Parlons d’autre chose, choral de la jeunesse

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9 chaises en ligne, 8 jeunes filles qui semblent sages, mocassins, jupettes, un clavier d’ordinateur à leurs pieds, 1 jeune homme en bout de ligne qui leur tourne le dos.
Chacun va se présenter, on fait connaissance avec la classe de terminale L du lycée St-Sulpice, le ton est grave, les visages sont fermés, la jeunesse ne s’avance pas le sourire aux lèvres.
Une communauté bien huilée, avec ses secrets et ses règles strictes. Un « repère» qui leur permet de s’extraire d’une société qui les asphyxie.
Jusqu’au jour où…
Lors d’un de leurs rendez-vous clandestins, tout dérape. La violence jusqu’ici contenue se défoule jusqu’à l’insupportable.
Début d’un naufrage pour cette jeunesse… ou possible résilience?

« Un spectacle actuel, pertinent et plein d’humour qui questionne en profondeur les horizons possibles d’une génération nourrie à grandes cuillerées de crise. » Léonore Confino

La mise en scène de Catherine Schaub propose un dispositif simple et franc, tout le monde à vue tout le temps, en action ou en attente, en groupe, en individu, ou en groupe-individu, petit chœur antique d’aujourd’hui. On parle beaucoup, on s’adresse au spectateur, on l’apostrophe directement ou on l’oublie pour se plonger dans le jeu, on chante, on danse. Beaucoup de musiques traversent le spectacle, variées comme celles du quotidien, sons pop dance Lady Gaga, standards plus rares, Wild is the wind, Lillies of the valley
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« Décérébrés ? maladivement connectés ? incapables d’engagement politique ? ou familial ? limités dans leur vocabulaire ? matérialistes ? Mais pas seulement.
Alors s’il vous plaît, parlons d’autre chose.
 »

Léonore Confino dresse un portrait de génération nourri des questions adolescentes.
Les peurs grandes et petites, j’ai peur de déplaire à mes parents, peur du cancer du sein, peur de boire de l’eau avec une tartiflette, peur du vide… « Mais on ne peut pas avoir peur du vide, il y a toujours quelque chose pour le remplir : la mort de Michaël Jackson, la mort de Jean-Paul II, les sms illimités, la carte de ciné illimité… » Pour oublier tout ce qu’on sait, on a trouvé une solution miracle, on fait la fête. Et ça nous coûte cher en alcool.

« On n’est pas en colère, faut du temps pour la colère. »

Les amours, la jalousie, la peur de l’amour, plutôt baiser sans aimer, ça évite de souffrir, ça évite de se faire embobiner par la neurochimie « l’amour c’est mieux dans les livres, l’amour c’est mieux chez les vieux », fredonne-t-on en chœur…
Et le corps ? qu’en faire, comment l’aimer, l’accepter, le transformer, peut-on se plier à l’injonction de perfection sans se détester, peut-on résister à l’injonction, veut-on résister… ?; et la liberté ? la soif de liberté, celle qu’on peut admirer chez la « chanteuse à succès international » : « Lady Gaga, elle est libre. La chanteuse à succès international, elle danse. Et elle danse comme si un rappeur l’obligeait à s’éclater dans son clip, sauf que le rappeur, il est éjecté, il a plus besoin d’être là »; et l’amitié ? « Nous, c’est vachement important pour nous ».
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Autogénération de la jeunesse

Et les hommes ? Comment faire avec eux, avec l’image qu’on a de l’ancestrale phallocratie qui a soumis nos mères ? Leur faire payer, leur pardonner, continuer ? Chacune cherche, ensemble elles vont repousser les limites, découvrir le pouvoir des dangereuses amazones qu’elles peuvent devenir, l’apprivoiser peut-être, avec la complicité un peu rudoyée de l’ami Tom…

La lutte est âpre mais la (ré)conciliation possible : au bout de ce parcours initiatique cette jeunesse clame – comme toutes les jeunesses de tous temps ? – son envie de « réinventer tout, le couple, l’éducation, le désir ». Et affirme, enfin solaire, que « ce qui est sûr, c’est qu’on est bien vivant, et en mouvement ».

Les questions posées sont sans doute celles qui se posent depuis que l’adolescence existe, mais elles sont offertes sans impudeur et sans tabou. Et elles sont portées par une belle justesse d’observation, servies par une troupe aux personnalités riches, à l’énergie fraîche et intense, et cette jeunesse « bien vivant(e), en mouvement », c’est très beau à voir.

Parlons d’autre chose – spectacle vu le 12 juillet 2016
A l’affiche du théâtre Le Nouveau Ring jusqu’au 30 juillet
Un texte de Léonore Confino
Mise en scène : Catherine Schaub
Avec Aliénor Barré, Solène Cornu, Marion de Courville, Faustine Daigremont, Thomas Denis, Marguerite Hayter, Elise Louesdon, Camille Pellegrinuzzi, Léa Pheulpin
Un spectacle du Collectif Birdland

Addition : « deviens ce que tu es ! »

Addition de Clément Michel – Spectacle vu le 14 juillet 2016
A l’affiche du Théâtre de la Gaîté-Montparnasse jusqu’au 4 septembre 2016
Mise en scène : David Roussel
Avec Sébastien Castro, Stéphan Guérin-Tillé et Clément Michel

« J’ai la chance et le bonheur de jouer la cinquième pièce de Clément Michel, … pièce de la maturité ! J’apprécie cette écriture élégante et fine, mûrie au fil du temps, sans perdre son sens de la réplique et de la comédie » – Stéphan Guérin-Tillé

Nous partageons un week-end dans la maison de campagne d’Axel (Stéphan Guérin-Tillé), qui a invité deux amis Antoine (Sébastien Castro) et Jules (Clément Michel) afin de se retrouver et de passer un bon moment. Le week-end démarre sur les chapeaux de roues par une querelle initiée par Jules qui, le lendemain du dîner où il a voulu payer l’addition, leur demande de se faire rembourser son cadeau de la veille !

Pendant 1h20, des discussions animées s’échangent entre les amis. Sont tour à tour passés au crible les relations entre chacun d’eux, leur degré d’estime mutuel, leur vision de l’amour et de l’adultère, bref, tous les choix de vie des quadras, qui – vous l’avez compris – sont de natures très différentes !

 

L’écriture de Clément Michel est agile, le rythme est trépidant (pas un seul silence), les rebondissements multiples ! Le spectateur sourit ou rit en permanence.

Dans ce registre de la comédie légère contemporaine, l’enjeu était de réussir une description et une interprétation des trois personnages, plus fine que la caricature à laquelle on pourrait s’attendre. Axel, séducteur pathologique, aux 105 conquêtes féminines, nous apparait avec une fêlure attendrissante à la fin de l’histoire ; Antoine, professeur inhibé, nous étonne par sa décision de changement de vie et Jules, seul célibataire du trio, connaîtra une issue réjouissante ! Ainsi, chaque personnage assume sa personnalité au fur et à mesure de l’évolution de l’intrigue.

La mise en scène est simple et astucieuse avec une table centrale se transformant en table de ping-pong, à l’image de la joute verbale des amis face au jeu de leur propre vie. Le délicieux intérêt de cette pièce est de nous faire ressentir la profonde valeur de l’amitié et sa puissance pour se connaître soi-même.

Sans hésiter, pendant cet été parisien, allez, « entre potes » ou en famille, payer l’Addition au Théâtre de la Gaité Montparnasse.

Magali Rosselo

 

J’appelle mes frères, ou la vie après l’épreuve

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Jonas Hassen Khemiri, voix singulière de la littérature suédoise contemporaine, avait écrit ce texte après des explosions terroristes à Stockholm en 2010. En ces lendemains d’attentat en France, J’appelle mes frères est d’une poignante actualité.

L’apprentissage du lendemain

Un plateau nu, un écran occupe tout le mur du fond, quelques chaises de chaque côté.
Dans le silence brutal d’après un déferlement de musique électro-rock, Amor (Aurélien Pawloff) regarde le spectateur droit en face, on sent la fièvre du personnage et l’énergie condensée du comédien.

« J’appelle mes frères et je dis : Il vient de se passer un truc complètement fou. Vous avez entendu? Un homme. Une voiture. Deux explosions. En plein centre. »

Ainsi résonnent les premiers mots d’Amor, fils de l’immigration, plongé en plein coeur de Stockholm, ville paniquée par un attentat terroriste.

J’appelle mes frères et je dis : «Faites attention. Ne vous faites pas remarquer pendant quelques jours. Fermez les portes. Tirez les rideaux. Si vous devez sortir, laissez votre keffieh à la maison. Ne portez pas de sac suspect. Montez le son dans votre casque pour ne pas être blessé par les commentaires des gens. Fermez les yeux pour éviter de croiser les regards. Mêlez-vous à la foule, devenez invisibles, évaporez-vous. N’attirez l’attention de personne, je dis d’absolument personne.»

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C’est l’apprentissage du lendemain que va devoir faire Amor, savoir se regarder en sachant qu’on ressemble (peut-être) à « celui qui », apprivoiser le regard des autres.
C’est « le temps de l’épreuve », comme le nomme Ahlem, la cousine, celle qui contre toute logique est à la fois et avec autant de conviction musulmane et communiste.
Amor, Shavi le copain de toujours, Valeria l’amoureuse, Ahlem la cousine… chacun de son côté, mais surtout ensemble, vont traverser ce lendemain.

Prendre la parole

J’appelle mes frères et je dis : «Oubliez ce que je viens de dire. Fuck le silence ! Fuck l’anonymat ! Sortez en ville en ne portant que des guirlandes de Noël. Mettez des anoraks fluorescents, des jupes en raphia orange. Soufflez dans des sifflets. Hurlez dans des mégaphones. Occupez les quartiers, envahissez les centres commerciaux. Soyez le plus visibles possible pour qu’ils comprennent qu’il existe des forces d’opposition. Tatouez-vous « Politiquement correct for life » en lettres gothiques noires sur le ventre. Jusqu’à ce qu’ils comprennent que nous ne sommes pas ceux qu’ils croient que nous sommes».

Jonas Hassen Khemiri, loin de se reposer sur son sujet, déjà riche et fort, apporte une rythmique, une matière particulière au texte. L’écriture est vive et puissante, alterne dialogues à la juste liberté de ton, narration, échappées mentales parfois fantasmagoriques.

On passe avec fluidité du « je » au « il », du présent au passé. Le texte est traversé de monologues brûlants, portés par Aurélien Pawloff, comédien au jeu solide et incarné, physique comme un Guillaume Gouix. La fantaisie y crée des ruptures bienvenues, comme parfois, souvent, dans les moments graves de la vie. Une morte passe des coups de fil ; des amoureux au téléphone s’enlacent ; Amor, chimiste et rêveur, attribue des noms d’éléments à ses proches : Shavi sera « hélium » car il rend tout plus léger, Ahlem « titane » car elle est résistante… : un petit grain de folie douce dans ce quotidien tendu.

Donner corps

La mise en scène, frontale et implacable, fait la part belle au texte, en en relevant sans ambages la structure interne. Nourrie au vocabulaire du théâtre d’aujourd’hui – adresse face au public, utilisation de média variés, elle l’utilise avec sensibilité, humilité et intelligence. La vidéo, très présente, a le bon équilibre, jamais redondante, amenant la ville sur le plateau, images noir & blanc belles et utiles.

L’amitié, l’amour, la tendresse familiale, soudent ces personnages, les tiennent en bloc face à l’épreuve, les nouent ensemble. Sur scène, cela abolit même les distances, et ce n’est pas l’éloignement qui pourra les empêcher de se serrer dans les bras.

À l’image de ce groupe à haute densité affective, les comédiens ne quittent jamais le plateau. Hors jeu, ils restent auprès de leurs comparses, sur les chaises installées de part et d’autre de la scène, présence attentive, concentrée. Ahlem (Yasmine Boujjat) deviendra une Karolina le temps d’un appel de la SPA locale en quête de donateurs, Shavi (Paul-Antoine Veillon) le temps d’une scène d’une drôlerie cruelle sera agent du service après-vente d’un magasin de bricolage, Valeria (Millie Duyé) portera aussi la voix de la grand-mère – les glissements se font avec simplicité et clarté. Amor reste Amor, et c’est déjà beaucoup, car il a à se débattre avec ses peurs, celles de son cœur et celles qu’on lui instille – la peur est une maladie très contagieuse, avec les différents Amor qui s’agitent en lui, noyés entre paranoïa grandissante et force de vie chargée d’espoir.

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« J’appelle mes frères »

J’appelle mes frères et je dis : «Il vient de se passer un truc complètement fou. Je suis monté dans le métro et j’ai vu un individu extrêmement douteux. Il avait des cheveux noirs et un énorme sac à dos».
J’appelle mes frères et je dis : «Il m’a fallu une fraction de seconde pour comprendre que ce que j’avais vu, c’était mon propre reflet dans la vitre».

Le spectacle se clôt sur l’image de son visage, en plein écran, traversé de mille questions, mille émotions ; et sur ce visage-palimpseste, sur le visage de celui qui s’attribue le nom d’un élément chimique qui n’a pas encore de nom, on peut apprendre à lire l’humanité.

J’appelle mes frères – spectacle vu le 16 juillet 2016
A l’affiche du théâtre Le Grand Pavois jusqu’au 30 juillet
Un texte de Jonas Hassen Khemiri
Texte publié aux Éditions Théâtrales, agent et éditeur de l’auteur, traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy
Mise en scène Mélanie Charvy
Avec Aurélien Pawloff, Paul-Antoine Veillon, Yasmine Boujjat et Millie Duyé
Un spectacle de la Compagnie Les Entichés

 

La nouvelle création du f.o.u.ic. théâtre : Timeline

Après notamment Abélifaïe Leponex (prix du public festival d’Avignon 2010), Mangez-le si vous voulez (prix du théâtre ADAMI 2014, deux fois nommés aux Molières 2014), la compagnie f.o.u.ic. poursuit son chemin, exigeant et audacieux. Pas peur des sujets complexes (Abélifaïe Leponex : paroles de schyzophrènes, Mangez-le… : la folie collective…) : ici, avec Timeline, le théâtre, ses fragilités, ses ennemis, ses ressorts… et donc, des questions métaphysiques qui y sont corrélées, le rapport au temps, à la parole, aux autres… « il est 22h31, tout le monde est là… » , le f.o.u.i.c théâtre peut revenir distiller son humour corrosif et son regard affuté sur les travers de notre société.
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«  Et si la réalité augmentée avait rendu nos existences ternes ? Et si l’avènement de la réalité virtuelle avait rendu le théâtre obsolète ? Timeline, ou la mise à l’épreuve du théâtre par les forces obscures de la virtualité. » f.o.u.ic. théâtre.

On pourra peut-être regretter, selon sa sensibilité, que parfois le discours prenne le dessus sur le théâtre, mais de toutes façons on ne perdra pas son temps, bien au contraire, à se plonger dans cette « timeline ».
Les moyens sont à la hauteur de l’ambition. Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève (se) jouent de tout pour dénoncer ce qui semble élimer, vider, tuer le théâtre – doute des acteurs, impuissance de l’auteur, mort de l’émotion causée par la mort du temps causée par la soumission à l’immédiat causée par la société du « jeveuxjai », mort du spectateur causée par la mort de l’émotion, impuissance de l’auteur, décadence du langage… Sarabande effrénée mais méthodique de saynètes – certaines irrésistiblement drôles, autant de « tentatives » d’épuiser le sujet. Les coupables sont à l’œuvre, les victimes à l’épreuve. Certains finiront au tombeau, d’autres liront comme on écrit (mal), la plupart s’égarent dans leurs interrogations. Le plateau lui-même se métamorphose à vue pour recréer sans cesse de nouveaux espaces de jeu, les projections loin d’être illustratives apportent leur propre univers, les comédiens sont tous impeccables.
Timeline ou l’éternel paradoxe du théâtre : nous démontrant point par point avec lucidité, humour, cruauté, tout ce qui peut causer la mort du théâtre, Dollé fait théâtre de tout, se faisant mentir lui-même, pour la plus grande excitation des neurones des spectateurs.

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Timeline – spectacle vu le 11 juillet 2016
A l’affiche du Girasole jusqu’au 30 juillet
Un spectacle de Jean-Christophe Dollé
Mise en scène : Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé
Avec Juliette Coulon, Yann de Monterno, Erwan Daouphars, Félicien Juttner, Clotilde Morgiève, Aurélie Vérillon, Élisa Oriol
Vidéo : Mathias Delfau

Métallos et Dégraisseurs, une mémoire bien vivante

La création de ce spectacle commence par une collecte de paroles, une série d’entretiens menés par Raphaël Thiéry auprès d’anciens ouvriers et de quelques encadrants de l’usine actuelle. Métallos et Dégraisseurs, c’est l’histoire de millions d’hommes et de femmes d’une classe qui, en un siècle et demi, a été aspirée dans le tourbillon de la révolution industrielle avant d’être engloutie par la révolution financière.
 C’est l’histoire d’un père, d’un oncle, d’une tante, que l’on reconnaît soudain, là, présents.

« Des Forges de Sainte-Colombe à Arcelor Mittal,
récit de la débandade de la métallurgie française. »

Un fond de scène barré par ce qui sera l’horizon des métallos, la petite maison, les murs de l’usine. À l’avant, un panneau permettra de marquer l’avancée du temps : à chaque génération, on y accrochera une petite marionnette faite des fils qu’on fabrique dans l’usine, vêtue d’un « bleu de travail », l’aîné, le premier « tréfileur » de la génération suivante.
Du théâtre-document, un texte écrit et mis en scène avec beaucoup de cœur et de gaité par Patrick Grégoire, nourri des entretiens menés par Raphaël Thiéry, qui porte aussi tous les rôles des pères successifs (ou des fils, qui deviendront des pères…), avec une belle faconde et une grande finesse.
On va traverser 150 ans de la vie d’une usine métallurgique, 7 générations d’ouvriers de fiction qui vont en raconter l’histoire particulière (politique, économique, affective) – bien sûr écho de l’histoire générale du monde ouvrier.

Sujet grave et forme légère.

Un décor modeste et astucieux, qui « enferme » les 5 acteurs à l’avant-scène devant ses panneaux de bois, comme un décor de marionnettes. La mise en scène se joue avec malice des codes du théâtre, laissant ses acteurs présenter leurs personnages successifs ou commenter leurs déboires « bon, là, j’suis la sage-femme parce que la fille n’est pas encore née, alors faut bien que je serve à quelque chose. C’est bizarre d’accoucher sa grand-mère de sa mère, allez poussez madame, allez », faisant surgir leurs visages de pans découpés dans le décor comme des diables hors de leur boîte…
Le propos est réaliste, le sujet rude, mais le ton est volontiers allègre, la forme fantaisiste : l’humour, le burlesque soulignent la vitalité des hommes autant que la cruauté de la société.
Raphaël Thiéry joue les hommes de la famille, Michèle Beaumont, pétillante, joue les mères, Jacques Arnould, vif et fin, sera le col blanc, l’ingénieur, Lise Holin, au jeu polymorphe, mobile et malicieux, accouchera sa grand-mère de sa mère et sa mère d’elle-même avant d’apparaître comme aînée de la 6e génération; l’usine, entité vorace, dévoreuse d’enfants et elle aussi fragile, trône sur le plateau. Maquillage expressionniste, couvre-chef-couronne de fil de fer, Alexis Louis-Lucas, perché sur une structure qui le transforme en haut-fourneau, donne corps et voix à l’usine, bruiteur précis de ses rouages. « Figurez-vous monsieur l’curé que mes ouvriers croient qu’un jour je leur appartiendrai » « Eh bien, figurez-vous que mes fidèles croient qu’un jour le ciel leur appartiendra » « Ahahahah ! »

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Alexis Louis-Lucas, Lise Holin © Yves Nicot

« On a sa dignité dans la famille : le grand-père à son fils :
la grillagerie, ça sert à fabriquer du grillage, et le grillage, ça sert à protéger la propriété privée. Et nous on est communiste de père en fils, alors on travaille pas à la grillagerie. »

Les temps changent…
L’usine geint : « en ’36, j’avais déjà passé 100 ans, je n’avais jamais connu de grève, quand on m’a remis en marche j’ai senti mes premières douleurs… » et ce n’est pas fini… « Je n’ai pas bien vécu la guerre. C’est pendant la guerre que les communistes ont développé l’esprit de sabotage. Et moi, l’idée qu’il sortait de moi des choses défectueuses, moi, ça m’faisait du mal »…
Les hommes sont à la guerre ou au STO, les femmes entrent à l’usine, la cadette va être embauchée à la grillagerie, le père serre les dents.

On ferme la clouterie, l’ingénieur est muté à Paris « ça veut dire que désormais ceux qui vont décider connaîtrons plus l’usine. Lui, il la connaît encore, il y a travaillé, mais les prochains… », les Forges de Sainte-Colombe deviennent l’Aciérie de Neuves-Maisons Châtillon, en ’65 ça sera « Tissmetal » « ça m’plait, ça fait jeune »
Puis la Société des tréfileries de Châtillon-Gorcy, Chiers-Châtillon-Gorcy, Tecnor, Trefil Union…
Restructuration au chronomètre, opération pour cause de soixanthuitite, évolution rationalisation, un ouvrier pour deux machines, fini le temps pour l’ouvrier avait « sa » machine, qu’il bichonnait, qu’il remettait entre les mains de son fils à son départ à la retraite, fini le temps où l’ouvrier connaissait sa machine, son rythme, ses faiblesses… « Une petite saignée de rien du tout pour vous rajeunir », ablation de la câblerie, c’est maintenant les années 80′, 90′, les temps changent…

« Le père à son fils :
Tu passes ton bac et tu dis rien à ton grand-père. »

…l’usine n’est plus l’héritage qu’on veut transmettre à ses enfants, de toutes façons, quelle fierté à appuyer sur des boutons, de toutes façons elle a de plus en plus mauvaise mine, de toutes façons plan de restructuration, départs en pré-retraite, démontage des ateliers…
Au début du XXe siècle l’usine de Sainte-Colombe-sur-Seine employait jusqu’à 1000 personnes. Dans les années 1970 encore 600 personnes y travaillent. Repris par le groupe Arcelor Mittal en 2006, le site ne compte plus qu’une cinquantaine de salariés et une quinzaine d’intérimaires… Les « dégraisseurs », on ne les voit pas, mais ce sont eux qui gagnent. Trefil Union est devenu Trefil Europe, Arcelor, Arcelor Mittal… Même le « restructurateur » a été mis en pré-retraite… les temps n’en finissent pas de changer…

Cinq acteurs, quelques pans de bois, beaucoup d’intelligence et d’humanité : Métallos et Dégraisseurs donne une parole précise autant que vivante à ce monde ouvrier si peu loquace, à cette mémoire discrète et pourtant nécessaire ; on en sort aussi vivifié qu’édifié.

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Michèle Beaumont, Lise Holin, Raphaël Thiery © Yves Nicot

Métallos et Dégraisseurs – spectacle vu le 11 juillet 2016
A l’affiche du Chapeau d’Ébène jusqu’au 30 juillet
Ecriture et mise en scène : Patrick Grégoire
Avec 
Jacques Arnould, Michèle Beaumont, Lise Holin, Alexis Louis-Lucas et Raphaël Thiery

Pour l’amour de Grisélidis

C’est l’histoire de Griselidis Real, décédée en 2005, femme de lettres et d’arts, célèbre prostituée de Genève, révolutionnaire et politique, qui portera sa voix libre et anarchiste aux plus hauts échelons du pouvoir. Coraly Zahonero a eu une révélation le jour où elle a entendue Griselidis Real pour la 1ère fois. Et puis elle a tout lu, tout écouté d’elle, l’a rencontrée : « Il m’est apparu avec une absolue certitude que sa parole était nécessaire et qu’il fallait la faire entendre. Nous allons tenter de faire s’élargir les cœurs et les esprits comme elle disait, et peut-être changer le regard des spectateurs sur ces femmes dites putains dont Grisélidis Réal fut une inoubliable égérie ». 
Moments intenses dont seul le théâtre a le secret. Instants de trouble où les regards se croisent sans se voir, les mots décochés comme des flèches transpercent les esprits… les cœurs aussi !

Griselidis, d'après Grisélidis Real, de et avec Coraly Zahonero, Petit Louvre, Avignon OFF 2016@Jean-Erick Pasquier

On ne sait plus si la pièce est jouée ou bien tout simplement vécue, la schizophrénie vitale du personnage nous enveloppe ; la confusion est totale, l’art au sommet ! GRISELIDIS est bien plus qu’une pièce de théâtre, plus qu’une interprétation magistrale, c’est une véritable expérience de ré-incarnation, d’une portée politique inouïe comme seules les femmes intelligentes en ont le génie. Une claque et une caresse, un verbe droit fort et beau, des notes de musique bouleversantes qui y font écho pendant que Griselidis se délie, s’enivre, se ressource… Son cri nous marque au fer de sa liberté. Liberté, c’est le mot qui résonne le plus fort en nous à l’issue de cette rencontre hors du temps. Liberté de disposer de son corps, liberté de l’affirmer, liberté de se dresser face aux menteurs et de conspuer l’hypocrisie sociale et la religion. Courage de parler librement de ses souffrances et de ses jouissances. Liberté de dire ce que les autres n’osent murmurer. On la prend dans nos bras cette liberté Madame et on vous remercie de l’incarner aussi magnifiquement !

Jean-Philippe Renaud

Griselidis, d'après Grisélidis Real, de et avec Coraly Zahonero, Petit Louvre, Avignon OFF 2016

À l’affiche du Théâtre du Petit Louvre du 8 au 30 Juillet 2016 – 18h15
De et avec Coralie Zahonero de la Comédie-Française
Relâche les 14, 21 et 28 juillet

 

Les inoubliables Damnés d’Avignon

Les Damnés – spectacle vu le 6 juillet 2016
Dans la Cour d’Honneur du Festival d’Avignon jusqu’au 16 juillet 2016 et à la Comédie-Française du 24 septembre 2016 au 13 janvier 2017
D’après le scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli
Mise en scène : Ivo van Hove

Les Damnes Avignon 2016
© Jan Versweyveld, coll. Comédie-Française

 

« Et ceux qui cherchent refuge dans la neutralité seront les perdants de la partie. »

Toute vie de spectateur est traversée par des événements d’exception. Des spectacles attendus, imaginés, espérés, rêvés. Des sorties programmées longtemps à l’avance, des soirées nécessitant un rituel hors-normes. Et parmi ces expériences particulières, certaines, rares et précieuses, sont à la hauteur de nos attentes, voire les surpassent. Ces représentations sont celles dont les souvenirs forgent notre ADN de spectateur. Les Damnés d’Ivo van Hove fut pour moi l’une de ces expériences magiques.

L’immensité de la Cour d’Honneur est naturellement, logiquement, parfaitement exploitée par le metteur en scène belge. Parterre orange immaculé, grand écran en fond de scène, peu d’éléments de décor. Juste de quoi se changer et se maquiller côté jardin, et six cercueils côté cour. Des cercueils vers lesquels nous méneront la succession de drames, assassinats et crimes qui ponctuent la pièce. Ivo van Hove interprète le scénario de Visconti – l’histoire de la famille Essenbeck, riche propriétaire d’aciéries en Allemagne à l’heure du triomphe du régime nazi – comme « une célébration du Mal ». Comment, de compromissions en trahisons, de meurtres en manipulations, chacun tente-t-il de se rapprocher d’un pouvoir coupable de toutes les ignominies ?

 

Les Damnes d'Avignon Christophe Montenez Elsa Lepoivre Guillaume Gallienne

 

Le résultat est noir, glaçant, dérangeant, perturbant, certes. Mais il est surtout immensément beau. Tout est dans l’épure et la verticalité chez Ivo van Hove. Rien de superflu, chaque geste est précis, correspondant à un objectif bien défini. Conscient de diriger d’immenses comédiens, le metteur en scène leur fait déployer une infinie palette d’émotions, surlignées par la sonorisation qui permet encore davantage de nuances. D’une Elsa Lepoivre impériale et shakespearienne à un Guillaume Gallienne tranchant et inquiétant, d’un Eric Génovèse maléfique et mielleux à une Jennifer Decker mutine et sensuelle, d’une Adeline d’Hermy touchante et vulnérable à un Denis Podalydès fourbe et odieux, d’un Loïc Corbery doux et violent à un Clément Hervieu-Léger gracieux et fragile…tous sont sublimés dans la « Cour d’Ivo ». Cette chaîne humaine et maléfique a pour point de départ Joachim von Essenbeck, le patriarche, incarné par un Didier Sandre tout en retenue. La scène où il bascule, cédant à la compromission, est le premier moment fort du spectacle. Sur fond de clarinette (Clément Hervieu-Léger nous révéle ici un autre de ses talents), Ivo van Hove projette en gros plan les doutes de Joachim. Les secondes s’égrennent, on passe du plan large de la fête familiale au cadre serré qui capture les larmes de Didier Sandre et l’on est saisi par tant de beauté.

 

Les Damnes d'Avignon ivo van Hove

 

A l’autre bout de la chaîne et de la lignée : le jeune Martin, fils de la baronne Sophie von Essenbeck, considéré par Ivo van Hove comme le personnage central de l’histoire. « Un caméléon, un nihiliste sans ambitions, qui ne pense qu’à sa survie ». Christophe Montenez incarne à merveille ce nihilisme, cette absence totale de scrupules, cette incapacité à éprouver le moindre sentiment. Il nous glace, nous transporte, nous amuse, nous émeut et nous terrorise. Car son Martin nous fait toucher du doigt un danger terriblement actuel qui rôde et nous menace… Et si les Damnés d’Ivo van Hove sont inoubliables, c’est aussi parce qu’il est primordial de les toujours garder en mémoire.

 

Préparez votre Festival Off d’Avignon 2016 grâce aux coups de cœur de Pianopanier

Certains de nos coups de cœur de la saison sont repris dans l’édition 2016 du Festival Off d’Avignon, on vous les dévoile ici. Bon festival à tous !

1. Madame Bovary

Théâtre Actuel – 12h05 (durée : 1h30)

MadameBovary-avignon

L’adaptation de Paul Emond, pleine d’esprit, trouve le juste équilibre; chacun des personnages s’y déploie sans manichéisme, mû par ses pulsions de vie autant que par ses ombres. Narration, saynètes, intermèdes musicaux s’y entremêlent avec légèreté, comme naturellement.
Critique du spectacle ici
Revue de presse ici
Interview de Sandrine Molaro ici

 

2. Livret de famille

Théâtre Essaïon – 12h30 (durée : 1h30)

Livret-de-famille-Avignon2016

Ces histoires de familles, ces secrets que l’on a enfouis, ces névroses plus ou moins graves : nous sommes forcément touchés par les mots d’Eric Rouquette.
Critique du spectacle ici
Voir l’interview de Christophe de Mareuil ici

 

3. Amok

Théâtre du Roi René – 17h50 (durée : 1h30)

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Cette création d’Alexis Moncorgé à partir de la nouvelle de Stefan Zweig lui a valu le Molière 2016 de la révélation masculine. Stefan Zweig a souvent été mis à l’honneur sur les planches de théâtre, cette nouvelle sans doute moins connue rassemble tous ses thèmes de prédilection.
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Interview d’Alexis Moncorgé ici

 

4. Maligne

Théâtre des  Béliers – 12h35 (durée : 1h10)

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Elle était déjà aux Béliers l’année dernière, elle nous a émus aux larmes sur les scènes du Petit Saint-Martin et de la Pépinière cette saison parisienne… La voici de nouveaux sur la scène des Béliers d’Avignon. Elle s’appelle Noémie Caillault et elle a décidé de combattre la maladie sur les planches…
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Interview de Noémie Caillault ici

 

5. Le jeu de l’amour et du hasard

Théâtre du Roi René – 17h45 (durée : 1h30)

Le jeu de l'amour et du hasard affiche Avignon

La truculente Salomé Villiers nous propose une version acidulée de la comédie de Marivaux : bonne humeur garantie à la sortie ! Le parti pris de Salomé Villiers, qui met en scène et interprète le rôle de Silvia : donner un côté « rock » à la pièce de Marivaux.
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Interview de Salomé Villiers ici

 

6. Le Gorille

Théâtre des 3 Soleils – 15h40 (durée : 1h30)

Le-gorille-Avignon2016

La retour de ce seul en scène absolument incroyable, avec un Brontis Jodorowsky époustouflant.
Interview de Brontis Jodorowsky ici

 

7. Les fureurs d’Ostrowsky

Théâtre Gilgamesh – 16h10 (durée : 1h20)

les fureurs d'ostrowsky

La mise en scène (se) joue des codes du cabaret, du music-hall, du grand-guignol, nous mitonne du brutal, du trivial, pour faire surgir l’universel, le tragique, nous le faire empoigner par le rire et l’effroi.
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8. Flon-Flon et Romance Sauvage

En alternance au Théâtre du Chêne Noir – 21h45 (durée : 1h20) 

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Déjà un quart de siècle que Pierre Lericq et sa compagnie Les Epis Noirs nous proposent un rendez-vous annuel à Avignon. Cette fois-ci ils s’installent dans le mythique Théâtre du Chêne Noir, avec deux spectacles en alternance : Romance Sauvage et Flon-Flon.
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Interview de Pierre Lericq ici

 

9. Grisélidis

Théâtre du Petit Louvre – 18h15 (durée : 1h10)

 

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Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française, met à l’honneur Grisélidis Réal, écrivaine et femme exceptionnelle en nous la restituant dans toute sa poésie, son humanité, sa révolte

 

10. Pour que tu m’aimes encore

Ateliers d’Amphoux, Salle Noire – 21h40 (durée : 1h30)

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13 ans et demi. L’âge des espoirs et des révolutions intérieures. L’âge, aussi, des années collège: ingrates, maladroites, et belles justement pour ça. Avec énergie, humour et sensibilité, Élise Noiraud nous propose un plongeon jubilatoire dans cette adolescence qui nous a tous construits, et interprète une galerie de personnages ébouriffante.
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Interview d’Elise Noiraud ici

 

11. Emma mort même pas peur

Théâtre du Chien qui fume – 11 heures (durée : 1h10)

Emma mort même pas peur affiche

Si vous ne la connaissez pas encore, allez découvrir Emma la Clown dans l’un de ses spectacles les plus drôles et touchants.
« Alors moi je pose une question : comment on sait qu’on est mort. Et qu’on n’est pas en train de dormir par exemple » – signé : Emma
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Interview de Meriem Menant ici

 

12. Une trop bruyante solitude

Théâtre des Halles – 16h30 (durée : 1h)

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Une trop bruyante solitude est une fable politique et poétique majeure où planent l’esprit de Beckett, de Kafka et d’Orwell.
Laurent Fréchuret adapte ce récit impressionnant et dirige avec tact un comédien remarquable : une heure seulement et c’est du grand théâtre.” – Armelle Héliot | Le Figaro

 

13. C’est (un peu) compliqué d’être l’origine du monde

La Condition des Soies – 12h10 (durée : 1h10)

C'est un peu compliqué d'être l'origine du monde

Elles ont enthousiasmé la critique au Théâtre du Rond-Point, si bien que Jean-Michel Ribes a décidé de les programmer de nouveau la saison prochaine. En attendant, les voici de passage à Avignon : ce sont Les filles de Simone, un collectif qui vous fera hurler de rire.

 

14. Après la pluie

Théâtre du Girasole – 17h00 (durée : 1h30)

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Ce spectacle qui a obtenu le Molière du meilleur spectacle comique en 1999 est de retour à Avignon, pour notre plus grand bonheur. Marion Bierry remet en perspective cette œuvre visionnaire qu’elle révéla au public français avec succès.

 

15. Ma folle Otarie

Théâtre des Halles – 14 heures (durée : 1h10)

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Nouveau partenariat entre Pierre Notte-auteur metteur en scène et Brice Hillairet-comédien : l’histoire d’un petit homme transparent qui n’a jamais rien vécu, dont soudain les fesses vont tripler de volume…
Un monologue étonnant, féroce, drôle, touchant magistralement interprété.” – Armelle Héliot | Le Figaro
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Interview de Pierre Notte ici

 

Et puis, on parie sur de nouvelles créations, en espérant de nouveaux coups de foudre… Avignon, nous voilà !

 

16. La queue du Mickey

Théâtre des 3 Soleils – 20h40 (durée : 1h15)

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Après leur petit bijou de spectacle La Beauté recherche et développement, Florence Muller et Eric Verdin reviennent à Avignon avec leur toute nouvelle création.
Interview de Florence Muller ici

 

17. Marco Polo et l’hirondelle du Khan

Théâtre Actuel – 10h15 (durée : 1h30)

Marco Polo et l'hirondelle du Khan

Son Molière en poche (obtenu dans la catégorie « Meilleur spectacle privé » pour Les Cavaliers) Eric Bouvron revient à Avignon avec un nouveau projet : il nous emmène en Mongolie et en Chine, sur les traces de Marco Polo et de Kublai Khan, incroyable conquérant fou et meurtrier, petit fils du grand Mongol Gengis Khan, qui a posé la première pierre de la Chine moderne.

 

18. Timeline

Théâtre du Girasole – 22h30 (durée : 1h30)

Timeline Fouic théâtre Affiche

La nouvelle création des Fouic Théâtre qui avait fait le buzz à Avignon avec « Mangez-le si vous voulez » : à ne manquer sous aucun prétexte.
Interview de Clotilde Morgièvre et Jean-Christophe Dollé ici

 

19. On a fort mal dormi

La Manufacture – 16h15 (durée : 1h15)

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Patrick Declerck, ethnologue, raconte le quotidien des SDF et la vie en centre d’accueil. La compagnie Coup de Poker signe un spectacle militant, portrait d’un bout d’humanité avec sa maladie et sa folie. Ce spectacle sera programmé au Théâtre du Rond-Point courant 2017.

 

20. Adieu Monsieur Haffmann

Théâtre Actuel – 17h20 (durée : 1h25)

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Paris-1942 : décret de l’étoile jaune pour les Juifs. Joseph Haffmann propose à son employé Pierre Vigneau de lui confier sa bijouterie en attendant que la situation s’améliore. Sachant que Pierre doit également prendre le risque d’héberger clandestinement son “ancien” patron dans les murs de la boutique, il finit par accepter le marché de Joseph à condition que celui-ci accepte le sien : offrir à sa femme ce qu’il ne parvient pas à lui offrir… un enfant. Avec Grégori Baquet, MOLIERE 2014 de la révélation masculine pour Un Obus dans le coeur.
Interview de Grégori Baquet ici

Monsieur de Pourceaugnac : ses malheurs nous font pleurer de rire

Monsieur de Pourceaugnac – spectacle vu le 18 juin 2016
A l’affiche du Théâtre des Bouffes de Nord jusqu’au 9 juillet 2016
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Direction musicale : William Christie
Avec : Erwin Aros, Clémence Boué, Cyril Costanzo, Claire Debono, Stéphane Facco, Matthieu Lécroart, Juliette Léger, Gilles Privat, Guillaume Ravoir, Daniel San Pedro et Alain Trétout
Et les musiciens des Arts Florissants

 

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© Brigitte Enguerand

« Peut-on rire du malheur des autres ? Ca dépend… Si le malheur des autres est rigolo, oui. » – Philippe Geluck, Le Succulent du chat.

Le sort semble s’acharner sur Monsieur de Pourceaugnac – quelle idée, déjà, d’arborer un tel patronyme ! À peine débarqué de son Limousin natal – c’est qu’il revendique haut et fort ses origines, le bougre de chauvin – pour épouser la jeune Julie, il tombe dans le premier d’une série de guets-apens qui construiront sa longue descente aux enfers. Grâce à l’imagination débridée d’Ersatz, l’amant de Julie, et à la complicité cruelle de ses deux acolytes Sbrigani et Nérine, notre Limousin va effectivement passer quelques sales quarts d’heure en compagnie d’une truculente galerie de personnages.

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Un matador créancier succède à un médecin tendance psychopathe, des archers brutaux croisent des avocats lyriques, tandis que des épouses revanchardes s’en viennent régler leur compte à notre pauvre bougre. Sans compter le père de sa promise qui ne semble plus voir d’un très bon œil cette union antérieurement scellée.
Tous les thèmes chers à Molière se trouvent concentrés dans cette comédie-ballet (trop) rarement montée : la critique acerbe des médecins et apothicaires, la dénonciation des mariages arrangés, les dégâts causés par l’argent…

 

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« Monsieur de Pourceaugnac est sans doute l’une des pièces les plus sombres et les plus cruelles que Molière ait écrites. » – Clément Hervieux-Léger

Il ne fallait sans doute pas moins que le talent de Clément Hervieu-Léger pour nous faire découvrir ou redécouvrir les aventures de Pourceaugnac. D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’une pièce mais de l’une des comédies-ballets (écrite un an avant le Bourgeois Gentilhomme) de ce cher Jean-Baptiste et que le pensionnaire de la Comédie-Française ne s’y est pas trompé en conviant William Christie et les musiciens des Arts Florissants. Ensuite parce qu’il réunit et dirige une équipe de comédiens ébouriffante, autour d’un Gilles Privat sincèrement irrésistible. Enfin parce que la scénographie subtile et délicate alliée à ce cadre éternellement magique des Bouffes du Nord nous transporte, au gré de notre imagination, de la Cour du Roi Soleil à des paysages de campagne toscane, aux bas-fonds new-yorkais ou même à un épisode de Docteur House.

 

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Alors forcément, on rit. Enormément, follement, copieusement. On rit crescendo à mesure que Pourceaugnac dépérit sous nos yeux. Plus il sombre, plus on s’esclaffe. Aucune compassion pour le Limousin. On aime se réjouir du malheur des autres. Molière le savait et Clément Hervieu-Léger est un formidable « passeur »…

La Mouette de Thomas Ostermeier : saisissante réflexion contemporaine

La Mouette – spectacle vu le 31 mai 2016
A l’affiche de l’Odéon Théâtre de l’Europe jusqu’au 25 juin 2016
Une pièce d’Anton Tchekhov
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Avec : Bénédicte Cerutti, Valérie Dréville, Cédric Eeckhout, Jean-Pierre Gos, François Loriquet, Sébastien Pouderoux de la Comédie-Française, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur et l’artiste peintre Marine Dillard

La Mouette Ostermeier Matthieu Stampeur
© Arno Declair

 

« Nous connaissons la scène, il y a des hommes rassemblés et quelqu’un qui leur fait un récit »  – Jean-Luc Nancy, La communauté désœuvrée.

C’est le principe même du théâtre, évidemment. On pourrait dire de La Mouette que nous connaissons la pièce, et que les classiques sont attendus au tournant. Surtout quand ils parlent de théâtre et d’amour. Et surtout quand ils commencent avec une réflexion sur la Syrie, face public, au micro, dans un décor relativement minimaliste.

Sauf que… Thomas Ostermeier offre une version contemporaine pertinente de la pièce. Il adapte la traduction d’Olivier Cadiot, mêlant un langage quotidien avec un langage plus élaboré et poétique. Le metteur en scène tacle le théâtre contemporain avec humour et vivacité ; il interroge les nouvelles formes possibles du théâtre et de la création. La mise en scène de Nina et Treplev n’est pas sans rappeler un certain paysage de créations actuelles, à la Angelica Liddell et Romeo Castellucci, très juste, surtout dans un rapport de confrontation de deux générations de théâtre – celle d’Arkadina et celle de Nina.

 

La Mouette Ostermeier

 

Pas de vidéo pour autant, mais une artiste peignant à la brosse sur le mur du fond pendant le déroulement de la pièce. Métaphore du théâtre, comme un art qui s’élabore et évolue en direct. On croit d’abord voir se dessiner l’envol d’une mouette, puis un paysage montagneux en bordure de lac. Puis, finalement, l’artiste recouvre le tout de noir, créant un grand rectangle, un peu à la façon du « noir-lumière » de Soulages. « Noir-lumière », à l’image de ce ciel bleu chargé de nuages électriques que peint Tchekhov au bord du lac où évolue la dramaturgie. Les allusions au temps ne sont jamais anodines. Elles ne sont que le reflet de l’intériorité tourmentée et passionnée des personnages.

 

La Mouette Ostermeier

Les scènes attendues sont revisitées avec une très belle intelligence et il faut souligner le jeu des acteurs, absolument formidable. Un petit bijou qui pose avec justesse la question de la place de l’artiste dans son époque. À voir évidemment. À voir absolument.