Vive Marie, la féministe

Faire parler Marie, la mère de Dieu. Faire parler celle qui, dans l’imaginaire collectif, jamais ne souffle mot. La faire parler longtemps, doucement, puis violemment, bruyamment puis calmement de nouveau. L’entendre nous saoûler de paroles sur son fils. Et la découvrir, la redécouvrir. Réaliser enfin, après tout ce temps, que Marie était peut-être la mère de Dieu, mais d’abord et surtout la mère d’un enfant. Une mère identique à toutes les mères du monde. Une mère en mal de celui qu’elle n’arrive même plus à nommer, parti sur la route avec “une bande de désaxés”. Une mère qui a connu la pire des tragédies : celle d’assister, impuissante, à la lente agonie de son enfant…

Pour incarner cette mère-là, cette femme-là, Deborah Warner a choisi l’une des comédiennes les plus inouïes, l’une de celles qui font de n’importe quel spectacle un moment de pure beauté et de grâce incomparable.

Le Testament de Marie, Odéon-Théâtre de l'Europe, Colm Toibin, Dominique Blanc, Deborah Warner, critique Pianopanier

« Mon fils a réuni autour de lui une bande de désaxés qui n’étaient que des enfants comme lui…»

Seule sur le plateau, immobile, vêtue comme l’une de ces icônes représentant la Vierge Marie, avec en arrière-fond des dizaines et des dizaines de bougies telles qu’on les croise dans les églises, Dominique Blanc apparaît. La pièce n’a pas encore démarré que déjà elle nous attire, nous intrigue, nous hante, nous trouble. Magnétique, envoûtante, énigmatique : elle flotte ici et maintenant… Noir, changement de décor. La voici à terre, jean et chemise. Elle se relève, et se met à parler. Enfin… À nous raconter. Le voyage durera à peine une heure trente. Toute une vie. Une vie de misère à attendre ce fils prodige, ce soi-disant “fils de Dieu” (l’ahurissement que provoque cette affirmation sur Marie/Dominique…).

Le Testament de Marie, Odéon-Théâtre de l'Europe, Colm Toibin, Dominique Blanc, Deborah Warner, critique Pianopanier

« Vous affirmez qu’il a sauvé le monde, mais moi je vais vous dire ce qu’il en est. Cela n’en valait pas la peine. Cela n’en valait pas la peine.»

La scénographie est d’une élégante sobriété, l’immense plateau de l’Odéon pour une immense comédienne. Quelques objets : des chaises, une table pliante, des seaux, une bassine, une cage, une échelle, un tronc d’arbre sorti de terre, déraciné, comme suspendu dans les airs… De Nazareth à Ephèse en passant par Jérusalem, on retrace avec cette femme un parcours qui résonne plus ou moins en chacun de nous, mais dont on a forcément déjà reçu quelques bribes : la résurrection de Lazare, les Noces de Cana, le calvaire du chemin de croix…

Toute cette histoire que l’on a intégrée, plus ou moins consciemment, on la découvre sous un jour nouveau. Tout à coup, par la magie du théâtre, on entend pour la première fois la voix de Marie. Mère de Dieu, peut-être, qu’importe. Mère tout simplement, femme et féministe avant l’heure. Alleluia !

 

Le Testament de Marie, de Colm Toíbín, m.e.s. Deborah Warner, avec Dominique Blanc - Théâtre de l'Odéon-Europe - © Carole Bellaïche@Carole Bellaïche

LE TESTAMENT DE MARIE
À l’affiche de l’Odéon-Théâtre de l’Europe jusqu’au 3 juin
Une pièce de Colm Toibin
Mise en scène Déborah Warner
avec Dominique Blanc de la Comédie-Française

photos @Ruth Walz

2666 … cœur soulevé, cœur léché !

Au départ, 2666 est un roman fleuve de 1350 pages, considéré comme l’un des premiers chefs d’œuvre du 21è siècle. Par Roberto Bolano, auteur chilien, mort brutalement avant sa parution, le foie, les douleurs … un roman inachevé dit-on ! Le 2 c’est pour le 2è millénaire et 666 pour le chiffre du mal.

La montée du nazisme dans les années 30, l’Europe, la littérature, les meurtres de femmes par dizaines dans le Mexique de la fin des années 90, inexpliqués et impunis… mais quels peuvent être leurs liens?

“C’est plus facile de partir faire la guerre, que d’arrêter de fumer”.

Aller voir un spectacle de 11h c’est déjà un défi en soi, une quasi épreuve sportive. Le genre de truc qu’on ne fait pas tous les jours. Mais le monter, rendez-vous compte!! Julien Gosselin et ses fidèles de la troupe “Si vous pouviez Lécher Mon Coeur” l’ont fait.
Ce n’est pas un spectacle comme les autres, évidemment. Difficile de le raconter. Il se vit plutôt, il se ressent, il faut se laisser pénétrer par le rythme, les images, les voix, les basses, l’histoire, les histoires… et recommencer. Alors voici mes notes, en vrac, en pulsion, en émotion, sans filet, prises pendant les pauses (ça vous rassure un peu si je vous dis qu’il y en a 4 ?).

2666, Roberto Bolano, Julien Gosselin, Pianopanier@ Julien Gosselin 

Débordé par les émotions… La musique est omniprésente, forte, elle me pénètre. Le temps défile à un autre rythme. Je ne vois pas les heures passer. Entracte. Envie que ça recommence. Happé par l’histoire, par les histoires. 5 différentes, mais toutes liées les unes aux autres… ou pas! Quelle Puissance, quelle intensité ! Un rouleau compresseur qui te passe sur le corps, cette mise en scène. Elle me fait fondre en larmes Noémie Gantier. Déjà elle est classe, mais quand elle s’avance devant la scène, là à la fin de la Partie 1, elle explose, tout tremble, je tremble. Transe – le mal est partout – l’amour n’est pas loin. Des hommes donc de la violence, de la violence donc des hommes. Jouissif. Explosion d’émotions. Je bouge avec les boites, je suis à Londres, à Barcelone, au Mexique, en Roumanie. Propulsé dans la mise en scène.

Fasciné par cette épopée du mal – jeu hors du commun, hors limites. Jouer jusqu’à l’épuisement. La violence des hommes, la narrer jusqu’à l’overdose. La littérature pour les sauver?
20è siècle, siècle du mal. Et si l’on n’avait encore rien vu? Faudra que je pense à réviser mes superlatifs. J’ai trouvé ma drogue, mes excès, ma sève. Moderne, physique, violent, percutant, magistral, sexuel, textuel, puissance des images, force des personnages, rythme oppressant, les voix, ma voix, le texte encore, on pense, on voyage, on s’émeut…et ça recommence ! Du son, du sens, du sensationnel. Du profond, du parfait, du puissant.

2666, Roberto Bolano, Julien Gosselin, Pianopanier

Fatigué ? Même pas en rêve !
Ça claque, ça déchire, j’en ai chialé, pris plein le cerveau, les yeux, les tripes, l’ADN, de ce spectacle… c’est une révélation! Et en plus, ça parle français, anglais, espagnol, allemand ! Quel bonheur.

Ça y est, vous me comprenez un peu maintenant?

Ils me soulèvent le cœur … laissez moi lécher le vôtre.

2666
Un texte de Roberto Bolano
Adaptation et mise en scène : Julien Gosselin / Cie Si vous pouviez lécher mon cœur
Avec : Rémi Alexandre, Guillaume Bachelé, Adama Diop, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Alexandre Lecroc-Lecerf, Frédéric Leidgens, Caroline Mounier, Victoria Quesnel, Tiphaine Raffier
Dates de tournée de 2666 ici

Voltaire – Rousseau : une dispute mémorable entre deux titans des Lumières

Le texte, la mise en scène et le jeu des comédiens contribuent à faire d’une joute intellectuelle entre ces deux géants des Lumières que furent Voltaire et Rousseau, un réel succès. Les thèmes abordés et les convictions défendues par nos deux protagonistes sont d’une étonnante actualité.

Jean-François Prévand  imagine que Jean-Jacques Rousseau, banni de la République de Genève pour abandon de ses cinq enfants, soupçonne l’auteur de Candide d’être à l’origine du pamphlet qui révèle ce forfait. Cette intrusion de Rousseau au domicile de Voltaire donne lieu à une dispute philosophique au cours de laquelle tous les thèmes chers à nos deux “filousophes” sont débattus. Durant un peu plus d’une heure, on peut apprécier l’esprit révolutionnaire et la force de leurs opinions, contradictoires bien souvent, mais tellement complémentaires.

Tout ou presque est abordé au cours de cette discussion âpre et passionnée : les religions, la musique, le théâtre, l’éducation, les femmes, la  liberté, l’égalité, la tolérance… On apprécie à sa juste valeur l’esprit aigu et caustique de Voltaire interprété avec brio par Jean-Paul Farré et l’on ne peut s’empêcher de compatir aux souffrances physiques et psychiques de Rousseau que Jean-Luc Moreau campe à merveille. Leurs contemporains encyclopédistes Diderot et d’Alembert sont évoqués, et chacun les tire à soi.

Voltaire est tel qu’on se le représente : toujours vif, nerveux, méchant, drôle. Jean-François Prévand rend justice à Rousseau en lui faisant dire que l’état de nature tant raillé par Voltaire n’est qu’une hypothèse et que l’abandon de ses enfants peut se justifier sans ridiculiser et anéantir pour autant son précis d’éducation “L’Émile”.
La mise en scène, simple mais enlevée, colle au texte et les acteurs, chacun dans son rôle, sont très convaincants : Voltaire allègre, brillant et ironique, Rousseau atrabilaire, malade, un brin paranoïaque.

Lorsqu’on a assisté à ce spectacle, on a envie de fréquenter durant un moment encore ces grands écrivains philosophes en ouvrant Candide et Zadig, le Contrat social et l’Emile, pour mieux les comprendre et les apprécier.
Cette pièce nous ravit aujourd’hui tout comme elle avait ravi lors de sa création en 1991, tant les problèmes abordés sont toujours d’actualité…

À ne pas manquer, donc, surtout par les temps qui courent !

Marie-Christine Fasquelle

Voltaire-Rousseau
Á l’affiche du Théâtre de Poche Montparnasse du 21 mars au 1er juillet 2017 (mardi au samedi 19h)
Un texte de Jean-François Prévand
Adaptation et mise en scène : Jean-Luc Moreau et Jean-François Prévand
Avec : Jean-Luc Moreau (ou Jean-Jacques Moreau en alternance) et Jean-Paul Farré

Fasci(s)nant Arturo Ui

C’est la petite bête qui monte qui monte qui monte… Les doigts taquins se hissent irrésistiblement jusqu’au creux de notre cou où arrivent à leur paroxysme ces chatouilles tant attendues et redoutées… On se souvient de notre ambivalence d’enfant face aux chatouilles qui nous faisaient passer du plaisir au supplice. Cet Arturo est chatouilleur, horriblement détendant, redoutablement amusant, merveilleusement terrifiant.

Guili-guili-guili… Cette petite bête nous fait passer de l’humour au sarcasme, de l’adhésion au rejet, de la bêtise à l’intelligence, du grotesque à la poésie, de la joie au macabre… On est dans l’absurde et le rationnel, c’est une délicieuse imposture. On adhère, on s’englue, on se ment, on devient schizophrène, on adore – c’est le danger.

Brecht nous met en péril. On sombre sans l’avoir vu venir. La pièce dresse une analogie entre l’ascension d’Hitler et les gangs du Chicago des années 30 qui symbolisent le pouvoir du capitalisme naissant.

On oublie l’Histoire et notre brûlante actualité, pour se délecter comme un gamin devant Monsieur Loyal (Bakary Sangaré) le cousin du clown Krusty (irrésistible Serge Bagdassarian), l’acteur déchu et aviné (énorme Michel Vuillermoz), cette idiote de Dockdaisy (atomique Florence Viala) ces gangs de la pègre investis d’une mission de Blues Brothers (Eric Génovèse, Jérôme Pouly et Elliot Jenicot incarnent un terrifiant Joker tricéphale), un démoniaque Ernesto Roma (Thierry Hancisse), un hilarant duo « père & fils » (Bruno Raffaelli et Nicolas Lormeau) et ces hommes araignées dont la toile se referme sur nous. Le malaise s’installe… On ne voit plus la petite bête… mince… ne jamais perdre de vue le danger… on le savait pourtant…

La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht, Katharina Talbach, Comédie-Française
@Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

“Si les petits gagnent de moins en moins, qui nous achètera notre chou-fleur ?”

Elle est où la petite bête? Ah ! Elle est là, timide, hésitante, désorientée… Pas si terrible en fait… Le voici, ce ridicule pantin capricieux et piètre orateur qui veut juste pouvoir se tenir debout et droit, qui veut simplement apprendre à marcher, à parler… Touchant de fragilité, si petit cet Arturo qu’on lui donnerait presque la main, qu’on lui remettrait sa mèche en ordre, qu’on lui cèderait la place. Gigantesque Laurent Stocker ! Ne point trop en dire, afin qu’à votre tour vous vous laissiez surprendre par la petite bête… Juste saluer son immense performance : il passe d’un état à l’autre avec la rapidité sidérante d’un personnage cartoonesque.

Il est pervers, ce théâtre qui nous fait oublier le mal et l’urgence.

Katharina Thalbach, épaulée par Ezio Toffolutti pour la scénographie et les costumes, porte à la perfection le parti pris du théâtre populaire recommandé par Brecht, terrain d’expression de son père à elle (Benno Besson). C’est du pur Shakespeare (Brecht y fait référence) dont nous oublions qu’au Globe il devait avant tout divertir un public inculte. C’est un jeu vif, efficace, fulgurant. Les acteurs sont magnifiques dans cet exercice.

La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht, Katharina Talbach, Comédie-Française

“Si n’importe qui peut faire ce qu’il veut, et ce que sa folie lui dicte, si un monstre abominable peut débouler dans n’importe quel lieu public, une arme à la main, alors c’est la guerre de tous contre tous, et donc, le règne du chaos.”

Enfin le décor, le son, les effets, la musique, la lumière… Tout, absolument tout sert ce théâtre populaire ! Les références à la culture du peuple sont innombrables : Chaplin, Keaton, la BD (on se surprend à parcourir des planches de comics), le cirque, le pantomime, Pacman, les arts de la rue, les automates, le robot dont la voix s’enraye parce qu’il n’a plus de pile – ou serait-ce une allusion à l’obsolescence programmée à laquelle nous conduit la société de consommation ? C’est si délectable et divertissant qu’on en oublie l’ascension des mauvais et le filet qui nous emprisonne. La petite bête qui monte a tissé sa toile – de la dictature, de l’argent roi, de la mondialisation, de l’internet.

Le rideau ne s’était-il pourtant pas ouvert sur une vision hyper-réaliste d’Hitler, de Goering et d’Hindenburg ? Leurs trois visages plus vrais que nature étaient éclairants – signalisation du danger -… oups… On les avait oubliés ! On salue ici le travail de la géniale plasticienne Valérie Lesort-Hecq.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment avons-nous oublié le fascisme et ses armes de séduction pernicieuse ? Comment avons-nous pu fermer les yeux sur les laissés pour compte du capitalisme ? On s’est fait manipuler. On a même adoré ces jeux du cirque et leur abjecte cruauté hilarante. On est terrifié. On devrait fuir mais on y est terriblement attaché… irrésistible Arturo Ui.

La résistible ascension d'Arturo Ui, Bertolt Brecht, Katharina Talbach, Comédie-Française

LA RESISTIBLE ASCENCION D’ARTURO UI
À l’affiche de la Comédie-Française jusqu’au 30 juin
Une pièce de Bertolt Brecht
Mise en scène : Katharina Thalbach
Avec : Thierry Hancisse, Eric Génovèse, Bruno Raffaelli, Florence Viala, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Michel Vuillermoz, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Jérémy Lopez, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Julien Frison
Et les comédiens de l’Académie de la Comédie-Française : Tristan Cottin, Pierre Ostoya Magnin, Marina Cappe, Amaranta Kun et Axel Mandron

Songes et Métamorphoses : promesses tenues !

Le titre nous annonce “Songes et Métamorphoses”, on aura songes et métamorphoses.
Guillaume Vincent a l’amour du théâtre et le démontre ici puissance 10. Les acteurs joueront des rôles de comédiens ; l’espace offert aux yeux des spectateurs se clôt de larges lambris blonds : ce bois clair nous permettra d’être avec autant de facilité et d’évidence dans une salle de classe, une salle de bal, une forêt, ou sur des tréteaux élisabéthains ; et le plateau est nu pour pouvoir laisser la place à d’autres scènes, mobiles, qui apparaîtront ou disparaîtront au gré des mises en abymes. Car c’est ici un théâtre qui joue au théâtre : s’en amuse, s’en joue – du théâtre qui se déguise en théâtre, le représente, l’utilise, le détourne, l’interroge.

Le prologue chanté aux belles voix profondes d’Estelle Meyer et Candice Bouchet impose dès le noir fait une envoûtante atmosphère onirique et baroque : éclairage des bougies et préciosité des chants… atmosphère raffinée déjouée avec malice par le décor peint qu’on distingue en arrière-plan, une forêt gaie, pimpante et colorée. Le ton est donné, le beau et le ludique se tiennent par la main.

 

Songes et Métamorphoses, création de Guillaume Vincent d'après Ovide et Shakespeare, photo Elizabeth Carecchio

 

« Un petit sentiment de liberté »

Les chanteurs se dispersent, le podium de papier crépon et de carton-pâte s’avance, des enfants s’y placent… pour une fraîche autant que précise représentation du mythe de Narcisse. La nymphe Echo est amoureuse, le charmant Narcisse aussi, mais c’est de lui-même, tout cela finira mal comme il se doit, et les parents d’élèves venus assistés au spectacle de leurs bambins hésitent entre fierté devant la prestation des petits prodiges et perplexité devant le choix du texte… L’instituteur (Gérard Watkins) pour les mettre au clair avec le monde fantasque et terrifiant d’Ovide nous annonce les cruautés et bizarreries à venir… Du spectacle de fin d’années des mômes, on va passer au club théâtre des lycéens, puis au club d’adultes amateurs, puis à la troupe professionnelle. Les lycéennes, interprétées avec vivacité par Elsa Agnès et Elsa Guedj, se collètent , entre rébellion et goût de l’escapade, à l’histoire d’amour homosexuelle entre Iphis et Ianthé, puis, intégrant à leur aventure deux camarades amicaux (Hector Manuel, Makita Samba, sincères, alertes), à « Myrrha » – une fille amoureuse de son père, qui, l’inceste consommé à l’insu du paternel, enceinte, rongée, réclamera l’intervention des dieux « Dieux, bannissez-moi des deux royaumes, faites que me soient interdits la vie et la mort » et  finira transformée en arbre. Occasions pour ces grands ado de régler quelques comptes avec l’autorité professorale et parentale, d’élargir leurs territoires d’expression. « Un petit sentiment de liberté », disent trouver ces lycéens dans leur local de répèt ; petit sentiment de liberté nécessaire pour pouvoir continuer de jouer comme des enfants, et commencer à s’imposer comme des adultes. Occasion pour Guillaume Vincent, par la voix de Gérard Watkins, d’instituteur devenu prof de lettres et meneur du club théâtre, de rappeller que « Le théâtre est un champ de forces très petit, mais où se joue toute l’histoire de la société, et qui, malgré son exiguïté, sert de modèle à la vie des gens », dixit Antoine Vitez

 

Songes et Métamorphoses, création de Guillaume Vincent d'après Ovide et Shakespeare, photo Elizabeth Carecchio

 

On gardera précieusement en mémoire une gracieuse et étonnante pépite, l’image qui clôt la narration du mythe d’Hermaphrodite. Puisque le théâtre est le lieu du songe et des métamorphoses, l’espace de tous les possibles ; puisque sur un plateau, ce n’est pas la réalité qui se passe, mais que toutes les vérités peuvent  y naître…  on gravera aussi  l’instant plein de délicatesse où Alexandre Michel traduit les paroles d’ « Eleanor Ridgby » des Beatles, ah look at all the lonely people « c’est tout simple, et pourtant ça me donne envie de pleurer », ou ce Pygmalion en jogging se rêvant une poupée de silicone en femme parfaite, d’une mélancolie sans fond.

« Moi j’croyais que le théâtre c’était le lieu de la transposition… »

Les comédiens se glissent maintenant dans la peau d’acteurs qui portent leur propre nom, au sein d’une troupe en pleine création, la spirale du théâtre dans le théâtre est de plus en plus serrée ! Le thème de travail : « jouer quelqu’un de sa famille »… l’instituteur-prof de lettres devient Gérard Watkins et se remémore le moment où son grand-père l’a emmené voir à Londres « Le Songe d’une nuit d’été » par La Royal Shakespeare Company, quelques répliques de Puck lui reviennent, en anglais… Emilie Incerti Formentini se dresse, rétive « c’est quoi, c’est le terrorisme de la vérité vraie ? moi j’croyais que le théâtre c’était le lieu de la transposition »,  elle évoque son projet, rapporter la parole d’une femme de ménage qu’elle a rencontré « à l’occasion de la résidence à Reims », en costume « d’époque », pour offrir un décalage et un bel écrin à cette parole. Kyoko Takenaka s’engouffre dans la brèche, fustige le carcan de sa couleur de peau et revendique de pouvoir jouer la sœur d’Emilie…  La scène mobile se rapproche à nouveau, Emilie, présence ample et jeu intense, majestueuse en robe renaissance de velours noir, apparaît dans un décor d’appart moderne, noir mat. Monologue, les souvenirs de la femme de ménage rémoise, ses rêves, ses échecs, les enfants arrivés trop tôt, les années à se prendre des coups. Une clope allumée, confidences d’une voix râpeuse. Quelques notes de piano, la rude vie de cette femme va se superposer à celle de Procné, celle qui se vengera cruellement de son mari qui violé sa sœur (interprétée par Kyoko, comme promis).

L’instituteur nous avait prévenu : une donzelle se promène cul nu, une amoureuse incestueuse est transformée en arbre, un homme et une femme ne font plus qu’un, une femme cuisine ses enfants et les fait manger à son mari… Tout était dit, mais rien n’était attendu car Guillaume Vincent et sa troupe volubile et talentueuse ont le sens du théâtre, celui qui invente des mondes, et qui laisse aussi sa part d’invention au spectateur.

« Le théâtre, c’est un grand oui ! »

« Le Songe d’une nuit d’été » arrive en continuité, comme la mise à l’épreuve de toutes ses questions, tous ses chemins de théâtre empruntés plus tôt. On pourra peut-être le trouver presque un peu sage après les folles « Métamorphoses ». Pourtant, Guillaume Vincent veille à ne pas laisser les choses rentrer dans l’ordre ! Titania et Obéron sont interprétés par les deux chanteuses, toutes deux grandes, flamboyantes, Obéron, en verte robe de soirée actuelle, souliers rouges, a la prestance nécessaire pour pouvoir être appelée « monseigneur », Titania fastueuse en robe de velours Renaissance. C’est la course effrénée des amoureux, des amants, des aimés, de ceux qui n’aiment pas, dans la forêt traversée de musique (de Métamorphoses en Songes, de Purcell en techno, de Beatles en Britten…). Quelques gouttes d’élixir dispensées à mauvais escient par un Puck facétieux, la ronde des désirs et sentiments s’embrouille à foison… C’est Gérard Watkins qui, après avoir été le guide en théâtre bienveillant et attentif des « Métamorphoses », donne là sa légèreté et son œil rieur à ce Puck bouffon, cette fois guide fantasque, guide en errance, insaisissable, sans cesse mobile, souple.

 

Songes et Métamorphoses, création de Guillaume Vincent d'après Ovide et Shakespeare, photo Elizabeth Carecchio

 

« Le théâtre c’est un grand oui, un grand oui à la vie, à l’amour, à l’humour ! » s’enflamme la metteur en scène des artisans pour stimuler ses troupes. On s’amuse de sa fougue, et on applaudit à cette belle et tonique profession de foi !
Les frontières sont brisées, les hommes croisent le monde des fées. Titania s’amourache d’un menuisier métamorphosé en âne… Les nobles au fil de la nuit sont de plus en plus crasseux, loqueteux ; la délaissée Elena se retrouve enlacée et chérie par deux jeunes hommes et croit être raillée par les deux… c’est le désordre général ! Les paillettes tombent en pluie, bien sûr pour une fête techno enivrée, mais aussi, plus tard dans la nuit, moins joyeusement, pour troubler la quiétude, et faire l’air crépitant, couvrant le sol d’un tapis de feuilles mortes scintillantes. Brumes, ombres, feux follets, bruissements étranges, mélodies, onomatopées, sorts et potions magiques… à l’aurore, l’heure où le jour et la nuit ne sont pas encore séparées, les jeunes nobles quittent la forêt et ses sortilèges à l’état de semi-zombies, hagards, déboussolés. Heureusement, tout va finir par une pièce de théâtre… ! d’Ovide, la boucle est bouclée.

Le spectateur sort de ces quatre heures de spectacle peut-être tout aussi désorienté que ces personnages ensorcelés qui peinent à démêler le rêve de la réalité, mais Guillaume Vincent n’est pas un petit Puck distrait et moqueur, ce n’est pas pour endormir ses victimes qu’il distille ses philtres enchanteurs mais pour les tenir éveillées ! et leur donner à goûter les riches sucs de l’art du théâtre, la liqueur parfois amère, mais toujours vitale, de la pulsion d’aimer,  et les saveurs innombrables d’une humanité aux multiples formes.

 

SONGES ET METAMORPHOSES
À l’affiche du Théâtre de l’Odéon-Berthier jusqu’au 20 mai
Une création de Guillaume Vincent
d’après Ovide et Shakespeare
avec Elsa Agnès, Paul-Marie Barbier, Candice Bouchet puis Jeanne Cherhal, Lucie Ben Bâta, Emilie Incerti Formentini, Elsa Guedj, Florence Janas, Hector Manuel, Estelle Meyer, Alexandre Michel, Philippe Orivel, Makita Samba, Kyoko Takenaka, Charles Van de Vyver, Gérard Watkins, Charles-Henri Wolff

photos @Elizabeth Carecchio

Blessés par BAAL

« Baal ». On ne le sait pas encore mais tout se résume à ce mot, inexpugnable, ineffable et pourtant si évocateur. La pièce, mise en scène par Christine Letailleur, commence sur un chant enjoleur qui déjà intrigue et fait peur, où « Baal » apparaît écrit en grand, en lettres rouge sang.

Là commence la quête de l’identité de cet homme mi-ange mi-démon. Dès le début, on veut s’éprendre, mais petit à petit par ses entourloupes et ses lâchetés, il nous repousse, nous sidère, nous inquiète, et, au fond, tout au fond, on s’amourache malgré tout de ce poète maudit, de celui qui aime tant flétrir autrui au gré du pire de ses frasques et de ses tromperies.
Scène par scène, passant d’une épouvante à un blasphème, le spectateur est lui aussi presque meurtri par Baal, en redemande, s’enquiert de jusqu’où ira son petit roi, son esclave fétiche. À l’instar des protagonistes : « Baaaaaal ! Baaaaaal ! » on appelle ce nom, on le crie, on le hurle. Et ce cri déchire autant la mère que l’amante de toute personne qui serait entrée en la présence démoniaque – si doucement, si succulemment perverse – de Baal.

BAAL, Bertolt Brecht, Christine Letailleur, La Colline, Stanislas Nordey, Pianopanier@ Brigitte Enguerand 

“Si une femme a des hanches grasses,
Je la fous dans l’herbe verte
Robe, culotte, tout ça valse
Radieux – car j’aime ça.”

Dans cette première pièce de Brecht écrite en 1919, Baal, mi-bête, mi-poète, est un Don Juan décuplé. Il séduit, tente, corrompt, bafoue. Il n’épargne rien ni personne. Il jouit. En maître et possesseur, buveur de sexe et de schnaps, cracheur de mots, il se fait poète sauvage incandescent en quête de liberté absolue incarnant une errance existentielle.
Par-dessus tout, il y a quelque chose de tendu dans Baal, de contorsionné, d’éclatant. L’écriture de Brecht s’y reflète viscérale, incroyablement poétique et sensuelle. Baal a de l’appétit, un appétit du monde qu’il veut consommer en consumant les êtres qui l’entourent, il ne participe pas à la Création – lui qui évoque si souvent le ciel – il la détruit. Et par là-même de se demander jusqu’où ses dépravations ne sont pas des exaltations qui servent à leur tour la Nature que Baal rêve de souiller.

BAAL, Bertolt Brecht, Christine Letailleur, La Colline, Stanislas Nordey, Pianopanier

Ce texte, ces folies de verbe, sont admirablement servis par la mise en scène de Christine Letailleur, qui aide parfaitement à cette descente aux enfers. On est emporté jusque dans l’antre rougeoyante de la pièce, avec style et précision, mais non sans un onirisme puissant et subtil. Stanislas Nordey s’empare avec puissance de son personnage, il lance et vocifère les mots de cet ange de mort, aussi fascinant qu’effrayant, jusqu’à incarner dans un décharnement physique et mental une beauté à couper le souffle.
On ressort éperdu et presque fébrile des aventures de Baal, de son épopée du Rien et de la solitude – et, au seuil de sa quête, la plus terrifiante des questions, celle qui nous revient comme dans un miroir : « Auras-tu pitié, spectateur ? »

BAAL, de Bertolt Brecht au Théâtre de la Colline
Du 20 avril au 20 mai 2017 , mercredi au samedi 20h30, mardi 19h30 et dimanche 15h30
Mise en scène : Christine Letailleur
Avec : Youssouf Abi‑Ayad, Clément Barthelet, Fanny Blondeau, Philippe Cherdel, Vincent Dissez, Valentine Gérard, Manuel Garcie‑Kilian, Emma Liégeois, Stanislas Nordey, Karine Piveteau, Richard Sammut

Ma folle otarie : voyage en imaginaire

Il est là, tout frêle, tout fin, un peu pâlot, droit sorti d’une BD de Sempé. Un petit bout d’homme pour incarner un personnage passe-partout, un “nobody”, le plus commun des plus ordinaires des hommes.

Très vite, cependant, quelque chose l’arrache de cette normalité maladive. Il se trouve confronté sous nos yeux – ouverts ? fermés ? – à un problème aussi énorme que singulier. Un problème lié, non pas à de simples et banales histoires de fesses, mais à ces dernières, tout bêtement. À ses fesses, oui. Son postérieur, son cul, son derrière, son popotin, son arrière-train se met à doubler, tripler, décupler de volume sous nos mirettes ébahies qui jamais n’ont contenu telle circonférence – 5 à 6 mètres, incroyable, imbattable, inouï.

Ma folle otarie Pierre Notte Brice Hillairet

“Ma folle otarie, c’est avant tout l’histoire d’un homme sans folie” – Pierre Notte

Alors forcément, lui que personne ne remarquait, tout le monde s’empresse de le moquer. Jusqu’à le rejeter bien loin, dans une fuite désespérée. Jusqu’à lui faire souhaiter la mort. Seule une otarie lui portera secours, le sauvera du suicide et lui montrera le chemin d’une résilience aussi douce qu’aérienne.

Fable philosophique, ode à la vie et à l’amour, manifeste pour la différence, plaidoyer contre l’indifférence, aventure poétique et ludique, invitation au voyage, balade dans notre imaginaire, fabrique d’un rêve éveillé : Ma folle otarie, c’est tout cela à la fois. L’une des prouesses de ce spectacle est de nous faire voir tant de choses qui n’existent pas sur scène. Le plateau est dépouillé, dénudé, dénué de tout artifice, de tout décor, immaculé, vierge, nu, désert. Plein de vide et pourtant prêt à tout pour tant nous offrir.

Ma folle otarie, Pierre Notte, Brice Hillairet, Lucernaire, Pianopanier

“Si vous avez fait l’homme à votre image, j’aimerais comprendre pourquoi je me retrouve comme ça…”

Des fesses monstrueuses d’énormité de notre anti-héros à son amie l’otarie moustachue, de l’homme-tronc protecteur à la sale gamine au vélo rouge, du marbre glacial d’une tombe à la rame bondée d’un métro, d’une plongée en eaux profondes à une envolée pétaradante… Le décor et les personnages se construisent et grandissent dans notre cerveau avant de se déposer sous nos yeux. Et l’on réalise à quel point notre imaginaire est capable de prouesses encore insoupçonnées.

L’écriture de Pierre Notte, toujours tendre, drôle, sensible, intelligente et délicatement poétique donne sa voix à un formidable interprète. Comme ça, l’air de rien, sans crier gare, sans costume, dans une voix quasi monocorde, Brice Hillairet nous invite à percevoir l’énormité de son cul, mais aussi, et surtout, l’immensité de notre imagination.

MA FOLLE OTARIE
Du 10 mai au 24 juin 2017, mardi au samedi 19h au Lucernaire
Texte et mise en scène : Pierre Notte
Avec : Brice Hillairet

Bajazet ou le déchirement au Sérail

Quelle belle pièce que cette tragédie !

Ce texte magnifique nous laisse ébahis,

Racontant la lutte pour gagner le pouvoir,

Et puis les passions, enfin le désespoir.

Bajazet prisonnier, Amurat guerroyant,

Roxane est au pouvoir, Acomat le briguant.

Se nouent alors complots et manipulations,

Entraînant tragédies, crimes et conspirations.

Ce texte méconnu offre un drame mythique,

Où se mêlent intrigues amoureuse et politique.

Nous plongeant, spectateurs, au cœur du pugilat,

Éric Ruf livre ici un spectacle de choix,

Une mise en scène au milieu du sérail,

Une scénographie, résultant d’un travail,

Assurément bien long, et très laborieux,

Quand on sait que l’équipe eut, de temps, vraiment peu !

Un jeu de lumières beau et angoissant,

Parachève cet ensemble sombre et sanglant.

Et puis évidemment ce spectacle serait

Bien moins fort sans ces sept comédiens parfaits.

Podalydès campe un inquiétant Acomat,

Qui complote contre le sultan Amurat ;

Clotilde de Bayser confirme son talent,

En tant que tragédienne, ce qui n’est pas courant !

Natrella est touchant, saisissant de justesse,

Forcé de cacher son amour pour la princesse ;

Rebecca Marder est elle aussi très poignante,

En triste Atalide, princesse apitoyante.

Et nous ne parlons pas des autres personnages,

Zaïre en confidente et Osmin en vieux sage.

Ces acteurs émouvants nous emmènent si loin,

Que de ce spectacle on ne sortirait pour rien !

Me risquer à écrire cette critique en vers,

Ne fut, je vous l’assure, pas une mince affaire !

Nathan Aznar

BAJAZET – de Jean Racine
Mise en scène : Éric Ruf
Avec : Alain Lenglet, Denis Podalydès, Clotilde de Bayser, Laurent Natrella, Anna Cervinka, Rebecca Marder, Cécile Bouillot
Du 5 avril au 7 mai 2017 à la Comédie-Française, Vieux-Colombier

Quelques objets, des notes de musique… un grand spectacle

On les avait quittés il a 4 ans (déjà !) sur le plateau du 104 qu’ils avaient magistralement mis à mal. Leur performance dans ce Notes on the Circus du collectif Ivan Mosjoukine était de celles qui restent gravées à jamais dans un ADN de spectateur.

Ils étaient quatre à l’époque. On retrouve ici l’un des deux couples : celui que forment la charismatique Vimala Pons et l’énigmatique Tsirikaka Harrivel. Découvrir le bazar inouï installé sur le plateau du Monfort, tenter de déchiffrer la carte que les artistes ont deposée sur votre fauteuil en guise de programme, se laisser prendre par la montée d’adrénaline que provoque le compte à rebours (“Revue numéro 8 dans 5 minutes, début de la revue dans une minute”…) constitue un avant-goût génial et prometteur.

Les deux artistes circassiens ont commencé par composer les musiques de leur nouveau spectacle. La bande son mêle trompettes, claviers, clarinettes, synthé et autres arrangements éclectiques. Elle est jouée en direct par nos deux compères, elle donne le “la” et met un point d’orgue à chaque séquence.

Grande, Vimala Pons, Tsirihaka Harrivel, Monfort, Pianopanier

“Ce morceau ne fait pas partie du spectacle mais c’est celui que je préfère.”

Il s’agit bel et bien d’une “Re-vue”, au sens propre, au sens littéral du terme : sur les quelques 90 minutes que dure le spectacle, certains passages, certains numéros seront répétés, “ce qui a déjà été vu” tamponnera le “jamais vu”. Le tout formant une ronde infinie, une sorte de mouvement perpétuel que souligne la dernière séquence.  En plus de la musique, le duo est allé puiser son inspiration dans une foultitude d’objets aussi hétéroclites que surprenants : coin cuisine, toboggan géant, énormes bouquets de fleurs, pupitre, télévision, sac de sports, raquettes de tennis…

Tsirihaka Harrivel suspend les battements de nos coeurs lorsqu’il s’élance une première fois pour une glissade inclassable. Une deuxième, une troisième, une dixième fois, il se retrouvera suspendu au-dessus de nos têtes, nous habituant peu à peu à cette chute qui ne cesse de se rembobiner.

Grande, Vimala Pons, Tsirihaka Harrivel, Monfort, Pianopanier

“Tous les chemins mènent à Rome… En est-il un qui n’irait pas ? “

Championne de porté sur la tête, Vimala Pons n’a peur de rien. Machine à laver, mannequin, colonne gréco-romaine, cercueil… jusqu’au totem qui servira de cible à son complice lanceur de couteaux : tout, absolument tout peut se déposer sur son crâne. Et lorsque, libéré de tant de poids, son cerveau donne libre cours aux humeurs, c’est à un formidable numéro de comédienne auquel on assiste. Elle passe en quelques coups de cils de geignarde à colérique, de mutine à hargneuse, de clownesque à grave. Elle est souvent tendre, parfois cruelle, toujours drôle. Son talent fou, son charisme hors norme nous fascinent et nous troublent.

L’histoire de la vie, les histoires d’une vie, les petits riens qui se mêlent aux grands sentiments : c’est finalement cela que cet ovni grave en boucle dans nos mémoires. Et cette histoire, cette ronde, ce perpétuel recommencement, ne peuvent trouver un point qu’avec le mot AMOUR. Un point qui est tout sauf final, tant la force de ce spectacle est aussi, est surtout, de nous donner envie de toujours recommencer…

GRANDE –
Du 18 avril au 6 mai 2017, 20h30 au Monfort
Un spectacle de et avec : Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel

Dans les limbes de la mémoire

Il est actuellement possible, au Théâtre de l’Atelier, de devenir les visiteurs d’une banale maison de retraite. C’est dans ce lieu si particulier que l’on rencontre Jean Butterflam, qui chaque jour rend visite à sa mère hospitalisée. Si elle se souvient parfois de son identité, sa mémoire défaillante peine plus souvent à le reconnaître. Les rencontres cocasses avec le directeur, les discussions insensées entre les principaux protagonistes et les dérapages de la vieille femme ne sont que les étapes d’un dénouement qui s’avérera plus inattendu que prévu…

Le texte de Grumberg, célèbre pour ses nombreux récits témoignant de la Shoah et de l’Holocauste, est à la fois fort et amusant. L’auteur livre ici une pièce qui touche tant par l’amnésie de la mère que par son passé de fugitive orpheline, glissant par endroits de subtils indices qui s’emboitent au cours du récit pour révéler une tragique conclusion.

Mon fils a dit qu’il passerait s’il trouve le temps de venir voir sa maman. Je veux pas le louper, il vient si rarement.

La mise en scène sobre et tout en subtilité de Charles Tordjman nous plonge dans l’atmosphère épurée de cette maison et de son jardin. On y croise la douleur de Jean face à sa mère qui le confond avec le directeur, lui-même désemparé devant les coups de tête et de parapluie de Mme Butterflam. Et puis surtout, s’appuyant sur ce texte limpide, Tordjman nous fait comprendre les souvenirs qui hantent la vieille femme, et son désir de retrouver sa propre mère, perdue, comme elle, de longues années plus tôt.

Ah, une journée comme ça, je n’en souhaite même pas à la concurrence.

Le jeu des comédiens, en écho à la mise en scène claire et précise, parachève l’ensemble. Entre un Bruno Putzulu attachant et un Philippe Fretun drôle et apitoyant, on s’emballe pour une Catherine Hiegel toujours plus épatante et émouvante dans le rôle de la vieille femme amnésique et tourmentée.

Allez donc toquer aux portes de la maison de retraite de l’Atelier, pour rire et être ému aux larmes devant le récit qui nous est donné ici. Vous y suivrez le touchant témoignage de ce trio : une mère proche de la fin, un fils pas encore prêt à ce départ et un directeur d’hôpital dépassé par les événements. Un très beau moment de théâtre !

Nathan Aznar

VOTRE MAMAN
À l’affiche du Théâtre de l’Atelier du 19 avril au 6 juillet 2017 (mardi au samedi 19h, dimanche 16h)
Un texte de Jean-Claude Grumberg
Mise en scène : Charles Tordjman
Avec : Catherine Hiegel, Bruno Putzulu, Philippe Fretun et Paul Rias