Le Monde de Rita… ou comment “kniter” (tricoter) sa Joie

Certaines pièces vous touchent en plein cœur… Ce fut mon cas et celui du public (appelé « Jojo » par Clémentine Célarié) lors de cette hallucinante et interactive création humaine et artistique. La comédienne, seule en scène (enfin, dans le monde visible) nous fait vivre un voyage symbolique dans l’unique but de réveiller en nous l’enfant intérieur – «Inside puppet». Elle permet ainsi une reconnexion à notre capacité d’émerveillement intime.
Comme tout voyage en terre nouvelle ou oubliée, une langue locale est en vigueur : il s’agit ici du «chkloukign » qui nous sera enseigné au cours de cette séance spirituelle.

Le ravissement produit est lié notamment à l’évocation de multiples rites réels ou imaginaires. La récipiendaire en expérimente plusieurs sous nos yeux avant d’accéder à son essence personnelle. La purification par l’eau atteint un paroxysme d’humour. Vous l’aurez compris : l’artiste a mis son ego dans la poche d’une des centaines de vestes présentes sur scène. Elle a choisi de rire d’elle-même afin de nous faire évoluer…

L’esthétisme et l’efficacité du spectacle sont offerts par Denis Koransky : une fois encore, il donne une âme aux objets inanimés grâce à une création lumières époustouflante.
La générosité de Clémentine Célarié transpire par tous les pores de sa peau dans une pièce où elle se met à nu. Son engagement est total. Corps, cœur, esprit : Rita donne tout de sa vie. Peurs, amours, doutes, fragilités : elle transmet avec humilité et dérision des enseignements et recettes pratiques pour se ressourcer, « se repulper le bulbe », comme par exemple la position du poirier que la comédienne yogi tient à la perfection.

Cet objet théâtral (qui convoque aussi le chant et la danse) germe, s’éveille, éclot et s’envole sous les yeux d’un public ébahi. Une pièce difficile à nommer, et c’est tant mieux. Une expérience initiatique ne se décrit pas : elle se vit.
Courant 2017, partez à la rencontre de Rita. Grâce à sa tournée, offrez-vous la liberté d’être émerveillé par vous-même !

Magali Rossello

 

 

«Le monde de Rita» de Clémentine Célarié – spectacle vu le 22 juillet 2016 au Théâtre du Chien qui fume à Avignon
Assistant à la mise en scène : Pierre Hélie
Création Lumières : Denis Koransky

Ma folle otarie : voyage en imaginaire

Il est là, tout frêle, tout fin, un peu pâlot, droit sorti d’une BD de Sempé. Un petit bout d’homme pour incarner un personnage passe-partout, un “nobody”, le plus ordinaire des plus ordinaires des hommes.

Très vite, cependant, quelque chose l’arrache de cette normalité maladive. Sous nos yeux -ouverts ? fermés ? – il se trouve confronté à un problème aussi énorme que singulier. Un problème lié, non pas à de simples et banales histoires de fesses mais à ces dernières, tout bêtement. À ses fesses, oui. Son postérieur, son cul, son derrière, son popotin, son arrière-train se met à doubler, tripler, décupler de volume sous nos mirettes ébahies qui jamais n’ont contenu telle circonférence – 5 à 6 mètres, incroyable, imbattable, inouï.

Ma folle otarie Pierre Notte Brice Hillairet

“Ma folle otarie, c’est avant tout l’histoire d’un homme sans folie” – Pierre Notte

Alors forcément, lui que personne ne remarquait, tout le monde s’empresse de le moquer. Jusqu’à l’entraîner bien loin, dans une fuite désespérée. Jusqu’à lui faire souhaiter la mort. Seule une otarie lui portera secours, le sauvera du suicide et lui montrera le chemin d’une résilience douce et aérienne.

Fable philosophique, ode à la vie et à l’amour, manifeste pour la différence, plaidoyer contre l’indifférence, aventure poétique et ludique, invitation au voyage, balade dans notre imaginaire, fabrique d’un rêve éveillé… Ma folle otarie est tout cela à la fois. Car la prouesse de ce spectacle est de nous faire voir tant de choses qui n’existent pas, en tous cas pas sur scène. Le plateau est dépouillé, dénudé, dénué de tout artifice, de tout décor, immaculé, vierge, nu, désert. Plein de vide et pourtant prêt à tout et tant nous offrir. Des fesses monstrueuses d’énormité de notre anti-héros à son amie l’otarie moustachue, de l’homme-tronc protecteur à la sale gamine au vélo rouge, du marbre glacial d’une tombe à une rame bondée de métro, d’une plongée en eaux profondes à une envolée pétaradante… Le décor et les personnages se construisent et grandissent dans notre cerveau avant de se déposer sous nos yeux. Et l’on réalise à quel point notre imaginaire est capable de prouesses encore insoupçonnées.

L’écriture de Pierre Notte, toujours tendre, drôle, sensible, intelligente et délicatement poétique donne sa voix à un formidable interprète. Comme ça, l’air de rien, sans crier gare, sans costume, dans une voix quasi monocorde, Brice Hillairet nous invite à percevoir l’énormité de son cul, mais surtout l’immensité de notre imagination.

 

Ma folle Otarie – spectacle vu le 24 juillet 2016 au Théâtre des Halles
Texte, mise en scène et chanson : Pierre Notte
Avec : Brice Hillairet

Pour l’amour de Grisélidis

C’est l’histoire de Griselidis Real, décédée en 2005, femme de lettres et d’arts, célèbre prostituée de Genève, révolutionnaire et politique, qui portera sa voix libre et anarchiste aux plus hauts échelons du pouvoir. Coraly Zahonero a eu une révélation le jour où elle a entendue Griselidis Real pour la 1ère fois. Et puis elle a tout lu, tout écouté d’elle, l’a rencontrée : “Il m’est apparu avec une absolue certitude que sa parole était nécessaire et qu’il fallait la faire entendre. Nous allons tenter de faire s’élargir les cœurs et les esprits comme elle disait, et peut-être changer le regard des spectateurs sur ces femmes dites putains dont Grisélidis Réal fut une inoubliable égérie”. 
Moments intenses dont seul le théâtre a le secret. Instants de trouble où les regards se croisent sans se voir, les mots décochés comme des flèches transpercent les esprits… les cœurs aussi !

Griselidis, d'après Grisélidis Real, de et avec Coraly Zahonero, Petit Louvre, Avignon OFF 2016@Jean-Erick Pasquier

On ne sait plus si la pièce est jouée ou bien tout simplement vécue, la schizophrénie vitale du personnage nous enveloppe ; la confusion est totale, l’art au sommet ! GRISELIDIS est bien plus qu’une pièce de théâtre, plus qu’une interprétation magistrale, c’est une véritable expérience de ré-incarnation, d’une portée politique inouïe comme seules les femmes intelligentes en ont le génie. Une claque et une caresse, un verbe droit fort et beau, des notes de musique bouleversantes qui y font écho pendant que Griselidis se délie, s’enivre, se ressource… Son cri nous marque au fer de sa liberté. Liberté, c’est le mot qui résonne le plus fort en nous à l’issue de cette rencontre hors du temps. Liberté de disposer de son corps, liberté de l’affirmer, liberté de se dresser face aux menteurs et de conspuer l’hypocrisie sociale et la religion. Courage de parler librement de ses souffrances et de ses jouissances. Liberté de dire ce que les autres n’osent murmurer. On la prend dans nos bras cette liberté Madame et on vous remercie de l’incarner aussi magnifiquement !

Jean-Philippe Renaud

Griselidis, d'après Grisélidis Real, de et avec Coraly Zahonero, Petit Louvre, Avignon OFF 2016

À l’affiche du Théâtre du Petit Louvre du 8 au 30 Juillet 2016 – 18h15
De et avec Coralie Zahonero de la Comédie-Française
Relâche les 14, 21 et 28 juillet

 

LaDerniereBandeJacquesWeber

La Dernière bande à l’Œuvre… Bobine ! Bobiiiine !

La Dernière bande de Samuel Beckett – Spectacle vu le 16 avril 2016
A l’affiche du Théâtre de l’Œuvre jusqu’au 30 juin 2016
Mise en scène : Peter Stein
Avec Jacques Weber

 

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Dans cette courte pièce écrite par le prix Nobel de Littérature à l’âge de 52 ans, nous sommes projetés dans les derniers moments de vie de Krapp, écrivain âgé, myope et dur d’oreille. Il se remémore des souvenirs enregistrés depuis 30 ans, à sa date anniversaire sur un magnétophone d’époque.

Cette pièce est jouissive et tendue par de multiples paradoxes, liés tant à l’écriture de Samuel Beckett qu’à l’incarnation voulue par Jacques Weber et Peter Stein.

Le début de ce monologue se déroule sans que le comédien –travesti en clown, grâce aux costumes d’Annamarie Heinrich et au maquillage de Cécile Kretschmar, Jacques Weber est méconnaissable- ne prononce un seul mot, se livrant à un rituel de dégustation de bananes et de recherche de bobines dans un immense bureau –décor majestueux et épuré de Ferdinand Wögerbauer. Le public devient immédiatement le geôlier de cet animal qui lui renvoie l’image de sa propre prison !

 

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Le souvenir de la balade en barque avec une jeune amoureuse va hanter par trois fois l’esprit du vieil homme et là-encore ce sont les oppositions entre les différentes temporalités qui nous prennent aux tripes : le corps de l’homme affaibli, alcoolique, tordu entre deux quintes de toux, se confrontant à la vitalité et l’exubérance des émotions amoureuses qui surgissent sous nos yeux !

Enfin, l’histoire est rythmée par un humour imprévu, lié à des ruptures de langage et des mots qui sortent de nulle part ; la danse dans laquelle Krapp nous entraîne pour reconnaitre le mot « viduité » est une pure délectation.

Enfin, Jacques Weber est un Maître accompagné par un autre Maître Peter Stein.

Alors, pas d’hésitation, allez rembobiner la bande au Théâtre de l’Œuvre, et ce pour la dernière pièce programmée par son Directeur Frédéric Franck !

Magali Rosselo

 

Les Fureurs d’Ostrowsky : portrait de famille à l’hémoglobine

Les Fureurs d’Ostrowsky – spectacle vu le 20 avril 2016
À l’affiche du Théâtre de Belleville jusqu’au 22 avril – puis au Théâtre Gilgamesh (ex-Girasole) à Avignon du 7 au 30 juillet.
Texte Gilles Ostrowsky et Jean-Michel Rabeux
Délire mythologique
D’après (très très lointainement) la terrible histoire des Atrides
Mise en scène Jean-Michel Rabeux
Avec Gilles Ostrowsky

Au sujet du sang, et du théâtre

Enfermé dans une haute cage aux barreaux solides, un boucher lunaire et sanguinolent surgit de derrière un étal/autel – car il sera beaucoup question de boucherie et de dieux dans cette histoire…

L’habit ne fait décidément pas le moine, et c’est un Gilles Ostrowsky paré comme à la plage, tongs, short, chemisette à fleurs, qui va s’emparer de la fresque sanglante des Atrides, l’engloutir, la mâcher, plus ou moins la digérer (tous ces meurtres fatiguent l’estomac et mettent les nerfs à vif), et nous la restituer, passée au filtre de son corps élastique. Condensée ainsi, projetée en un langage très actuel, la tragédie des Atrides, dans ses répétitions, ses excès, sa réinvention perpétuelle du pire, prend des allures de farce burlesque.

Rabeux a étudié la philo ? Ostroswky a œuvré comme clown ? tous deux en ont gardé le goût de la rébellion et du paradoxe, le “goût du non” (dit de lui-même Rabeux) et du rire fou.

La mise en scène (se) joue des codes du cabaret, du music-hall, du grand-guignol, nous mitonne du brutal, du trivial, pour faire surgir l’universel, le tragique, nous le faire empoigner par le rire et l’effroi.
Avec quelques articles de carnaval, vaguement grotesques, un casque de soldat antique en plastoc, des litres d’hémoglobine, des têtes de poupée, dans l’arène de sa cage ceinte de lumières minimales et précises, avec la virulence du texte pour transe, la liberté de jeu d’Ostrowsky semble sans bornes. Et Ostrowsky-Atrée, Ostrowsky-Agamemnon, Ostrowsky-narrateur lance à plusieurs reprises à son auditoire “imagine !” – “imagine, comment fait-on pour cuisiner des enfants, on n’a pas de recettes, imagine, le père avec son masque, imagine, la mère avec sa hache, imagine, le doute, imagine, le remords !”. “Imagine” : incantation magique ! On est bien au théâtre, et c’est bien un art vivant, où tout est vivant, l’auteur, le personnage, le passé, le futur, l’acteur, le spectateur !

 

LesFureurs@RonanThenadey
Gilles Ostrowsky © Ronan Thenadey

Ostrowsky prévient en “note d’intention “de toute façon on sait tous que les morts parlent très bien au théâtre et là on va pas se priver, on va les faire parler les morts !”. Alors ça jacte, ça gueule, ça geint, ça fredonne et ça impréque, de génération en génération, ça trahit et ça maudit, tout ça sort d’Ostrowsky, les paroles des morts, les paroles des vivants, celles des vivants qui vont transformer des vivants en morts, même celles des chèvres et des bébés qui ne se doutent encore de rien, le texte déboule comme un torrent, avec ses tourbillons, ses chutes, élans de fureurs, blagues incongrues, et parfois un étalement apaisé.

Et si le beau et le bizarre fraient toujours ensemble, cet étrange moment suspendu où Ostrowsky se métamorphose en Clytemnestre, la femme meurtrie, lente mue commençant en se perchant sur des hauts talons instables, ce moment est sûrement un de leurs rejetons, fragile, biscornu, et bizarrement beau.

La folie comme remède à la folie

Le mur de la cage va s’abattre, et Oreste, petit-fils d’une lignée de meurtriers, infanticides, traîtres, va pouvoir se libérer du joug de la destinée familiale. “Comme tous et comme toujours, il trempe son épée dans le sang familial, mais là, c’est celui de la mère, et, gronde Ostrowsky mécontent qu’on puisse en arriver là, ça, ça ne pardonne pas : il va pouvoir devenir complétement fou”.

Ostrowsky et Rabeux eux-mêmes se libèrent de la mythologie antique pour offrir à Oreste une porte de sortie, et c’est par quelques pas de danse tâtonnants, sur les notes acidulées de Raindrops keep fallin’ on my head, qu’Oreste va s’échapper définitivement.

Le spectacle n’est plus à l’affiche au Théâtre de Belleville que quelques jours, mais, Parisiens, il n’est pas trop tard. Allez-y ce soir, à 20h30 vous êtes sortis, pile pour le dîner. Et il reprend à Avignon pour le festival, salle Guilgamesh. Guettez-le.

 

Amok

L’amour Amok

Amok – Spectacle vu le 22 mars 2016
A l’affiche du Théâtre de Poche-Montparnasse jusqu’au 22 mai 2016
De Stefan Zweig – Adaption Alexis Moncorgé
Mise en scène Caroline Darnay

Où il est question d’honneur, d’orgueil, d’amour à mort et… d’amok.

Paris bruisse du succès de ce seul en scène depuis quelques semaines. Il s’agit de la toute première création de Chayle et Compagnie. Dès les premiers instants, on comprend pourquoi le bouche à oreille a fait un tel travail autour de ce spectacle. Le matériau de départ n’est ni plus ni moins qu’une de ces nouvelles de Stefan Zweig dont on raffole. Amok ou le Fou de Malaisie, c’est l’histoire d’un médecin allemand parti pratiquer en Indonésie. C’est l’histoire de son amour obsessionnel pour une femme. Une passion tellement funeste que le narrateur la compare à l’amok, cet accès subit de violence meurtrière observé par de nombreux ethnologues, notamment en Malaisie. Adapter à la scène cette œuvre de Zweig constituait déjà une gageure. Décider d’en façonner un seul en scène était un pari plus risqué encore. Caroline Darnay et Alexis Moncorgé le relèvent avec brio.

 

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©Christophe Brachet

Imposant, captivant, envoûtant, le comédien incarne avec entrain l’ensemble des protagonistes mais c’est indéniablement son personnage principal du jeune médecin fuyant la Malaisie qui nous émeut violemment. Lorsqu’il nous confie son lourd secret, lorsqu’il se dévoile, se met à nu, nous sommes conquis. Les yeux tantôt mouillés tantôt hargneux, la voix tantôt chancelante tantôt éclatante, il nous fait revivre son histoire d’amour enflammée. Peu à peu, l’air de rien, il nous entraîne dans sa chute, dans son plongeon à mort, dans son amok à lui.

Ce spectacle affiche souvent complet, il est donc préférable de réserver à l’avance car il serait dommage de passer à côté :

1 – On aime être aussi proche de ce comédien jusqu’ici méconnu : le “petit Poche” offre un moment rare et privilégie, pour lui comme pour nous.
2 – Stefan Zweig a souvent été mis à l’honneur sur les planches de théâtre, cette nouvelle sans doute moins connue rassemble tous ses thèmes de prédilection.
3 – La mise en scène au cordeau et les jeux de lumière pénétrants participent de la belle écoute qui règne dans la salle.

 

 

 

 

 

 

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Le syndrome de Cassandre par le clown magi-chien

Le Syndrome de Cassandre – Spectacle vu le 17 mars 2016
A l’affiche du Théâtre de Rond-Point jusqu’au 10 avril 2016
Un spectacle de et avec Yann Frisch
Coécriture Raphaël Navarro

Quand un clown prisonnier d’une cage invisible nous appelle au secours…

Il nous accueille une banane à la bouche. Mais lui ne l’a pas, la banane. Il est plutôt maussade, bougon, sombre et mélancolique.
On a l’impression de le déranger. Le sentiment d’être au zoo, stoppés net devant la cage d’une créature évoquant un homme à tête de chien. Une cage d’exception pour un être d’exception. Qui est-il ? Mi-clown mi-magicien, il est surtout extrêmement seul, bien qu’habitué aux visites comme la nôtre. Alors il se moque de nous, contrefait nos rires. Et plus il raille, plus on rigole.

Il semble n’avoir jamais connu d’autre univers que ce cube transparent, cette prison de verre qui abrite objets de compagnie et fantasmes les plus fous. Aux côtés d’un pantin désarticulé qu’il nous présente comme sa mère se côtoient une chaise invisible, une scie musicale, un tiroir façon jukebox, un cochon en plastique patriote, une échelle d’accès à un nuage, et tout un tas d’accessoires dignes des plus grands illusionnistes.

 

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©Sylvain Frappat

Philosophe résigné, poète désabusé, artiste incompris, le “magi-chien” se plie de plus ou moins bonne grâce à nos desiderata. Quitte à friser le ridicule, à sombrer davantage dans la dépression. A plusieurs reprises, il tente de nous faire passer notre chemin. Alternant la conjuration, les injonctions, osant jusqu’aux injures. On a beau se sentir un peu cruel, on ne peut cependant s’empêcher de demeurer. D’épier chacun de ses gestes, à l’affût de nouveaux tours et de bons mots. N’est-on pas venu pour rire à ses dépens, pour rire envers et contre tout, pour rire du meilleur et du pire ? Car le pire est toujours à venir… C’est ce que notre clown tente de nous faire entendre, à l’image de la Cassandre des tragédies grecques. Il n’y parviendra qu’à l’ultime fin du spectacle – et quelle fin !

Sacré champion du monde de magie close-up en 2012, Yann Frisch se dévoile ici davantage clown que magicien :

1 – Yann Frisch est circassien, magicien, clown, poète, comédien, et surtout bourré de talents.
2 – Lorsqu’il prend à partie le public, c’est toujours de façon subtile et percutante : notre Cassandre, c’est lui !
3 – Rarement fin de spectacle nous aura autant sidérés : le clou du spectacle.

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Maligne : on a tous envie d’être la “Pénélope” de Noémie Caillault

Si Noémie Caillault n’a pas eu le choix de vivre avec le cancer, elle a eu celui d’en parler… Comme elle a bien fait!

Elle est virevoltante, spontanée, rieuse, enjouée, sautillante, tourbillonnante, “zébulonnante”!… Pleine de vie, quoi! C’est cela qui nous marque le plus lorsqu’on découvre Noémie Caillault sur la scène du Petit Saint-Martin. Débordante de vie. Après trois ans de combat contre cette maladie qui continue de faire peur. Cette maladie dont on se demande trop souvent – façon Stromae : “qui sera sa prochaine victime”? Aujourd’hui, nul ne peut affirmer qu’il n’est pas touché par le cancer. De près ou de loin, il résonne en nous. Comme dit Noémie, “il est devenu universel”.

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© Christopher Vootz

Face à l’universalité de ce mal du siècle, chacun réagit différemment. Noémie a choisi la scène comme ring de combat. Façon “stand-up”, elle retrace les trois années qui viennent de s’écouler. Trois années de chimio, de peurs, de doutes, de bénéfices et d’effets secondaires, de phrases à la con… Elle raconte son parcours de combattante, ses échecs et ses victoires sur la maladie. Elle nous présente les nombreux protagonistes qui l’accompagnent dans cette bataille : les médecins pas toujours psychologues, les amis pas toujours bienveillants, les parents aux réactions souvent déconcertantes, les amoureux plus ou moins courageux…

Entendre parler de cette saleté de maladie pendant une heure trente : l’idée peut faire peur, j’en conviens. Mais Noémie l’aborde de telle sorte que l’on ne se sent à aucun moment dans la position du “spectateur-voyeur”. On est ému mais jamais mal à l’aise, on rit souvent, et surtout on s’attache à cette formidable comédienne qui est en train de naître sous nos yeux. Car le plus incroyable dans ce spectacle, c’est peut-être “la Noémie interprète”. Tellement jeune dans le métier qu’elle compte encore les jours de scène à son actif, à la manière des nouvelles mamans donnant l’âge de leur bébé. On a du mal à la croire, tellement elle est juste dans son jeu. Elle a appris très vite : sans doute l’un des “bénéfices secondaires” de sa maladie!

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Parmi toutes les nombreuses raisons d’aller découvrir Maligne, en voici au moins trois :

1 – La mise en scène ultra rythmée nous fait traverser trois ans de vie d’une malade, plusieurs dizaines d’hôpitaux, tout cela avec une chaise, deux tabourets et trois fauteuils…
2 – On a tous un frère, une mère, un oncle, un collègue, un ami, un enfant qui se bat contre le cancer. Noémie Caillault nous aide sans doute à mieux les comprendre.
3 – Personnellement, je suis sortie du Petit-Saint Martin avec le sentiment que moi aussi, j’avais un petit côté “Pénélope” – mais pour comprendre, il faut décidément aller voir le spectacle!

Maligne – Spectacle vu le 15 octobre 2015
Au Théâtre du Petit Saint-Martin jusqu’au 31 décembre 2015, les jeudi, vendredi et samedi  à 19h
Mise en scène Morgan Perez

INTERVIEW

Journal de ma nouvelle oreille de et avec Isabelle Fruchart

Voyage au centre de ses oreilles

Spectacle vu à Avignon en juillet 2013
A l’affiche du Studio-Hébertot, tous les soir à 21h à partir du 17 septembre 2015, puis en tournée
Spectacle écrit et interprété par Isabelle Fruchart dans une mise en scène de Zabou Breitman

 

© BM Palazon

Embarquez avec Isabelle Fruchart dans une promenade hors du commun : un voyage au creux d’une oreille pas comme les autres…

Deux ans déjà!… Deux ans que j’ai découvert ce spectacle “Journal de ma nouvelle oreille” (JDMNO pour les intimes) sur la scène du Chêne Noir d’Avignon. C’était la création. Et en même temps une sorte d’aboutissement.
Le spectacle, qui a pas mal tourné depuis, sera à l’affiche du Théâtre du Rond-Point du 3 juin au 4 juillet prochain. Puis en clôture du Festival “Seules en scène” au TOP – il sera d’ailleurs, hélas, l’ultime spectacle de ce lieu mythique…

Alors, c’est quoi au juste, ce JDMNO? Tout simplement un journal de bord, un journal intime. Celui que la comédienne Isabelle Fruchart a tenu pendant 9 mois. 9 mois particuliers de son existence : les 9 mois qu’ont duré son appareillage. Car Isabelle Fruchart a perdu l’audition à l’âge de 14 ans. Comme ça, sans explication. 25 ans plus tard, elle se fait appareiller et réinvite ses oreilles à la vie.

C’est donc un récit autobiographique que l’on découvre lorsqu’on assiste à ce spectacle. Isabelle Fruchart “joue” Isabelle Fruchart. Isabelle est dirigée par Zabou Breitman, qui avait assisté à une lecture de son “fameux journal” et l’avait immédiatement contactée pour lui proposer d’en faire un spectacle.

La mise en scène est plutôt épurée, s’agissant d’un monologue. Le partenaire principal d’Isabelle Fruchart, c’est la bande son.  Créée sur mesure par Laury Chanty, elle permet au spectateur de pénétrer à l’intérieur des oreilles d’Isabelle. Et de vivre à travers elles (les oreilles!) des sensations plus ou moins agréables… Croyez-moi : cette expérience vaut le déplacement, ce spectacle unique vous touchera sans doute de l’intérieur. Et vous n’écouterez peut-être plus jamais pareil…

Trois raisons de réserver vos places au Théâtre du Rond-Point :

1 – Le thème abordé dans ce spectacle n’est pas tant celui du handicap que celui de la beauté du monde qui nous entoure :  une ode à la vie, tout simplement.
2 – Zabou Breitman, avec la sensibilité qui la caractérise, a su donner vie à ce journal peu commun.
3 – Isabelle Fruchart qui incarne son propre rôle est une comédienne tout en empathie, elle a les oreilles grandes ouvertes sur le monde et c’est un bonheur de la voir écouter aussi farouchement!!

 

INTERVIEW

 

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EMMA MORT MEME PAS PEUR

Emma mort, même pas peur

Emma, la Clown philosophe

Spectacle vu au Théâtre 71 de Malakoff le 16 avril 2015
Actuellement en tournée (dates sur le site emmalaclown.com)
Spectacle écrit et interprété par Meriem Menant dans une mise en scène de Kristin Hestad

 
Emma mort même pas peur affiche © Pascal Gély

« Alors moi je demande une question : comment on sait qu’on est mort. Et qu’on n’est pas en train de dormir par exemple. » (signé : Emma)

Vous connaissez Emma la Clown ? Peut-être pas encore, et pourtant cela fait près de vingt ans qu’elle traîne son nez rouge sur les scènes de théâtre nationales. Originaire de Bretagne, elle écrit et interprète des spectacles sur des thèmes qui pourraient sembler austères, voire abscons. Elle a l’art de les rendre à la fois accessibles et drôles, de nous faire réfléchir et rire. De nous faire nous évader et nous questionner en même temps. Emma est une clown magicienne.

J’avais assisté l’an passé à sa Conférence sur l’Amour, un spectacle où elle tente de répondre, avec Catherine Dolto, à cette question plutôt vaste : « Au fond, c’est quoi l’Amour ? »… J’y étais allée avec ma fille, pré-ado et déjà amoureuse : succès garanti. Emma s’adresse à tous les publics. Emma est une clown universelle.

La semaine dernière, j’ai découvert un autre de ses spectacles dont j’avais beaucoup entendu parler. Emma, seule en scène cette fois-ci, s’attaque au sujet le plus grave, le plus dur, le plus effrayant… Emma nous parle de la Mort. De notre propre mort. A travers la sienne, qu’elle met en scène. Quel gageure de faire se gondoler une salle comble, constituée pour partie de jeunes relativement dissipés, à partir d’un thème aussi « plombant ». Emma est une clown ultra sensible.

On sort de la salle et on réalise que têtes de mort, cercueil, faux, testament, ossements, nous ont fait rire aux larmes. Et finalement on se dit : elle a raison Emma, il faut vivre plutôt que d’avoir peur de mourir… Et surtout il faut rire. Emma est avant tout une clown philosophe.

Pour découvrir ou redécouvrir Emma la clown, commencez par ce spectacle Emma mort, tellement fort sur l’unique chose que nous avons tous en commun finalement…

1 – Emma a choisi de s’associer à la metteur en scène Kristin Hestad, aussi intelligente qu’elle. Ensemble, elles ont fabriqué  un petit bijou.
2 – Ce spectacle est de ceux que l’on a envie de revoir, et de faire découvrir à ses proches, aux personnes que l’on aime.
3 – A tout le monde en fait : tout le monde devrait avoir la chance d’être rassuré par Emma sur sa propre mort

INTERVIEW

 

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