PLAYLOUD de Falk Richter

Le PLAYLOUD de Falk Richter au Théâtre du Train Bleu est une petite bombe de théâtre, allumée par un collectif Géranium qui joue fort … qui joue très fort, qui joue plus fort  !

Portraits de jeunesse perdue dans l’immensité anonyme du virtuel et de sa surconsommation de communication. Jeunesse en mal de paroles et de sens, qui crie son manque d’amour et d’émotions vraies. PLAYLOUD est un voyage en texte et en musique à travers des histoires d’enfants, d’adolescents et d’adultes, qui se fracassent contre une société en flagrant délit de reniement de son humanité et de ses émotions.

Un théâtre fort et moderne qui parle à son époque.

3 énormes bonnes raisons d’aller voir PLAYLOUD :

– comme le dit Francis Cabrel (qui aime beaucoup les géraniums), une bonne chanson c’est du son, du sens et du swing … et bien PLAYLOUD c’est ça, mais au théâtre !

– de la jeunesse sur toutes les rangées d’un théâtre, une salle comble et comblée.

– les cœurs battent plus forts en allant voir PLAYLOUD, et même après ça continue

Playloud par le collectif Geranium

jusqu’au 29 Juillet 2018 au Théâtre du Train Bleu à 22h15

Texte de Falk Richter

Mise en scène collective, Interprètes: Cécilia Anseeuw, Adrien Dewitte, Léa Delmart, Fiona Lévy, Damien Sobieraff, Mathilde Weil

Ô toi que j’aime, ou le récit d’une apocalypse

Marie et Ulysse travaillent avec des détenus radicalisés à la création d’un spectacle autour de la figure mystique de Rumi, grand penseur et poète soufi du XIIIe siècle.

Mais ce en sont pas eux que nous entendront en premier. On commence d’abord par un voayge dans le temps, une « chronique historique ». Le 21 février 1258, c’est la capitulation de Bagdad devant Oulagu Khan, qui dévaste la ville. Le récit se déroule avec sa litanie de chiffres effarants, les centaines de milliers de victimes massacrées, violés, les palais, les mosquées, la grande bibliothèque anéantis. Quelques notes lancinantes résonnent, comme un son de oud.

Seulement maintenant on va faire connaissance Marie et Ulysse.
Il n’est pas encore évident qu’ils vont monter ensemble ce projet théâtral en milieu carcéral, pas évident du tout.
Ulysse, c’est le laïc, le pourfendeur des obscurantismes, le défenseur des valeurs occidentales des Lumières, Marie c’est la mystique, avec douceur, la curieuse, celle qui veut passer les ponts – ou en créer, s’il le faut, pour atteindre l’autre, une autre façon d’être idéaliste. Elle le convaincra, ils le monteront ce spectacle, elle le tournera son documentaire.

Ils rencontreront là Nour Assile, jeune syrien au parcours singulier qui ne désire qu’une chose : mourir en martyr. Trop de tension entre son passé, ses principes, sa foi, le poids de son clan et le monde dans lequel in vit, étudiant à Paris-VIII, dont les amis ont la liberté sans façons de la jeunesse occidentale. Trop de tension, et un refuge, la douceur, la compréhension d’un imam salafiste charmeur, qui présente le djihad et le martyr comme des consolations face à l’inéductable de la mort. Au retour d’un voyage de formation militaire à Damas auprès des forces de Daesh, Nour Assile est arrêté. Emprisonné, il souhaitera prendre part à l’atelier de création théâtrale de Marie et Ulysse.

A partir de ce point de jonction, se dérouleront plusieurs fils rouges : les chroniques historiques d’un monde musulman tourmenté; la présentation par Ulysse du spectacle que vont interpréter les hommes de son atelier de théâtre en prison à partir d’un roman d’Elif Shafak « Soufi mon amour » ; le récit de Nour-Assile, de son chemin tortueux vers Dieu – ou vers lui-même…

« Je n’ai pas de certitude à opposer à ceux qui ont les livres et les sermons.
Ils ont des milliers d’années d’Histoire, et moi je n’ai qu’un regard. »

 

Ô toi que j’aime est sous-titré « ou Le Récit d’une apocalypse ». L’apocalypse, c’est la fin du monde, entend-on. Mais l’apocalypse, c’est aussi la révélation. Pour les protagonistes, il est question de fin du monde, d’après qui ne sera plus jamais comme avant, de bouleversements intimes, d’une vie brutalement interrompue (et c’est la fin d’un monde), d’une société qui change; mais il est aussi question de révélation, de ce qui brutalement surgi au jour ou progressivement trouve son chemin, remontant des profondeurs vers la surface.

Le spectacle est touffu, foisonnant, presque proliférant. Sur le plateau de plus en plus nu, aux fils de trame du récit viendront se greffer de longs poèmes en langue arabe, des chants, le prêche d’un imam, les minutes du procès de Nour-Assile, les unes de journaux au lendemain des attentats de novembre 2015, la mer, la musique… pour tracer un motif complexe aux teintes sombres, où c’est, face au poids des dogmes, la rencontre individuelle, un regard humain, la tendresse, qui sauront apporter de la lumière.
Sur le plateau un violoncelliste, un guitariste électrique étoffent l’atmosphère de leur présence. Des chants très beaux s’élèvent parfois, amples, poétiques. Des danses aussi, des esquisses de danse, quelques tournoiements de derviche, les bras levés, la joie débordante. Dans un texte sans cruauté mais sans faux-semblant, dans un univers qui peut s’avérer anxiogène, ces voix, ces quelques pas sont autant de fenêtres ouvertes vers des cieux plus clairs. Tous les interprètes ont un jeu précis, souple et sans fioritures, d’une sensibilité sans pathos. Saluons particulièrement Lahcen Razzougui qui apporte à la partition âpre du jeune radicalisé sa bienveillance, sa profondeur et sa douceur, son émotion juste.
Un spectacle intransigeant et généreux, intelligent, courageux, et gorgé d’espoirs, malgré tout.

Marie-Hélène Guérin

 

ô toi que j'aime, de Fida Mohissen, au 11 Gilgamesh

Ô TOI QUE J’AIME, ou LE RECIT D’UNE APOCALYPSE
Auteur et metteur en scène Fida Mohissen
Avec Stéphane Godefroy, Raymond Hosni, Lahcen Razzougui, Benoit Lahoz, Clea Petrolesi, Amandine du Rivau, David Couturier (guitare électrique Live) et Michel Thouseau (contrebasse Live)
Avignon Off 2018 : au 11 Gilgamesh jusqu’au 27 juillet à 22h

Maloya, langue-monde

 

« Est Réunionnais toute personne qui vit à la Réunion
quelque soit son pays d’origine »

 

Le maloya, c’est la musique traditionnelle de l’île de La Réunion. « C’est simple, le maloya, c’est notre parole. ». C’est simple, et c’est complexe, parce que le maloya vient « des tréfonds de l’Histoire » et, comme l’île, est fait d’Afrique, d’Inde, de passé colonial, c’est une musique mais c’est aussi une expression politique, une transmission affective, une fête, un vestige des rituels vaudous malgaches.

Sergio Grondin à la naissance de son fils, Saël – « Saël, c’est un prénom hébraïque qui veut dire conciliant » -, lui a dit « Bienvenue Saël, mon fils. Ta mère et moi, on est heureux de t’accueillir ». Une nuit a passé, et le coup de poing direct au creux de l’estomac : lui le Réunionnais qui parle créole avec ses parents, ses amis, a prononcé les premiers mots pour son fils en français.

« Comme si la naissance de mon fils
était venue m’annoncer la mort de ma langue maternelle ».

 

Qu’est-ce que raconte ce français ? Qu’est-ce que ça raconte du créole, cette interrogation ?
Avec ses complices de longue date – c’est leur troisème création conjointe -, David Gauchard et Kwalud (co-auteurs et respectivement metteur en scène et créateur des musiques), Sergio Grondin, conteur charismatique, compose un spectacle d’une grande force et d’une intelligence sensible. Du théâtre à vertu documentaire, mais surtout du théâtre à vertu humaniste.

Sergio Grondin est allé à la rencontre de ses compatriotes avec toutes ses questions sur le rapport à la langue, sur le créole, sur l’identité réunionnaise. Smartphone à la main et écouteurs aux oreilles, il va se faire passeur de leurs mots.
En fond de scène, une table de mixage, à ses pieds des blocs de bois clair, des tronçons de canne à sucre, 2 seaux de fer blanc. De ces modestes objets, se construira une scénographie graphique, élégante et rythmique, où la parole du conteur a tout l’espace pour se déployer. Sur le mur de fond seront projetés quelques mots clefs – mouramour, veli -, ou une traduction, lorsque la langue se fait trop inacessible pour le public non créole.
La composition électronique, aux sonorités très contemporaines, jouée en direct par Kwalud, tient le folklore à distance, tout en laissant la place aux chants ou aux poèmes de la mémoire familiale ou ancestrale.

« Parler de l’identité d’un peuple, c’est comme sortir un lambi de la mer : on peut l’observer, c’est un beau coquillage, mais c’est un coquillage mort.
La poésie, le mystère, restent au fond de la mer. »

 

Mais Sergio Grondin, David Gauchard et Kwalud ne font pas que sortir un coquillage de la mer, le retourner entre leurs mains pour le scruter et le porter au regard des autres. Ils ne font pas que fabriquer un outil pour ausculter une parole : « à travers l’écriture de ce spectacle, c’est une cartographie de l’intime et du territoire que j’ai entamée », écrit Grondin. Son intime et son territoire. Pas un coquillage mort : quelque chose où l’on vit, quelque chose que l’on vit. Et dans ce Maloya, la poésie et le mystère ne sont pas restés au fond de la mer : des gouttes d’eau sont remontées avec le coquillage, et leur poésie et leur mystère sont là, bien vivants.

Maloya - Compagnie Karanbolaz - Sergio Grondin - La Réunion - photo ©Ilan Shojnow’s

« Nous vivons dans un bouleversement perpétuel où les civilisations s’entrecroisent, des pans entiers de culture basculent et s’entremêlent, où ceux qui s’effraient du métissage deviennent des extrémistes. C’est ce que j’appelle le « chaos-monde ». (…)
Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, l’ambiguïté saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées ouvertes, des pensées créoles. »

Edouard Glissant, entretien accordé au Monde 2, en 2005

Marie-Hélène Guérin

 

MALOYA
Un spectacle écrit par Sergio Grondin, David Gauchard et Kwalud
Mise en scène : David Gauchard
Comédien : Sergio Grondin
Musicien : Kwalud
Avignon Off 2018 : à La Manufacture jusqu’au 26 juillet à 12h
Photo © Ilan Shojnow’s

ILLUSIONS : il était une fois l’amour. Ou pas.

Une fois n’est pas coutume, nous commencerons cette chronique festivalière par un conseil exclusivement réservé aux lecteurs de PIANO PANIER.
Il faut en effet essayer d’être au tout début de la file d’attente d’ILLUSIONS, pour pouvoir être les premiers à pénétrer dans la salle 2 du 11 Gilgamesh et bénéficier d’un privilège particulier. Nous n’en dirons pas plus. Conseil d’ami. Faites-nous confiance. Dès que le noir se fait, quatre comédiens prennent place au cœur du plateau. Deux femmes, deux hommes. Nous ne connaîtrons jamais leurs noms. Ne saurons rien d’eux. Mais nous serons invités, par leur parole, à écouter une histoire. Ou plutôt, des histoires. Tout d’abord celle de Sandra et de Dennis, un couple lié par cinquante-deux ans d’amour sans nuages. Au crépuscule de sa vie, sur son lit de mort, Dennis prend la main de Sandra et, avant de partir, tient à lui livrer la plus belle déclaration d’amour qui soit.

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh © Jeanne Garraud

On imagine la scène. C’est la première femme, incarnée par Clémentine Allain, qui nous la narre dans les moindres détails, au cours d’un long monologue où l’émotion peu à peu grandit et la submerge. Les spectateurs que nous sommes accueillent cette histoire dans un très grand silence, suspendus aux lèvres et aux yeux de la narratrice, qui prend bien soin de nous envelopper collectivement, par un jeu de regards pénétrants, dans sa belle histoire. Quand celle-ci se termine, on « entend » le silence. Toute la salle est manifestement cueillie par ce que nous venons d’entendre.
C’est alors que la deuxième femme prend la parole. Elle est interprétée par Fanny Chiressi, dans un registre moins empathique mais plus direct. Elle va nous raconter, à son tour, l’histoire d’une autre déclaration. Celle d’un autre couple de personnes âgées, Robert et Margaret. Et cette histoire va très vite apporter un éclairage radicalement différent sur celle de Dennis et Sandra.

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh © Julie Allard-Schaefer

Il ne faut bien entendu pas révéler ce que nous apprendrons. Après la deuxième femme, ce sont ensuite les deux hommes, interprétés par Mickaël Pinelli et Arthur Fourcade qui prendront tour à tour la parole et lèveront un nouveau voile sur l’histoire croisée des deux couples Dennis-Sandra et Robert-Margaret.
C’est pourtant, en filigranes, une très belle histoire que l’on écoute avec émotion : il s’agit bel et bien d’ausculter ce qu’est l’amour entre deux personnes, de comprendre son origine, sa raison d’être. Mais au fur et à mesure que la pièce avance, comme autant de focales que l’on appliquerait sur un objectif, notre vision devient de moins en moins précise… alors même que les quatre personnages s’emploient paradoxalement à nous livrer des anecdotes très précises, des détails plus nombreux, et à utiliser des périphrases qui ne laisseraient planer aucun doute sur l’authenticité de leur parole.

 

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh

 «Et maintenant, je veux vous raconter une soirée »

C’est tout le sel de cette pièce écrite par l’auteur russe contemporain Ivan Viripaev : par la grâce d’une écriture absolument virtuose, il met en place progressivement un savant jeu d’illusions, un savoureux système de poupées gigognes, où rien ne s’est vraisemblablement passé comme on nous l’a raconté. Le style est direct et s’emploie à nous convaincre sans aucune hésitation que les quatre personnages devant nous ont été les témoins de première main de ce qu’ils nous racontent. Ou peut-être l’ont-ils complètement inventé : et si la fonction du langage était le personnage principal de cette pièce décidément fascinante ? « Tout est vrai, puisque je vous le raconte » semblent nous dire en permanence les quatre personnages devant nous. Mais rien n’est moins sûr.

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh

Il faut ici rendre grâce à la mise en scène d’Olivier Maurin, qui, par sa direction d’acteurs d’orfèvre, crée une intimité rare entre ses personnages et son public. L’utilisation d’un dispositif bifrontal, (et même un peu plus…), très original, nous place au cœur de cette narration collective.
Clémentine Allain, Fanny Chiressi, Mickaël Pinelli et Arthur Fourcade sont réellement formidables. A la fois habités par les histoires qu’ils racontent, et stimulés par le jeu qu’ils nous jouent, ils passent sans cesse de chaque côté du miroir avec une jubilation communicative. Leur jeu sans texte, leurs regards croisés, ou portés vers nous, sont particulièrement précis et efficaces.
« La fleur de l’illusion produit le fruit de la réalité », disait Paul Claudel. Nous sortons d’ILLUSIONS avec beaucoup de doutes sur la véracité des histoires qu’on nous a contées, mais avec une certitude, bien réelle : celle d’avoir assisté à une démonstration de théâtre de haute volée.

Stéphane Aznar

Illusions Ivan Viripaev, mise en scène Olivier Maurin, Cie Ostinato, 11 Gilgamesh

ILLUSIONS
Un spectacle texte d’Ivan Viripaev
Mise en scène : Olivier Maurin
Avec Clémentine Allain, Fanny Chiressi, Arthur Fourcade, Mickaël Pinelli
Avignon Off 2018 : au 11 Gilgamesh du 6 au 27 juillet à 17h05

 

Monsieur L, l’avatar emplumé et en quête de ciel de Pierre Lericq

Dans la travée, un énergumène vêtu d’un long manteau de prince slave ou de diablotin, paré de noir de la pointe des bottes au bout du col, nous alpague… « Faites comme si je n’étais pas là. Faites comme si vous n’étiez pas là. Faites comme si nous étions ailleurs… »

Et nous voilà partis dans la peu banale et très commune épopée de Monsieur L, fils de 2 parents jurassiens et lassés de la société de consommation partis voir ailleurs au bord du fleuve Uélé, au Zaïre. A remonter et descendre le fleuve en crue en canoë-kayak, il arriva ce qui devait arriver, les parents périrent, et l’enfant fut orphelin… On le suivra, de parents adoptifs et chantants en grands-parents meuthiards et rudes, de « L » à Pierre (« parce qu’ici, dans le Doubs, on ne s’appelle pas L ! »), de l’enfant gai à l’enfant qui apprendra à faire « comme s’il n’était pas là » pour oublier l’ivrognerie du grand-père et la triste vie de la grand-mère, du jeune homme amoureux au papa qui n’en revient pas… Le fil du récit s’entrelace de chansons, récentes ou anciennes, du répertoire des Epis Noirs et de Pierre Lericq, tressées intimement à la narration.

« Monsieur L est un infiniste utopiste irréférencieux, qui aime le vain et les framboises », se présente-t-il, Monsieur L, Monsieur elle, Monsieur ailes ! Monsieur L est un derviche tourneur enfermé dans une cage et qui tourne en rêvant de l’an neuf, en rêvant de l’envol…

Pourquoi accompagner ce « drôle d’oiseau de passage pas sage,
entre colombe et corbeau » dans sa quête d’ailleurs ?

Pour apprendre à secouer la suie de son âme !
Et :
Parce qu’on entendra le rire des enfants, qu’on verra du soleil sur la plaine, qu’on aura un baiser de Florence, et que c’est beau.
Parce qu’on rencontrera un instituteur communiste et chrétien, qui aura trouvé une jolie façon d’obliger le Christ à sourire aux ouvriers.
Parce que les jeux de mots de Lericq – chacun son destin… – sont beaucoup de jeu, mais aussi beaucoup de maux. Les blagues potaches ouvrent parfois la porte à de rudes interrogations et d’amères réflexions.
Parce que la vie parfois c’est moche aussi , et parfois c’est dur, et que dans les chansons de Pierre Lericq, c’est beau aussi. Une femme aimée meurt et son enfant joue sous le chêne; il y a des hommes qui partent à la guerre et qui ne veulent pas la faire; il y a des ponts détruits et des enfants qui veulent les reconstruire; il y a des tours jumelles qui s’effrondent, et au dernier étage un homme qui envoie un message à sa femme. Il y a la mort, et c’est la vie.
Parce qu’il y a de l’amour et du désamour, et que les chansons d’amour ici ne sont pas des chansons sentimentales, mais des chansons fiévreuses; parce que Pierre Lericq a une manière de faire passer la tendresse sans un soupçon de tièdeur, dans une sorte de rage de vivre.
Parce que c’est drôle, et farfelu, et sombre, et fraternel, et léger, et joyeux.

Marie-Hélène Guérin

 

Monsieur L, Pierre Lericq, chansons Epis Noirs

MONSIEUR L
Un spectacle de et avec Pierre Lericq
Avignon Off 2018 : à la Maison IV de Chiffre jusqu’au 29 juillet à 12h45

Retrouvez les autres participations de Pierre Lericq au festival (sous les diverses casquettes d’auteur, metteur en scène ou comédien) :
Sauver le monde ou les apparences
Britannicus on stage

Le Voyage de Miriam Frisch

De longues tablées de bois clair attendent les spectateurs, à leurs bouts deux estrades, sur les côtés deux écrans. On prend place, un petit verre à la main, coude à coude avec son compagnon peut-être, ou un inconnu. Quatre jeunes gens entament des silencieux rituels, lavage des mains, allumage des bougies… Des bouteilles d’eau, de vin, passent de main en main… Autour de ces tables de banquet va pouvoir se déployer l’histoire du spectacle.
Linda Blanchet a composé ce récit à partir l’ histoire de Miriam Coretta Frisch, jeune Allemande qui a décidé de partir en kibboutz pendant 7 semaines, l’année de ses 25 ans, en 2012. Du témoignage de cette expérience, enrichi par un travail collectif de la troupe sur les questions d’identité, de transmisson, elle a fait naître une forme hybride – théâtre documentaire autant que monologue polyphonique -, où se côtoient fragments de réalité et fantaisie, faux reportage et vraies confidences, entretien à la webcam et séances diapos, touchants moments de chants et cuisine paternelle…
Et si le « kibboutz » signifie la « collectivité », Miriam dans sa quête de sens et de communauté sera collégiale : ils seront quatre à offrir leur voix, leur corps, leurs souvenirs, à Miriam, la jeune femme en quête d’identité : elle sera brune, blonde, garçon ou fille, elle changera de taille, de couleur de peau, d’accent !

Qu’est-ce qui fait courir Miriam Frisch ?

« Je voulais voir ce qui se cache derrière l’idée du collectif, comment les gens s’organisent ensemble »… mais aussi « je me demandais qu’est-ce qui était possible en dehors du capitalisme »… mais surtout « j’avais une sorte de culpabilité abstraite » : un besoin – pour celle qui est de la génération d’après la génération d’après – de prouver qu’être un Allemand ce n’est pas forcément être « un monstre », de passer outre le passé, sans l’oublier. Miriam, jeune femme allemande, non juive, pérégrinant en ce début de XXIe siècle de kibboutz en kibboutz, porte ces questions de son temps. Les rêves personnels, les envie d’utopie se frottent au lourd poids de l’Histoire, et de l’histoire familiale.

4 bonnes raisons de prendre part au voyage de Miriam Frisch :

1 – Les comédiens, tour à tour dans la narration ou l’action, ont tous les quatre de la pertinence, de la bienveillance et de la sincérité. Quatuor harmonieux et vivace, ils sont aussi justes dans la légèreté fantasque que dans la gravité.
2 – Il est bon parfois de laisser de côté les réponses pour offrir de l’espace et du temps aux interrogations. Ici, on leur accorde la place d’honneur – aux « pourquoi », aux « comment », aux « que faire avec hier », aux « pourquoi faudrait-il forcément faire avec hier », « comment faire pour demain »… chacun fera son propre voyage en compagnie de Miriam Frisch pour débusquer celles qui résonnent en lui, celles qui creuseront un sillon qui fera une place à une réponse, peut-être, un jour.
3 – L’intelligence du dispositif, qui s’affranchit des frontières entre réalité et fiction à chaque rouage : dans l’écriture, dans la mise en scène, dans le registre de jeu, dans le rapport « scène-public ».
4 – Un de ces cadeaux que fait parfois le théâtre au spectateur : l’occasion d’un partage.

Marie-Hélène Guérin

 

Le Voyage de Miriam Frisch, Compagnie Hanna R Photo © Gaëlle Simon

LE VOYAGE DE MIRIAM FRISCH
Un spectacle écrit et mis en scène par Linda Blanchet
Avec Calypso Baquey, Angélique Zaini, William Edimo, Cyril Texier ou Maxime Coggio
Avignon Off 2018 : à La Manufacture du 6 au 26 juillet à 17h55

Chili 1973 : Rock around the Stadium

Le foot et le rock ont une emprise et un retentissement mondial sans équivalent. Les dictatures aussi ! En mettant en parallèle le déclin de l’esprit du rock, la montée des dictatures en Amérique du Sud et la consécration du roi football, la compagnie Escabelle propose un spectacle coup de poing, une pièce de théâtre musical non fictionnel que ne renierait pas Elise Lucet.

Chili 1973 : rock around the stadium

Le 11 septembre 1973, coup d’état au chili. Le stade de Santiago se transforme en camp de concentration où plus de 12 000 opposants y seront torturés, violés, assassinés -il est vrai qu’un stade de foot, pour ça, c’est idéal !… Le tube planétaire Angie des Rolling Stones, sorti la même année, y sera diffusé à fond par le pouvoir militaire pour couvrir les cris des torturés. Le cynisme du pouvoir est poussé à son paroxysme au moment des phases de qualification pour la coupe du monde 1974… mais que vont-ils bien pouvoir imaginer pour jouer à domicile dans « le stade de la mort » ?

Chili 1973 : rock around the stadium

Trois raisons de prendre son billet pour les tribunes de CHILI 1973: ROCK AROUND THE STADIUM

1 – Un dirigeant de la FIFA vous confiera qu’un moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour pouvoir organiser une coupe du monde dans de bonnes conditions. Et ce n’est pas faux !
2 – Un spectacle percutant, efficace, redoutablement ciselé, qui confère tout son sens au théâtre, en remplissant parfaitement sa fonction d’éveilleur des consciences.
3 – En revivant des évènements oubliés ou juste ignorés, ce spectacle est une succession de révélations toutes plus hallucinantes les unes que les autres, sur les liens terribles entre rock, foot et dictatures… ou comment le foot a été tué par Pinochet. Guitare et batterie live sur scène vous accompagneront devant le peloton d’exécution !

-Jean-Philippe Renaud-

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=wCp9aKqYH3Q]

CHILI 1973 : ROCK AROUND THE STADIUM
Ecrite et mise en scène : Hugues Reinert
Interprétation : Hugues Reinert , Kevin Le Quellec
Lumière / vidéo : Karim M’Sir
A la CASERNE DES POMPIERS du 7 au 23 juillet 2018, 19h15

Les Idiots

Des adolescents qui attentent tout de la vie, qui veulent la réinventer, qui veulent de l’amour, du vrai. Des cris de jeunesse face à l’immobilité du monde, face à la frustration morbide de ces adultes, qui cherchent à lui faire porter « leurs valises » pour qu’elles leur soient moins lourdes. Parce que eux ne veulent pas avoir peur, parce que eux aiment la vie. « On dit, les idiots. Ces idiots ne sont pas des idiots. Ils ont développé leur intelligence en dehors des règles. La véritable intelligence n’est pas de savoir ce que tout le monde sait. C’est d’inventer sa vie ».

Trois raisons d’aller voir (absolument) LES IDIOTS:

1 – pour la première scène qui instaure une tension digne d’une prise d’otages. Vous avez le souffle coupé, vous êtes cernés, vous êtes en joue, vous êtes un jouet. Vous êtes inquiets? Vous avez raison. Mais rassurez-vous c’est du théâtre
2 – pour la mise en scène, pour le rythme, pour la modernité, pour la composition musicale et la musique live, pour le texte, pour le jeu. Vous voyez les lumières au dessus de la scène ? ce sont les âmes de Bonny and Clyde qui les font scintiller.
3 – LES IDIOTS a reçu le prix de la meilleure mise en scène 2018 au festival A Contre Sens … et vous allez comprendre pourquoi !

LES IDIOTS
Une pièce de Claudine Galea
Mise en scène : Théa Petibon
Avec Alice Daubelcour, Tanguy Vrignault, Emilie Lehuraux, Quentin Kelberine, Tali Cohen, Paul Meynieux, Paul Lourdeaux, Richard Pfeiffer
Avignon Off 2018 : à L’Archipel Théâtre, du 6 au 29 juillet, relâche les mardis

Au nom du pèze, ou « Le Syndrome de Richard » le bien-nommé

Elu manager du siècle, l’homme d’affaires le plus riche de la planète n’a plus d’autre issue que d’entamer une cure de désintoxication à l’argent pour sauver ses proches. Il réussit tout mais rate ses enfants et sa vie; c’est même ce qu’il rate le mieux. Plus il est riche et plus sa fille anorexique perd du poids. L’homme est avalé par le système ultralibéral qui l’a enfanté. Mais ne subirions nous pas la même destinée si nous étions à en situation de pouvoir gagner autant d’argent?

Au bout du compte, il ne réussira à sauver le monde qu’en sacrifiant totalement son argent. Ou pas.
Au nom du pèze, seul-en-scène de Stéphane Guignon et Christophe de Mareuil, avec la complicité de Carole Greep.Mise en scène Anne Bouvier. Avec Christophe de Mareuil. Au Pandora Avignon. Photo Lucas Grenier
Trois raisons d’aller voir un Christophe de Mareuil pour son premier seul-en-scène :

1 – En incarnant avec talent une dizaine de personnages, il se rapproche peu à peu des performances de James Mc Avoy l’effrayant psychopathe du Split de M. Night Shyamalan, qui revendiquait 23 personnalités différentes. Lui ne tue pas encore ses victimes, quoi que …
2 – Drôle, grave, joueur, cynique, attendrissant, il confirme comme la vénéneuse Lucrèce Borgia que, « quand on est entrainé dans un torrents de crimes on ne s’arrête pas quand on veut ». On peut donc lui trouver quelques circonstances atténuantes.
3 – Le texte est brillamment écrit, on rit beaucoup et de toutes les couleurs, jaune tant le fond est inquiétant et réaliste, vert comme les billets qui lui servent de drogue, marron comme sa toute dernière idée loufoque destinée à le ruiner sans efforts et ainsi régler ses problèmes (mais chuuut, je ne vous en dis pas plus) mais qui démontrera malgré lui qu’il est impossible de perdre dans le monde libéral quand on possède tout.
Au nom du pèze, seul-en-scène de Stéphane Guignon et Christophe de Mareuil, avec la complicité de Carole Greep.Mise en scène Anne Bouvier. Avec Christophe de Mareuil. Au Pandora Avignon
AU NOM DU PEZE, ou Le Syndrome de Richard
Une pièce de Stéphane Guignon et Christophe de Mareuil,
avec la complicité de Carole Greep
Mise en scène : Anne Bouvier
Interprétation : Christophe de Mareuil
Création sonore : Luc Rouzier
Au PANDORA du 6 au 29 juillet 2018, relâche le 23

Kohlhaas, un désir de justice

Michael Kohlhaas est un éleveur de chevaux sans problème, qui rêve de voir battre son cœur en harmonie au milieu du cercle des hommes. Victime naïf de l’abus de pouvoir d’un noble, à qui il avait confié ses chevaux, il ressentira cette aiguille à « l’intérieur de l’enclos de son cœur », comme une fissure annonciatrice de l’effondrement irrésistible.

Il ne contient sa soif de vengeance qu’avec l’espoir que la justice sache l’apaiser. Mais elle l’abandonnera bien vite, avec un cynisme et un dédain qui ne lui laisseront que la violence pour seule échappatoire.

Même la bible ne lui donne plus la force de pardonner; ce pardon qui lui est impossible, tant que ses beaux et noirs chevaux ne lui seront pas rendus.

« Si le désir des injustes est la vengeance,
quel peut être donc le désir des justes », si ce n’est la justice ?

 


Monologue à plusieurs personnages et un narrateur, le texte de Baliani questionne avec poésie les mécanismes qui nous entrainent de la naissance de la souffrance vers la violence aveugle. Kohlhaas est l’histoire de cet homme ordinaire qui bascule dans la violence extraordinaire, poussé par la justice des hommes au service des plus forts et des puissants. Histoire du XVIe siècle ou histoire d’aujourd’hui ?

Kohlhaas voulait tout simplement la justice, il voulait rester homme parmi les hommes, dans ce cercle idéalisé auquel il croyait, mais les hommes l’en ont chassé. Qui peut avoir le droit de déchirer ainsi le cercle du monde ?

La mise en scène de Julien Kosselek est toute en finesse et en précision. Sur scène, une chaise et 2 haut-parleurs, dans la salle un public transporté, et l’âme d’Heinrich von Kleist qui flotte… et voici le théâtre sublimé !

Du sur-mesure pour Viktoria Kozlova, qui livre une prestation exceptionnelle, époustouflante. Jouant de malice, d’une fougue vissée au corps et d’un accent terriblement enchanteur et séduisant, elle nous raconte cette histoire avec passion comme personne. Elle incarne avec toute sa chair une histoire d’hommes et de cercle idéalisé du monde, qui se brisent sous les coups portés par l’injustice et l’abus de pouvoir.

Un tel tourbillon mérite bien un Molière … on en reparlera !
KOHLHLAAS
Texte Marco Baliani et Remo Rostagno
D’après Michael Kohlhaas de Heinrich Von Kleist
Mise en scène Julien Kosellek
Création sonore Cédric Soubiron
Interprétation Viktoria Kozlova
Avignon Off 2018 : au Train bleu du 6 au 29, relâche les lundis

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