De Pékin à Lampedusa
Un génie a dû frotter intensément la corne de l’Afrique, en faire sortir Malyka R. Johany pour qu’elle enchante les sables de ses pays brûlants. Et puis le génie lui a demandé d’interpréter la vie de Saamiya Yusuf Omar au creux des pierres du théâtre Essaion, et lui offrir un écrin d’éternité.
Saamiya Yuzuf Omar est née en 1991, l’année où la guerre civile éclate en Somalie et lui arrache son père. L’enfant meurtrie découvre les horreurs de la guerre et la folie des hommes, ceux dont les dents blanches luisent de cette fierté glaçante, décérébrée et imbibée d’alcool, assassinant au nom d’un Dieu qui a dû renier la sienne et préfère regarder ailleurs.
Saamiya est une adolescente portée par la passion de courir, “courir comme une gazelle que les lions ne pourront jamais rattraper”. Elle réussira à intégrer l’équipe qui représentera la Somalie aux JO de Pékin et à courir les qualifications pour le 200M. Son chronomètre importe peu, sa performance est ailleurs, sa victoire est d’être là, son rêve doit s’écrire à Londres en 2012.
@La Birba compagnie
Mais comment se préparer, en Somalie, “terre en lambeaux, où l’air est irrespirable”, où il est impossible d’exister en tant qu’athlète.
“Je n’étais qu’une femme!”
Alors elle part. Elle devient malgré elle le symbole de ces migrants qui risquent tout, animés du feu de l’obsession d’aller en occident. Partir ou mourir, risquer de mourir en partant, mais s’y risquer quand même, parce que rester c’est la mort, la mort assurée. Fuir l’enfer de la Somalie des Chebabs pour rejoindre un autre enfer, celui de l’exil qui lui prendra tout, son humanité et sa vie.
Saamiya s’était entraînée à courir, à endurer toutes les épreuves, à résister au pire… Pas à survivre, écrasée au fond d’une cale de bateau. Le médecin italien qui tentera en vain de la réanimer à Lampedusa, décrira un visage de madone. L’écriture de sa vie deviendra alors une nécessité.
Malyka R. Johany, seule en scène, nous emmène dans un périple intime avec une très touchante et authentique interprétation. Elle doit être un peu la réincarnation de Saamiya, enveloppée dans les drapés colorés de la Somalie, son bandeau blanc de sportive sur le front pour “retenir ses belles boucles brunes.”
Le texte de Gilbert Ponté est poignant et profond, sa mise en scène, toute en couleurs et en volute, est parfumée de chants d’ailleurs. Intenses moments de théâtre et d’espace vide, remplis des émotions des voyages intérieurs.
“De Pékin à Lampedusa” est une histoire de passion hors norme, une tragédie moderne. C’est aussi un magnifique message d’humanité et de courage face au mépris de l’Europe et à son égoïsme amnésique. “On n’est jamais préparé à la souffrance”, et tant qu’on ne l’a pas vécue, on ne sait pas ce qu’elle est.
DE PEKIN A LAMPEDUSA
À l’affiche de l’Espace Saint-Martial du 6 au 29 juillet 2018, 12h50 (relâche les 11, 18 et 25 juillet)
Texte et mise en scène : Gilbert Ponté
Avec : Malyka R. Johany
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