Mots de détenues : lecture de « Une fille sans personne »
Que ces échos arrivent jusqu’à vous, détenues.
Une pièce qui traite des ateliers d’écriture en prison, on se dit « Grand Dieu, le sujet ne m’intéresse que de très loin ». Et pourtant Iris, la détenue, et Camille, l’animatrice d’atelier d’écriture, nous font vibrer pendant tout le spectacle. A travers des échanges épistolaires, des consignes d’écriture très personnelles, des consignes qui ouvrent un champs de liberté ou circonscrivent la vie d’Iris et à travers la production scripturale qui s’en suit, on découvre la vie dépenaillée et pleine de fougue, le destin malheureux, la famille en capilotade qui pourtant continue de structurer, même en prison, et l’histoire tragique d’Iris, une jeune délinquante qui s’est vite retrouvée entre quatre murs, avec des codétenues tout aussi désespérées, dont elle dressera, par écrit, des portraits tout en joie et en finesse.
Au gré des échanges, on apprend également beaucoup du broyant milieu carcéral et en particulier de celui des femmes qui « perdent leur règles, ici », des boulots qu’on peut faire en prison, des suicides qui plombent le moral pour longtemps, des fouilles qu’on ne supporte plus et du mitard qui rend dingue. On a beaucoup d’empathie pour la pétulante Iris. Elle s’interroge également sur l’écriture, l’acte d’écrire, l’impasse de la mémoire, la vanité de l’imagination et le confort des poètes.
Mais pourtant, cet atelier d’écriture, c’est la soupape pour rester vivante, c’est le rendez-vous attendu qu’on ne manquerait pour rien au monde, c’est l’horizon du ciel dans sa cellule. Alors, quand Camille vient à s’absenter, à ne pas honorer un rendez-vous, c’est tout un monde qui s’écroule. Et à la fureur de s’exprimer et de nous renvoyer à la sauvagerie de la prison « qui abîme ».
Camille semble le pilier sur lequel s’appuyer pour ne pas sombrer (ainsi que Jack Kerouac), malgré ses absences répétées et la violence parfois, elle répond aux lettres d’Iris, y prend plaisir, une vraie relation semble exister et elle ne la laisse pas tomber. Pourtant, on découvre finalement que Camille est peut-être la plus faible des deux. Camille malade, Camille isolée, Camille qui se meurt.
On notera l’intensité des deux comédiennes et en particulier la présence vocale d’Ann Parkins (Camille) qui nous porte des coups au cœur et à l’estomac. Et on n’oubliera pas les compositions et l’accompagnement à la guitare de Jak Belghit qui colle parfaitement à ce qui nous est dit.
Et à Camille encore de nous laisser dans la circonspection à la fin de la pièce. Camille a-t-elle réellement des problèmes personnels, psychologiques, médicaux ou est-ce la confrontation au milieu carcéral et plus particulièrement à sa rencontre avec Iris qui l’absorbe et l’étouffe ? Peut-on faire ce genre de travail sans se protéger, ce à quoi semble être réduite Camille ? Des questions qui s’ouvrent à la fin de la pièce. Faire écrire les autres n’est pas sans danger.
On se demande comment Corinne Menant mettra en scène cette pièce aux allures statiques de par le choix d’une narration par lettres et on a hâte de savoir.
On souhaite un beau parcours à ce spectacle qui débute sa vie d’artiste.
– Isabelle Buisson –
Lecture de UNE FILLE SANS PERSONNE, éditions L’Avant-Scène
De Carine Lacroix
Avec Corinne Menant et Ann Parkins
Mise en scène Corinne Menant
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=DVC7D6HBODk&w=560&h=315]
“La poésie nous rajoute une coeur” écrit Iris dans une de ses lettres-confessions.
Et c’est ce que ce texte, et ce duo d’actrices, apporte au sujet.
On n’est pas si loin d’Orange is the new Black, la tonalité n’est pas complètement sombre. Il y aussi du sourire, et du plaisir esthétique.
Les accompagnements hypnotiques de Jak Belghit soulignent parfaitement les moments du récit et nous invitent à un voyage intérieur.