Clôture de l’amour, manifeste théâtral

Ce soir-là, au Théâtre 14, est une soirée particulière. Nous assistons à la 200e représentation d’une pièce référence du théâtre contemporain français, la plus grande œuvre de Pascal Rambert, l’auteur français le plus joué et le plus représenté au monde. Depuis 2011 et sa création triomphale au festival d’Avignon, Audrey Bonnet et Stanislas Nordey interprètent le double monologue Clôture de l’amour. D’autres l’ont fait après eux, dans d’autres mises en scène, dans d’autres langues. Mais Audrey Bonnet et Stanislas Nordey restent les maîtres de ce texte, écrit pour eux, et dont les personnages portent leurs prénoms.
C’est l’histoire d’une rupture, d’un couple qui se sépare. Point. L’histoire est aussi simple que cela. Et il n’y aura pas de rebondissements, pas de péripéties. Pas d’intrigue. C’est un texte avant tout et un spectacle sur la langue. La langue qui claque, la langue projetée, la langue débitée. Les mots de Pascal Rambert qui résonnent, que l’on entend loin, très loin. Le déversement du verbe, un tsunami verbal qui nous ébranle, comme l’auteur sait nous le proposer. Les flots qui sortent de la bouche de ses interprètes, à gros remous, emportant tout sur leur passage, laissant les comédiens vidés et les spectateurs chahutés, bouleversés. Lorsque la lumière s’éteint puis se rallume pour les saluts, on observe le plateau hébété, comme ces images du journal télévisé après une inondation. Sidération. Tout a été chamboulé, lavé, remué par la force et la brutalité du courant.


 
Clôture de l’amour est composée de deux parties, deux monologues et un choc. D’une brutalité et d’une violence inouïe. Carambolage. L’homme s’élance immédiatement, sans attendre. Il annonce que c’est fini. Catégoriquement. Sans conditions. Sans négociation. Unilatéralement. Il met tout à terre. Il coupe net. La femme est là. Elle reçoit. Encaisse. Parfois, l’émotion la submerge. Le vase déborde mais elle attend. Elle attend que l’homme termine, qu’il vide sa cartouche. Elle entend tout. Retient tout. Elle prépare déjà sa réponse. Puis, elle répond. Contre-attaque. C’est le début de la joute. D’une intensité inouïe. D’une précision et d’une clarté absolues. Elle vise dans le mille à chaque fois, à chaque mot. Elle déploie ici son ultime geste face à celui qui a tout détruit, qui est allé trop loin. Elle place et dit la vérité.
Il n’y a plus d’amour. Ou plutôt si. Il y a tant d’amour. Trop d’amour. Chaque mot, chaque coup, chaque geste, chaque larme, chaque respiration transpire l’amour. Mais le coup est parti et rien ne peut l’arrêter. Il faut avancer et tout détruire, saccager, piétiner ce qu’il reste. Le désastre. Désolant.
Audrey Bonnet et Stanislas Nordey sont spectaculaires. Au présent constamment sur le plateau, droit dans leurs adresses mutuelles, d’une rectitude phénoménale, ils se sont totalement emparés du texte et des mots de Pascal Rambert. Il n’y a plus de Pascal Rambert. Il y a Audrey et Stan. C’est tout. La guerre est déclarée. L’affrontement inéluctable.

Clôture de l’amour est une formidable pièce sur le théâtre, sur le travail de l’acteur au plateau dans une intense dialectique avec son partenaire. C’est Audrey qui le formule. Elle énonce la définition du théâtre, la plus simple, la plus vraie qui soit. Une personne s’avance et parle. Une autre entre et elle n’est pas d’accord. C’est là que commence le travail. Ce sont des acteurs qui travaillent pendant près de deux heures.
Un texte fondamental pour comprendre le théâtre et plonger si profondément dans la pensée, dans l’âme, dans ce que l’être humain peut ressentir de plus central, de plus essentiel. Clôture de l’amour est un manifeste.

Alban Wal de Tarlé

 

CLÔTURE DE L’AMOUR
Au Théâtre 14 jusqu’au 4 mai
Texte, conception, réalisation Pascal Rambert
Avec Audrey Bonnet et Stanislas Nordey

Parures La Bourette
Musique arrangement Alexandre Meyer de la chanson Happe (Alain Bashung – Jean Fauque), avec l’aimable autorisation des éditions Barclay/Universal©. Le chœur est interprété par la chorale de la Cité Scolaire François Villon, Paris 14ème, sous la direction d’Amaury Pierre et de Rebecca Meyer.
Lumières Pascal Rambert et Jean-François Besnard
Régie générale Félix Löhmann | Régie lumière Olivier Bourguignon
Direction de production Pauline Roussille | Coordination de production Sabine Aznar
Production déléguée Structure Production
Coproduction Festival d’Avignon, Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing
Le texte de Clôture de l’amour est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

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