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Finlandia, de Pascal Rambert, aux Bouffes du Nord : couple sous haute tension

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Dans l’espace si théâtral des Bouffes du Nord, une chambre d’hôtel aseptisée, à l’élégance internationale, va pendant 1h20 enclore un couple comme une boîte de Petri où s’agitent des bacilles affolés.

La chambre d’hôtel et la pièce ont été inventées pour Irène Escolar et Isreal Elejalde, acteurs madrilènes familiers de Rambert (elle, dans Hermanas, lui dans La Clausura del amor – les versions espagnoles de Sœurs et Clôture de l’amour), puis transplantées aux Bouffes du Nord. Ce sont Victoria Quesnel – particulièrement intense, interprétation à vif, et Joseph Drouet – plus contenu, mais toujours juste, déjà appréciés chez Julien Gosselin, qui s’emparent avec acuité du texte désormais traduit.

Ils sont un couple d’artistes, parents d’une enfant de 9 ans. Elle s’impose au premier plan dans le cinéma grand public, lui poursuit sa carrière dans l’ombre. Il y a deux jours, il a quitté Madrid en voiture pour la retrouver en Finlande où elle tourne dans une grosse production chinoise. Ils sont en pleine séparation, il vient réclamer son dû d’explications, et compte repartir avec leur fillette, endormie dans une chambre voisine sous la garde d’une nounou. Il a roulé 40 heures, il est arrivé en pleine nuit, il est épuisé et plein de colère. Elle est attendue à 7h pour le début de sa journée de tournage, elle est épuisée, et pleine de colère. Il veut parler, elle veut dormir. Le réveil à côté du lit indique 3 :47.

Comme dans Clôture de l’amour ou Ranger, le temps du jeu et le temps de la vie se superposent exactement, sans ellipse ni parenthèse. Plan-séquence radical et sans échappatoire sur une désunion, entre deux ex-aimés ex-aimants qu’on découvre en pleine crise.

Si Finlandia n’a pas – ou pas encore – la compacité, la densité de pièces antérieures de Rambert, l’auteur continue de tracer son sillon, creusant toujours plus profondément la veine du couple et de la famille, d’une écriture moins lyrique qu’elle ne le fût, plus concrète, aiguë et rapide.
« L’amour n’est pas une chose intime, l’amour, c’est l’affrontement de deux mondes réfugiés dans deux corps », dit Joseph ; et c’est cela que porte Finlandia, cet affrontement de deux mondes, ces deux corps remplis de leurs rêves et de leurs sensibilités mais aussi de leurs familles, leurs milieux sociaux, leurs cultures, leur argent. Passée la tempête chimique de dopamine, sérotonine, ocytocine, passé l’éblouissement, l’amour est colonisé par le monde, et le couple doit faire avec, ou contre.

Pascal Rambert aère ou plutôt contraste ce pugilat verbal de silences épais envahissant la chambre un instant éteinte pour une tentative de sommeil ; mais aussi de moments d’une folle drôlerie qui font jaillir les éclats de rire (le potentiel comique de Pascal Rambert n’est pas assez reconnu !) avant que la cruauté banale, ou la banalité cruelle, de la dispute ne nous les fassent ravaler sèchement.
On est de plain-pied dans le noyau dur de l’affrontement entre Victoria et Joseph – comme dans Clôture… les personnages portent les noms des acteurs –, chacun s’évertuant à se montrer sous son pire jour tout en accablant l’autre de reproches. Le texte acéré est débité sur un rythme tendu. Toute tentation de connivence ou d’empathie se trouve balayée en deux répliques, chacun a raison, chacun a tort, chacun est le monstre de l’autre et en désamour comme en amour le cœur a ses raisons que la raison ignore…

Pour s’interdire autant toute séduction, il faut l’audace de la jeunesse et la solidité de l’expérience, et Pascal Rambert possède largement de ces deux richesses. Le parti pris est sans concession, le couple ne s’extirpera ni de sa chambre d’hôtel, ni de sa crise. De cette victoire à la Pyrrhus, nul ne sort indemne. Pourtant, la conclusion, encore un peu brouillonne dans sa réalisation mais d’une très tendre et très jolie idée (une chanson traduite, dont les paroles malheureusement à force de superposition se perdent) apporte une accalmie ; comme un œil du cyclone autour de l’enfant, dont la présence mutique se transforme en un espace d’apaisement.

Marie-Hélène Guérin

 

FINLANDIA
Au Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 10 mars
Avec Victoria Quesnel et Joseph Drouet
Et avec Blanche Massetat, Anna Nowicki et Charlie Sfez en alternance
Texte et mise en scène Pascal Rambert
Lumières Yves Godin | Costumes Marion Régnier | Collaboration artistique Pauline Roussille
Photos © Pauline Roussille

Production structure production
Coproduction Centre International de Créations Théâtrales / Théâtre des Bouffes du Nord

Revue de presse du 24 février : Couple, Une trop bruyante solitude, Dialogues d’exilés et Encore une histoire d’amour

 

 

1. Une histoire de couple ordinaire, c’est au Rond-Point et cela s’appelle tout simplement Couple  :

– “Gilles Gaston-Dreyfus met en scène une grinçante relation sentimentale qu’il interprète avec Anne Benoît.” – Libération

– “Aucun réalisme dans cette scène de la vie conjugale, mais le plaisir de l’absurde exacerbé.” – Elle

– “Un vieux couple de cinquantenaires, a priori plutôt ennuyeux, mais qui transporte le spectateur aux confins de la banalité la plus absurde, ou de l’absurde le plus banal.” – RFI

– “Dans un décor minimaliste de Nicolas Sire, salon aux murs gris béton et canapé jaune, deux officiants de poids : Anne Benoît, ogresse aux trémolos qui n’est jamais aussi juste que dans les éclats, et Gilles Gaston-Dreyfus dont l’affuté humour pince-sans-rire fait merveille.” – Froggy’s Delight

– “Gille Gaston-Dreyfus a-t-il trouvé en elle son alter ego sur les planches ? A voir la façon dont le couple se houspille dans la pièce Couple, on jurerait que oui.” – France Culture

– Difficile de pas tomber amoureux d’Anne Benoît et de sa voix, qui représente à elle seule un délice pour l’ouïe.” – Les 5 pièces

– “Théâtre dans le théâtre, apartés, répétitions : l’auteur-acteur ose bien des formes et des styles pour nous dire avec un humour cannibale sa haine du vivre ensemble.” – Telerama

 

 

2. Puissance et plaisir de la littérature contre la barbarie avec Une trop bruyante solitude mise en scène par Laurent Fréchuret au Théâtre de Belleville :

– “D’abord diffusé clandestinement à Prague en 1976, Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal dénonce les normes totalitaires avec un sens aigu du grotesque et de la dérision.” – La Terrasse

– “Thierry Gibault adopte un jeu volontairement figé sur sa palette de bois d’où cet ouvrier amoureux de son petit métier se raconte comme écrasé par son destin.” – Artistik Rezo

– “A un moment où, bouleversée par l’irruption de la violence sur le sol national et par la dérive droitière du gouvernement, la scène française commence à interroger la possibilité d’un retour à un théâtre politique, cette adaptation d’Une trop bruyante solitude par Laurent Fréchuret ébranle.” – Time Out

– Il serait dommage de ne pas se laisser emmener dans ce voyage, qui va bien au-delà, évidemment, de l’Histoire et de la politique : un spectacle qui nous parle de résistance… et de vie.” – Reg’Arts

– Il est rare de se confronter à un texte qui aborde tous les grands thèmes traités à la fois dans l’art et la littérature.” – Les 5 pièces

 

 

3. Au Lucernaire, Olivier Mellor et sa Compagnie du Berger proposent un intelligent voyage sur la route des Dialogues d’exilés de Bertolt Brecht :

– “La pièce est l’une des moins connues de Bertolt Brecht, qui l’a écrite pendant son exil américain, après avoir été obligé de fuir le nazisme.”  – Marianne

– “Si l’on rit et se réjouit dans ces Dialogues du buffet de la gare, on n’en sort pas indemne pour autant. Le veau d’or est toujours debout, et la bête immonde aussi.” – L’Humanité

– “Sur scène ils sont donc trois musiciens, Séverin Jeanniard à la contrebasse, Romain Dubuis au piano et Cyril Schmidt aux percussions et guitare, et deux comédiens à faire swinguer le texte de Brecht et les chansons de Kurt Weill, Jean Yanne ou encore Léo Ferré, dans une complicité gouailleuse, rafraîchissante qui mêle l’absurde à l’autodérision.” – Froggy’s Delight

– “Le plaisir avec lequel la petite troupe s’anime sur scène tient pour beaucoup à la force du texteLa parole brechtienne est pleine de justesse et de subtilité.” – Toute la Culture

– Tout l’humour de Brecht fait ici des flammes. Toute son analyse aussi.” – Reg’Arts

 

 

4. Ladislas Chollat met en scène Encore une histoire d’amour au Studio des Champs-Elysées, avec Elodie Navarre et Thierry Godard :

– “Cette pièce de Tom Kempinski adapté en français par Jean-Claude Grumberg (L’Atelier, Rêver peut-être, Moi, je crois pas !), c’est beaucoup plus que la confrontation de deux solitudes, c’est la naissance d’un amour, le regard que l’on peut porter sur les différences, les valises que chacun porte en soi…” – Marie-France

– “En écrivant cette pièce, Tom Kempinski, devenu obèse et agoraphobe après le succès de Duo pour violon seul, évoquait ses propres difficultés.” – Le JDD

– “Thierry Godard surjoue, Elodie Navarre est attachante. L’astuce scénographique pour marquer la distance des deux lieux est efficace mais d’une esthétique peu convaincante.” – Telerama

– Un dispositif ingénieux permet de voir les deux appartements, l’un à Londres l’autre à New-York, les deux comédiens jouant chacun chez soi et faisant parfois irruption chez l’autre sans pour autant que cela soit perturbant.” – Reg’Arts

– Interview de Ladislas Chollat pour Europe 1