Boys don’t cry, histoires d’amours

La compagnie Avant l’aube présente un triptyque Masculin-Féminin, à la recherche d’une génération née aux alentours des années ’90 ; tous, à la mise en scène, l’écriture, l’interprétation, ont l’âge de leurs protagonistes, et s’ils ne partagent pas leurs vies, sans doutes partagent-ils les mêmes inquiétudes et les mêmes espoirs. Dans ce volet, Maya Ernest met en scène le texte de Jean-Gabriel Vidal-Vandroy.
Boys don’t cry est le portrait sans fards mais sans cruauté de quatre jeunes hommes pour qui l’amour, ah, l’amour !, ça ne ressemble pas à ce dont on rêve…

Le premier à prendre la parole (Aurélien Pawloff, qui nous avait impressionné précédemment dans J’appelle mes frères), bourgeoisie de province, banquier d’affaires, costard chic et cher, petite gueule classieuse, vend son corps à de riches clientes, c’est la loi de l’offre et la demande, il est bien placé pour connaître, ce serait dommage de ne pas faire fructifier ce joli patrimoine… Cet autre (Raphaël Goument), grand corps athlétique, chevelure bouclée, un air pasolinien, « Prométhée enchaîné au sommet d’un Caucase virtuel », comme il se résume lui-même, passe ses nuits à épuiser sa vie sur des sites porno. Simon (Léonard Bourgeois-Tacquet), menu, traits fins et regard alerte, a rencontré Caroline il y a 5 ans sur un forum spécialisé, elle avait besoin de compagnie, il avait besoin d’argent. Un jeune lycéen (Vincent Calas), visage angélique, d’une douceur presque triste, joue les escort pour une très élégante, très cultivée, très influente femme qui a l’âge d’être sa mère, ce qui n’empêche pas les sentiments, peut-être, mais qui empêche l’histoire d’amour, sans doute.

« Regardez ces hommes tomber :
ils portent en eux la joie désespérée de ceux qui n’ont plus rien à perdre. »

Un air poignant accueille les spectateurs, un enregistrement au son usé, Le Pêcheur de perles de Bizet sous la direction de Michel Plasson ; la belle voix du ténor jaillit d’un petit poste de radio, tenu à la main par un comédien, pieds nus, debout dans la pénombre, au lointain. La musique, l’obscurité, cette silhouette immobile, tout s’agence pour faire naître une attention particulière, qui ne faiblira plus.

Une table, des chaises, des verres, une carafe, les murs noirs du théâtre pour décor : un espace scénique très simple, net, sans lyrisme. Les quatre comédiens s’attablent, réunis par ce lieu du témoignage. Tous sont marqués d’une trace scintillante, discrète noyée dans une chevelure ou flamboyante zébrant un profil : une façon sans doute de projeter les personnages du côté du nocturne, des paillettes de fêtes débridées, des lueurs opalescentes de lune.
Léonard Bourgeois-Tacquet et Vincent Calas campent aussi les femmes de ces hommes, Caroline et les autres. Rôles d’hommes ou de femmes, tous les quatre sont également fins, justes, précis. Ils transforment ces archétypes en une humanité sans manichéisme, complexe, touchante. La mise en scène, sobre – à l’exception d’une sur-signifiante scène christique -, tient à distance le sordide. L’un ou l’autre des personnages chante quelque air populaire, naissent alors de ces moments dont la familiarité et la tendresse abolissent les barrières, et permettent aux battements de cœur des spectateurs de se synchroniser avec ceux des comédiens.

Ça ressemble à des histoires de prostitution, de sexe, d’argent. Et ça l’est : l’argent circule et rythme les relations ; on attend les coups de fil, on évalue, on monnaye. Mais il s’agit encore plus d’histoires de construction de soi, et sans doute aussi, beaucoup, d’amour. Et de ce spectacle fiévreux, sombre, cru, ce qui restera, c’est le besoin de l’autre, et, oui, la tendresse des hommes.

 


BOYS DON’T CRY
, au Théâtre des Barriques jusqu’au 30 juillet
Un texte de Jean-Gabriel Vidal Vandroy
Sur une idée de Maya Ernest et Jean-Gabriel Vidal Vandroy
Mise en scène : Maya Ernest
Avec : Léonard Bourgeois-Tacquet, Vincent Calas, Raphaël Goument et Aurélien Pawloff

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