Tango y tango, paroles et musiques

L’affiche est alléchante, Marcial di Fonzo Bo à la mise en scène, Philippe Cohen Solal, on ne connaît pas Santiago Amigorena, l’auteur, mais on ne demande qu’à découvrir le troisième larron de cet attelage prestigieux et séduisant, dont on sait les intimes connivences avec le tango et/ou l’Argentine. La présence de l’irrésistible Rebecca Marder achevait de nous tenter…
La scénographie d’Alban Ho Van est magistrale : la milonga élégamment reconstituée, nostalgique et encore joyeuse, aux murs usés comme la voix de son vieux tenancier, offre un écrin magique à ce spectacle ambitieux. Les créations vidéo soignées de Nicolas Mesdom peaufinent le voyage, joliment incrustées dans l’ouverture des portes vitrées de la salle de bal, l’ouvrant sur d’autres lieux, d’autres temps, d’autres réalités.

On savourait d’avance, mais des ingrédients luxueux ne font pas toute la réussite de la recette… Le texte ne trouve pas l’équilibre entre fiction et documentaire, ne parvient pas à les faire s’enrichir l’un l’autre, et, à trop vouloir embrasser son sujet, se fait parfois bien maladroit. Et la grâce et le talent de Rebecca Marder se retrouvent malheureusement engoncés dans un rôle de « Candide » dont la soif de connaissance permet de justifier les parties « didactiques » du spectacle – qui ne manquent pas d’intérêt, peut-être, mais plutôt de vie.
Pourtant de la vie, du sang dans les veines, de la passion, du nerf, on en trouvera, là où le spectacle est beau, là où le spectacle vibre : dans le tango qu’on voit, le tango qu’on entend – pas celui qu’on décrit.
La musique est mixée ou jouée en direct, violon accordéon bandonéon en mode mineur (Aurélie Gallois et Victor Villena, irréprochables), chanteuse à la belle voix éraillée (Cristina Vilallonga, parfaite de puissance et de fêlures). La danse est vive, sophistiquée, technique, aiguisée sous les chorégraphies nerveuses et sensuelles de Matias Tripodi. Les danseuses sont affûtées, rapides, les jambes longues pointent vers le ciel comme des fleurets, les danseurs sont les imperturbables pivots de tournoiements et de portés vertigineux. Quelques beaux solos ou duos masculins rappellent le lointain temps où le tango se dansait entre hommes. Il y a de la virtuosité et de la flamme. De ce tango-là on se régale.

Marie-Hélène Guérin

 

TANGO Y TANGO
Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 27 mai
Livret Santiago Amigorena
Musique Philippe Cohen Solal
Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo
Chorégraphie Matias Tripodi
Avec Rebecca Marder, Cristina Vilallonga, Rodolfo de Souza, Julio Zurita, Mauro Caiazza
Danse Maria-Sara Richter, Sabrina Amuchástegui, Fernando Andrés Rodríguez, Estefanía Belén Gómez, Eber Burger, Sabrina Nogueira
Musique Aurélie Gallois (au violon), Victor Villena (au bandonéon)
Scénographie Alban Ho Van
Images Nicolas Mesdom
Création lumière Dominique Bruguière
Photos © Giovanni Cittadini Cesi
+ d’infos
Avec le soutien de l’ADAMI

En clôture de Séquence Danse au 104, une électrisante Tragédie

Le festival Séquence Danse 2023 au 104 s’est clôt par une magnifique ovation debout saluant la re-écriture, 10 ans après sa création, de l’emblématique Tragédie, qui avait concouru à faire d’Olivier Dubois un chorégraphe majeur.

Tragédie avait à l’époque saisi, retourné, uppercuté, soulevé le public. Lors du Festival 2012, dans la nuit avignonnaise, la place des Carmes résonnait aussi fort du gong tellurique qui ouvrait la pièce que des applaudissements qui explosaient en tonnerre, après un bref et intense silence, dont, même de l’extérieur du Cloître des Carmes qui accueillait le spectacle, on percevait la densité.
Dix ans plus tard, Olivier Dubois, dont on a récemment aimé Itmahrag, ré-écrit son magistral « poème chorégraphique », toujours pour 18 interprètes, dont une partie dansait déjà Tragédie à la création. Dans la salle se mêlent jeunes gens, qui étaient enfants ou adolescents quand naissait Tragédie, et spectateurs de plus longue date.
 

Une silhouette se détache de la pénombre, une autre, puis une autre, s’avançant du fond du plateau. Tou.te.s sont nu.e.s, d’une nudité si absolue qu’elle semble les revêtir.
Les voilà ces dix-huit humains, vêtus de leur seule nudité, fragiles et puissants, face à nous. Peaux mates ou claires rendues pâles sous la lumière blanche, muscles secs, parfois androgynes, bustes très droits, épaules dégagées, têtes hautes. Marchant, arpentant, découpant le sol de leur circulation géométrique.
Les jambes cisaillent l’espace, les corps cisaillent l’obscurité.
Comme des navettes sur un métier à tisser les danseur.euse.s se croisent et se recroisent, traçant un motif invisible, complexe et tenace.
Chorégraphie d’une radicalité frontale, dont la rigueur extrême est loin de l’apparente simplicité qu’on pourrait y voir. Exercice zen autant pour les interprètes que pour les spectateurs.

Les percussions abruptes compressent l’air, sur un rythme implacable, et ce rythme n’est pas celui de la marche, provoquant une altération étrange de la perception, une double pulsation à l’intérieur de soi. On en perd ses repères, hypnotisés par le mouvement faussement perpétuel et ses minuscules mais saisissantes ruptures, où les interprètes, isolément ou tout d’un bloc, marquent un infime suspens.
La lumière se dissout ou se resserre, le rideau de fils au lointain brouille la vue, transformant les silhouettes en ombres, les ombres en mirages, achevant d’égarer les sens.
 

La nappe sonore se densifie, l’entropie gagne, le désordre pointe, par frissons, hochements de tête, désarticulation ; qu’est-ce qui se passe quand on ne marche pas ? on jaillit, on tombe, on bondit, on court, on heurte. On interpelle, on trébuche, on sexualise, on tombe encore, on se relève. On s’amuse. On danse. Une danse physique, chaotique, comme déchaînée, animée de flux et de reflux, de dispersions et de regroupements, de souffles et d’apnées. Surgissent un ludique et vivifiant pas de bourrée, des rondes difformes de Hyeronimus Bosch, des sculptures grecques, des ballerines, des rugissements de fauves, des frénésies de dancefloor. Les hiératiques et quasi beckettien.ne.s arpenteur.euse.s prennent chair et folie – disons, une autre folie, non plus ce dépouillement fou, mais une sauvagerie folle.

De l’abstraction première, d’une pureté apollinienne, on bascule dans une bacchanale punk, sous un déluge de sons saturés, guitares électriques distordues, sang dans les veines grondant comme un éboulement de rochers. C’est comme une reprise de possession de soi. Le débordement d’une énergie furieuse. Une exultation. – Et je découvre ici que le mot « exulter » vient du latin exsultare, signifiant « bondir, sauter », ce qui est littéralement mis en jeu sur le plateau.
Quand la marche reprend, les peaux ont perdu de leur lunaire pâleur, les êtres ont gagnés de la souplesse – et du sourire.
On assiste, ou plutôt on l’éprouve, à un gigantesque mouvement de systole et diastole, contraction, relâchement – qui anime chaque séquence, mais qui structure aussi l’ensemble. Systole, diastole, contraction, relâchement : ce qui est nécessaire pour qu’un cœur batte, pour qu’un humain vive.
On se souvient qu’autrefois la danse et le théâtre faisaient partie des « mystères », des cérémonies secrètes en l’honneur des dieux anciens, on se souvient que l’art agit, que spectateur on ne fait pas que regarder mais qu’on vit aussi le spectacle.
Dix ans après, celui-ci a gardé toute sa vitalité, toute sa puissance, toute sa violente beauté. Et l’unanime et irrépressible ovation qui le salue en témoigne. Elle explose, et se prolonge, comme une façon de faire durer le spectacle, rendre aux artistes l’intensité reçue, garder encore pour soi le choc esthétique et émotionnel avant de le voir se diluer dans le retour à l’extérieur, maintenir encore un peu cette accélération du rythme cardiaque, ce surplus de vie que provoque une vraie rencontre.

Marie-Hélène Guérin

 

TRAGÉDIE, NEW EDIT
Vu en mai 2023 au 104
Un spectacle créé par Olivier Dubois
Collaborateur artistique Cyril Accorsi \ musique François Caffenne \ lumières Emmanuel Gary \ régie générale François Michaudel
Avec Youness Aboulakoul, Esther Bachs Viñuela, Nichola Baffoni, Taos B. Bertrand, Camerone Bida, Eve Bouchelot, Steven Bruneau, Marie-Laure Caradec, Coline Fayolle, Karine Girard, Steven Hervouet, Aimée Lagrange, Sophie Lèbre, Sebastien Ledig, Matteo Lochu, Sarah Lutz, Nicola Manzoni, Jean-Yves Phuong, Elsa Tagawa, Thierry Micouin, Mateusz Piekarski, Emiko Tamura, Mooni Van Tichel
Photos © François Stemmer
Une production Compagnie Olivier Dubois

Tragédie, ainsi que les autres créations de la compagnie Olivier Dubois, à voir en tournée, dates à suivre ici : https://www.olivierdubois.org/tournee/

La séduisante « Suzanne » d’Emanuel Gat

Au 104, le toujours passionnant festival Séquence Danse, s’est ouvert cette année par une représentation d’un gracieux spectacle chorégraphié par Emanuel Gat pour huit jeunes interprètes du Inbal Dance Theater de Tel Aviv.
Sur les puissantes chansons mais aussi les mots, les silences et les brouhahas du public extraits d’un concert de Nina Simone au Philharmonic Hall de New York en 1969, Suzanne offre une danse toute en fluidité, tel un ruisseau courant et bondissant.
Sur un plateau nu lacéré d’un rai de lumière, vêtements souples et clairs, robes et pantalons ondulant indifféremment sur les corps des femmes ou des hommes, les danseurs s’animent au seul rythme de leurs souffles, du bruit de leur pas, des claquements de mains sur leurs corps, en une danse vive, rapide, en mouvements de groupe crépitant comme un chaos d’électrons – puis la pénombre se fait, des individus se détachent, l’apparent désordre se structure, des ensembles se dessinent, la concentration des spectateurs se densifie.
Les corps ploient, ondulent, les groupes se font, se défont, les passages au sol ne sont qu’une étape vers la remontée, les fermetures qu’un passage vers l’ouverture, même l’immobilité qui parfois arrête l’un ou l’autre ou rassemble un petit groupe n’a rien de figé et semble n’être qu’un moment du mouvement. Les interprètes se coulent dans la musique, n’essaient pas de la dominer, laissent la juste place à l’émotion qu’elle dégage, s’en nourrissent et lui apportent leur pulsation, leur élégance, leur vitalité, leur souplesse.
Un spectacle séduisant, enjoué, plein de charme et de délicatesse, de légèreté et de douceur.

Marie-Hélène Guérin

 

SUZANNE
Vu au 104 dans le cadre du festival Séquence Danse
avec le soutien du service culturel de l’Ambassade d’Israël
Chorégraphie et lumière : Emanuel Gat
Avec Noam Deutsch, Eshed Weissman, Yehonatan Sa’al, Itai Meir, Roni Faigler, Romi Cohen, Celia Mari’, Yaniv Oirech
Musique : extraits du concert de Nina Simone au Philharmonic Hall de New York en 1969

Répétitions : Tamar Barlev \ costumes : Omri Albo \ régie technique : Ilan Shalom \ technicien lumière : Rotem Elroy \ directeur général et artistique : Eldad Grupy

Dicklove : « Corps poétique, corps politique »

Les Singulier.e.s, festival des « créations plurielles » invite chaque année à des voyages inattendus, à la découverte de formes atypiques et de personnalités rares. Les disciplines s’y croisent, s’y télescopent ou s’y métissent.

L’artiste de mât chinois Juglair, accompagnée avec une grande pertinence par le musicien Lucas Barbier, clôture en beauté cette édition avec Dicklove, spectacle transversal, transdisciplinaire, transgenre queer et réjouissant.

La scène-piste est lovée au milieu des spectateurs, c’est du premier rang qu’une voix légère et enjouée s’élève, pour quelques confidences d’enfance d’une écolière qui courait trop vite, et qui laissait toujours passer un ou deux garçons devant, parce que, quand même, « les pauvres ! ». Mais la jolie-voisine-toute-simple quitte les rangs des spectateurs, met les pieds sur scène et entame une folle succession de transformations, dont chaque étape contient toujours des traces des autres.
 

 
On rit beaucoup. Car Juglair, joueuse, taquine nos repères, bouscule les genres, glisse de l’une à l’un, de l’un.e à l’autre en un mouvement de bassin, un déplacement d’épaule, et c’est un rire d’étonnement qui crépite dans la salle. Mais on jubile aussi de franches scènes de comédie – l’évacuation du Président par hélico pour fuir une horde de féministes en mauve (et de Gilets jaunes en gilets jaunes) est irrésistible !

On y est surtout intensément ému par la grâce et la beauté de quelques fragments, un lent tournoiement au mât chinois, un maquillage dont les spectateurs sont le miroir; on y est saisi par une transe électro, un pole dance acrobatique, une chanson hypnotisante ; on y est peut-être aussi troublé ou impressionné par la fluidité des métamorphoses de l’artiste.
« Je suis femme qui se déguise en homme qui se déguise en femme, femme qui se ressemble à un homme quand elle s’habille en femme, homme qui se déguise en femme, drag, personnage, une fiction, un clown, un danger, un rêve, ou toi, ou toi, … » Juglair, brouillant les frontières, est tout cela, successivement ou en même temps. Elle interroge son genre, son expressivité, mais avant tout notre regard, nos regards, aux un.e.s et aux autres, sur le genre.

Performance circassienne, théâtrale, intime et politique, manifeste festif pour la multiplicité, expression singulière, chant libératoire et inclusif, Dicklove est une fête du multiple, de l’altérité – celle des autres, et celles de soi. Ce n’est sans doute pas militant : c’est tout simplement nécessaire, vivant et joyeux !

Marie-Hélène Guérin

 


 
DICKLOVE
Vu au 104 dans le cadre des Singulier.e.s
Création et interprétation : Juglair  

Création et interprétation sonore : Lucas Barbier

Regards extérieurs et dramaturgiques : Claire Dosso et Aurélie Ruby
 | création et régie lumière : Julie Méreau
 | construction : Max Heraud, Etienne Charles et La Martofacture | 
costumes : Léa Gadbois-Lamer
 | administration, montage de production, diffusion : AY-ROOP | remerciements à Marlène Rostaing, Jean-Michel Guy et Johan Piémont alias Luna Ninja
Photos © Aurélie Ruby

À voir au festival SPRING les 24 et 25 mars à Cherbourg (50)
 

« La chute des anges », et l’envol des êtres : magistrale leçon de ténèbres de Raphaëlle Boitel

Le rideau s’ouvre, le noir et le silence se font, soyeusement.
Une maigre forêt de perches armées d’un projecteur-œil encadre la scène, vaguement inquiétante dans sa sècheresse et ses angles, entités mécaniques et autonomes, épiantes et directives.

Des longs manteaux noirs tombent des cintres, des cintres tombent des cintres, des cintrés se glissent dans les manteaux, étranges marionnettes, cousines de celles de Philippe Genty – cet homme en fond de plateau, ces deux femmes sans doute, visage dissimulé sous un voile de cheveux, corps désarticulés, acrobates danseurs clowns désespérés. Trois drôles de petits humains, trois anges déchus, qui tentent d’apprivoiser la pesanteur.
Des mains cherchent leur tête, des corps cherchent leur axe, de êtres cherchent leur centre et leurs limites.
 
© Georges Ridel

Bientôt leurs compagnons d’infortune vont les rejoindre, arpentant le plateau en un mathématique mouvement perpétuel, Quad beckettien chaotique où comme par accident quelques pas se déploient en acrobaties, se prolongent en torsions de dos courbés jusqu’à l’impossible. Circassiens virtuoses ou non, les interprètes ont tous la même netteté dans le geste, et la même densité dans la présence.

Une ange aurait-elle la nostalgie des cieux, une humaine aurait-elle le souvenir d’une jeunesse plus lumineuse ? Une des anges se détache du chœur, tourne son visage plein d’appétits vers un soleil artificiel, lui adresse une mélopée chantante, un fouillis de mots, un esperanto d’espoir. C’est elle qui poussera le plus loin les tentatives d’échappée, les désirs d’envol.

Les noirs sont profonds comme les notes de contrebasse qui vibrent dans l’espace, ciselés de graphiques lumières dorées – presque des lumières de « théâtre noir », qui découpent de fines lames dans l’obscurité, de fines lames de réalité et de vie dans la poix des contraintes, dans l’ombre des assujettissements et des surveillances. La composition sonore d’Arthur Bison est de même dense, prenante, sophistiquée et organique, avec des grondements sourds de tempête et des vivacités de clairière après la pluie.

Les silhouettes dessinent des calligraphies, des ombres chinoises, creusent des tourbillons dans la fumée. Une femme plus âgée passe avec une opacité tranquille de vieux chaman. Un vertigineux numéro de mât chinois époustoufle et émeut, élévation et chute, élévation et chute, tragique destinée en réduction.
 
© Marina Levistskaya

Dans cette esthétique de fin du monde, il y a aussi de la cocasserie, une guerre des « chut » rigolarde, des moments de sourires au milieu des décombres : deux tubes métalliques arrachés à une des machines feront une paire d’ailes de fortune, sait-on jamais (spoil : ça ne suffira pas). L’image est drôle, et déchirante. Très drôle aussi, et très tendre, un « pas de deux » à quatre, deux des êtres tentant tant bien que mal d’en animer deux autres, tâtonnant, expérimentant, réinventant les gestes les plus simples…

Le danger peut rôder dans les objets, les perches se démantibulent, pourchassent, ordonnent, menacent – en contrepoint un majestueux gramophone offre sa beauté incongrue et une occasion de bouffonnerie légère, un rail suspendu s’envole au-dessus des spectateurs avec la souplesse et la joie des balançoires de l’enfance.

Ce monde de métal glacé et oppressant, univers sombre troué de somptueuses mordorures (magnifique scénographie et création lumières de Tristan Baudoin), Raphaëlle Boitel le peuple d’êtres faits de servitude et de pesanteur, mais surtout de curiosité et d’empathie, qui vont trouver, ensemble, un chemin vers la liberté.

Danse contemporaine et équilibrisme, contorsion et hip-hop, prouesses techniques et clowneries délicates, mât chinois et métaphysique, on ne distingue plus où une discipline s’exprime, où l’autre prend le pas, tant Raphaëlle Boitel les pétrit, les étire et mêle pour en faire le vocabulaire et la grammaire de son propre langage, extrêmement maîtrisé, poétique, gracieux, in-quiet et tendre.
« Dans la chute, il y a toujours la question de la manière dont on s’en relève. » précise Raphaëlle Boitel à La Terrasse : elle donne une beauté hypnotisante aux deux, à la chute et à la manière dont on s’en relève.
C’est onirique, envoûtant, et bienfaisant.

Marie-Hélène Guérin

 

© Sophian Ridel

LA CHUTE DES ANGES
Un spectacle de la Cie L’Oublié(e) – Raphaëlle Boitel
vu au Théâtre du Rond-Point, Paris
Mise en scène et chorégraphie Raphaëlle Boitel
Collaboration artistique, scénographie, lumière Tristan Baudoin | Musique originale, régie son et lumière Arthur Bison | Costumes Lilou Hérin | Accroches, machinerie, complice à la scénographie Nicolas Lourdelle
Interprètes Alba Faivre ou Marie Tribouilloy, Clara Henry, Loïc Leviel, Emily Zuckerman, Lilou Hérin ou Sonia Laroze, Tristan Baudoin, Nicolas Lourdelle

DATES DE TOURNÉE 2022-2023
• Actuellement et jusqu’au 31 décembre 2022 I Théâtre du Rond-Point, Paris (75)
• 28 février 2023 I Théâtre Equilibre-Nuithonie, Fribourg (17)
• 3 et 4 mars 2023 I Théâtre municipal de Grenoble (38)
• 7 mars 2023 I Espace Albert Camus, Bron (73)
• 10 et 11 mars 2023 I Le Manège, Maubeuge (59)
• 14 et 15 mars 2023 I Opéra de Massy (91)
 

« en son lieu », portrait d’un danseur par un chorégraphe

Sol blanc, clôture de pendrillons noirs, un rocher sombre de lave à cour, une paire de bottes en caoutchouc à jardin, autour du tapis de sol une lisière de hauts trépieds noirs, et dans l’air un grésillement lointain de ligne à haute tension.

Baskets, shorts amples, longues chaussettes vertes, une veste un peu baroque, une silhouette disparate, comme si on avait passé à la hâte, au frisson du soir, un vêtement chaud, tant pis s’il est trop élégant, sur la tenue qu’on portait pour vaquer au jardin.

Une brassée de tournesol dans les bras grande comme une gerbe funéraire; une lumière blanche et faible d’aube; un nuage de fumée dont la lenteur à se mouvoir est déjà mouvement et poésie.

 

L’appel du dehors

 

Des nappes de son sans mélodie ni rythme, faites d’intensité et de vibration – ruche bourdonnante ou saturation électrique. Des voix cousinant aux mélopées de Dead can Dance comme aux incantations bouddhistes. Des cloches d’alpage manipulées par le danseur. Le spectacle a été répété en extérieur, et l’extérieur s’y retrouve désormais enfermé – ou bien au contraire s’y retrouve fenêtre ouverte ?

Dans la matrice sonore d’ « en son lieu », si électronique, et si frémissante de ces gouttelettes de pluie, crissements de sable, chants d’oiseaux, comme dans les détails scénographiques, se lit nûment le projet de Christian Rozzi de dresser le portrait dansé de son interprète Nicolas Fayol : « C’est sa technique hip-hop, fille de la rue, et son choix, à première vue paradoxal, de vivre en dehors des villes qui ont convaincu Christian Rizzo de proposer au danseur d’être son compagnon de route. Ils sont alors partis à la dérive pour « répondre à un appel du dehors » et s’imprégner de l’environnement. Ce pour mieux revenir, en son lieu, entre les murs du théâtre. »

photo de répétition
Nicolas Fayol, de son corps sec, de son visage comme absent, trace dans l’espace d’étranges signes, sa silhouette se fait alphabet, lettres ramassées ou dressées se succédant en mots brefs.

Jouant des rapports équilibre / déséquilibre, sacrifiant sa verticalité pour en créer une nouvelle, inversée, tête en bas ou mains devenant nouvel axe du corps, plantées l’une au sol l’autre au ciel, le danseur est très mobile, léger, ses pas sont silencieux, effleurent à peine le sol, comme une feuille secouée par le vent le frôlerait fugacement.

Même posé un instant au sol il semble toujours prêt à s’en détacher.

Autant la musique et l’atmosphère sont sourdes, ont une épaisseur très physique, autant la danse est légère, presque joyeuse dans ses fugaces spirales à la virtuosité hip-hop.

 

Revenir « en son lieu »

 

Beaucoup de manipulations d’objet pourraient peut-être sembler obstacle à la danse, mais les images créées sont belles et sont geste esthétique et récit.

Le rocher noir fume, les tournesols maintenant jaillissent des bottes, les trépieds se sont resserrés sur le plateau en une forêt malingre mais dense.

Dans des crépitements dont on hésite à les entendre de vie ou d’apocalypse, compteur Geiger ou coassements de batraciens, tandis que le plateau se métamorphose, le danseur se fait étrange animal aux déplacements circonspects, à la lenteur de bûto. Danseur et chorégraphe se et nous promènent sur cette frontière poreuse, entre sauvagerie des forêts et sauvagerie des villes, entre dehors et dedans, ou – plutôt qu’ « entre » : « là » où cela se mêle, dans le corps du danseur, dans la graphie du chorégraphe, dans la respiration des spectateurs, là où justement s’écrit le spectacle.

Marie-Hélène Guérin

 

EN SON LIEU
Vu au 104 en 2021 dans le cadre du festival Les Singulier·e·s
à retrouver en tournée : le 29 novembre à L’Empreinte, Scène nationale de Tulle, puis dates à suivre ici
Chorégraphie : Christian Rizzo
Danse : Nicolas Fayol
Création lumière : Caty Olive
Création musicale : Pénélope Michel et Nicolas Devos (Cercueil / Puce Moment)
Direction technique : Thierry Cabrera

Trio (for the beauty of it)

D’emblée, une idée gaie et vivante : deux par deux, l’un au micro l’autre au centre du plateau, les danseurs se traduisent réciproquement, de gestes en mots et vice-versa. C’est aussi poétique que ludique, et on se retrouve embarqués dans ce voyage transcontinental et transdisciplinaire par la porte de l’humour.

Monika Gintersdorfer, metteuse en scène berlinoise, a réuni pour Trio (for the beauty of it) trois virtuoses, figures incontestées des communautés dont ils sont issus.
Alexander Mugler, port de reine, barbiche et chignon, visage presque enfantin, aussi ondulant que tonique, est né à New York. Alex chorégraphie, interprète et danse le voguing, style apparu au début des années 1960-70 dans les ballroom dancings new-yorkais, au sein de la communauté queer latino et afro-américaine.
Carlos Gabriel Martinez, plus massif, barbe grisonnante, métisse sa danse saccadée de déhanchés de danseuse orientale. Né au Mexique, il étudie et pratique le sonidero, l’high energy ou le reggaeton, danses urbaines nées du brassage entre les cultures américaines, latino, européennes et africaines.
Ordinateur, svelte jeune homme à la gestuelle stroboscopique et à l’énergie solaire, est né en Côte d’Ivoire. Dansant depuis que ses pieds bougent, il donne sa vélocité au coupé-décalé – style né dans la communauté ivoirienne de France, d’où il a pris son élan pour se répandre à partir de la Côte d’Ivoire dans toute l’Afrique de l’Ouest.

Les trois artistes vont chacun nous délivrer un portrait de la danse qui les anime, ce qu’elle leur fait, ce qu’elle fait à leurs frères et sœurs de transe – à leur manière, dansée-parlée (en français, américain, espagnol).

D’un continent à l’autre, ce sont autant de danses de rues, danses de communautés minoritaires ou dominées, de danses de fêtes, qui sont exutoires autant qu’espaces de fraternité, de résistances et d’affirmation de soi comme individu et comme membre d’un corps social.

Les solos sont vifs et réjouissants, les danseurs ont tous trois le même bel engagement physique, une énergie contagieuse, une précision et une puissance irrésistibles. Mais il est plus réjouissant encore de les voir se rejoindre, s’approprier le langage de l’autre, lui donner sa propre souplesse et son propre rythme, de les voir dans les mouvements de groupe se retrouver autant que se distinguer, de sentir leurs disciplines se frotter les unes aux autres et échanger quelques atomes au passage.

Les costumes, de Bobwear et Arturo Lugo, très graphiques, emmènent vers un côté BD qui peut-être décale un peu le propos, lui font perdre de son immédiateté. Mais ils ont de l’humour et de l’allure et rassemblent les trois artistes dans un même univers visuel.
La musique est créée ou mixée en live par Timor Litzenberger, et les danseurs eux-mêmes, s’emparant parfois du micro pour accompagner leurs partenaires de slams, raps, beatboxs percutants.

Il aura peut-être manqué d’un peu de fièvre, d’une écoute plus investie des spectateurs, et sans doute de plus de rigueur dans la composition du spectacle – les morceaux du puzzle semblant parfois jetés un peu aléatoirement…, pour qu’on puisse goûter pleinement l’intensité de ces danses et de ces danseurs.
Mais, métissant accents, langues, silhouettes, âges, virilité et féminité, Trio (for the beauty of it) est un enthousiasmant manifeste contre l’uniformité et les frontières ! On aime l’humour et l’allant de cette troupe, et on les quitte avec en partage le cadeau d’une joie et une exultation de la danse qui font du bien.

Marie-Hélène Guérin

 

Trio (for the beauty of it)
Vu au Monfort Théâtre
de La Fleur, Monika Gintersdorfer, Carlos Martinez, Alex Mugler, Ordinateur
avec Carlos Martinez, Alex Mugler, Ordinateur, Timor Litzenberger
musique Timor Litzenberger
costumes Bobwear, Arturo Lugo
photos DR
À rertouver le 4 octobre à l’Espace 1789 à St Ouen à 20h

Salti : vivifiante danse-médecine !

Trois mômes en baskets trouvent le temps long, c’est Jim, Louise et Léa, 8 ans, 10 ans peut-être, on est fin juillet début août sans doute, on n’a pas la petite excitation de ne plus avoir classe, on n’a pas encore la préparation de la rentrée, le nouveau cartable, les fournitures, retrouver les copains.
On languit, on s’ennuie… mais ce qu’on s’ennuie ! Autant qu’on le peut au creux de l’été, à l’âge où quelques semaines sont une éternité.

Pour tromper la lenteur du temps, on fait des pierre-papier-ciseau, on joue à être celui qui s’ennuie le plus, on suit du regard une araignée grande comme une vache, et ah ! ben tiens ! on n’a qu’à à jouer à celui qui sera piqué ! Les corps se réveillent en pointes, jambes tendues haut levées, salti/sauts effrenés, corps caoutchouc, défiant la rigidité du squelette et les lois de la pesanteur, bondissant pour échapper à la monstrueuse arachnide, à la morsure féroce de la tarentule.
 

 
Par la danse, la musique mais aussi les mots, dialogues ou narration, Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna, les autrices du spectacle, ont entrepris de nous faire partager les vertus thérapeutiques de la danse. Depuis toujours, les humains s’en sont servis pour soigner leurs peurs, leurs tristesses et leurs solitudes, leurs maux de tête, de dos, et même… les piqûres d’araignées ! La tarentelle italienne est même tout spécialement prescripte pour contrer le poison de la mélancolie que la venimeuse tarenta instille à ses victimes, les tarentolato et tarentolata, les plongeant dans l’inertie, l’apathie, l’atonie. Depuis l’Antiquité et aujourd’hui encore, ici même, danseurs, chanteurs et musiciens attirent celui, celle qui a été vidée de ses forces par la sinistre bestiole vers le mouvement, lui réinjecte le désir et la pulsation, l’envie et la pulsion !
 

 
La complicité et l’énergie du trio sont manifestes… et contagieuses ! Des malicieuses inventions verbales ou gestuelles secouent la salle d’éclats de rire, il y a du farfelu et du cocasse qui font pétiller les yeux d’amusement et quelques parenthèses plus rêveuses qui apportent une respiration de douceur.
Sur une prenante composition électro habilement tressée de tarentelles traditionnelles aux voix nasillardes et aux tambourins frénétique, une danse très tonique, matînée de hip-hop, drôle et alerte, emporte l’adhésion.

C’est vivifiant et enjoué, et tel le tarentolato tiré de sa somnolence, battant du pied en mesure, nous voilà réanimés, ré-énergisé, plus légers, plus forts, dopés au rythme et au sourire !
Belle démonstration par l’exemple des puissants effets de la danse-médecine, l’araignée perd, la joie gagne ! A ne pas manquer, avec ou sans enfant…

Marie-Hélène Guérin

 

SALTI
Spectacle de théâtre/danse jeune public
(vu en version 25 mn 3 – 6 ans, il existe une version 50 mn à partir de 6 ans et tout public)
Un spectacle de la compagnie Toujours après minuit
Vu à La Manufacture (du 7 au 26 juillet)
Conception, texte, mise en scène et chorégraphie : Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna
Avec Jim Couturier, Louise Hakim et Lisa Carmen Martinez
Lumières Guillaume Tesson
Composition originale Hugues Laniesse
Musiques additionnelles : Bruno Courtin « Personne ne dort », L’Arpeggiata/Christina Pluhar « Antidotum tarantolae », Nuova Compagnia di Canto Popolare « Tarantella »
Photos Christophe Raynaud de Lage
 

Traversées nocturnes : 3 pièces vivantes de Christian et François Ben Aïm

Les Plateaux Sauvages sont un bel établissement public niché au creux d’une petite rue de Ménilmontant. Il y a une petite poignée d’années, l’ex-Vingtième théâtre opérait, sous l’impulsion joyeuse et tonique de Laëtitia Guédon, sa mue en une fabrique culturelle joyeuse et fourmillante.
Ce soir-là, on y découvrait les Traversées nocturnes de Christian et François Ben Aïm, qui réunissait deux pièces antérieures et une création.

Instantanés #2 © D.R.

INSTANTANÉS #2 – LÉA LANSADE (2019)
En ouverture, dans une pénombre fluctuante, Léa Lansade, long roseau, pieds nus, traverse la nuit et les mille mues des Métamorphoses nocturnes de Ligeti le corps comme percuté par les assonances de la musique. À la fois aride et douce, virevoltant avec précision, avec une rigueur volontiers joueuse où quelques déhanchés chaplinesques rebondissent sur une dégaine de caillera macho, ses longs membres lacèrent le noir du plateau, interrogent l’espace et ses limites, les frontières entre rêve et réalité, et y répondent par la netteté et la fluidité.
 
Instantanés #3 © Patrick Berger

CRÉATION INSTANTANÉS #3 – ALEX BLONDEAU
Au cœur du spectacle, le nouvel élément de la série des Instantanés – soli féminins construits par les frères Ben Aïm autour de la personnalité d’une danseuse, et pour elle – prend place dans la thématique de l’année aux Plateaux sauvages : la nuit.
Aux Plateaux Sauvages, on revendique de, comme l’écrivait le poète Rilke, « croire à la nuit… on croit à la lumière qu’elle fait rayonner sur nos solitudes. On croit aux mystères de l’insomnie et du rêve. ». Alors c’est «au voyage dans des nuits singulières, réelles ou symboliques » que Les Plateaux sauvages ont conviés les artistes et les spectateurs cette année.
François et Christian Ben Aïm ont avec Alex Blondeau déployé les ailes d’un touchant et troublant « oiseau de nuit ».
Dans l’obscurité, quelqu’un fume sous une mince rai de lumière. Pieds nus elle aussi, comme Léa Lansade, et elle aussi longs bras ondulants, torse flexible à l’extrême, Alex Blondeau a les mains comme des oiseaux libres, qui semblent initier la danse, faire naître le mouvement.
La partition électrorock, ample et sombre, répétitive et hypnotique, laisse parfois place à quelques notes de piano, qui ont un charme à la René Aubry, ou à la belle voix de Michelle Gurevich, aux accents embrumés de Joy Division.
Alex Blondeau est grimaçante, gracieuse, une « party girl » défaite et malicieuse, elle a le corps souple comme une liane sous le vent et un lever de jambe de danseuse classique. Elle nous offre son abandon à la danse, et on plonge avec elle dans une ivresse douce, un épuisement de fin de fête. Comme une libération, dans une sauvagerie sans violence.
 
Ô mon frère ! © D.R.

Ô MON FRÈRE ! (2001)
La « boîte noire » des soli précédents laisse place à un panneau blanc en fond de scène, les trois danseurs (Christian et François Ben Aïm et Rémi Leblanc-Messager, semblables et singuliers, à la présence d’une égale intensité) sont accompagnés de leurs ombres immenses. Trois hommes cheminent ; l’un soutient un autre, silhouette voûtée qui évoque cet « Œdipe sur la route » décrit par Bauchau ; un bâton servira de canne, d’arme, de lien ; des épreuves les éloignent, les rapprochent…
La voix de Léonard Cohen envoûte, mais tout autant les parenthèses de silence, de respirations, le rythme des pieds sur le sol.
La danse s’ancre plus, les corps vont au sol et s’en arrachent, de beaux et lents et étranges portés émeuvent profondément.
Des photos de Josef Koudelka qui ont inspiré cette création, on retrouve sur scène le noir et blanc, les errances d’exils, le regard humaniste. Avec une tendresse loin de tout sentimentaliste, Ô mon frère nous offre en un même geste la force et la fragilité des hommes.

Ces trois « traversées nocturnes », avec leurs ambiances si contrastées, se rejoignent dans leur sincérité, leur générosité, par une danse charnelle, sensible, une danse de vivants – de solitaires, d’éprouvés, parfois, mais de vivants. Et ça fait du bien.

Marie-Hélène Guérin

 

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TRAVERSÉES NOCTURNES
Aux Plateaux Sauvages
Un spectacle de la compagnie CFB 451

Conception Christian et François Ben Aïm
Chorégraphie François Ben Aïm

INSTANTANÉS #2 – LÉA LANSADE : Interprétation Léa Lansade | Compositeur György Ligeti

INSTANTANÉS #3 – ALEX BLONDEAU : Interprétation Alex Blondeau | Composition musicale Nicolas Deutsch | Création lumière Laurent Patissier |Création costumes Maud Heintz

Ô MON FRÈRE ! : Interprétation Christian et François Ben Aïm et Rémi Leblanc-Messager

Le Monde à l’envers : mission : sauver le monde !

‌À l’envers le monde ?
Et si pour le remettre à l’endroit, le monde, il nous fallait écouter les secrets d’enfants ? Ceux qui hantent, qui chantent, qui dansent. Qui obsèdent les cœurs et développent les imaginations ? Les secrets joyeux, fous, tendres, éberlués, stratosphériques, douloureux… Mais comment entendre ces secrets, puisque par définition, le secret ne se communique pas, le secret reste secret ? Comment écouter encore et malgré tout, les échos lointains de l’innocence, dans un monde ou les préoccupations d’adultes semblent seules avoir autorités ? Comment se faire comprendre lorsque, déjà loin de l’enfance mais pas encore tout à fait mûrs nous devons admettre que nous ne sommes pas un super-héros ?
Un répondeur téléphonique (auquel Denis Podalydès prête sa voix), joue le rôle du messager. Du super amplificateur ! C’est lui, qui restitue pour notre plus grand plaisir, la parole des enfants qui livrent leurs précieux messages, leurs secrets !
Et déjà les spectateurs, petits ou grands, enfants eux-mêmes, profitent de ces mots pour imaginer un monde ré-enchanté, un monde un peu moins de traviole, un monde un peu plus à l’endroit.

La chorégraphe Kaori Ito et ses trois interprètes s’emparent de ces secrets d’enfants, pour les mettre en espace, en matière, en danse ! Comme un mantra, la phrase de Pina Bausch, « dansez, sinon nous sommes perdus » s’impose au long du spectacle. Tous les thèmes délivrés par ce drôle de répondeur téléphonique d’un autre temps, sont prétexte à danse, à rire, à peine, à joie, à rêve, à révolte, à effroi, à partage… L’enthousiasme et le talent des jeunes interprètes (deux danseuses et un danseur à la générosité contagieuse) nous dépeignent certes, ce monde qui n’est plus droit depuis longtemps, ce monde qui a cessé d’entendre ses émois de culotte courte, de cour de récré, de super petits héros, ce monde dans lequel grandir c’est renoncer parfois, avoir peur souvent, se révolter pourtant, mais qui nous laisse deviner que tout reste possible tant que la part d’enfance de chacun reste en éveil. Le ré-enchantement par la liberté, la fantaisie, le partage… la danse ! Le miracle de la danse qui se fait messagère. La danse qui donne à voir et à comprendre. Avec pour arguments premiers l’envie, l’authenticité, le don ! Merci.

Les enfants ouvrent des billes enchantées et les parents chaussent leurs plus grands sourires comme preuve que tout est encore possible pourvu que ce tout soit partagé.
Pendant les quarante minutes de spectacle notre monde était bel et bien à l’endroit et dansait sur ses deux pieds !

LE MONDE À L’ENVERS
Vu au 104 dans le cadre du festival Séquence Danse
Direction artistique et chorégraphie : Kaori Ito
Interprètes : Morgane Bonis, Bastien Charmette et Adeline Fontaine
collaboration artistique : Gabriel Wong | aide à la dramaturgie : Taïcyr Fadel | composition : Joan Cambon | création lumière et direction technique : Arno Veyrat | design sonore : Adrien Maury | conception téléphone : Stéphane Dardet | aide pour les costumes : Aurore Thibout | regard extérieur : Michel Ocelot
Photos : © Anaïs Baseilhac

Durée indicative : 35/40 min, à partir de 4 ans

À retrouver en tournée :
du 6 au 8 mai 2022 • TOURCOING (FR) • Théâtre du Nord CDN Lille, Tourcoing Hauts-de-France
du 1er au 2 juin 2022 • COGNAC (FR) • L’avant-scène
du 8 au 9 juillet 2022 • VITRY-SUR-SEINE (FR) • Nouveau Gare au Théâtre