Amphitryon, ou l’espièglerie baroque

« Le baroque, c’est d’abord le théâtre, ou si l’on préfère c’est, par nature, par essence, la chose du baroque, son mode d’expression cardinale ». Eugène Green

Vous n’aurez jamais entendu Amphitryon de la sorte – en déclamation baroque. Vous avez dit … « déclamation baroque » ? C’est une prononciation d’époque : on roule les r, on prononce « oué » plutôt que « oi », les « en » se transforment en « a-an ». L’oreille doit s’y habituer mais c’est pour mieux renouveler l’écoute des mots et prêter une meilleure attention aux sens. Tenez-vous bien, la compagnie Oghma redonne au vers et à la parole toute sa sacralité. On redécouvre la puissance des mots et leur musicalité.

Amphitryon, Molière, compagnie Oghma, Theo Théâtre, Pianopanier@ Côme Di Meglio

Le geste baroque qui accompagne la parole, la rend d’autant plus vibrante. Il la souligne, l’explicite, et décuple son sens avec verve et mordant. Le geste y est précis, vif, implacable. C’est tout un texte gestuel, comme un langage dans le langage. Les corps présentent un gracieux maintien, les positions des pieds rappellent celles de la danse classique, les visages peints en blancs et soulignés de noir y sont très expressifs. Un sourcil relevé, un petit doigt replié, une inclinaison de tête prennent soudain toute une ampleur et une signification – grave, drôle, inquiète ou espiègle. Force du détail, beauté de la précision. Voilà une fascinante partition que nous donnent à voir les acteurs d’Oghma.

Amphitryon, Molière, compagnie Oghma, Theo Théâtre, Pianopanier

« J’aime mieux un vice commode qu’une vertu fatigante » Amphitryon

La pièce s’inspire de personnages de la mythologie antique. Amphitryon joue de manière habile sur le motif du double, du miroir et du quiproquo. Sosie, serviteur d’Amphitryon se retrouve magiquement pris au piège face à son double qui apparait devant lui comme par enchantement. Amphitryon subit le même sort et se retrouve lui aussi face à son propre miroir. Le spectateur s’y méprend presque, emporté par la magie du baroque et la malice de Molière. Ce farcesque subterfuge du double souligne finalement à quel point il peut être effrayant de se retrouver face à soi-même… Nous voilà face à la question de l’autre et de son double, le tout dans un contexte « méta-théâtral ».

On rit d’un Sosie drôle et grimaçant roué de coups de bâton – Charles Di Meglio y est malicieux et extrêmement habile – on s’émerveille de la langue de Molière, on admire les costumes faits main, brillants à la lueur des bougies, bref, on se laisse emporter et surprendre, on aime ! Vous pouvez vous plonger dans cet incroyable univers baroque tous les vendredis à 21h et les samedis à 17h15 au Théo Théâtre jusqu’au 29 avril. Viiiite, on vous le rrrrrr-e-comm-a-annnn-de !

Amphitryon, Molière, compagnie Oghma, Theo Théâtre, Pianopanier

AMPHITRYON
Á l’affiche du Theo Théâtre – du 24 février au 29 avril 2017 (vendredi 21h, samedi 17h15)
Une comédie de Molière
Mise en scène : Charles Di Meglio
Avec : Valentin Besson, Joseph de Bony, Ulysse Robin, Pauline Briand, Romaric Olarte, Manuel Weber, Charles Di Meglio

L’été meurtrier de Stéphane Braunschweig

À peine le temps de voir couler le sang sur le rideau translucide que celui-ci se lève, nous projetant au beau milieu d’une forêt luxuriante, entre plantes carnivores et lianes géantes. Nous nous trouvons dans le jardin-jungle de Sébastien, le fils de Mrs Violet Venable, mort dans des conditions mystérieuses, tragiques et… soudaines, l’été dernier, lors d’un périple en Europe. Très vite, on oublie la forêt, on l’intègre, on se focalise sur les deux personnages en scène : Mrs Venable et le Docteur Cukrowicz, un jeune neurochirurgien pratiquant la lobotomie. Violet lui demande de soigner sa nièce Catherine, qu’elle a fait interner pour démence à son retour de Cabeza de Lobo, l’endroit où est mort Sébastien… Car Catherine était du voyage, son cousin lui avait demandé de l’accompagner…

Soudain l'été dernier, Tennessee Williams, Stéphane Braunschweig, Odéon Théâtre de l'Europe, Pianopanier, @ Thierry Depagne

« Peut-on haïr quelqu’un et demeurer sain d’esprit ? »

Soudain, Catherine apparaît, bientôt rejointe par son frère et sa mère qui tentent de la dissuader de « répéter cette histoire à Tante Violet. »
Mais le Docteur Cukrowicz est justement là pour écouter cette histoire et tenter d’y trouver des réponses… Catherine est-elle réellement folle ? Comment Sébastien est-il mort  ? Qui était-il exactement ? Quels rapports entretenait-il avec sa mère ? Pourquoi Violet tient-elle tant à faire lobotomiser sa nièce, à la faire taire à tout jamais ? Et surtout, que s’est-il passé à Cabeza de Lobo ?
Pas à pas, le neurologue parviendra à faire émerger le refoulé de Catherine, jusqu’à une scène finale aux allures de thriller psychologique.

Soudain l'été dernier, Tennessee Williams, Stéphane Braunschweig, Odéon Théâtre de l'Europe, Pianopanier,

« Soudain, l’hiver dernier, je me suis mise à écrire mon journal à la troisième personne. »

Première mise en scène à l’Odéon qu’il dirige depuis un peu plus d’un an, première fois qu’il s’attaque à Tennessee Williams : Stéphane Braunschweig nous offre un spectacle magistral, inquiétant, oppressant… totalement réussi.
Sa très belle scénographie, quasi « organique », fait écho au récit perturbé, effrayant de Catherine.

Mais c’est assurément l’interprétation des deux comédiennes qui fait tendre le spectateur vers le trouble, le malaise, l’angoisse. En mère vampirisante, qui idolâtrait et martyrisait son homosexuel refoulé de fils, Luce Mouchel est exceptionnelle : dure, impitoyable, cassante, haineuse. Dans cette confrontation, elle joue sa propre existence, et l’on imagine bien qu’elle ne survivra pas au dénouement de cette histoire.
Face à elle, fragile et complexe, Marie Rémond est une bouleversante Catherine. C’est elle que l’on suit de bout en bout, suspendu à ses lèvres, à ses démons, à ses psychoses… Le point final posé par Jean-Baptiste Anoumon (parfait dans le rôle du médecin) renvoie les protagonistes – et les spectateurs – à leurs propres fantasmes. Rien n’est résolu, aucune réponse formelle, en-dehors de celle-ci : pour son premier coup à l’Odéon, Stéphane Braunschweig a frappé fort.

SOUDAIN L’ETE DERNIER
À l’affiche de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 14 avril puis en tournée (25-29 avril : Théâtre du Gymnase, Marseille – 11-14 mai : Piccolo Theatro, Milan)
Texte : Tennessee Williams
Mise en scène : Stéphane Braunschweig
Avec : Jean-Baptiste Anoumon, Océane Cairaty, Virginie Colemyn, Boutaïna El Fekkak, Glenn Marausse, Luce Mouchel, Marie Rémond

Le Petit-Maître corrigé : une injustice réparée !

Clément Hervieu-Léger signe cette saison à la Comédie-Française une mise en scène très réussie du « Petit-Maître corrigé » de Marivaux, pièce jouée uniquement deux fois jusqu’ici ! Cette œuvre contient pourtant tous les ingrédients des comédies de caractère et de mœurs du 18ème siècle en général et de Marivaux en particulier. La passion que l’on ne veut pas avouer ni reconnaître, les oppositions sociales, l’ironie, la vérité psychologique, la fantaisie, les domestiques qui mènent le jeu et l’amour qui finit par triompher. « Le Petit-Maître », jeune parisien précieux et pédant est hostile au mariage. Rosimond doit épouser, pour obéir à sa mère, la fille d’un comte « campagnard » qu’elle lui a choisie. Il ne veut en aucun cas fâcher sa mère !

« Nous l’épouserons, ma mère et moi ! »

Il ne regarde même pas la jeune fille qui, elle, le trouve plutôt à son goût mais veut lui donner une leçon. Elle y parviendra, avec l’aide de Dorante, ami de Rosimond et des domestiques Marton et Fortin. Dans cette scénographie, l’action se déroule non pas dans le salon du comte mais dans un pré ! Les très beaux décors d’Eric Ruf évoquent des tableaux de Greuze et Fragonard. Les costumes d’époque sont très réussis. Tous les comédiens sont excellents, comme toujours avec l’actuelle troupe du Français. Leur humour, leur  fantaisie, leur aisance contribuent à nous faire passer un moment très agréable à la (re)-découverte de ce texte de Marivaux.
Gageons que nous retournerons applaudir cette œuvre avant deux siècles d’attente… Et pourquoi pas l’année prochaine, avec une reprise de cette mise en scène ?

Marie-Christine Fasquelle

LE PETIT-MAITRE CORRIGE
Á l’affiche de la Salle Richelieu de la Comédie-Française – du 3 décembre 2016 au 24 avril 2017 (calendrier de l’alternance ici)
Une pièce de Marivaux
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Avec : Florence Viala, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Pierre Hancisse, Claire de la Rüe du Can, Didier Sandre, Christophe Montenez, Dominique Blanc

HAMLET d’Ostermeier : ce fou furieux

Folie : trouble du comportement et/ou de l’esprit, considérée comme l’effet d’une maladie altérant les facultés mentales du sujet. Elle peut être furieuse : trouble mental accompagné de manifestations de violence. C’est le choix de Thomas Ostermeier. Hamlet est fou, il n’y a pas à tergiverser.

Lars Eidinger incarne avec génie un héros complètement dérangé, bedonnant, repoussant, qui vit encore chez ses parents. Un raté survolté. L’anti-héros par excellence. En alternant jeu et improvisation, il nous offre une folie démentielle, répondant à toutes ses impulsions, sans complexe. L’acteur va en chercher les limites jusqu’à les dépasser parfois. Mais la folie peut tout excuser. D’autant qu’elle n’est finalement pas si éloignée de nous.

La scène est recouverte de terre. On assiste aux funérailles du roi du Danemark. Les visages sont graves. On descend le cercueil, derniers adieux. Jusqu’ici, la scène est classique. Sauf que : un acteur sort un tuyau d’arrosage pour faire venir la pluie, et on sort les parapluies. Le fossoyeur bataille pour enterrer le cercueil – le roi n’arrive pas à être enterré – c’est tragique et burlesque à la fois. Puis on enchaine directement avec le banquet de noces. Sans transition. Mort et désir mêlés d’emblée.

Hamlet, Thomas Ostermeier, William Shakespeare, Urs Zucker, Lars Eidinger, Jenny König, Robert Beyer, Damir Avdic, Franz Hartwig, théâtre des Gémeaux de Sceaux@ Arno Declair

La pièce, adaptée avec justesse par le dramaturge Marius von Mayenburg, laisse place à toute la radicalité de la mise en scène d’Ostermeier, entre illusion théâtrale – du ketchup pour faire du sang – et juste modernité – utilisation de la caméra tout en finesse.

Presque 10 ans déjà que la pièce était si attendue dans la Cour du Palais des Papes. Elle ne l’était pas moins cette année au Théâtre des Gémeaux. Jusqu’au 29 janvier, on fonce à Sceaux, parce qu’on ne manque pas une mise en scène dans laquelle six comédiens se répartissent tous les rôles d’Hamlet. Parce qu’on ne manque pas un Hamlet génialement dingue, et surtout parce qu’on ne manque pas une mise en scène de Thomas Ostermeier.

Hamlet, Shakespeare, Thomas Ostereier, Lars Eidinger, Théâtre de Gémeaux de Sceaux, critique Pianopanier

HAMLET
Á l’affiche du Théâtre des Gémeaux de Sceaux  – du 19 au 29 janvier 2017 (20h45, dimanche 17h)
Une pièce de William Shakespeare
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Avec : Lars Eidinger, Jenny König, Robert Beyer, Damir Avdic, Franz Hartwig

Un Faust diablement bien mis en scène

Pas un seul souhait de ce savant ne fut exaucé. Alors, découragé il pense à mettre fin à ses jours, quand un être surnaturel lui propose un pacte : il accepte de céder son âme au Diable pour retrouver  la jeunesse et les  plaisirs. Jeune et séduisant, Faust vit avec Marguerite, paysanne dévote. Une passion dévorante. Cette dernière, éperdument amoureuse, a empoisonné sa mère, croyant l’endormir seulement pour passer une nuit d’amour avec Faust.
Mais le Diable veut faire connaître à ce dernier d’autres voluptés, d’autres aventures… Faust délaisse Marguerite  pour errer en compagnie du Diable, ignorant que celle-ci a mis au monde un fils qu’elle a noyé. Elle est emprisonnée et condamnée. Faust, qui l’aime vraiment, veut la retrouver et la sauver. Lorsqu’il parvient à la prison, elle refuse de le suivre, car elle veut expier ses crimes. Elle est mise à mort mais son âme est sauvée. Faust, lui, disparaît avec le Diable. Damné à jamais.

« Tout doit te manquer, tu dois manquer de tout »

Cette adaptation de Ronan Rivière est très réussie. Le texte est réduit : pas de sorcière ici, ni de « nuit de Walpurgis ». Absent également Valentin, le frère de Marguerite et son fameux « honneur ». Comme dans l’opéra de Berlioz, l’intrigue se noue autour du couple Faust / Marguerite, avec Méphistophélès pour personnage principal. Le texte de Goethe, magnifiquement traduit par Gérard de Nerval, n’a en rien été modifié. Ce drame romantique, ce conte fantastique ainsi présenté nous procure plaisirs esthétique et intellectuel.
Le « prologue sur le théâtre » est remplacé par un prologue écrit par Ronan Rivière lui-même ; saluons l’initiative d’avoir adapté et joué l’œuvre la plus célèbre de l’immense écrivain allemand.

L’amour, le remords, l’angoisse existentielle, la morale sont présents.
La scénographie est très belle, les costumes conformes, surtout celui de Méphistophélès, « habit écarlate brodé d’or ». Le piano apporte une note de légèreté et  peut faire diversion dans cette ambiance sombre et dramatique.
Grâce au jeu de Ronan Rivière, excellent Méphistophélès, on rit « jaune » parfois des mots d’esprit de ce Diable qui, si malveillant soit-il, est  très cultivé !
Il faut aller applaudir cette pièce au théâtre du Ranelagh, car il y a trop peu d’occasion de voir cette œuvre sur les scènes françaises.

Marie-Christine Fasquelle

FAUST
Á l’affiche du Théâtre du Ranelagh jusqu’au 26 mars 2017 (19h)
Une pièce de Goethe
Adaptation et mise en scène : Ronan Rivière
Avec : Aymeline Alix, Laura Chetrit, Romain Dutheil ou Anthony Audoux, Ronan Rivière, Jérôme Rodriguez ou Olivier Lugo, Jean-Benoît Terral

Un fil à la patte très bien ficelé par la Compagnie VIVA

Monter du Feydeau, ça ne pardonne pas. Soit on s’embourbe dans de grossières ficelles comiques, soit on s’évertue à redonner toute la verve du texte et la franche énergie qu’elle requiert. Pari gagnant pour Anthony Magnier et ses comédiens. Beaucoup de fraicheur et de judicieuses idées de mise en scène. De la folie et de la férocité. On rit franchement. Tonus, fermeté et précision chez ces acteurs de la compagnie Viva.

Un Fil à la patte, Georges Feydeau, Compagnie Viva, Anthony Magnier, Théâtre 14, critique Pianopanier© Anthony Magnier

C’est un véritable ballet de quiproquos, de mensonges et de manipulations dans une maison de fous. On connait l’intrigue : Bois d’Enghien sur le point de se marier avec une riche héritière, doit se débarrasser à tout prix de sa maitresse à scandale Lucette Gautier. Autour de lui défilent des personnages tous hauts en couleurs, dépendant les uns des autres autant que d’eux même. C’est comique, c’est absurde. Les délires y sont verbaux et sonores; la mise en scène s’attache particulièrement à cette rythmique d’interjection, de cris, de clac, de boum avec la précision chorale et musicale de la scénographie par l’utilisation originale et millimétrée du mime et des bruitages.

Un Fil à la patte, la pièce de Georges Feydeau mise en scène par la Compagnie Viva, direction Anthony Magnier, reprise Théâtre 14 copyright Anthony Magnier, critique Pianopanier

« Le comique, c’est la réfraction naturelle d’un drame »- Georges Feydeau

Encore une fois on rit beaucoup, mais si l’on rit, c’est de la folie humaine et de sa cruauté.
La pièce a reçu le Grand Prix du Jury et le prix du Jury Jeunes du Festival d’Anjou 2015, et vraiment, elle mérite d’être vue. Courez-y : vous ne serez pas déçus !

UN FIL À LA PATTE, de Georges Feydeau
Du 8 novembre au 31 décembre 2016 au Théâtre 14
Mise en scène Anthony Magnier, Compagnie VIVA
Avec : Marie Le Cam, Stéphane Brel ou Lionel Pascal, Solveig Maupu, Agathe Boudrières,  Eugénie Ravon, Gaspard Fasulo ou Xavier Martel, Xavier Clion, Mikael Taieb, Anthony Magnier ou Julien Jacob

Dates de tournée

Richard III – Loyaulté me lie : l’inquiétante fête foraine

Il trucide, trahit, complote, abuse, enferme, exécute; Richard III reste le tyran machiavélique et monstrueux que l’on connait. On a vu beaucoup d’hivers changés en étés glorieux par un soleil d’York mais jamais aucun avec deux clowns évoluant dans un décor de fête foraine. Fascinant et inquiétant. L’un se prend pour Richard III, l’autre incarne une multitude de personnages -une quarantaine au total- avec une facilité étonnante.

Richard III - Loyauté me lie Théâtre de l'Aquarium Cartoucherie Gérald Garutti Jean-Lambert Wild@Tristan Jeanne-Valès

Cet univers forain s’avère tout particulièrement séduisant. Il prend appui sur un décor de bois peint, regorgeant de trappes secrètes et autres machineries toutes aussi ingénieuses que surprenantes que l’on découvre au fil de la pièce. Il est à lui seul un personnage, mi-adjuvant, mi-opposant, et plutôt machiavélique. Les deux clowns semblent le maitriser mais se retrouvent plus d’une fois pris au piège de cette machine infernale. La cruauté et la poésie en deviennent d’autant plus intriguantes. Folie d’un roi.

L’utilisation technologique vaut le détour. On retiendra des projections de têtes animées sur des ballons de baudruche ou sur des barbes à papa. Effet magique garantie. On croise comme cela le spectre de Clarence. On se laisse surprendre, on se laisse rêver, parfois.

Richard III - Loyauté me lie Théâtre de l'Aquarium Cartoucherie Gérald Garutti Jean-Lambert Wild

« Je veux m’allier au noir désespoir contre mon âme et devenir l’ennemi de moi-même ! »
Image frappante d’un clown Richard III en armure bleue ciel de porcelaine, dont il ressort une grande poésie et une grande fragilité. Serait-on touché par ce roi affreux ? La scène finale le permet peut être, en rupture avec l’esthétique du reste du spectacle… Combat et défaite d’un roi.
 

Richard III – Loyaulté me lie
D’après William Shakespeare
Avec Elodie Bordas et Jean Lambert-wild
Direction Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et Gérard Garutti
Théâtre de l’Aquarium de la Cartoucherie
Du 3 novembre au 3 décembre 2016 – 20h

Monsieur de Pourceaugnac : ses malheurs nous font pleurer de rire

Monsieur de Pourceaugnac – spectacle vu le 18 juin 2016
A l’affiche du Théâtre des Bouffes de Nord jusqu’au 9 juillet 2016
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Direction musicale : William Christie
Avec : Erwin Aros, Clémence Boué, Cyril Costanzo, Claire Debono, Stéphane Facco, Matthieu Lécroart, Juliette Léger, Gilles Privat, Guillaume Ravoir, Daniel San Pedro et Alain Trétout
Et les musiciens des Arts Florissants

 

Monsieur-de-pourceaugnac-1
© Brigitte Enguerand

« Peut-on rire du malheur des autres ? Ca dépend… Si le malheur des autres est rigolo, oui. » – Philippe Geluck, Le Succulent du chat.

Le sort semble s’acharner sur Monsieur de Pourceaugnac – quelle idée, déjà, d’arborer un tel patronyme ! À peine débarqué de son Limousin natal – c’est qu’il revendique haut et fort ses origines, le bougre de chauvin – pour épouser la jeune Julie, il tombe dans le premier d’une série de guets-apens qui construiront sa longue descente aux enfers. Grâce à l’imagination débridée d’Ersatz, l’amant de Julie, et à la complicité cruelle de ses deux acolytes Sbrigani et Nérine, notre Limousin va effectivement passer quelques sales quarts d’heure en compagnie d’une truculente galerie de personnages.

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Un matador créancier succède à un médecin tendance psychopathe, des archers brutaux croisent des avocats lyriques, tandis que des épouses revanchardes s’en viennent régler leur compte à notre pauvre bougre. Sans compter le père de sa promise qui ne semble plus voir d’un très bon œil cette union antérieurement scellée.
Tous les thèmes chers à Molière se trouvent concentrés dans cette comédie-ballet (trop) rarement montée : la critique acerbe des médecins et apothicaires, la dénonciation des mariages arrangés, les dégâts causés par l’argent…

 

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« Monsieur de Pourceaugnac est sans doute l’une des pièces les plus sombres et les plus cruelles que Molière ait écrites. » – Clément Hervieux-Léger

Il ne fallait sans doute pas moins que le talent de Clément Hervieu-Léger pour nous faire découvrir ou redécouvrir les aventures de Pourceaugnac. D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’une pièce mais de l’une des comédies-ballets (écrite un an avant le Bourgeois Gentilhomme) de ce cher Jean-Baptiste et que le pensionnaire de la Comédie-Française ne s’y est pas trompé en conviant William Christie et les musiciens des Arts Florissants. Ensuite parce qu’il réunit et dirige une équipe de comédiens ébouriffante, autour d’un Gilles Privat sincèrement irrésistible. Enfin parce que la scénographie subtile et délicate alliée à ce cadre éternellement magique des Bouffes du Nord nous transporte, au gré de notre imagination, de la Cour du Roi Soleil à des paysages de campagne toscane, aux bas-fonds new-yorkais ou même à un épisode de Docteur House.

 

Monsieur-de-pourceaugnac-2

 

Alors forcément, on rit. Enormément, follement, copieusement. On rit crescendo à mesure que Pourceaugnac dépérit sous nos yeux. Plus il sombre, plus on s’esclaffe. Aucune compassion pour le Limousin. On aime se réjouir du malheur des autres. Molière le savait et Clément Hervieu-Léger est un formidable « passeur »…

La Mouette de Thomas Ostermeier : saisissante réflexion contemporaine

La Mouette – spectacle vu le 31 mai 2016
A l’affiche de l’Odéon Théâtre de l’Europe jusqu’au 25 juin 2016
Une pièce d’Anton Tchekhov
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Avec : Bénédicte Cerutti, Valérie Dréville, Cédric Eeckhout, Jean-Pierre Gos, François Loriquet, Sébastien Pouderoux de la Comédie-Française, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur et l’artiste peintre Marine Dillard

La Mouette Ostermeier Matthieu Stampeur
© Arno Declair

 

« Nous connaissons la scène, il y a des hommes rassemblés et quelqu’un qui leur fait un récit »  – Jean-Luc Nancy, La communauté désœuvrée.

C’est le principe même du théâtre, évidemment. On pourrait dire de La Mouette que nous connaissons la pièce, et que les classiques sont attendus au tournant. Surtout quand ils parlent de théâtre et d’amour. Et surtout quand ils commencent avec une réflexion sur la Syrie, face public, au micro, dans un décor relativement minimaliste.

Sauf que… Thomas Ostermeier offre une version contemporaine pertinente de la pièce. Il adapte la traduction d’Olivier Cadiot, mêlant un langage quotidien avec un langage plus élaboré et poétique. Le metteur en scène tacle le théâtre contemporain avec humour et vivacité ; il interroge les nouvelles formes possibles du théâtre et de la création. La mise en scène de Nina et Treplev n’est pas sans rappeler un certain paysage de créations actuelles, à la Angelica Liddell et Romeo Castellucci, très juste, surtout dans un rapport de confrontation de deux générations de théâtre – celle d’Arkadina et celle de Nina.

 

La Mouette Ostermeier

 

Pas de vidéo pour autant, mais une artiste peignant à la brosse sur le mur du fond pendant le déroulement de la pièce. Métaphore du théâtre, comme un art qui s’élabore et évolue en direct. On croit d’abord voir se dessiner l’envol d’une mouette, puis un paysage montagneux en bordure de lac. Puis, finalement, l’artiste recouvre le tout de noir, créant un grand rectangle, un peu à la façon du « noir-lumière » de Soulages. « Noir-lumière », à l’image de ce ciel bleu chargé de nuages électriques que peint Tchekhov au bord du lac où évolue la dramaturgie. Les allusions au temps ne sont jamais anodines. Elles ne sont que le reflet de l’intériorité tourmentée et passionnée des personnages.

 

La Mouette Ostermeier

Les scènes attendues sont revisitées avec une très belle intelligence et il faut souligner le jeu des acteurs, absolument formidable. Un petit bijou qui pose avec justesse la question de la place de l’artiste dans son époque. À voir évidemment. À voir absolument.

Cyrano version Pitoiset-Torreton : comme une évidence…

 

Cyrano de Bergerac – spectacle vu le 15 mai 2016
A l’affiche du Théâtre de la Porte Saint-Martin jusqu’au 29 mai 2016
Mise en scène : Dominique Pitoiset
Dramaturgie : Daniel Loayza
Avec : Philippe Torreton, Hervé Briaux, Adrien Cauchetier, Antoine Cholet,Tristan Robin Patrice Costa, Gilles Fisseau, Yveline Hamon, Jean-François Lapalus,
Bruno Ouzeau, Julie-Anne Roth, Luc Tremblais, Martine Vandeville, Pierre Forest

 

Cyrano Philippe Torreton
© Brigitte Enguerrand

 

Courez ! Que dis-je, ruez-vous au Théâtre de la Porte Saint-Martin si vous n’avez pas encore vu l’incroyable panache de Philippe Torreton en Cyrano de Bergerac ! Après un succès considérable à l’Odéon-Théâtre de l’Europe en 2013, et une longue tournée en France, le public ne se lasse pas d’acclamer cette audacieuse mise en scène.

Le décor est planté : des chaises et des tables blanches sous la lumière blême d’une rangée de néons ; nous sommes dans un hôpital psychiatrique. L’idée parait folle, mais elle est intelligemment menée. Le texte nous parvient à merveille, révélant l’incroyable modernité de l’écriture d’Edmond Rostand.

 

Cyrano Philippe Torreton
© Brigitte Enguerrand

 

Philippe Torreton ne verse pas dans l’excès : le Cyrano qu’il incarne est dépourvu de lyrisme et d’emphase. Il s’en dégage quelque chose de pur et de radical. Les suspensions et les silences que l’acteur donne au texte nous en renvoient toute la subtilité… Ses partenaires de jeu ne tombent pas non plus dans une caricature, leur fragilité est délicate et le travail des corps, remarquable.

Frappant hommage au théâtre, art du vivant et de l’être vivant, et rien ne vaut finalement « être libre, avoir l’œil qui regarde bien, (et) la voix qui vibre ».