Les Passagers de l’aube : expérience de vie imminente

C’est troublant de terminer son festival d’Avignon par un fait du hasard, une attirance, une invitation toute en délicatesse à monter à bord, tel le dernier passager pressé de faire partie du voyage, avant que le vaisseau ne s’efface devant les murailles encore brûlantes qui l’ont vu naitre. Mais y a-t-il vraiment un hasard dans les attirances soudaines?

D’abord, il y a le synopsis : Noé est un brillant neurologue qui termine sa thèse et vit une passion amoureuse avec Alix, photographe dans le milieu musical. Ils sont beaux, heureux, plein de vie et d’envies. Mais Noé va être confronté à plusieurs cas et témoignages de mort imminente, patients en situation de mort clinique avérée, revenus du “couloir”, imprégnés de sensations. Tous les préceptes scientifiques cartésiens sur lesquels reposent ses études s’en trouvent déstabilisés. Noé ressent alors la nécessité indicible de creuser, de chercher, de remettre en cause ce qu’on lui a appris, quitte à devoir affronter ses pairs et à délaisser l’amour de sa vie. Mais y a-t-il vraiment un hasard dans ces attirances soudaines ?

Si Noé arrête ses recherches, il se renie, renonce à ses rêves, un peu comme on arrêterait de vivre en ayant peur de la mort, en prenant au final le risque de mourir sans avoir vraiment vécu. Alors Noé se risque, fait le choix de sa vie et de sa liberté.

Le sujet grave et concernant est une possible remise en cause de notre médecine occidentale, dont l’éthique est fissurée de toute part par le lobby des certitudes et des intérêts financiers. Médecine moderne, qui porte par sentiment de supériorité un regard condescendant sur les autres façons de soigner le corps et l’âme… Alors que nous savons si peu et qu’il nous reste tant à apprendre et à découvrir… Alors que notre façon de traiter la maladie et de regarder la mort fait probablement sourire ces chamanes de l’autre monde qui choisissent leurs plantes médicinales en leur parlant et en les écoutant.

Violaine Arsac nous offre un texte précis, travaillé, documenté, enchanté par cette “matière dont sont faits les rêves” : les dialogues nous transportent sans nous perdre, nous interrogent et nous bouleversent.

Passion intellectuelle et passion amoureuse se regardent, se séduisent, s’affrontent, se trahissent, exultent. Et comme au théâtre tout est plus dense et plus intense, c’est dans la vie que ces passions explosent pour façonner la tragédie promise. Grandiose déséquilibre, qui confère son vertige à notre existence. C’est au-delà de la mort qu’elles se rejoindront, dans un tourbillon de danse et de musique, comme un éclat d’éternité, sublimé par une mise en scène brûlante de lumières et d’émotions.

Expérience de théâtre imminent, expérience de vie imminente, vous ne serez plus un simple spectateur devant la pièce de Violaine Arsac, plutôt le passager d’un voyage pas comme les autres qui vous emmènera bien plus loin que vous ne pouvez l’imaginer. Comme Bernard Giraudeau, je la trouve belle l’aube des voyages, alors je relis ses mots irrésistibles en me plaisant à penser qu’ils les avaient aussi dédiés à ces passagers là: “C’est l’aube qui est belle parce qu’elle embellit. C’est l’annonce de l’éblouissement, la naissance de la vie incompréhensible. Tu regardes l’aube, mon amour, non, tu la vis, tu es en elle, tu t’abîmes pour renaitre. Le bonheur du voyage, c’est de faire tout pour la première fois.”

Au théâtre, tout est plus dense, plus intense. Vraiment. Le décès accidentel brutal du directeur du théâtre de la Luna en juin 2017, quelques jours avant la toute première représentation de ce spectacle qu’il aura soutenu et voulu, a laissé à l’évidence des orphelins aux joues humides. Mais il aura donné naissance à une lumière bien singulière, comme un dernier clin d’œil malicieux à ceux qu’il a aimés. “L’inverse de la mort c’est la naissance… c’est un passage”. Il doit être écrit quelque part que cette aube-là est un voyage qui n’aura pas de fin.

Mais y a-t-il vraiment un hasard dans les attirances soudaines ?

LES PASSAGERS DE L’AUBE Compagnie Le théâtre des possibles
Écriture et mise en scène : Violaine Arsac
Avec Grégory Corre, Florence Coste, Mathilde Moulinat, Nicolas Taffin

Spectacle créé au Festival Off d’Avignon 2017.

Reprise Avignon Off 2019 au Théâtre de la Luna à 12h40

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