La Petite Tuk : un lumineux conte social
Joachim Latarjet et Alexandra Fleischer, co-créateurs de la compagnie Oh ! Oui… et initiateurs de cette Petite Tuk, avaient envie d’un conte social à hauteur d’enfants, de ces enfants notamment qu’ils rencontrent lors des ateliers de pratique théâtrale qu’ils animent dans la ville où leur compagnie est accueillie en résidence, Les Ulis. Le petit Tuk du conte méconnu d’Andersen, à qui sa mère demande de rendre des services domestiques alors qu’il devrait étudier ses leçons, leur apparut une juste caisse de résonnance pour évoquer ces mômes poussés par la vie précaire à devenir trop grands trop vite, à porter de bien lourdes charges pour leurs épaules enfantines. Puisque bien souvent ce sont des jeunes filles qui secondent les parents, le Petit Tuk deviendra Petite Tuk, pour raconter cette histoire d’une demoiselle bien d’aujourd’hui, entre désirs d’enfance et responsabilités d’adulte.

Le papa de Tuk n’est pas là, un immense amour, mais disparu depuis si longtemps que Tuk n’en a pas souvenir. Le papa de la petite sœur était un vilain bonhomme, disparu aussi et c’est tant mieux. Alors la maman de Tuk travaille de nuit, laissant à sa grande le soin de s’occuper de sa petite (quelques mois, faim de loup et nuits morcelées), du linge, des repas, des paperasses…, alors Tuk vaillamment rentre de l’école, va chercher sa sœur à la crèche, fait les courses, les biberons, tourner la machine, et s’endort en classe, sur les bancs du square, debout dans la cuisine. Dort, et rêve… Et, comme au petit Tuk du conte originel, les rêves vont lui parler, et lui glisser au creux de l’oreille des histoires, autant d’occasions d’apprendre à lire le monde et son propre cœur.
Dans ce conte très musical, Léa Sery, visage rond, sourire solaire, chante d’une voix charnue, ample, et a un jeu spontané qui nous fait croire sans retenue à la jeunesse de son personnage, c’est une Tuk pleine d’aplomb, de colère aussi, de fatigue, de rêves et de joie de vivre. Alexandra Fleischer, longue brune au timbre voilé, interprète une mère de Tuk tout en nuances, qui accompagne sa vie de chansons, fredonnante, sautillante : elle fait front face à la dureté de son quotidien de mère-de-deux-enfants-qui-travaille-de-nuit avec une fantaisie qui parfois frôle l’inconséquence mais lui permet de garder sa légèreté, tout à la fois oubliant et admirant les efforts que fait sa fille pour « assurer ». Et la comédienne s’amuse aussi dans des rôles annexes traités dans un esprit plus « cartoon » qui désamorce la morosité des inquiétudes pécuniaires qu’ils représentent : une banquière radicale – des nombres plein les phrases, une acariâtre envoyée par le proprio pour recouvrer les loyers impayés… Joachim Latarjet, à la fois auteur, compositeur et metteur en scène, silhouette d’échalas en costume étriqué, également musicien sur scène, voix bashunguienne, incroyable siffleur de conjugaison, joue l’attentif professeur de français de Tuk, mais aussi un fantasmé musicien-papa qui lui offre un jouissif duo trombone-voix – des personnages d’hommes présents et prévenants, pour faire contrepoids aux pères absents ou mauvais.

Sur un délicieux décor de toiles peintes déroulées manuellement par les interprètes, qui font défiler murs de maison, d’école ou de rue, soutenues par une création sonore riche et subtile, de belles projections – nuages, gouttes de musique/d’eau, mots à la craie… – éclairent le propos et enveloppent le spectacle d’onirisme, de douceur et de délicatesse. D’obstacles en moments partagés, d’incompréhensions en complicités, mère et fille vont cheminer l’une vers l’autre, et l’adulte vers son épanouissement, et l’enfant vers son enfance.
En chansons, sur des airs slam, jazz, pop, rock, La Petite Tuk est un lumineux récit initiatique, qui met les questions sociales à portée de regard d’enfants, avec fraîcheur et simplicité, sans fausse pudeur, et ouvre la fenêtre à un grand souffle d’air, à la possibilité d’une liberté à construire.
À voir en famille dès 8 ans.
Marie-Hélène Guérin
LA PETITE TUK
À La Grande Halle de la Villette les 13 et 14 décembre 2025
Un spectacle de la Compagnie Oh ! Oui…
Texte, musique et mise en scène Joachim Latarjet
d’après Le Petit Tuk de Hans Christian Andersen
Avec Alexandra Fleischer, Léa Sery, Joachim Latarjet
Collaboration artistique Yann Richard | son et régie générale Tom Menigault | lumière Léandre Garcia Lamolla vidéo Julien Téphany | costumes Nathalie Saulnier
À voir en tournée ensuite :
Oullins – Théâtre de la Renaissance : du 20 au 23 janvier 2026
Noisy-le-Sec – Théâtre des Bergeries : du 12 au 14 mars 2026
Les Ulis – Espace culturel Boris Vian : 17 mars 2026
Pays Basque – Kultura : du 26 mai au 1 juin 2026
À noter : la Cie Oh ! Oui… présente aussi en décembre Bricolo, ciné-concert pour les tout-petits dès 3 ans au Théâtre Paris-Villette du 15 décembre 2025 au 4 janvier 2026.

Production Compagnie Oh ! Oui… / coproduction Le Grand Bleu – Lille, Scène conventionnée d’intérêt national – arts, enfance, jeunesse – KULTURA, communauté d’agglomération Pays basque, La Ville des Ulis, Culture Commune – Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, La Villette – Paris, Théâtre des Bergeries – Noisy le Sec, Les Tréteaux de France – Centre dramatique national Depuis 2022, La Compagnie est en résidence d’implantation territoriale sur la commune des Ulis (91). Depuis septembre 24, elle est compagnie associée au Grand Bleu – Lille, Scène conventionnée d’intérêt national – arts, enfance, jeunesse pour trois saisons. Elle est artiste associée au Théâtre des Bergeries -Noisy-le-Sec pour la saison 2025/2026 La Compagnie Oh ! Oui est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC Ile de France.





















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