Un Marivaux acidulé qui donne la pêche !

Succès oblige : nous republions ici notre critique d’un spectacle découvert à sa création, et qui depuis, a fait bien du chemin… Entre le Festival d’Avignon 2016 et le Festival d’Avignon 2017, la pièce a connu une très belle saison au Lucernaire, puis dans le ravissant écrin du Théâtre Michel, et 2018 le voit revenir à Avignon pour un nouveau festival, au Théâtre du Roi René !

La Compagnie La Boîte aux Lettres, née en 2009 de la rencontre de Salomé Villiers, Bertrand Mounier et François Nabot nous propose une mise en scène pop et acidulée qui a su conquérir de nombreux spectateurs.

Rappelons l’argument de départ de la pièce de Marivaux : Silvia accepte difficilement d’être mariée par son père à un inconnu. Pour observer tout à loisir le caractère de ce fameux prétendant, elle endosse le costume de sa suivante Lisette. Péripéties et rebondissements seront au rendez-vous, jusqu’à ce que l’amour finisse par triompher, par jeu et par hasard !…

Le jeu de l'amour et du hasard, Salomé Villiers, Marivaux, Compagnie la Boite aux lettres, Théâtre mIchel, Pianopanier@ Julien Jovelin 

Le parti pris de Salomé Villiers, qui met en scène et interprète le rôle de Silvia était de donner un côté “rock” à la pièce de Marivaux. Ainsi les costumes d’époque sont-ils remplacés par des tenues mode tendance “psychédélique”. De même, la musique nous entraîne du côté des Sonics et des Troggs. L’usage de la vidéo apporte également un petit côté décalé au spectacle.

Mais le plus important reste le texte, la langue de Marivaux n’ayant pas besoin d’être modernisée tant elle demeure contemporaine. Et cette langue est servie par une troupe de comédiens réellement talentueuse. Salomé Villiers campe une Silvia touchante dans son désarroi, Raphaëlle Lemann une Lisette époustouflante de justesse, Philippe Perrussel un Orgon tout en nuances, François Nambot un Dorante séduisant de sincérité, tandis qu’Etienne Launay et Bertrand Mounier rivalisent de drôlerie.
Ensemble, ils nous font rire, nous émeuvent, nous étonnent et nous enchantent.

Le jeu de l'amour et du hasard, Salomé Villiers, Marivaux, Compagnie la Boite aux lettres, Théâtre mIchel, Pianopanier@ Karine Letellier 

Trois raisons d’aller faire un petit tour au Théâtre du Roi René :

1 – Pour découvrir ou redécouvrir ce texte toujours aussi moderne de Marivaux – sans doute l’une de ses plus belle pièce.
2 – Pour les comédiens réunis par Salomé Villiers, avec mention spéciale “aux filles” : Salomé Villiers et Raphaëlle Lemann sont bourrées de talent.
3 – Rien de tel pour chasser “le spleen du dimanche soir” : testé pour vous, l’effet est garanti, sur les grands et les petits ! Un Marivaux acidulé et bourré de peps, puisqu’on vous le dit !

LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD
À l’affiche du Théâtre du Roi René du 6 au 29 juillet 2018 19h05
Une pièce de Marivaux
Mise en scène : Salomé Villiers
Avec : Etienne Launay, Raphaëlle Lemann, Bertrand Mounier, François Nabot, Philippe Perrussel et Salomé Villiers

Fasci(s)nant Arturo Ui

C’est la petite bête qui monte qui monte qui monte… Les doigts taquins se hissent irrésistiblement jusqu’au creux de notre cou où arrivent à leur paroxysme ces chatouilles tant attendues et redoutées… On se souvient de notre ambivalence d’enfant face aux chatouilles qui nous faisaient passer du plaisir au supplice. Cet Arturo est chatouilleur, horriblement détendant, redoutablement amusant, merveilleusement terrifiant.

Guili-guili-guili… Cette petite bête nous fait passer de l’humour au sarcasme, de l’adhésion au rejet, de la bêtise à l’intelligence, du grotesque à la poésie, de la joie au macabre… On est dans l’absurde et le rationnel, c’est une délicieuse imposture. On adhère, on s’englue, on se ment, on devient schizophrène, on adore – c’est le danger.

Brecht nous met en péril. On sombre sans l’avoir vu venir. La pièce dresse une analogie entre l’ascension d’Hitler et les gangs du Chicago des années 30 qui symbolisent le pouvoir du capitalisme naissant.

On oublie l’Histoire et notre brûlante actualité, pour se délecter comme un gamin devant Monsieur Loyal (Bakary Sangaré) le cousin du clown Krusty (irrésistible Serge Bagdassarian), l’acteur déchu et aviné (énorme Michel Vuillermoz), cette idiote de Dockdaisy (atomique Florence Viala) ces gangs de la pègre investis d’une mission de Blues Brothers (Eric Génovèse, Jérôme Pouly et Elliot Jenicot incarnent un terrifiant Joker tricéphale), un démoniaque Ernesto Roma (Thierry Hancisse), un hilarant duo « père & fils » (Bruno Raffaelli et Nicolas Lormeau) et ces hommes araignées dont la toile se referme sur nous. Le malaise s’installe… On ne voit plus la petite bête… mince… ne jamais perdre de vue le danger… on le savait pourtant…

La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht, Katharina Talbach, Comédie-Française
@Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

“Si les petits gagnent de moins en moins, qui nous achètera notre chou-fleur ?”

Elle est où la petite bête? Ah ! Elle est là, timide, hésitante, désorientée… Pas si terrible en fait… Le voici, ce ridicule pantin capricieux et piètre orateur qui veut juste pouvoir se tenir debout et droit, qui veut simplement apprendre à marcher, à parler… Touchant de fragilité, si petit cet Arturo qu’on lui donnerait presque la main, qu’on lui remettrait sa mèche en ordre, qu’on lui cèderait la place. Gigantesque Laurent Stocker ! Ne point trop en dire, afin qu’à votre tour vous vous laissiez surprendre par la petite bête… Juste saluer son immense performance : il passe d’un état à l’autre avec la rapidité sidérante d’un personnage cartoonesque.

Il est pervers, ce théâtre qui nous fait oublier le mal et l’urgence.

Katharina Thalbach, épaulée par Ezio Toffolutti pour la scénographie et les costumes, porte à la perfection le parti pris du théâtre populaire recommandé par Brecht, terrain d’expression de son père à elle (Benno Besson). C’est du pur Shakespeare (Brecht y fait référence) dont nous oublions qu’au Globe il devait avant tout divertir un public inculte. C’est un jeu vif, efficace, fulgurant. Les acteurs sont magnifiques dans cet exercice.

La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht, Katharina Talbach, Comédie-Française

“Si n’importe qui peut faire ce qu’il veut, et ce que sa folie lui dicte, si un monstre abominable peut débouler dans n’importe quel lieu public, une arme à la main, alors c’est la guerre de tous contre tous, et donc, le règne du chaos.”

Enfin le décor, le son, les effets, la musique, la lumière… Tout, absolument tout sert ce théâtre populaire ! Les références à la culture du peuple sont innombrables : Chaplin, Keaton, la BD (on se surprend à parcourir des planches de comics), le cirque, le pantomime, Pacman, les arts de la rue, les automates, le robot dont la voix s’enraye parce qu’il n’a plus de pile – ou serait-ce une allusion à l’obsolescence programmée à laquelle nous conduit la société de consommation ? C’est si délectable et divertissant qu’on en oublie l’ascension des mauvais et le filet qui nous emprisonne. La petite bête qui monte a tissé sa toile – de la dictature, de l’argent roi, de la mondialisation, de l’internet.

Le rideau ne s’était-il pourtant pas ouvert sur une vision hyper-réaliste d’Hitler, de Goering et d’Hindenburg ? Leurs trois visages plus vrais que nature étaient éclairants – signalisation du danger -… oups… On les avait oubliés ! On salue ici le travail de la géniale plasticienne Valérie Lesort-Hecq.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment avons-nous oublié le fascisme et ses armes de séduction pernicieuse ? Comment avons-nous pu fermer les yeux sur les laissés pour compte du capitalisme ? On s’est fait manipuler. On a même adoré ces jeux du cirque et leur abjecte cruauté hilarante. On est terrifié. On devrait fuir mais on y est terriblement attaché… irrésistible Arturo Ui.

La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht, Katharina Talbach, Comédie-Française

LA RESISTIBLE ASCENCION D’ARTURO UI
À l’affiche de la Comédie-Française jusqu’au 30 juin
Une pièce de Bertolt Brecht
Mise en scène : Katharina Thalbach
Avec : Thierry Hancisse, Eric Génovèse, Bruno Raffaelli, Florence Viala, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Michel Vuillermoz, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Jérémy Lopez, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Julien Frison
Et les comédiens de l’Académie de la Comédie-Française : Tristan Cottin, Pierre Ostoya Magnin, Marina Cappe, Amaranta Kun et Axel Mandron

Songes et Métamorphoses : promesses tenues !

Le titre nous annonce “Songes et Métamorphoses”, on aura songes et métamorphoses.
Guillaume Vincent a l’amour du théâtre et le démontre ici puissance 10. Les acteurs joueront des rôles de comédiens ; l’espace offert aux yeux des spectateurs se clôt de larges lambris blonds : ce bois clair nous permettra d’être avec autant de facilité et d’évidence dans une salle de classe, une salle de bal, une forêt, ou sur des tréteaux élisabéthains ; et le plateau est nu pour pouvoir laisser la place à d’autres scènes, mobiles, qui apparaîtront ou disparaîtront au gré des mises en abymes. Car c’est ici un théâtre qui joue au théâtre : s’en amuse, s’en joue – du théâtre qui se déguise en théâtre, le représente, l’utilise, le détourne, l’interroge.

Le prologue chanté aux belles voix profondes d’Estelle Meyer et Candice Bouchet impose dès le noir fait une envoûtante atmosphère onirique et baroque : éclairage des bougies et préciosité des chants… atmosphère raffinée déjouée avec malice par le décor peint qu’on distingue en arrière-plan, une forêt gaie, pimpante et colorée. Le ton est donné, le beau et le ludique se tiennent par la main.

 

Songes et Métamorphoses, création de Guillaume Vincent d'après Ovide et Shakespeare, photo Elizabeth Carecchio

 

« Un petit sentiment de liberté »

Les chanteurs se dispersent, le podium de papier crépon et de carton-pâte s’avance, des enfants s’y placent… pour une fraîche autant que précise représentation du mythe de Narcisse. La nymphe Echo est amoureuse, le charmant Narcisse aussi, mais c’est de lui-même, tout cela finira mal comme il se doit, et les parents d’élèves venus assistés au spectacle de leurs bambins hésitent entre fierté devant la prestation des petits prodiges et perplexité devant le choix du texte… L’instituteur (Gérard Watkins) pour les mettre au clair avec le monde fantasque et terrifiant d’Ovide nous annonce les cruautés et bizarreries à venir… Du spectacle de fin d’années des mômes, on va passer au club théâtre des lycéens, puis au club d’adultes amateurs, puis à la troupe professionnelle. Les lycéennes, interprétées avec vivacité par Elsa Agnès et Elsa Guedj, se collètent , entre rébellion et goût de l’escapade, à l’histoire d’amour homosexuelle entre Iphis et Ianthé, puis, intégrant à leur aventure deux camarades amicaux (Hector Manuel, Makita Samba, sincères, alertes), à « Myrrha » – une fille amoureuse de son père, qui, l’inceste consommé à l’insu du paternel, enceinte, rongée, réclamera l’intervention des dieux « Dieux, bannissez-moi des deux royaumes, faites que me soient interdits la vie et la mort » et  finira transformée en arbre. Occasions pour ces grands ado de régler quelques comptes avec l’autorité professorale et parentale, d’élargir leurs territoires d’expression. « Un petit sentiment de liberté », disent trouver ces lycéens dans leur local de répèt ; petit sentiment de liberté nécessaire pour pouvoir continuer de jouer comme des enfants, et commencer à s’imposer comme des adultes. Occasion pour Guillaume Vincent, par la voix de Gérard Watkins, d’instituteur devenu prof de lettres et meneur du club théâtre, de rappeller que « Le théâtre est un champ de forces très petit, mais où se joue toute l’histoire de la société, et qui, malgré son exiguïté, sert de modèle à la vie des gens », dixit Antoine Vitez

 

Songes et Métamorphoses, création de Guillaume Vincent d'après Ovide et Shakespeare, photo Elizabeth Carecchio

 

On gardera précieusement en mémoire une gracieuse et étonnante pépite, l’image qui clôt la narration du mythe d’Hermaphrodite. Puisque le théâtre est le lieu du songe et des métamorphoses, l’espace de tous les possibles ; puisque sur un plateau, ce n’est pas la réalité qui se passe, mais que toutes les vérités peuvent  y naître…  on gravera aussi  l’instant plein de délicatesse où Alexandre Michel traduit les paroles d’ « Eleanor Ridgby » des Beatles, ah look at all the lonely people « c’est tout simple, et pourtant ça me donne envie de pleurer », ou ce Pygmalion en jogging se rêvant une poupée de silicone en femme parfaite, d’une mélancolie sans fond.

« Moi j’croyais que le théâtre c’était le lieu de la transposition… »

Les comédiens se glissent maintenant dans la peau d’acteurs qui portent leur propre nom, au sein d’une troupe en pleine création, la spirale du théâtre dans le théâtre est de plus en plus serrée ! Le thème de travail : « jouer quelqu’un de sa famille »… l’instituteur-prof de lettres devient Gérard Watkins et se remémore le moment où son grand-père l’a emmené voir à Londres « Le Songe d’une nuit d’été » par La Royal Shakespeare Company, quelques répliques de Puck lui reviennent, en anglais… Emilie Incerti Formentini se dresse, rétive « c’est quoi, c’est le terrorisme de la vérité vraie ? moi j’croyais que le théâtre c’était le lieu de la transposition »,  elle évoque son projet, rapporter la parole d’une femme de ménage qu’elle a rencontré « à l’occasion de la résidence à Reims », en costume « d’époque », pour offrir un décalage et un bel écrin à cette parole. Kyoko Takenaka s’engouffre dans la brèche, fustige le carcan de sa couleur de peau et revendique de pouvoir jouer la sœur d’Emilie…  La scène mobile se rapproche à nouveau, Emilie, présence ample et jeu intense, majestueuse en robe renaissance de velours noir, apparaît dans un décor d’appart moderne, noir mat. Monologue, les souvenirs de la femme de ménage rémoise, ses rêves, ses échecs, les enfants arrivés trop tôt, les années à se prendre des coups. Une clope allumée, confidences d’une voix râpeuse. Quelques notes de piano, la rude vie de cette femme va se superposer à celle de Procné, celle qui se vengera cruellement de son mari qui violé sa sœur (interprétée par Kyoko, comme promis).

L’instituteur nous avait prévenu : une donzelle se promène cul nu, une amoureuse incestueuse est transformée en arbre, un homme et une femme ne font plus qu’un, une femme cuisine ses enfants et les fait manger à son mari… Tout était dit, mais rien n’était attendu car Guillaume Vincent et sa troupe volubile et talentueuse ont le sens du théâtre, celui qui invente des mondes, et qui laisse aussi sa part d’invention au spectateur.

« Le théâtre, c’est un grand oui ! »

« Le Songe d’une nuit d’été » arrive en continuité, comme la mise à l’épreuve de toutes ses questions, tous ses chemins de théâtre empruntés plus tôt. On pourra peut-être le trouver presque un peu sage après les folles « Métamorphoses ». Pourtant, Guillaume Vincent veille à ne pas laisser les choses rentrer dans l’ordre ! Titania et Obéron sont interprétés par les deux chanteuses, toutes deux grandes, flamboyantes, Obéron, en verte robe de soirée actuelle, souliers rouges, a la prestance nécessaire pour pouvoir être appelée « monseigneur », Titania fastueuse en robe de velours Renaissance. C’est la course effrénée des amoureux, des amants, des aimés, de ceux qui n’aiment pas, dans la forêt traversée de musique (de Métamorphoses en Songes, de Purcell en techno, de Beatles en Britten…). Quelques gouttes d’élixir dispensées à mauvais escient par un Puck facétieux, la ronde des désirs et sentiments s’embrouille à foison… C’est Gérard Watkins qui, après avoir été le guide en théâtre bienveillant et attentif des « Métamorphoses », donne là sa légèreté et son œil rieur à ce Puck bouffon, cette fois guide fantasque, guide en errance, insaisissable, sans cesse mobile, souple.

 

Songes et Métamorphoses, création de Guillaume Vincent d'après Ovide et Shakespeare, photo Elizabeth Carecchio

 

« Le théâtre c’est un grand oui, un grand oui à la vie, à l’amour, à l’humour ! » s’enflamme la metteur en scène des artisans pour stimuler ses troupes. On s’amuse de sa fougue, et on applaudit à cette belle et tonique profession de foi !
Les frontières sont brisées, les hommes croisent le monde des fées. Titania s’amourache d’un menuisier métamorphosé en âne… Les nobles au fil de la nuit sont de plus en plus crasseux, loqueteux ; la délaissée Elena se retrouve enlacée et chérie par deux jeunes hommes et croit être raillée par les deux… c’est le désordre général ! Les paillettes tombent en pluie, bien sûr pour une fête techno enivrée, mais aussi, plus tard dans la nuit, moins joyeusement, pour troubler la quiétude, et faire l’air crépitant, couvrant le sol d’un tapis de feuilles mortes scintillantes. Brumes, ombres, feux follets, bruissements étranges, mélodies, onomatopées, sorts et potions magiques… à l’aurore, l’heure où le jour et la nuit ne sont pas encore séparées, les jeunes nobles quittent la forêt et ses sortilèges à l’état de semi-zombies, hagards, déboussolés. Heureusement, tout va finir par une pièce de théâtre… ! d’Ovide, la boucle est bouclée.

Le spectateur sort de ces quatre heures de spectacle peut-être tout aussi désorienté que ces personnages ensorcelés qui peinent à démêler le rêve de la réalité, mais Guillaume Vincent n’est pas un petit Puck distrait et moqueur, ce n’est pas pour endormir ses victimes qu’il distille ses philtres enchanteurs mais pour les tenir éveillées ! et leur donner à goûter les riches sucs de l’art du théâtre, la liqueur parfois amère, mais toujours vitale, de la pulsion d’aimer,  et les saveurs innombrables d’une humanité aux multiples formes.

 

SONGES ET METAMORPHOSES
À l’affiche du Théâtre de l’Odéon-Berthier jusqu’au 20 mai
Une création de Guillaume Vincent
d’après Ovide et Shakespeare
avec Elsa Agnès, Paul-Marie Barbier, Candice Bouchet puis Jeanne Cherhal, Lucie Ben Bâta, Emilie Incerti Formentini, Elsa Guedj, Florence Janas, Hector Manuel, Estelle Meyer, Alexandre Michel, Philippe Orivel, Makita Samba, Kyoko Takenaka, Charles Van de Vyver, Gérard Watkins, Charles-Henri Wolff

photos @Elizabeth Carecchio

Blessés par BAAL

« Baal ». On ne le sait pas encore mais tout se résume à ce mot, inexpugnable, ineffable et pourtant si évocateur. La pièce, mise en scène par Christine Letailleur, commence sur un chant enjoleur qui déjà intrigue et fait peur, où « Baal » apparaît écrit en grand, en lettres rouge sang.

Là commence la quête de l’identité de cet homme mi-ange mi-démon. Dès le début, on veut s’éprendre, mais petit à petit par ses entourloupes et ses lâchetés, il nous repousse, nous sidère, nous inquiète, et, au fond, tout au fond, on s’amourache malgré tout de ce poète maudit, de celui qui aime tant flétrir autrui au gré du pire de ses frasques et de ses tromperies.
Scène par scène, passant d’une épouvante à un blasphème, le spectateur est lui aussi presque meurtri par Baal, en redemande, s’enquiert de jusqu’où ira son petit roi, son esclave fétiche. À l’instar des protagonistes : « Baaaaaal ! Baaaaaal ! » on appelle ce nom, on le crie, on le hurle. Et ce cri déchire autant la mère que l’amante de toute personne qui serait entrée en la présence démoniaque – si doucement, si succulemment perverse – de Baal.

BAAL, Bertolt Brecht, Christine Letailleur, La Colline, Stanislas Nordey, Pianopanier@ Brigitte Enguerand 

“Si une femme a des hanches grasses,
Je la fous dans l’herbe verte
Robe, culotte, tout ça valse
Radieux – car j’aime ça.”

Dans cette première pièce de Brecht écrite en 1919, Baal, mi-bête, mi-poète, est un Don Juan décuplé. Il séduit, tente, corrompt, bafoue. Il n’épargne rien ni personne. Il jouit. En maître et possesseur, buveur de sexe et de schnaps, cracheur de mots, il se fait poète sauvage incandescent en quête de liberté absolue incarnant une errance existentielle.
Par-dessus tout, il y a quelque chose de tendu dans Baal, de contorsionné, d’éclatant. L’écriture de Brecht s’y reflète viscérale, incroyablement poétique et sensuelle. Baal a de l’appétit, un appétit du monde qu’il veut consommer en consumant les êtres qui l’entourent, il ne participe pas à la Création – lui qui évoque si souvent le ciel – il la détruit. Et par là-même de se demander jusqu’où ses dépravations ne sont pas des exaltations qui servent à leur tour la Nature que Baal rêve de souiller.

BAAL, Bertolt Brecht, Christine Letailleur, La Colline, Stanislas Nordey, Pianopanier

Ce texte, ces folies de verbe, sont admirablement servis par la mise en scène de Christine Letailleur, qui aide parfaitement à cette descente aux enfers. On est emporté jusque dans l’antre rougeoyante de la pièce, avec style et précision, mais non sans un onirisme puissant et subtil. Stanislas Nordey s’empare avec puissance de son personnage, il lance et vocifère les mots de cet ange de mort, aussi fascinant qu’effrayant, jusqu’à incarner dans un décharnement physique et mental une beauté à couper le souffle.
On ressort éperdu et presque fébrile des aventures de Baal, de son épopée du Rien et de la solitude – et, au seuil de sa quête, la plus terrifiante des questions, celle qui nous revient comme dans un miroir : « Auras-tu pitié, spectateur ? »

BAAL, de Bertolt Brecht au Théâtre de la Colline
Du 20 avril au 20 mai 2017 , mercredi au samedi 20h30, mardi 19h30 et dimanche 15h30
Mise en scène : Christine Letailleur
Avec : Youssouf Abi‑Ayad, Clément Barthelet, Fanny Blondeau, Philippe Cherdel, Vincent Dissez, Valentine Gérard, Manuel Garcie‑Kilian, Emma Liégeois, Stanislas Nordey, Karine Piveteau, Richard Sammut

Bajazet ou le déchirement au Sérail

Quelle belle pièce que cette tragédie !

Ce texte magnifique nous laisse ébahis,

Racontant la lutte pour gagner le pouvoir,

Et puis les passions, enfin le désespoir.

Bajazet prisonnier, Amurat guerroyant,

Roxane est au pouvoir, Acomat le briguant.

Se nouent alors complots et manipulations,

Entraînant tragédies, crimes et conspirations.

Ce texte méconnu offre un drame mythique,

Où se mêlent intrigues amoureuse et politique.

Nous plongeant, spectateurs, au cœur du pugilat,

Éric Ruf livre ici un spectacle de choix,

Une mise en scène au milieu du sérail,

Une scénographie, résultant d’un travail,

Assurément bien long, et très laborieux,

Quand on sait que l’équipe eut, de temps, vraiment peu !

Un jeu de lumières beau et angoissant,

Parachève cet ensemble sombre et sanglant.

Et puis évidemment ce spectacle serait

Bien moins fort sans ces sept comédiens parfaits.

Podalydès campe un inquiétant Acomat,

Qui complote contre le sultan Amurat ;

Clotilde de Bayser confirme son talent,

En tant que tragédienne, ce qui n’est pas courant !

Natrella est touchant, saisissant de justesse,

Forcé de cacher son amour pour la princesse ;

Rebecca Marder est elle aussi très poignante,

En triste Atalide, princesse apitoyante.

Et nous ne parlons pas des autres personnages,

Zaïre en confidente et Osmin en vieux sage.

Ces acteurs émouvants nous emmènent si loin,

Que de ce spectacle on ne sortirait pour rien !

Me risquer à écrire cette critique en vers,

Ne fut, je vous l’assure, pas une mince affaire !

Nathan Aznar

BAJAZET – de Jean Racine
Mise en scène : Éric Ruf
Avec : Alain Lenglet, Denis Podalydès, Clotilde de Bayser, Laurent Natrella, Anna Cervinka, Rebecca Marder, Cécile Bouillot
Du 5 avril au 7 mai 2017 à la Comédie-Française, Vieux-Colombier

Un Marivaux acidulé qui donne la pêche !

Succès oblige : nous republions ici notre critique d’un spectacle découvert à sa création, et qui depuis, a fait bien du chemin… Entre le Festival d’Avignon 2016 et le Festival d’Avignon 2017, la pièce a connu une très belle saison au Lucernaire. Et à partir du 5 avril, c’est dans le ravissant écrin du Théâtre Michel que l’on peut (re)-découvrir cette version trépidante du Jeu de l’Amour et du Hasard.

La Compagnie La Boîte aux Lettres, née en 2009 de la rencontre de Salomé Villiers, Bertrand Mounier et François Nabot nous propose une mise en scène pop et acidulée qui a su conquérir de nombreux spectateurs.

Rappelons l’argument de départ de la pièce de Marivaux : Silvia accepte difficilement d’être mariée par son père à un inconnu. Pour observer tout à loisir le caractère de ce fameux prétendant, elle endosse le costume de sa suivante Lisette. Péripéties et rebondissements seront au rendez-vous, jusqu’à ce que l’amour finisse par triompher, par jeu et par hasard !…

Le jeu de l'amour et du hasard, Salomé Villiers, Marivaux, Compagnie la Boite aux lettres, Théâtre mIchel, Pianopanier@ Julien Jovelin 

Le parti pris de Salomé Villiers, qui met en scène et interprète le rôle de Silvia était de donner un côté “rock” à la pièce de Marivaux. Ainsi les costumes d’époque sont-ils remplacés par des tenues mode tendance “psychédélique”. De même, la musique nous entraîne du côté des Sonics et des Troggs. L’usage de la vidéo apporte également un petit côté décalé au spectacle.

Mais le plus important reste le texte, la langue de Marivaux n’ayant pas besoin d’être modernisée tant elle demeure contemporaine. Et cette langue est servie par une troupe de comédiens réellement talentueuse. Salomé Villiers campe une Silvia touchante dans son désarroi, Raphaëlle Lemann une Lisette époustouflante de justesse, Philippe Perrussel un Orgon tout en nuances, François Nambot un Dorante séduisant de sincérité, tandis qu’Etienne Launay et Bertrand Mounier rivalisent de drôlerie.
Ensemble, ils nous font rire, nous émeuvent, nous étonnent et nous enchantent.

Le jeu de l'amour et du hasard, Salomé Villiers, Marivaux, Compagnie la Boite aux lettres, Théâtre mIchel, Pianopanier@ Karine Letellier 

Trois raisons d’aller faire un petit tour au Théâtre Michel :

1 – Pour découvrir ou redécouvrir ce texte toujours aussi moderne de Marivaux – sans doute l’une de ses plus belle pièce.
2 – Pour les comédiens réunis par Salomé Villiers, avec mention spéciale “aux filles” : Salomé Villiers et Raphaëlle Lemann sont bourrées de talent.
3 – Rien de tel pour chasser “le spleen du dimanche soir” : testé pour vous, l’effet est garanti, sur les grands et les petits ! Un Marivaux acidulé et bourré de peps, puisqu’on vous le dit !

LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD
À l’affiche du Théâtre Michel du 5 avril au 6 mai 2017 (21h, et matinée le week-end 16h15)
Une pièce de Marivaux
Mise en scène : Salomé Villiers
Avec : Etienne Launay, Raphaëlle Lemann, Bertrand Mounier, François Nabot, Philippe Perrussel et Salomé Villiers

Amphitryon, ou l’espièglerie baroque

“Le baroque, c’est d’abord le théâtre, ou si l’on préfère c’est, par nature, par essence, la chose du baroque, son mode d’expression cardinale”. Eugène Green

Vous n’aurez jamais entendu Amphitryon de la sorte – en déclamation baroque. Vous avez dit … « déclamation baroque » ? C’est une prononciation d’époque : on roule les r, on prononce “oué” plutôt que “oi”, les « en » se transforment en “a-an”. L’oreille doit s’y habituer mais c’est pour mieux renouveler l’écoute des mots et prêter une meilleure attention aux sens. Tenez-vous bien, la compagnie Oghma redonne au vers et à la parole toute sa sacralité. On redécouvre la puissance des mots et leur musicalité.

Amphitryon, Molière, compagnie Oghma, Theo Théâtre, Pianopanier@ Côme Di Meglio

Le geste baroque qui accompagne la parole, la rend d’autant plus vibrante. Il la souligne, l’explicite, et décuple son sens avec verve et mordant. Le geste y est précis, vif, implacable. C’est tout un texte gestuel, comme un langage dans le langage. Les corps présentent un gracieux maintien, les positions des pieds rappellent celles de la danse classique, les visages peints en blancs et soulignés de noir y sont très expressifs. Un sourcil relevé, un petit doigt replié, une inclinaison de tête prennent soudain toute une ampleur et une signification – grave, drôle, inquiète ou espiègle. Force du détail, beauté de la précision. Voilà une fascinante partition que nous donnent à voir les acteurs d’Oghma.

Amphitryon, Molière, compagnie Oghma, Theo Théâtre, Pianopanier

« J’aime mieux un vice commode qu’une vertu fatigante » Amphitryon

La pièce s’inspire de personnages de la mythologie antique. Amphitryon joue de manière habile sur le motif du double, du miroir et du quiproquo. Sosie, serviteur d’Amphitryon se retrouve magiquement pris au piège face à son double qui apparait devant lui comme par enchantement. Amphitryon subit le même sort et se retrouve lui aussi face à son propre miroir. Le spectateur s’y méprend presque, emporté par la magie du baroque et la malice de Molière. Ce farcesque subterfuge du double souligne finalement à quel point il peut être effrayant de se retrouver face à soi-même… Nous voilà face à la question de l’autre et de son double, le tout dans un contexte “méta-théâtral”.

On rit d’un Sosie drôle et grimaçant roué de coups de bâton – Charles Di Meglio y est malicieux et extrêmement habile – on s’émerveille de la langue de Molière, on admire les costumes faits main, brillants à la lueur des bougies, bref, on se laisse emporter et surprendre, on aime ! Vous pouvez vous plonger dans cet incroyable univers baroque tous les vendredis à 21h et les samedis à 17h15 au Théo Théâtre jusqu’au 29 avril. Viiiite, on vous le rrrrrr-e-comm-a-annnn-de !

Amphitryon, Molière, compagnie Oghma, Theo Théâtre, Pianopanier

AMPHITRYON
Á l’affiche du Theo Théâtre – du 24 février au 29 avril 2017 (vendredi 21h, samedi 17h15)
Une comédie de Molière
Mise en scène : Charles Di Meglio
Avec : Valentin Besson, Joseph de Bony, Ulysse Robin, Pauline Briand, Romaric Olarte, Manuel Weber, Charles Di Meglio

L’été meurtrier de Stéphane Braunschweig

À peine le temps de voir couler le sang sur le rideau translucide que celui-ci se lève, nous projetant au beau milieu d’une forêt luxuriante, entre plantes carnivores et lianes géantes. Nous nous trouvons dans le jardin-jungle de Sébastien, le fils de Mrs Violet Venable, mort dans des conditions mystérieuses, tragiques et… soudaines, l’été dernier, lors d’un périple en Europe. Très vite, on oublie la forêt, on l’intègre, on se focalise sur les deux personnages en scène : Mrs Venable et le Docteur Cukrowicz, un jeune neurochirurgien pratiquant la lobotomie. Violet lui demande de soigner sa nièce Catherine, qu’elle a fait interner pour démence à son retour de Cabeza de Lobo, l’endroit où est mort Sébastien… Car Catherine était du voyage, son cousin lui avait demandé de l’accompagner…

Soudain l'été dernier, Tennessee Williams, Stéphane Braunschweig, Odéon Théâtre de l'Europe, Pianopanier, @ Thierry Depagne

“Peut-on haïr quelqu’un et demeurer sain d’esprit ?”

Soudain, Catherine apparaît, bientôt rejointe par son frère et sa mère qui tentent de la dissuader de “répéter cette histoire à Tante Violet.”
Mais le Docteur Cukrowicz est justement là pour écouter cette histoire et tenter d’y trouver des réponses… Catherine est-elle réellement folle ? Comment Sébastien est-il mort  ? Qui était-il exactement ? Quels rapports entretenait-il avec sa mère ? Pourquoi Violet tient-elle tant à faire lobotomiser sa nièce, à la faire taire à tout jamais ? Et surtout, que s’est-il passé à Cabeza de Lobo ?
Pas à pas, le neurologue parviendra à faire émerger le refoulé de Catherine, jusqu’à une scène finale aux allures de thriller psychologique.

Soudain l'été dernier, Tennessee Williams, Stéphane Braunschweig, Odéon Théâtre de l'Europe, Pianopanier,

“Soudain, l’hiver dernier, je me suis mise à écrire mon journal à la troisième personne.”

Première mise en scène à l’Odéon qu’il dirige depuis un peu plus d’un an, première fois qu’il s’attaque à Tennessee Williams : Stéphane Braunschweig nous offre un spectacle magistral, inquiétant, oppressant… totalement réussi.
Sa très belle scénographie, quasi “organique”, fait écho au récit perturbé, effrayant de Catherine.

Mais c’est assurément l’interprétation des deux comédiennes qui fait tendre le spectateur vers le trouble, le malaise, l’angoisse. En mère vampirisante, qui idolâtrait et martyrisait son homosexuel refoulé de fils, Luce Mouchel est exceptionnelle : dure, impitoyable, cassante, haineuse. Dans cette confrontation, elle joue sa propre existence, et l’on imagine bien qu’elle ne survivra pas au dénouement de cette histoire.
Face à elle, fragile et complexe, Marie Rémond est une bouleversante Catherine. C’est elle que l’on suit de bout en bout, suspendu à ses lèvres, à ses démons, à ses psychoses… Le point final posé par Jean-Baptiste Anoumon (parfait dans le rôle du médecin) renvoie les protagonistes – et les spectateurs – à leurs propres fantasmes. Rien n’est résolu, aucune réponse formelle, en-dehors de celle-ci : pour son premier coup à l’Odéon, Stéphane Braunschweig a frappé fort.

SOUDAIN L’ETE DERNIER
À l’affiche de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 14 avril puis en tournée (25-29 avril : Théâtre du Gymnase, Marseille – 11-14 mai : Piccolo Theatro, Milan)
Texte : Tennessee Williams
Mise en scène : Stéphane Braunschweig
Avec : Jean-Baptiste Anoumon, Océane Cairaty, Virginie Colemyn, Boutaïna El Fekkak, Glenn Marausse, Luce Mouchel, Marie Rémond

Le Petit-Maître corrigé : une injustice réparée !

Clément Hervieu-Léger signe cette saison à la Comédie-Française une mise en scène très réussie du “Petit-Maître corrigé” de Marivaux, pièce jouée uniquement deux fois jusqu’ici ! Cette œuvre contient pourtant tous les ingrédients des comédies de caractère et de mœurs du 18ème siècle en général et de Marivaux en particulier. La passion que l’on ne veut pas avouer ni reconnaître, les oppositions sociales, l’ironie, la vérité psychologique, la fantaisie, les domestiques qui mènent le jeu et l’amour qui finit par triompher. “Le Petit-Maître”, jeune parisien précieux et pédant est hostile au mariage. Rosimond doit épouser, pour obéir à sa mère, la fille d’un comte “campagnard” qu’elle lui a choisie. Il ne veut en aucun cas fâcher sa mère !

“Nous l’épouserons, ma mère et moi !”

Il ne regarde même pas la jeune fille qui, elle, le trouve plutôt à son goût mais veut lui donner une leçon. Elle y parviendra, avec l’aide de Dorante, ami de Rosimond et des domestiques Marton et Fortin. Dans cette scénographie, l’action se déroule non pas dans le salon du comte mais dans un pré ! Les très beaux décors d’Eric Ruf évoquent des tableaux de Greuze et Fragonard. Les costumes d’époque sont très réussis. Tous les comédiens sont excellents, comme toujours avec l’actuelle troupe du Français. Leur humour, leur  fantaisie, leur aisance contribuent à nous faire passer un moment très agréable à la (re)-découverte de ce texte de Marivaux.
Gageons que nous retournerons applaudir cette œuvre avant deux siècles d’attente… Et pourquoi pas l’année prochaine, avec une reprise de cette mise en scène ?

Marie-Christine Fasquelle

LE PETIT-MAITRE CORRIGE
Á l’affiche de la Salle Richelieu de la Comédie-Française – du 3 décembre 2016 au 24 avril 2017 (calendrier de l’alternance ici)
Une pièce de Marivaux
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger
Avec : Florence Viala, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Pierre Hancisse, Claire de la Rüe du Can, Didier Sandre, Christophe Montenez, Dominique Blanc

HAMLET d’Ostermeier : ce fou furieux

Folie : trouble du comportement et/ou de l’esprit, considérée comme l’effet d’une maladie altérant les facultés mentales du sujet. Elle peut être furieuse : trouble mental accompagné de manifestations de violence. C’est le choix de Thomas Ostermeier. Hamlet est fou, il n’y a pas à tergiverser.

Lars Eidinger incarne avec génie un héros complètement dérangé, bedonnant, repoussant, qui vit encore chez ses parents. Un raté survolté. L’anti-héros par excellence. En alternant jeu et improvisation, il nous offre une folie démentielle, répondant à toutes ses impulsions, sans complexe. L’acteur va en chercher les limites jusqu’à les dépasser parfois. Mais la folie peut tout excuser. D’autant qu’elle n’est finalement pas si éloignée de nous.

La scène est recouverte de terre. On assiste aux funérailles du roi du Danemark. Les visages sont graves. On descend le cercueil, derniers adieux. Jusqu’ici, la scène est classique. Sauf que : un acteur sort un tuyau d’arrosage pour faire venir la pluie, et on sort les parapluies. Le fossoyeur bataille pour enterrer le cercueil – le roi n’arrive pas à être enterré – c’est tragique et burlesque à la fois. Puis on enchaine directement avec le banquet de noces. Sans transition. Mort et désir mêlés d’emblée.

Hamlet, Thomas Ostermeier, William Shakespeare, Urs Zucker, Lars Eidinger, Jenny König, Robert Beyer, Damir Avdic, Franz Hartwig, théâtre des Gémeaux de Sceaux@ Arno Declair

La pièce, adaptée avec justesse par le dramaturge Marius von Mayenburg, laisse place à toute la radicalité de la mise en scène d’Ostermeier, entre illusion théâtrale – du ketchup pour faire du sang – et juste modernité – utilisation de la caméra tout en finesse.

Presque 10 ans déjà que la pièce était si attendue dans la Cour du Palais des Papes. Elle ne l’était pas moins cette année au Théâtre des Gémeaux. Jusqu’au 29 janvier, on fonce à Sceaux, parce qu’on ne manque pas une mise en scène dans laquelle six comédiens se répartissent tous les rôles d’Hamlet. Parce qu’on ne manque pas un Hamlet génialement dingue, et surtout parce qu’on ne manque pas une mise en scène de Thomas Ostermeier.

Hamlet, Shakespeare, Thomas Ostereier, Lars Eidinger, Théâtre de Gémeaux de Sceaux, critique Pianopanier

HAMLET
Á l’affiche du Théâtre des Gémeaux de Sceaux  – du 19 au 29 janvier 2017 (20h45, dimanche 17h)
Une pièce de William Shakespeare
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Avec : Lars Eidinger, Jenny König, Robert Beyer, Damir Avdic, Franz Hartwig