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Métallos et Dégraisseurs, une mémoire bien vivante

La création de ce spectacle commence par une collecte de paroles, une série d’entretiens menés par Raphaël Thiéry auprès d’anciens ouvriers et de quelques encadrants de l’usine actuelle. Métallos et Dégraisseurs, c’est l’histoire de millions d’hommes et de femmes d’une classe qui, en un siècle et demi, a été aspirée dans le tourbillon de la révolution industrielle avant d’être engloutie par la révolution financière.
 C’est l’histoire d’un père, d’un oncle, d’une tante, que l’on reconnaît soudain, là, présents.

“Des Forges de Sainte-Colombe à Arcelor Mittal,
récit de la débandade de la métallurgie française.”

Un fond de scène barré par ce qui sera l’horizon des métallos, la petite maison, les murs de l’usine. À l’avant, un panneau permettra de marquer l’avancée du temps : à chaque génération, on y accrochera une petite marionnette faite des fils qu’on fabrique dans l’usine, vêtue d’un “bleu de travail”, l’aîné, le premier “tréfileur” de la génération suivante.
Du théâtre-document, un texte écrit et mis en scène avec beaucoup de cœur et de gaité par Patrick Grégoire, nourri des entretiens menés par Raphaël Thiéry, qui porte aussi tous les rôles des pères successifs (ou des fils, qui deviendront des pères…), avec une belle faconde et une grande finesse.
On va traverser 150 ans de la vie d’une usine métallurgique, 7 générations d’ouvriers de fiction qui vont en raconter l’histoire particulière (politique, économique, affective) – bien sûr écho de l’histoire générale du monde ouvrier.

Sujet grave et forme légère.

Un décor modeste et astucieux, qui “enferme” les 5 acteurs à l’avant-scène devant ses panneaux de bois, comme un décor de marionnettes. La mise en scène se joue avec malice des codes du théâtre, laissant ses acteurs présenter leurs personnages successifs ou commenter leurs déboires “bon, là, j’suis la sage-femme parce que la fille n’est pas encore née, alors faut bien que je serve à quelque chose. C’est bizarre d’accoucher sa grand-mère de sa mère, allez poussez madame, allez”, faisant surgir leurs visages de pans découpés dans le décor comme des diables hors de leur boîte…
Le propos est réaliste, le sujet rude, mais le ton est volontiers allègre, la forme fantaisiste : l’humour, le burlesque soulignent la vitalité des hommes autant que la cruauté de la société.
Raphaël Thiéry joue les hommes de la famille, Michèle Beaumont, pétillante, joue les mères, Jacques Arnould, vif et fin, sera le col blanc, l’ingénieur, Lise Holin, au jeu polymorphe, mobile et malicieux, accouchera sa grand-mère de sa mère et sa mère d’elle-même avant d’apparaître comme aînée de la 6e génération; l’usine, entité vorace, dévoreuse d’enfants et elle aussi fragile, trône sur le plateau. Maquillage expressionniste, couvre-chef-couronne de fil de fer, Alexis Louis-Lucas, perché sur une structure qui le transforme en haut-fourneau, donne corps et voix à l’usine, bruiteur précis de ses rouages. “Figurez-vous monsieur l’curé que mes ouvriers croient qu’un jour je leur appartiendrai” “Eh bien, figurez-vous que mes fidèles croient qu’un jour le ciel leur appartiendra” “Ahahahah !”

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Alexis Louis-Lucas, Lise Holin © Yves Nicot

On a sa dignité dans la famille : le grand-père à son fils :
la grillagerie, ça sert à fabriquer du grillage, et le grillage, ça sert à protéger la propriété privée. Et nous on est communiste de père en fils, alors on travaille pas à la grillagerie.”

Les temps changent…
L’usine geint : “en ’36, j’avais déjà passé 100 ans, je n’avais jamais connu de grève, quand on m’a remis en marche j’ai senti mes premières douleurs…” et ce n’est pas fini… “Je n’ai pas bien vécu la guerre. C’est pendant la guerre que les communistes ont développé l’esprit de sabotage. Et moi, l’idée qu’il sortait de moi des choses défectueuses, moi, ça m’faisait du mal”…
Les hommes sont à la guerre ou au STO, les femmes entrent à l’usine, la cadette va être embauchée à la grillagerie, le père serre les dents.

On ferme la clouterie, l’ingénieur est muté à Paris “ça veut dire que désormais ceux qui vont décider connaîtrons plus l’usine. Lui, il la connaît encore, il y a travaillé, mais les prochains…”, les Forges de Sainte-Colombe deviennent l’Aciérie de Neuves-Maisons Châtillon, en ’65 ça sera “Tissmetal” “ça m’plait, ça fait jeune”
Puis la Société des tréfileries de Châtillon-Gorcy, Chiers-Châtillon-Gorcy, Tecnor, Trefil Union…
Restructuration au chronomètre, opération pour cause de soixanthuitite, évolution rationalisation, un ouvrier pour deux machines, fini le temps pour l’ouvrier avait “sa” machine, qu’il bichonnait, qu’il remettait entre les mains de son fils à son départ à la retraite, fini le temps où l’ouvrier connaissait sa machine, son rythme, ses faiblesses… “Une petite saignée de rien du tout pour vous rajeunir”, ablation de la câblerie, c’est maintenant les années 80′, 90′, les temps changent…

Le père à son fils :
Tu passes ton bac et tu dis rien à ton grand-père.”

…l’usine n’est plus l’héritage qu’on veut transmettre à ses enfants, de toutes façons, quelle fierté à appuyer sur des boutons, de toutes façons elle a de plus en plus mauvaise mine, de toutes façons plan de restructuration, départs en pré-retraite, démontage des ateliers…
Au début du XXe siècle l’usine de Sainte-Colombe-sur-Seine employait jusqu’à 1000 personnes. Dans les années 1970 encore 600 personnes y travaillent. Repris par le groupe Arcelor Mittal en 2006, le site ne compte plus qu’une cinquantaine de salariés et une quinzaine d’intérimaires… Les « dégraisseurs », on ne les voit pas, mais ce sont eux qui gagnent. Trefil Union est devenu Trefil Europe, Arcelor, Arcelor Mittal… Même le « restructurateur » a été mis en pré-retraite… les temps n’en finissent pas de changer…

Cinq acteurs, quelques pans de bois, beaucoup d’intelligence et d’humanité : Métallos et Dégraisseurs donne une parole précise autant que vivante à ce monde ouvrier si peu loquace, à cette mémoire discrète et pourtant nécessaire ; on en sort aussi vivifié qu’édifié.

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Michèle Beaumont, Lise Holin, Raphaël Thiery © Yves Nicot

Métallos et Dégraisseurs – spectacle vu le 11 juillet 2016
A l’affiche du Chapeau d’Ébène jusqu’au 30 juillet
Ecriture et mise en scène : Patrick Grégoire
Avec 
Jacques Arnould, Michèle Beaumont, Lise Holin, Alexis Louis-Lucas et Raphaël Thiery

Orlando ou l’impatience

A la manière d’un conte pour enfants

Spectacle vu à sa création au Festival d’Avignon en juillet 2014
Actuellement en tournée, du 8 au 18 avril au Théâtre de la Ville
Auteur et metteur en scène : Olivier Py

© Christophe Raynaud de Lage

Dans cette nouvelle création d’Olivier Py, on s’amuse à chercher les différentes clés et on retrouve son âme d’enfant…

D’Olivier Py, je n’avais vu que ses pièces pour enfants inspirées des Frères Grimm. Notamment “La Vraie Fiancée” ou “La Jeune fille, le Diable et le Moulin”. J’avais été emballée, mes enfants aussi. L’été dernier j’ai découvert à la FabricA sa toute dernière création, “Orlando ou l’impatience”, création dont la tournée passe actuellement par le Théâtre de la Ville.

Que me reste-t-il de ce spectacle, 9 mois plus tard ? Le “pitch” d’abord, assez simple, comme le sont les contes pour enfants. La mère d’Orlando lui donne des pistes pour trouver son père. Autant de pistes que de pères possibles. Une piste par acte. Chacune de ces pistes, chacun de ces pères possibles est aussi un théâtre et une philosophie de vie. Il me reste de cette quête de 3h30 des souvenirs épars et plutôt agréables.

Je me souviens des décors impressionnants sur l’immense plateau de ce nouveau lieu d’Avignon qu’est la FabricA.
Je me souviens d’un Jean-Damien Barbin irrésistible dans tous ses personnages : professeur de diction fou, directeur de cabinet fou, apnéiste fou, 
ostéopathe fou, affirmatologue fou, troueur fou, milliardaire fou et théâtreux fou.
Je me souviens de quelques scènes graveleuses, car il y en a toujours chez Olivier Py.
Je me souviens d’une Mireille Herbstmeyer magistrale dans le rôle de la grande actrice qu’est la mère d’Orlando.

Je me souviens de cet éternel recommencement, à chaque début d’acte.
Je me souviens d’avoir eu l’impression de plonger dans une sorte de conte pour enfants.
A la manière de Hansel et Gretel qui partent à la recherche de leurs parents.
A la manière de Peau d’Ane dont les robes changent de couleur, tout comme les costumes de la mère d’Orlando.
A la manière, surtout, des histoires les plus magiques : celles qui vous marquent, celles que vous gardez en mémoire, comme les légendes de votre enfance.

Amateurs d’Olivier Py, vous serez sans doute touchés par sa nouvelle création 

1 – Vous y retrouverez une partie de sa tribu de comédiens, notamment les excellents Mireille Herbstermeyer  et Jean-Damien Barbin.
2 – Vous ne pourrez vous empêcher de chercher les multiples clés et références glissées dans ce spectacle.
3 – Vous y retrouverez votre âme d’enfant, car Olivier Py a fabriqué ici son propre conte.

ELECTRONIC KIT PRESS

 

Le Prince de Hombourg

Le Prince va mourir…vive le Prince!

Vu au Théâtre des Gémeaux de Sceaux le 12 février 2015
Actuellement en tournée
Mise en scène : Giorgio Barberio Corsetti

 

Copyright : Olimpia Nigris

“Corsetti a relevé le défi de monter dans la Cour d’honneur du Palais des Papes Le Prince de Hombourg, 40 ans après l’interprétation de Gérard Philippe…”

L’été dernier, j’avais pris mes places pour le Prince de Hombourg à Avignon. Je les avais réservées le 14 juin, jour d’ouverture de la billetterie du IN. Le bras de fer entre notre gouvernement et les intermittents du spectacle avait débuté. Il se poursuivit pendant le festival, il se poursuit encore aujourd’hui mais c’est une autre histoire… Le soir du 12 juillet donc, j’avais rendez-vous dans la Cour d’Honneur avec Corsetti et ses comédiens. Mais l’équipe des techniciens en avait décidé autrement… Qu’à cela ne tienne, je suis allée voir un autre spectacle, parmi les 1307 que proposait le OFF. Et je me suis promis d’aller voir le Prince lorsqu’il passerait en tournée en 2015.

7 mois jour pour jour après ce rendez-vous manqué, me voici donc au Théâtre des Gémeaux de Sceaux, Scène Nationale co-productrice du spectacle. Première bonne surprise : ici, pas de mistral!…
Le plateau est immense…Moins impressionnant que la Cour d’Honneur, mais connu pour être l’un des plus beaux d’Ile-de-France.
Il semble assez dénudé au lever de rideau, il le restera pendant toute la pièce. Faisant la part belle aux surprises scénographiques que nous réserve Giorgio Corsetti.

Je ne connaissais pas le texte. Dans mon esprit, « Le Prince de Hombourg » était associé  à la légende de Gérard Philippe. Sans doute comme dans beaucoup d’esprits… L’imaginaire collectif, c’est aussi cela…
Qu’il est beau, ce texte ! On nage en plein romantisme allemand – rappelons que l’auteur, Heinrich Von Kleist, contemporain de Goethe s’est suicidé à l’âge de 34 ans…

La distribution est impeccable. Le pari de succéder à Gérard Philippe dans le rôle titre, Xavier Gallais le relève avec brio. Ses compagnons de route ou d’infortune sont à la hauteur, notamment Clément Bresson et Luc-Antoine Diquéro.

Les rôles féminins sont moins intéressants mais les deux comédiennes défendent leur partition avec talent. Aux côtés d’Anne Alvaro, dont le jeu peut sembler ampoulé, une formidable Princesse Nathalie/Eléonore Joncquez. Retenez bien ce nom, chers lecteurs : je prédis une grande carrière à cette fan inconditionnelle de Claudel!…

Trois raisons d’espérer que la tournée du “Prince de Hombourg” passe près de chez vous

1 – Pour découvrir un sacré texte, dans la veine des « Souffrances du Jeune Werther », l’un des symboles du romantisme allemand.
2 – Pour la scénographie de Giorgio Corsetti, tout simplement belle, aussi fascinante qu’épurée.
3 – Pour une pléiade de comédiens, jeunes talents ou piliers de la scène, avec une mention toute particulière à Xavier Gallais et à Eleonore Joncquez.

INTERVIEW

ELECTRONIC KIT PRESS

 

 

Les Chatouilles ou la danse de la colère

Résili-Danse

Mise en scène : Eric Métayer
Vu à Avignon en juillet 2014
Actuellement à l’affiche du Petit Montparnasse

 

Copyright : Stefan M. Photography

“Andréa Bescond nous fait entrer dans une danse aussi émouvante qu’énergisante, une danse dont on ne ressort pas indemne, une danse qu’il serait criminel de ne pas accepter : la danse des Chatouilles…”

Voici un spectacle que j’ai découvert à Avignon l’été dernier et qui m’avait “mis les poils”… Sortie de la salle en larmes, il m’avait fallu un bon moment pour m’en remettre. Comment vous en parler sans trop dévoiler le contenu de ce “Seule en scène”? Simplement en vous présentant la comédienne, Andréa Bescond, visage d’ange sur morphologie d’athlète. Envoûtante, rieuse, révoltée, belle, sauvage, enragée, fragile : Andréa est le personnage principal de sa pièce, la petite Odette.

Andréa a écrit le spectacle “les Chatouilles ou la danse de la colère“ et a demandé à Eric Métayer de la mettre en scène. Il la connaît bien : il partage sa vie depuis 10 ans… Des mois et des mois de travail à deux, des producteurs qui croient en ce projet “casse-gueule”… et enfin le Chêne Noir, salle emblématique d’Avignon pour 20 représentations “coup de poing”. Au départ, Andréa vient de la danse. La danse qui est très présente dans son spectacle. Et Andréa danse tellement bien.

Ce spectacle nous touche au plus profond. Il nous touche autant que le ferait une petite fille de six ans qui nous prendrait par la main…

Pourquoi se précipiter voir  “ les Chatouilles” ?

1 – Pour le thème central : ce spectacle est un formidable moyen d’aborder le sujet encore trop souvent tabou de la pédophilie.
2 – Pour Andréa Bescond qui incarne une bonne vingtaine de personnages, dont un flic légèrement borné, l’immense artiste Noureev, une fillette en proie à ses démons, un professeur de danse haut en couleur, une psychanalyste plutôt sensée, un junkie totalement paumé… Andréa est une comédienne drôle et touchante, en même temps qu’une formidable danseuse!
3 – Pour “avoir les fameux poils” et vous laisser embarquer dans la danse de la colère et de la résilience.

INTERVIEW

ELECTRONIC KIT PRESS

LES CHATOUILLES (BAweb 2’30”) from Bonne Idée Prod on Vimeo.