l’Autre c’est nous…

Que ce soit pour raviver un souvenir de dix ans ou pour découvrir la première pièce du prolifique Florian Zeller, courez donc au Poche :

1 – La mise en scène précise et sensible de Thibault Ameline nous permet d’accéder au cœur même de ce trio infernal.
2 – L’intimité est palpable dans la petite salle du Poche-Montparnasse qui nous rapproche tant des comédiens.
3 – Grâce à un jeu subtil et intelligent, ces trois-là nous font entrer dans une danse qui va nous enchaîner peu à peu à cet Autre aux multiples facettes.

Redécouverte de l’Autre, dix ans plus tard : un spectacle qui s’est bonifié avec le temps…

L’Autre – Spectacle vu le 17 décembre 2015
A l’affiche du Théâtre de Poche-Montparnasse jusqu’au 28 février 2016
Une pièce de Florian Zeller, mise en scène Thibault Ameline

Pinocchio : quand le magicien Pommerat rencontre le génie Collodi

Pinocchio – Spectacle vu le 12 décembre 2015
A l’affiche de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 3 janvier 2016, puis en tournée (dates ici)
Un spectacle de Joël Pommerat, d’après Carlo Collodi

 

Pinocchio réinventé par l’un des génies du théâtre contemporain : incontournable pour les petits et les grands

Un spectacle de Joël Pommerat : c’est toujours un cadeau précieux, un rendez-vous privilégié, une promesse de bonheur… Le retour de Pinocchio, je l’attendais d’autant plus que c’est grâce à un autre conte – Cendrillon – que j’avais découvert le Pommerat magicien. Dans ma vie de spectatrice, il y a clairement un avant et un après Cendrillon.

Succédant sur la scène des Ateliers Berthier à la truculente Cendrier, un curieux pantin blafard nous invite à un voyage tout aussi inoubliable. Dès les premières secondes, le charme opère, avec l’apparition d’un conteur aux allures de forain (réincarnation du fameux criquet). Ce Monsieur Loyal nous décrit ce qu’il voyait lorsqu’il ne voyait pas… Le voyage vient de débuter. Il nous entraînera tour à tour dans la forêt, dans une salle de classe, sur une piste de danse, dans un cachot, chez une Fée, au plus profond de l’océan ainsi qu’à la surface d’une mer déchaînée. Tout cela sans autre artifice que les jeux de clair obscur. La lumière, toujours la lumière…

Mais l’efficacité du texte n’a rien à envier à la beauté de ces images. Joël Pommerat revisite le mythe créé par Collodi avec intelligence, finesse, subtilité, humour souvent, philosophie toujours. Il aborde des thèmes tels que la pauvreté (“En plus d’être vieux, tu es pauvre, alors ça c’est la meilleure de la journée !“), le mensonge (“Rien n’est plus important dans la vie que la vérité”), la paternité (“J’ai envie de rentrer chez moi et de revoir mon père, il me manque”) et surtout la liberté (“Pinocchio, c’est le symbole de la transgression, la liberté par la bêtise et l’ignorance” explique Joël Pommerat). Au final, ce spectacle est une sorte de parcours initiatique pour l’enfant – et parfois le pantin – qui sommeille en nous.

A découvrir ou revoir en famille, cette variation magique de Joël Pommerat autour du mythe de Pinocchio :

1 – L’occasion de découvrir, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, un auteur de spectacles d’une intelligence rare et précieuse.
2 – Par son jeu de noirs et de lumières tellement caractéristique, Joël Pommerat grave en nous des images d’une beauté mémorable.
3 – Un spectacle destiné, non pas aux enfants, mais à la part d’insouciance, de candeur et d’indispensable naïveté enfouie en chacun de nous.

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Les Rustres Bruno Rafaeli

Les Rustres jubilatoires de Jean-Louis Benoit

Les Rustres – Spectacle vu le 13 décembre 2015
A l’affiche du Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 10 janvier 2016
De Carlo Goldoni, mise en scène Jean-Louis Benoit

©Christophe Raynaud de Lage coll. Comédie-Française

On adore détester ces Rustres et voir leurs épouses se rebeller peu à peu contre tant de rudesse et de grossièreté. 

En cette période de fin d’année, il est toujours agréable de programmer des sorties théâtre en famille.
Ne manquant pas à sa réputation, la Comédie-Française propose actuellement deux spectacles jubilatoires. Côté Studio-Théâtre, il ne faut pas louper la reprise du Loup de Marcel Aymé dans une mise en scène de Véronique Vella, avec l’excellent Michel Vuillermoz. Côté Vieux-Colombier, vous avez rendez-vous avec les Rustres de Carlo Goldoni, dans une mise en scène jouissive de Jean-Louis Benoit.

Qui sont-ils exactement, ces rustres? Trois compères sauvages, grossiers, pingres, rustiques, impolis, bourrus…et tellement drôles à la fois. Le trio interprété par l’inégalable Christian Hecq – génie comique du moment – le désopilant Bruno Raffaeli et le bougonnant Nicolas Lormeau fonctionne à merveille. L’intrigue est assez simple : Lunardo (Christian Hecq) veut marier sa fille Lucietta (Rebecca Marder, nouvelle recrue du Français) à Filippetto (Christophe Montenez) qui est le fils de son ami Maurizio (Nicolas Lormeau). Il veut les marier, mais sans qu’ils se soient rencontrés au préalable.

Chez Goldoni, les femmes sont aussi sensées, philosophes et généreuses que leurs époux sont mufles, goujats et bornés. La plus hardie et téméraire de toutes, Felice (formidable Clotilde de Bayser) incarne une sorte de féministe avant l’heure qui mène son mari (le doyen Gérard Giroudon) par le bout du nez. C’est elle qui manigancera une entrevue entre les deux jeunes gens. C’est grâce à son audace que ses amies (Céline Samie et Coraly Zahonero) se rebelleront contre leurs rustauds de maris. C’est elle qui aura le dernier mot, laissant entendre la voix de Goldoni à travers son plaidoyer final. Une voix qui prône ouverture aux autres, bienveillance et hauteur de vue… Une voix qui résonne en nous bien après le spectacle.

Au Vieux-Colombier, on échauffe ses zygomatiques en même temps qu’on médite sur la nature humaine :

1 – Jean-Louis Benoit qui connaît bien la maison de Molière y revient avec une gaieté communicative.
2 – L’alchimie entre l’intelligence de ce metteur en scène et le talent de la troupe parvient à transcender le “génie Goldoni”.
3 – En à peine deux scènes, et quelques mois après sa brillante interprétation dans Comme une pierre qui… Christophe Montenez confirme ici l’étendue de son talent.

 

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L’Orestie de Castellucci, sublime et magnétique

Orestie (une comédie organique?) – Spectacle vu le 3 décembre 2015
A l’affiche de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 20 décembre 2015, puis en tournée (dates ici)
Création théâtrale de Roméo Castellucci d’après la trilogie d’Eschyle

 

©Guido Mencari

 

En reprenant son spectacle fondateur vingt ans après la création, Roméo Castellucci prouve qu’il est indémodable. 

Il y a vingt ans, je n’étais pas encore suffisamment “accro” au théâtre pour m’être précipitée voir l’Orestie. Désormais passée aux drogues dures, je n’aurais raté pour rien au monde cette reprise du génie italien. Quel choc ! Magnétique, hypnotique, magique, envoûtant, ensorcelant, éblouissant. Castellucci est avant tout plasticien et les tableaux qu’il nous offre sont dignes des plus grandes oeuvres d’art contemporain. Me resteront longtemps en mémoire cette carcasse de bouc s’élevant du tombeau d’Agamemnon, ces femmes obèses et ensanglantées que sont Cassandre et Clytemnestre, ces chevaux à peine perceptibles dans la pénombre bleue nuit tombée brutalement sur la scène, ces statuettes de lapins alignées qui explosent une à une, ce Pylade maigrissime et blafard coiffé d’un chapeau de clown triste…
Pour éviter d’être décontenancé, dérouté, voire déçu, peut-être vaut-il mieux se détacher de la tragédie d’Eschyle. Nul besoin de se remémorer la trilogie dramatique pour apprécier. Castellucci n’a conservé que de rares allusions au texte original, laissant souvent la part belle à un silence inquiétant et fascinant. C’est finalement Castellucci que l’on va voir, et pas Orestie. Un Castellucci au mieux de sa forme, qui prouve que son spectacle fondateur est toujours aussi audacieux et novateur.

Si vous avez la chance d’avoir vos billets pour Orestie, il vous feront vivre un voyage d’exception :

1 – Voyage dans l’oeuvre de Roméo Castellucci, l’occasion de revenir sur ses débuts et de constater le chemin parcouru par ce génial artiste.
2 – Voyage au gré de tableaux initiatiques emplis de figures monstrueuses, dévastées, barbares, sauvages et tellement envoûtantes.
3 – Voyage à travers une langue tronquée, des sons explosifs, des silences pesants, des hurlements stridents et des musiques angoissantes.

 

Ça ira – fin de Louis : le spectateur en pleine Révolution

Ça ira (1) – fin de Louis – Spectacle vu le 8 novembre 2015
A l’affiche du Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 29 novembre 2015, puis en tournée (dates ici)
Création théâtrale de Joël Pommerat

Interview de Saadia Bentaïeb à lire ici

 

Etre plongé au cœur de la Révolution Française, au point de s’en trouver soi-même acteur davantage que spectateur : telle est la promesse de ce spectacle incontournable…

Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites sur la dernière création de Joël Pommerat. Et il y aurait encore tant à dire et à écrire. S’agissant d’un spectacle aussi dense et foisonnant, il paraît quasi impossible de retranscrire ce que l’on a vécu. Plutôt l’envie de jeter des mots, de les balancer, de les offrir pêle-mêle. Souhaitant que l’un ou l’autre de ces mots suscite l’envie de vivre une telle expérience. Une expérience qui nous situe au-dedans de la scène, au cœur-même de la représentation. Peu à peu, on se sent partie intégrante de ce qui se passe. Sous nos yeux, derrière nous, à côté, tout en haut des gradins, en avant-scène et au fond de l’immense plateau. Les comédiens sont partout. Eux-mêmes sont plusieurs, chacun d’eux incarnant plusieurs individus. Un révolutionnaire fanatique se métamorphose en membre de la famille royale. La sœur de Louis est un député de la Noblesse mais aussi un représentant du Tiers-Etat. En un rien de temps, les acteurs “changent de camp”, retournent leur veste, tiennent des propos totalement contradictoires.
Joël Pommerat a donc “destructuré” l’espace, fabriquant une sorte de “scène façon puzzle”, n’interdisant pas au spectateur d’être lui-même une pièce de ce puzzle. N’ai-je pas applaudi moi-même à plusieurs discours enflammés de tel ou tel député ?… Joël Pommerat joue également avec nos repères temporels. En effet, si le personnage central – le seul qui soit nommé – est Louis XVI, la révolution dont il parle n’est pas uniquement celle de 1789. Les paroles, les discours, les harangues résonnent si précisément en nous que les parallèles nous percutent de plein fouet. A tel point que souvent, au cours du spectacle, on se dit : “c’est fou, c’est exactement comme cela aujourd’hui !”. Là encore, Joël Pommerat nous embarque totalement, intégralement, parfaitement. Il nous parle de nous, il nous raconte d’où nous venons, où nous sommes, nous interroge sur notre devenir. Merci à lui de nous faire vivre une telle expérience théâtrale, rare, précieuse et révolutionnaire !…

Avec ce spectacle qui est à mon sens l’un des incontournables de la saison, Joël Pommerat révolutionne jusqu’à son propre travail :

1 – Les aficionados dont je fais partie seront sans doute surpris, étonnés, subjugués par cette création en parfaite rupture avec ses précédents spectacles.
2 – La troupe est exemplaire, homogène, réussissant la prouesse de nous confronter à une cinquantaine de personnages d’horizons différents, voire discordants.
3 – Ce qui se passe avec Ça ira (1) – Fin de Louis, c’est que deux jours après on songe déjà à revenir voir le spectacle pour approfondir les émotions qu’il nous a procurées. En attendant, secrètement, l’arrivée du (2)…

Maxime d’Aboville règne en maître dans The Servant

The Servant – Spectacle vu le 28 octobre 2015
A l’affiche du Théâtre de Poche-Montparnasse jusqu’au 8 novembre 2015, puis en tournée à partir de Janvier 2016 (dates ici)
Une pièce de Robin Maugham
Mise en scène Thierry Harcourt

©Brigitte Enguerand

 

La brillante adaptation de Thierry Harcourt nous propulse en pleine dialectique du maître et de l’esclave 

N’ayant pas vu le célèbre film de Joseph Losey j’ai tout bonnement découvert le texte de Robin Maugham sur la scène du Poche-Montparnasse. Et quel texte ! Comment Barrett, le tout nouveau domestique du so british Tony, va-t-il parvenir à inverser les rôles. Comment, à force de séduction perverse, ce serviteur hors pair va-t-il peu à peu prendre l’ascendant sur son maître. Et comment le maître en question va-t-il accepter d’être manipulé au point de sombrer dans une oisiveté qui le réduira au presque néant. Tels sont les enjeux de cette pièce dérangeante et fascinante.

Les motivations des deux personnages sont volontairement laissées en suspens dans la mise en scène de Thierry Harcourt. C’est au spectateur de choisir son option, de fournir sa propre réponse. A première vue, Tony semble avant tout attiré par un confort de vie qui peu à peu confinera au laisser-aller. Cependant, il prend un tel plaisir à ce jeu de soumission que sa finalité est peut-être bien plus profonde… De son côté, Barrett n’est pas simplement en quête de pouvoir. Il ne s’inscrit pas uniquement dans une lutte des classes qui le pousserait à une sorte de revanche sur Tony. Il ne souhaite pas seulement faire le mal, il est le mal, intrinsèquement.

Pour interpréter ce duo complexe et fascinant, Thierry Harcourt ne s’est pas trompé. Xavier Laffite, parfait dans le rôle du dandy flegmatique, se laisse piéger dans la toile d’un Maxime d’Aboville redoutable et effrayant d’ambivalence. Ce rôle qui lui a valu le Molière du meilleur comédien en 2015 lui permet de déployer l’étendue de son talent. Tour à tour douceâtre, obséquieux, visqueux, puis insensible, cruel, maléfique : il fait réellement froid dans le dos. Adrien Melin, Alexie Ribes et Roxane Bret complètent la distribution sans faute de ce huis-clos haletant.

Il n’est hélas presque plus temps de les applaudir à Paris, d’autant qu’ils jouent à guichet fermé, alors ne les loupez pas en tournée :

1 – Dès la première scène, on est happé par le rythme palpitant de ce récit plein d’humour cynique.
2 – Maxime d’Aboville attendait sans doute ce rôle pour s’imposer comme le génial comédien que l’on découvre.
3 – De façon extrêmement subtile, ce texte nous renvoie à nos propres contradictions : maître ou esclave, qui sommes-nous réellement?…

 

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“Nous qui sommes cent” par les Intrépides…un collectif qui porte bien son nom

Nous qui sommes cent – Spectacle vu le 13 octobre 2015 au Théâtre des Déchargeurs
À l’affiche du Théâtre de la Manufacture des Abbesses, jusqu’au 16 mars 2016 
Une pièce de Jonas Hassen Khemiri
Mise en scène Laura Perrotte

© Jean-François Faure

 

Intrépides au point de s’autoproclamer comme telles, Caroline Monnier, Laura Perrotte et Isabelle Seleskovitch ne sont pas trop de trois pour nous renvoyer à nos mille et unes voix intérieures…

Elles sont cent. Peut-être bien plus que cela. Et cependant elle est désespérément seule, cette femme qui nous parle d’elle. Qui nous parle de nous. Au travers d’une multitude de voix qui résonnent ici et maintenant. Des voix qui nous touchent, nous embarquent, nous renvoient à nos propres démons.

Physiquement, réellement, au plateau, elles ne sont que trois. Trois comédiennes pour incarner ces cent et quelques voix. Trois intrépides encore peu connues qui portent bien leur nom. Intrépides lorsqu’elles décident, en direct de l’Ecole Blanche Salant, de monter ce projet un peu fou. Intrépides dans le choix d’un texte contemporain qui en déroutera sans doute certains. Un texte ultra féministe né de la plume d’un poète dont les origines suédoises et tunisiennes l’ont très tôt exposé à la question du langage. Un texte multi-culturel écrit par un “barjo des mots”, comme il se désigne lui-même.

Intrépides, les trois comédiennes le sont tout spécialement dans leur jeu. Elles n’hésitent pas à prendre des risques, sans que cela n’altère jamais la justesse de leur interprétation. Caroline Monnier, tellement naturelle dans le rôle de la jeune rebelle – pour un peu, on prendrait les armes à ses côtés. Isabelle Seleskovitch, si émouvante dans la femme qui doute, tour à tour fragile et exaltée. Laura Perrotte a relevé la gageure de se mettre elle-même en scène à leurs côtés. Elle endosse le rôle de la “femme mûre”. Celle qui, arrivée au bout du chemin, se retourne et interroge ses “différents mois”. Celle qui nous fait réaliser, au final, que nous aussi, nous sommes décidément cent…

Le Théâtre des Déchargeurs ne s’y est pas trompé, en programmant jusqu’au 7 novembre prochain leur potentielle prochaine “pépite” :

1 – Les Intrépides nous font découvrir Jonas Hassen Khemiri, cet auteur multiculturel encore trop peu connu en France.
2 – Les trois comédiennes relèvent un défi de taille : sur scène elles ne sont pas une, ni trois, elles sont multiples et toujours parfaitement justes.
3 – Chacun, chacune de nous se projettera nécessairement dans l’une ou plusieurs de ces différentes facettes qu’elles incarnent, et pour ce voyage au travers de nous-mêmes nous ne pouvons que leur dire merci!

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INTERVIEW

 

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Maligne : on a tous envie d’être la “Pénélope” de Noémie Caillault

Si Noémie Caillault n’a pas eu le choix de vivre avec le cancer, elle a eu celui d’en parler… Comme elle a bien fait!

Elle est virevoltante, spontanée, rieuse, enjouée, sautillante, tourbillonnante, “zébulonnante”!… Pleine de vie, quoi! C’est cela qui nous marque le plus lorsqu’on découvre Noémie Caillault sur la scène du Petit Saint-Martin. Débordante de vie. Après trois ans de combat contre cette maladie qui continue de faire peur. Cette maladie dont on se demande trop souvent – façon Stromae : “qui sera sa prochaine victime”? Aujourd’hui, nul ne peut affirmer qu’il n’est pas touché par le cancer. De près ou de loin, il résonne en nous. Comme dit Noémie, “il est devenu universel”.

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© Christopher Vootz

Face à l’universalité de ce mal du siècle, chacun réagit différemment. Noémie a choisi la scène comme ring de combat. Façon “stand-up”, elle retrace les trois années qui viennent de s’écouler. Trois années de chimio, de peurs, de doutes, de bénéfices et d’effets secondaires, de phrases à la con… Elle raconte son parcours de combattante, ses échecs et ses victoires sur la maladie. Elle nous présente les nombreux protagonistes qui l’accompagnent dans cette bataille : les médecins pas toujours psychologues, les amis pas toujours bienveillants, les parents aux réactions souvent déconcertantes, les amoureux plus ou moins courageux…

Entendre parler de cette saleté de maladie pendant une heure trente : l’idée peut faire peur, j’en conviens. Mais Noémie l’aborde de telle sorte que l’on ne se sent à aucun moment dans la position du “spectateur-voyeur”. On est ému mais jamais mal à l’aise, on rit souvent, et surtout on s’attache à cette formidable comédienne qui est en train de naître sous nos yeux. Car le plus incroyable dans ce spectacle, c’est peut-être “la Noémie interprète”. Tellement jeune dans le métier qu’elle compte encore les jours de scène à son actif, à la manière des nouvelles mamans donnant l’âge de leur bébé. On a du mal à la croire, tellement elle est juste dans son jeu. Elle a appris très vite : sans doute l’un des “bénéfices secondaires” de sa maladie!

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Parmi toutes les nombreuses raisons d’aller découvrir Maligne, en voici au moins trois :

1 – La mise en scène ultra rythmée nous fait traverser trois ans de vie d’une malade, plusieurs dizaines d’hôpitaux, tout cela avec une chaise, deux tabourets et trois fauteuils…
2 – On a tous un frère, une mère, un oncle, un collègue, un ami, un enfant qui se bat contre le cancer. Noémie Caillault nous aide sans doute à mieux les comprendre.
3 – Personnellement, je suis sortie du Petit-Saint Martin avec le sentiment que moi aussi, j’avais un petit côté “Pénélope” – mais pour comprendre, il faut décidément aller voir le spectacle!

Maligne – Spectacle vu le 15 octobre 2015
Au Théâtre du Petit Saint-Martin jusqu’au 31 décembre 2015, les jeudi, vendredi et samedi  à 19h
Mise en scène Morgan Perez

INTERVIEW

Avec Père, Arnaud Desplechin réussit son entrée au Français

Père – Spectacle vu le 28 septembre 2015
A la Comédie-Française – Salle Richelieu, jusqu’au 4 janvier 2016  à 20h30
Une pièce d’August Strindberg
Mise en scène par Arnaud Desplechin

 

@Vincent Pontet – coll. Comédie-Française

 

Avec Père, Arnaud Desplechin fait son “coming-out théâtral” et on aime ça…

C’est peu dire que cette première mise en scène d’Arnaud Desplechin était attendue. Ce cinéaste surdoué est l’auteur de dix longs métrages dont le fameux Comment je me suis disputée… (ma vie sexuelle) qui fait partie de mes films coups de coeur. J’étais assez impatiente de découvrir son Père de Strindberg, même si ce dernier ne fait pas partie de mes auteurs préférés. J’attendais ce rendez-vous privilégié, d’autant que je suis – vous l’aurez compris – une “aficionada” de la Comédie-Française… Pari réussi, à mon sens : la mise en scène tout en sobriété fait ressortir avec une justesse incroyable le drame qui s’établit entre ce couple.

Car la pièce de Strindberg nous parle de la paternité, certes, mais d’abord et surtout d’un couple en crise. Un couple incarné par deux comédiens exceptionnels qu’on a plaisir à voir partager la scène. Anne Kessler, toute petite, toute frêle, est tellement émouvante en femme prête à tout pour garder son enfant. Elle est  mère avant d’être femme et en tant que mère elle nous touche forcément, malgré sa violence et sa dureté. Face à elle, Michel Vuillermoz est ce père peu à peu rongé par le doute et la folie, lorsqu’il se demande si Bertha est réellement sa fille. Mais peut-on réellement parler de folie? C’est toute la question à laquelle Arnaud Desplechin n’a pas voulu répondre, laissant au spectateur le choix d’arbitrer. Difficile d’assister à ce combat entre un homme et une femme qui se déchirent, se blessent, s’injurient, se malmènent, se choquent, s’invectivent, se maltraitent, se maudissent. Et qui s’aiment, malgré tout. Car il y a toujours de l’amour dans ce couple.

Le baptême théâtral d’Arnaud Desplechin coïncide avec le lancement de la première saison d’Eric Ruf, allez-y sans hésiter :

1 – Même si, comme moi, vous n’êtes pas des inconditionnels de Strindberg, vous serez conquis par une mise en scène aussi précise qu’au cinéma.
2 – “Un couple de cinéma”, justement – c’est ainsi qu’Arnaud Desplechin présente ses deux héros Michel Vuillermoz et Anne Kessler – deux immenses comédiens dont on sent le plaisir qu’il a de les retrouver.
3 – Les autres personnages sont au diapason de ces deux-là. Comme disait Mathieu Amalric au sujet d’Arnaud Desplechin : “il pourrait faire jouer un porter-manteau“!… Alors, imaginez-le avec des comédiens du Français.

Il vous reste une semaine pour aller voir Serge Merlin dans le Réformateur : courez-y!

Le Réformateur – Spectacle vu le 1er octobre 2015
Au Théâtre de l’Œuvre  jusqu’au 11 octobre 2015  à 21h
Une pièce de Thomas Bernhard
Mise en scène par Thomas Engel

 

 

“Qui n’a pas vu Serge Merlin sur scène n’a pas toutes les clés pour parler de théâtre, à mon avis”.

C’est à peu près dans ces termes que Frédéric Franck présentait le premier spectacle de sa saison 2015-2016 au Théâtre de l’Œuvre. Et après avoir vu Le Réformateur, je ne peux que renchérir. Qui n’a pas vu Serge Merlin sur scène est passé à côté de l’un des plus incroyables comédiens de théâtre. Dans la peau de ce philosophe tyrannique, misanthrope et hypocondriaque né de la plume de l’un des plus grands auteurs autrichiens, il excelle dans son art.

Tel un Stradivarius, il fait résonner une infinité de sensations, passant de la colère la plus acerbe à l’humour le plus taquin, pour revenir à une mélancolie douce amère. Il est magnétique, envoûtant, hypnotique. Tour à tour éructant, cajolant, minaudant, vociférant, s’excusant, beuglant, mentant, trichant, opprimant. Sa palette est immense, il l’utilise à la perfection, nous faisant passer du rire à la consternation. Car la vision du monde de ce personnage auteur d’un Traité de la réforme du monde est “une philosophie de la fin, une véritable fascination pour le néant” (dixit André Engel).

Autre personnage en scène : une femme dont le silence et la douceur contrastent violemment avec les logorrhées de notre nihiliste acharné. C’est elle qu’il invective souvent, lui réclamant tantôt ses repas, tantôt son costume, la morigénant pour chacun de ses faits et gestes, semblant parfois sur le point de lui reprocher d’exister. Ruth Orthmann incarne cette compagne fidèle qui accepte absolument tout, envers et contre lui.

Il est encore temps de vous offrir un grand moment de théâtre, dans ce lieu mythique de l’Œuvre :

1 – Pour assister aux retrouvailles de Serge Merlin avec la pièce de Thomas Bernhard qu’il interprétait il y a déjà vingt-cinq ans. Il connaît tellement bien ce texte qu’il ne le joue pas : il le vit, il EST le texte.
2 – Pour la mise en scène d’André Engel qui insiste sur l’immobilisme, recentrant ainsi l’action sur le verbe. Les liens profonds qui unissent Serge Merlin et André Engel se resserrent chaque soir davantage sur le plateau.
3 –  Pour les silences criant d’amour, d’empathie et de dévouement de sa compagne incarnée par une talentueuse Ruth Orthmann.

 

INTERVIEW