Britannicus, Néron et… Dominique Blanc

Britannicus – spectacle vu le 8 mai 2016
A l’affiche de la Comédie-Française jusqu’au 23 juillet 2016
Mise en scène : Stéphane Braunschweig
Avec : Clotilde de Bayser, Laurent Stocker, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Benjamin Lavernhe, Dominique Blanc et les élèves-comédiens de la Comédie-Française

 

“Et ton nom paraîtra, dans la race future, – Aux plus cruels tyrans une cruelle injure.” – Britannicus, Jean Racine

 

Une porte immense et immaculée en avant-scène. Une porte posée, là, qui ne clôt aucun espace. Une porte seule, sans mur aucun. Une porte qui disparaîtra plus tard mais qui, pour l’heure, dévoile une Agrippine qu’on attendait depuis longtemps. Car il nous aura fallu de la patience, à nous autres fidèles spectateurs du Français. Qui avions eu la bonne surprise de voir Eric Ruf confier à Stéphane Braunschweig la mise en scène de Britannicus. Qui avions appris l’engagement de Dominique Blanc au sein de la troupe, dont le premier rôle serait celui d’Agrippine. Qui avions découvert plus tard le reste de la distribution. Georgia Scalliet en Junie, Laurent Stocker en Néron, Stéphane Varupenne en Britannicus, Benjamin Lavernhe en Narcisse, Hervé Pierre en Burrhus – l’affiche faisait déjà rêver.

Le résultat est à la hauteur de l’attente. D’abord parce que la mise en scène du tout nouvel administrateur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe est précise, fluide, accessible, soignée, léchée, esthétique et concrète. Dans un décor ultra contemporain – immense table ornée de chaises en cuir et moquette “rouge puissance” – se dressent ces fameuses portes, symboles des coulisses du pouvoir.

 

Britannicus_Dominique-Blanc-Hervé-Pierre-Clotilde-de-Bayser-Comédie-Française
© Brigitte Enguerrand – collection Comédie-Française

 

Le résultat est là parce que Dominique Blanc est une immense tragédienne. Le personnage d’Agrippine évolue énormément tout au long de la pièce, ce qui permet à la nouvelle pensionnaire de dévoiler la palette inouïe de son jeu. Préoccupée par le changement de son fils, ambitieuse, possessive et craignant de ne plus exercer sur Néron l’autorité d’antan, elle cherche la meilleure alliance possible. Vaut-il mieux s’unir au fils de son second mari, Britannicus – un Stéphane Varupenne touchant de sincérité ? Ou bien à Burrhus, le gouverneur de Néron – formidable Hervé Pierre, tout en mansuétude et humanité ?

Le long plaidoyer-réquisitoire de l’acte IV, au cours duquel Agrippine tente d’obtenir la libération de Britannicus par Néron, est le point culminant de la pièce. Car pour tenir tête à Dominique Blanc, il ne fallait pas moins que le remarquable talent de Laurent Stocker. Ce “monstre naissant”, tel que le décrit sa propre mère, ce Néron assoiffé de pouvoir, prêt à tout pour le conserver, y compris faire assassiner son demi-frère. D’un point de vue plus psychologique, Stéphane Braunschweig veut montrer que “l’impossibilité d’obtenir l’amour de sa mère se retourne en haine”.

 

Britannicus Laurent-Stocker-Stephane-Varupenne-Comédie-Française
© Brigitte Enguerrand – collection Comédie-Française

 

Laurent Stocker campe un Néron comme pris au piège de son propre destin. Sous l’influence de Narcisse – Benjamin Lavernhe, glacial de détermination et de duplicité – il va commettre des crimes qui le dépassent : enlever Junie (la touchante Georgia Scalliet), se parjurer face à sa mère, emprisonner puis assassiner Britannicus. Laurent Stocker laisse percevoir un personnage qui est tout sauf manichéen. Comme le sont et le seront toujours les tyrans de son espèce.

Stéphane Braunschweig et Dominique Blanc font tous deux leur entrée dans la maison de Molière, leur Agrippine est au centre d’un spectacle très réussi 

1 – La scénographie traduit parfaitement le souhait de Stéphane Braunschweig de transposer la tragédie de Racine dans les coulisses d’un pouvoir façon “House of Cards” .
2 – Autour d’une nouvelle pensionnaire transcendante, les comédiens du Français nous livrent un jeu précis, nuancé, fluide, incisif et saisissant.
3 – Ce texte écrit en 1669 semble d’une terrible actualité, dans sa version  “braunschweigienne” 2016.

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