Abasourdissement poétique, emporté par le rythme des mots
Sombre Rivière va vous couper le souffle avec son rythme et son énergie effrénés. La pièce est faite d’une succession de scènes, sans fondus enchaînés, où la parole galope comme des chevaux déchaînés, qui seront les montures symboliques de l’auteur tout au long du spectacle. L’ensemble est d’une beauté pleine de poésie et d’élégance, où les mots sonnent et claquent dans la justesse de leur agencement, d’où l’on peut dégager deux thèmes principaux : l’identité d’un Arabe Français, avec les sempiternelles questions de droit du sang-droit du sol, endosser l’Histoire de ces ancêtres, se sentir appartenir au peuple minoritaire assassiné par la terre d’accueil et en second thème, les affres de la création, avec tous les problèmes d’éthique, de financement, de système culturel, de délires et de fanatisme qui emportent l’auteur ou le metteur en scène ou ces personnages (c’est toujours le même), et des fantômes qui l’accompagnent.
@ Jean-Louis Fernandez
Voilà le point de correspondance duquel Lazare fait émerger ces mondes pour en faire une totalité. Lazare veut embrasser le monde et peint une immense fresque pour nous dire la douleur et l’absurdité de l’égoïsme. Et il y parvient.
Le texte est de bout en bout chanté, faisant intervenir tous les styles de musiques, du cantique au rock jusqu’au rap en passant par la musique tzigane et le folk. Aucune chanson n’est en-dessous, tout serait à garder, avec une égale qualité de textes et de maîtrise musicale et interprétative. Et pourtant, on ne comprend pas toujours les transitions entre chaque scène, tout cela semble un peu fouillis, on ne sait pas toujours qui parle et à qui.
La troupe se filme de temps en temps en direct, obligeant le spectateur à faire un choix entre la chair des comédiens et l’image à l’écran. D’autres images extérieures viendront ponctuer le récit mêlant réalisme et surréalisme.
Surréalisme oui, c’est bien la force de cette pièce pleine d’intelligence, qui tente de tracer des pistes dans ce qui ne va pas, comme un constat pour éclairer notre présent, dont chaque scène tourne, la plupart du temps, à la bouffonnerie et nous fait rire car Lazare n’est pas dupe des réponses, de leur idéalisme ou de leur idéologie. Il préfère la farce et nous amuser. Lazare n’a pas oublié les fondamentaux du théâtre et ne s’en éloigne jamais. Il n’a pas de remède miracle aux maux de la société, il n’a que les mots pour dire ce qui est et ce qui a été, pour montrer les lieux des dangers comme les foyers du terrorisme ou la négation des massacres ou encore l’actuelle montée du repli identitaire.
Les comédiens-chanteurs-musiciens-danseurs de la troupe la rue Kétanou sont dignes des plus illustres comédies musicales et déploient, dans un tour de force hallucinant, une énergie portée par le chant et par le jeu et incarnent avec force et puissance l’ensemble des personnages qui défilent sur le plateau.
On pourra reprocher un manque de structure à la pièce qui fait qu’on est parfois perdu et qu’on a un peu de mal à trouver les limites du texte et à circonscrire le discours de fond, mais Lazare nous le dit à plusieurs reprises, à travers son personnage qui est “son double sur scène”, interprété par Julien Villa : il ne comprend pas ce qu’il écrit, alors ce sera au public de trouver un sens à cet ensemble d’une beauté hors du commun.
SOMBRE RIVIERE
Á l’affiche du Nouveau Théâtre de Montreuil – du 29 mars au 6 avril 2017 (20h)
Texte et mise en scène : Lazare
Avec : Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Ludmilla Dabo, Julie Héga, Louis Jeffroy, Olivier Leite, Mourad Musset, Véronika Soboljevski et Julien Villa