La Réunification des deux Corées, re-création au Théâtre de la Porte Saint-Martin

La pièce a pour thème l’amour, les couples. On ne peut pas dire que le parti pris soit léger. Peut-être parce que l’amour reste une idée et que son application est toujours un peu décevante. On s’imagine, on croit des choses et puis, en réalité, on tombe toujours des nues. Quoi qu’il en soit, des échos nous sont renvoyés et les problématiques des couples mis en situation nous interrogent et ne nous donnent que peu de réponses, si ce n’est le désespoir et la folie. Rends-moi ce que je t’ai donné, dira-t-elle, rends-le moi ce cœur… Le symbolique disparaît, la folie s’installe…

S’enchaînent une dizaine de scènes de la vie quotidienne, souvent banales, parfois plus dérangeantes, plus questionnantes, mettant en situation des couples, de nos jours, avec leurs difficultés, leurs illusions, quelque soit leur catégorie sociale ou leur âge, leurs ententes préalables. Ça se passe en France.

L’écriture de Joël Pommerat et de ses compagnons de théâtre est sans fioritures, elle va droit au but, elle montre avec efficacité des situations, souvent des points de rupture entre les couples, des séparations, des crises, des scènes, de la violence verbale et physique, des incompréhensions. « Arrête, arrête » est le leitmotiv qui scande toutes les scènes, que ce soit dans la bouche des femmes ou dans celle des hommes.

Une femme internée – dit-on encore ce mot aujourd’hui ? – dans un hôpital psychiatrique atteinte d’Alzheimer et son mari, qui vient la voir chaque jour et chaque jour, elle lui pose les mêmes questions : nous nous connaissons ? Vous dîtes que nous sommes mariés ? Vous dîtes que nous avons des enfants ? Vous êtes bien sûr de ces affirmations ? Et chaque jour, son mari lui répète le même discours, dans un calme exemplaire, parfois, ils font l’amour dans sa chambre d’hôpital.
Une prostituée, également, de luxe plutôt, qui reçoit chaque jour son client favori, avec qui elle a construit une histoire au fil du temps, depuis de nombreuses années. Et quand celui-ci lui annonce qu’il a rencontré quelqu’un et qu’il ne peut plus venir la voir, elle ne comprend pas. Elle, qui a dévoué sa vie, le meilleur de sa vie, à cet homme. Elle reste flegmatique et stratège et demande en contrepartie de son infidélité, qu’il vienne la voir chaque midi et que chaque déjeûner, il le passera avec elle.
Un couple si perturbant. Tout semble joie, ils s’apprêtent à sortir pour passer une soirée en amoureux, ils ont engagé une baby-sitter pour garder leurs enfants en bas-âge. Quand ils reviennent, les enfants ont disparu. La scène dure un moment sans qu’on sache tout à fait où se place la folie. Est-ce la baby-sitter qui serait une criminelle ou ce couple qui serait dérangé et qui n’aurait pas ou plus d’enfant ?
Il n’est pas seulement question d’amour entre hommes et femmes, même si c’est le gros du questionnement, il est également question de l’amour filial et de la place des animateurs socio-cultuels et de leurs gestes physiques envers la détresse des enfants et de la folie des parents.

Le plateau de la porte Saint-Martin est immense et les comédiens évoluent sur fond noir, dans une immensité où ils semblent tout petits, comme pris au piège. Le décor est minimaliste, les lumières souvent blafardes. C’est une ambiance pleine de brouillard et d’angoisse. La lumière n’entre que peu dans cet espace-là.

On en sort assez bouleversés et silencieux, surtout si on y est allé en couple. Que ce soit ce qui nous est dit et la manière dont cela nous est dit, ce qui nous est montré, le jeu des comédiens, souvent à bout de souffle, à bout de nerfs, souvent à hurler, sans qu’on se dise, le trait est trop appuyé, ils en font trop, non, leur cri nous touche comme une déchirure de leur âme et de leur impasse. Les questions évoquées, les troubles de la société lisibles dans les relations de couples, ne nous laissent pas indifférents.

Le public, ce soir-là, comme certainement de nombreux soirs, a applaudi à tout rompre.

Isabelle Buisson,
Atelier d’écriture À la ligne

 

« La Réunification des deux Corées » de Joël Pommerat
Un spectacle de la Compagnie Louis Brouillard
Au Théâtre de la Porte Saint-Martin Jusqu’au 14 juillet 2024
Une création théâtrale de Joël Pommerat
Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu
Photos © Agathe Pommerat

Distribution complète, partenariat, production : ici

Qui a peur : une farce politique et intime férocement drôle (et drôlement féroce)

Deux acteurs belges, l’un flamand, l’autre wallonne, il y a trente ans, amoureux, plein d’audace et de goût du jeu, sont descendus avec panache de leur piédestal de théâtre subventionné pour lancer sur les routes des provinces comme un défi une mise en scène de Qui a peur de Virginia Woolf ?
Leur charisme, leur drôlerie, l’air du temps… leur mise en scène est devenue un hit.

Deux acteurs sur le retour ce soir baissent le rideau une nième fois sur une représentation de la même pièce qu’ils traînent encore et encore, puisque c’est leur « hit » que les foules (de plus en plus clairsemées) leur réclament. Un Shakespeare ? Une création ultrasophistiquée à la Jan Fabre, Jan Lauwers, JanJanJan ? non, non, non, laissez-tomber, on veut votre « Qui a peur ».
Ils sont crevés, plus ou moins éméchés, rangent le plateau et attendent comme des rapaces – à l’instar des personnages de « Qui a peur de Virginia Woolf » – les jeunes qui vont remplacer leurs partenaires pour la prochaine saison. Ahah, de la chair fraîche !

Qui a peur ? mais tout le monde, mes chers, tout le monde ! de son ombre, de l’avenir, des autres, de vieillir, de ne pas être drôle, de ne pas être aimé, pas être reconnu, pas à la hauteur… La peur est bien utile pour éviter de tomber des falaises et de mettre sa tête dans la gueule du loup, mais aussi comme disent les grands-mères « la peur est mauvaise conseillère ».
Alors c’est prédation et carnage à tous les étages, chacun se joue de chacun, fait le beau, manipule, exerce son pouvoir. Tous ont quelque chose à perdre ou à gagner. Une subvention, un rôle, la fierté d’être soi.

Les personnages ont le nom des comédiens qui les interprètent et les rouages des personnages qu’ils interprètent dans la pièce dans la pièce… Mises en abyme et jeux de miroirs à l’infini. Les quatre comédiens, impeccablement dirigés, donnent chair et cœur à ces êtres pas si facilement aimables, mi-grotesques, mi-flamboyants, parfois minables, qui grattent leurs plaies et celles des autres sans vergogne ni pudeur.

L’écriture de Tom Lanoye est vive, la langue acerbe, triviale, musclée.
Face à face, deux générations, deux façons d’aborder le métier d’acteur, deux moments de la société. Quatre êtres pour raconter un monde, pour parler d’aujourd’hui. Les joutes verbales – en « pas de deux » tendus ou en quatuors animés – questionnent l’art et la politique culturelle, mais aussi le racisme ordinaire des êtres et des institutions, les compromis, mais aussi la passion du théâtre, et ce qu’on est prêt à laisser de sa peau pour ce métier.

Aurore Fattier, actrice, metteuse en scène et directrice de la Comédie de Caen CDN de Normandie depuis janvier 2024, a composé une mise en scène très réaliste, avec une volonté quasi-documentaire, qui reste au plus proche du sujet et du texte. Avec la scénographe Prunelle Rulens elles ont inventé un plateau inversé, décor vu de dos, sièges vides en gradin en face : le spectateur s’y fait voyeur de cette farce politique et intime féroce, parfois drôle, souvent cruelle, servie par un quatuor d’acteurs parfaits d’intelligence, de liberté et d’engagement.

Marie-Hélène Guérin

 

QUI A PEUR
Un spectacle de la compagnie Solarium
Au Théâtre 14 jusqu’au 25 mai
Mise en scène Aurore Fattier
Texte Tom Lanoye
Avec Claire Bodson, Leïla Chaarani, Koen De Sutter et Khadim Fall

Scénographie et Costumes Prunelle Rulens
Images & Vidéo Gwen Laroche
Son Laurent Gueuning
Lumière Franck Hasevoets
Régie Lumière Tom Van Antro | Régie son Jean-Philippe François
Coach Vocal Saskia Brichart
Photos Prunelle Rulens

Production : une création de Solarium | Production déléguée Comédie de Caen – CDN de Normandie | Coproduction Dadanero, le Théâtre Varia, Kulturcentrum Mamer (Luxembourg), La Coop asbl et Shelter Prod.
Avec l’aide du Théâtre des Doms (Avignon) et du Centre des Arts Scéniques. Avec le soutien de taxsHelter.be, ING et du tax-shelter du gouvernement fédéral belge. Solarium est une compagnie associée au Théâtre Varia.
Création au Théâtre VARIA le 17 février 2022.

Festival Silence, musique et cinéma, à Rosny-sous-Bois : le festival qui s’écoute aussi avec les yeux.

Assister au festival Silence, musique et cinéma, au théâtre et cinéma Georges Simenon, à Rosny-sous-Bois, est toujours un plaisir pour les sens.

Voici 3 années consécutives que je m’esbaudis à lire, voir et entendre un ou deux spectacles de ce festival qui dure 5 jours, tous les ans, fin mai, et j’en suis toujours enchantée.
Toujours une tête d’affiche le premier soir, mais ce n’est pas ce qui retient mon attention et l’originalité de ce festival. C’est plutôt le dernier soir, le dimanche après-midi, que j’affectionne d’emmener ma petite famille au ciné-concert.

La première année, j’y ai découvert un film culte «  Le Petit Fugitif » réalisé par Raymond Abrashkin, Ruth Orki et Morris Engel, sorti en 1953. Une caméra portative de 35 mm fut spécialement conçue par Charles Woodruff. Il lui aura fallu 1 an pour construire cette caméra expérimentale munie d’un système optique à deux objectifs. Le film en noir et blanc est sous-titré, tandis que, sur scène, Iñigo Montoya revisite en musique les aventures de Joey, avec Clémentine Buonomo au cor anglais, les musiciens nous embarquent dans des boucles électroniques et bruitages psychédéliques, comme si elles avaient été crées en 1953, tant la symbiose est adéquate.

L’année dernière, c’était « 16 levers de soleil » où Thomas Pesquet jouait du saxophone depuis la coupole de ISS, lors de son voyage dans l’espace. Sur scène, 90’ de musique électronique, groove, pulsations urbaines et orientalistes, orchestrées par Guillaume Perret, avec Martin Wangermée à la batterie, Yessaï Karapetian aux claviers et Julien Herné à la basse.

Et cette année, le festival ne m’a pas déçue. Un docu-concert de Merlot « Nouveaux voisins, nouveaux amis ». Des portraits bruts d’enfants, pour la plupart. Filmés au téléphone portable en train de chanter, dans leur langue maternelle, des chansons de leur pays : Roumanie, Irak, Corée, beaucoup d’enfants venus de l’Est du monde. Des bouffées de vie et d’émotion, une pomme à la main, symbole du Nord du monde, ils chantent et jouent. Les adultes, en plus de chanter, racontent l’exil, l’arrivée en France. Prendre le métro est déjà une aventure quand on vient d’un pays où il n’y a jamais eu de métro. Et dormir dans un lit, dans un centre d’accueil de la porte de la Chapelle, est un bonheur, quand on n’a pas dormi depuis longtemps.
Je vous avoue que la musique de Manuel Merlot, Cedryck Santens et Thibaut Brandalise est plus que parfaite et rapidement, la transe m’a parcourue, tant l’émotion visuelle et l’émotion sonore se sont rencontrées en moi.

L’année prochaine, il y aura le prolongement de la ligne 11 qui vous amènera à Rosny-sous-Bois et vous n’aurez plus aucune raison de ne pas découvrir ce festival d’exception.

Isabelle Buisson,
Atelier d’écriture À la ligne

 

En savoir plus sur l’édition 2024 : lien ici
 
 

Le Conte des contes, d’Omar Porras : Flamboyant remède à la mélancolie

Dans une pénombre timburtonienne, des talons claquent exagérément, tels ceux de la maman aux pieds nus dans l’ouverture du mémorable Petit Chaperon rouge de Pommerat. Clic clac, clic clac, dans un rond de lumière, derrière un micro vintage sur pied, un MC de cabaret introduce the show ! Veste de cérémonie, maquillage expressionniste, verbe vif et langue pointue. C’est le docte docteur Basilio.

Il a été convié par la famille Carnesino à soigner la mélancolie du fils aîné Prince, grâce à sa novatrice et ancestrale thérapie : le soin par administration de contes en inoculation massive.

Il était une fois, dans un château au cœur d’une forêt… car dans les contes, il faut un château et, surtout, une forêt… Il était une fois, donc. Papa leprechaun, Maman vamp hollywoodienne, l’ado Prince abasourdi de mélancolie, la cadette, Secondine, fûtée et disgracieusement binoclarde.
Une famille Adams mâtinée République de Weimar, une brave petite famille pas plus dysfonctionnelle qu’une autre. Et même moins, puisqu’ils ont la sagesse de remettre la santé de leur esprit entre les mains des raconteurs d’histoires.

Basilio, c’est le double contemporain de Gambattista Basile, l’auteur du Cunto de li cunti dont s’inspire ici Omar Porras. Gambatttista Basile, poète du XVIIe s., féru de culture populaire napolitaine, avait collecté une cinquantaine de contes, qu’on retrouvera, quelques générations et régénérations (ou dégénérations…) plus tard, chez Grimm ou Perrault. Ou, encore plus loin, chez Disney. Comme dans ce recueil, les contes seront délivrés par les protagonistes, chacun leur tour, chacun leur ton.

Art du masque (sans masques), commedia dell’arte, grommelot, comédie musicale et death metal, blagues potaches et pyrotechnie, pas de danse, plumes d’autruche et chant lyrique, tout est joyeux, tout est instrument de jeu, tout est bon pour la médication !

Certains tableaux se révèleront plus puissants. Les Cendrillons humiliées et mauvaises au rire de mouette dans leur buanderie de cauchemar, la forêt de tulle qui s’envole sous la neige comme par magie, le duo Secondine au piano, Prince au violoncelle, qui apporte de la tendresse à cet univers gothique, un tango, aussi parodique que séduisant, accompagné par un piano nostalgique et des grésillements de 33 tours râpé, resteront en mémoire.

Les narrations des contes semblent bien étrangement sages dans la dinguerie de cette mise en scène fourmillante d’idées et de drôlerie… peut-être pour évoquer la simplicité et la douceur de ce moment du livre du soir entre parent et enfant.
Mais ces sages lectures ne sont que des respirations entre deux incarnations folles – et parfois furieuses – des contes choisis pour extraire Prince de sa mélancolie.
On reconnaît au passage, sous des habits moins policés que ceux auxquels nous sommes habitués Peau d’âne, Cendrillon, La Belle au bois dormant. Ici, les fillettes sont plus raisonnables et courageuses que les rois, elles ne craignent pas de se salir les mains, les mamans savent expliquer à leurs enfants qu’un viol est un viol – quand bien même la Belle endormie n’en a rien su, et personne ne se nourrit que de légumes, d’amour et d’eau fraîche.

Saluons la magnifique recherche esthétique : costumes et maquillages, fastueux et fantaisistes ; accessoires, poétiques et barbares, notamment les très beaux écorchés dont un bœuf rembrantesque ; impeccable création lumière aux noirs profonds et aux éclairages ciselés ; délicieuse création musicale, où le moelleux de pizzicati de violoncelle peut accompagner suavement les pires bouffonneries gore.
La troupe de comédiens-chanteurs-musiciens a du talent et de l’élégance, le sens du rythme et une précision diabolique, passant avec aisance d’un registre à l’autre.

La somptueuse cuisine, les fourneaux de fonte, casseroles de cuivre et couteaux longs comme des sabres, le fronton de carton-pâte, les tables couvertes de linge blanc et de mets sophistiqués disparaissent petit à petit. Pour faire place à des lieux tout aussi oniriques, de plus en plus abstraits, qui se dépouilleront jusqu’à la nudité du plateau de théâtre, guindes apparentes, carré de loupiotes au plafond, rideau rouge au fond et micro à l’avant-scène, consacrant le lieu en music-hall.

Dans cette fête mi-queer mi-raisin, si les princes et les princesses finissent par tomber dans les bras les uns des autres (après tout, c’est le sort que leur réserve traditionnellement les contes), les travestis sont beaux et sans ridicules, les jeunes gens embrassent serpents et bergers, la mère a des perfections et des splendeurs de drag-queen.
Le manoir familial a disparu, la famille aussi d’ailleurs, place à la fête ! Le Chaperon rouge et le loup ne font peut-être qu’un, les enfants dévorent les parents, au milieu des belles reines de Carnaval perchées sur talon de 20, Prince se sent beaucoup mieux…
Ces contes semblent sombres, mais, et c’est bien mieux, ils sont en fait sauvages, et leur sauvagerie est libératrice !, et, comme Basilio guérit Prince de sa mélancolie, ce joyeusement féroce hommage à l’art du spectacle, cette farce orchestrale et rythmique dont on savoure les outrances et le burlesque avec une jubilation enfantine, soigne les spectateurs de la leur.

À voir en famille, mais pas avant 10-12 ans, les jeunes oreilles pourraient être heurtées par quelques crudités ou cruautés, mais surtout parce que le spectacle est touffu, dense, et – on ne les sent pas passées, mais elles sont là – qu’il dure 2 heures.

Marie-Hélène Guérin

 

LE CONTE DES CONTES
Au Théâtre des Amandiers – Nanterre, 16 mai — 1 juin 2024
Un spectacle de la compagnie Teatro Malandro
Texte Giambattista Basile
Conception et mise en scène Omar Porras (Teatro Malandro)
Assistanat à la mise en scène Capucine Maillard
Avec Simon Bonvin, Melvin Coppalle, Philippe Gouin, Jeanne Pasquier, Cyril Romoli, Audrey Saad, Marie-Evane Schallenberger

Photos © Lauren Pasche

Adaptation et traduction Marco Sabbatini, Omar Porras
Scénographie Amélie Kiritzé-Topor | Composition, arrangements et direction musicale | Christophe Fossemalle | Chorégraphie Erik Othelius Pehau-Sorensen
Création Costumes Bruno Fatalot | Assistanat costumes Domitile Guinchard | Accessoires et effets spéciaux Laurent Boulanger | Maquillages et perruques
Véronique Soulier-Nguyen | Assistanat maquillages et perruques Léa Arraez | Couture et habillage Julie Raonison
Création sonore Emmanuel Nappey | Re-création lumière Mathias Roche, Omar Porras
Construction du décor Chingo Bensong, Alexandre Genoud, Christophe Reichel, Noé Stehlé
La chanson « Angel » a été composée par Philippe Gouin (Fabiana Medina / Philippe Gouin)

Production / Production déléguée
TKM Théâtre Kléber-Méleau, Renens
Co-production Théâtre de Carouge – Atelier de Genève, Châteauvallon Scène nationale
Soutiens : Canton de Vaud, Ville de Lausanne, Ville de Renens et autres communes de l’Ouest lausannois, la Loterie Romande Vaudoise, la Fondation Sandoz, la Fondation Leenaards, Pour-cent culturel Migros et de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia

Dans ton cœur : les histoires d’amour, c’est de la haute voltige !

Une rue new-yorkaise, il fait nuit, l’orage gronde et les minots dans le public flippent un peu. Une moderne chaperon rouge fait face à une avide meute de loups en jean et baskets, et les grands dans le public flippent un peu aussi. Une ouverture sombre, histoire de rappeler que la vie n’est pas parfumée qu’à l’eau de rose.
Mais la noctambule chaperon rouge ne s’en laisse pas conter, le drame s’éloigne, et la vie déboule sur le plateau avec une énergie et une fantaisie folles !

Rencontre explosive entre une compagnie circassienne virtuose, Akoreacro, et un maestro du burlesque, Pierre Guillois, qui, ici comme ailleurs (Bigre, Les Gros patinent bien…), fait naître rires et émotions avec une grande économie de mots, et une grande générosité d’imagination.
Talentueux mariage pour raconter une crépitante histoire d’amour !

« Elle » et « lui » (Manon Rouillard et Antonio Segura Lizan, artistes de voltige vifs et impressionnants, autant que la troupe de porteurs-acrobates qui les entourent) se rencontrent, se passionnent, se mettent en ménage, biberonnent, pouponnent, réaménagent, se chahutent, vont voir ailleurs s’ils y sont, se perdent, se retrouvent, bref, vivent.

La routine de leur quotidien les transforme en marionnettes d’un « théâtre noir » un peu dingue, dont les manipulateurs – tout de noir vêtus comme il se doit – sont apparents. Elle, illustre littéralement l’expression « je ne touche plus terre », tournoyant en l’air d’un ustensile ménager à l’autre, d’une main chargeant un lave-linge et de l’autre préparant le souper, tout sourire et sans interrompre son amicale conversation téléphonique. Lui, surgit porte-bébé au dos, poussant poussette et tenant cabas de courses, perché à deux mètres du sol sur les mains des porteurs, tranquille comme dans une cabine d’ascenseur.

Le couple bat de l’aile, Elle s’enflamme pour un fougueux danseur de tango, Lui pour une majestueuse Cassandra qui vit lovée dans un froufroutant boa sur une estrade flottant à 5 mètres du sol.

Des échappées belles au cœur de la frénésie laissent place à l’émotion. Soutenu par une belle contrebasse, un acrobate défie les lois de la gravité à la roue Cyr l’air de rien, comme on se grille une clope sur un balcon. Un étonnant duo aérien et amoureux entre Cassandra et Lui les envoie en l’air au sens propre tandis qu’Elle lave son linge sale en solo.

Dans un beau décor urbain en perpétuel mouvement, porté par la musique en direct d’un quatuor électrique et échevelé, Dans ton cœur, c’est du cirque musclé, où acrobaties et sentiments sont puissants. Derrière les acrobaties de haute volée, on retrouve l’univers tendre et farfelu de Pierre Guillois. Un spectacle volcanique, hilarant, spectaculaire, et poignant.
À voir en famille, à peu près à partir de 7 ans, tout le monde en prend plein les yeux et les zygomatiques, et les plus grands en prennent aussi plein le cœur.

Marie-Hélène Guérin

 

DANS TON COEUR
Un spectacle de la compagnie Akoreacro
Mise en scène Pierre Guillois
Avec Manon Rouillard, Romain Vigier, Maxime Solé, Basile Narcy, Maxime La Sala, Antonio Segura Lizan, Pedro Consciência, Tom Bruyas, Joan Ramon Graell Gabriel, Stephen Harrison, Gaël Guelat, Robin Mora, Johann Chauveau
Photographies © Richard Haughton
 

 
Oreilles extérieures : Bertrand Landhauser | Assistanat à la mise en scène : Léa de Truchis
Costumes et accessoires : Elsa Bourdin | Assistée de : Juliette Girard, Adélie Antonin
Scénographie circassienne : Jani Nuutinen / Circo Aereo | Assisté de : Alexandre De Dardel
Construction : Les Ateliers de construction, maison de la culture Bourges
Régie générale et chef monteur : Idéal Buschhoff | Lumières et régie : Manu Jarousse
Création sonore et régie son : Pierre Maheu
Production et diffusion : Jean-François Pyka
Administration générale : Vanessa Legentil

Production Association Akoreacro Coproduction Le Volcan – Scène nationale (Le Havre), maisondelaculture Bourges, CIRCa – Pôle national des arts du cirque (Auch), Agora – PNC Boulazac Aquitaine, Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux, EPCC Parc de la Villette (Paris), Fonds de dotation du Quartz (Brest), CREAC Cité Cirque de Bègles, Théâtre Firmin Gémier, La Piscine, Pôle national Cirque d’Île-de- France, L’Atelier à Spectacle (Vernouillet) Accueil en résidence CIRCa – Pôle national des arts du cirque (Auch, Gers, Midi-Pyrénées), Agora – PNC Boulazac Aquitaine, Cheptel Aleïkoum (Saint-Agil), Le Volcan – Scène nationale (Le Havre), maisondelaculture Bourges, Le Sirque – Pôle national cirque de Nexon, L’Atelier à Spectacle (Vernouillet)
La compagnie Akoreacro est conventionnée par le ministère de la Culture – DRAC Centre-Val de Loire, ainsi que par la Région Centre-Val de Loire.
Akoreacro reçoit le soutien de la DGCA (aide à la création), de la Région Centre-Val de Loire (création et investissement), de l’ADAMI et de la SPEDIDAM (aides à la création).

Näss (les gens) : des gens et de la joie. Une pièce intense et hypnotique de Fouad Boussouf

Ombre, silence et immobilité
Pénombre, murmure de cordes vibrantes, vent dans les branches, crissement du sable sur lui-même, voix humaines, et lenteur de butô

Les silhouettes des danseurs, au lointain, font face au mur de fond. Mur gris de béton ou ciel voilé d’entrées maritimes, surface qui se fera changeante au gré de la lumière, une dénudée et belle scénographie de Camille Vallat. Il y a une opacité dans cette ouverture, ces êtres si éloignés, ce mur si gris, une opacité mais aussi une attente.
Et puis ils s’animent, sur des percussions traditionnelles mutées électro. Visages concentrés, vêtus des couleurs des montagnes du Maroc, d’où est originaire le chorégraphe Fouad Boussouf, ocres jaunes, bruns, verts, les sept danseurs sont très ancrés, pieds enracinés, solides, et corps tout en élévation, tension vers le haut, plexus solaire ouvert, épaules rejetées, torse et bras cherchant le ciel ou l’accueillant. Lignes et cercles, rondes et courses. Un mouvement incessant, tel les vagues battant la rive, tel la circulation du sang dans le corps. De rares pauses, contenant dans leur fixité la continuité du mouvement. De brefs suspens, à la frontière du déséquilibre.
 

Näss, c’est « les gens », en arabe ; des hommes, ici. Ailleurs, Fouad Boussouf a composé de splendides pièces pour des femmes : Feû, ou des groupes mixtes. Mais ici, ce sont des hommes. Et de leurs corps et leurs expériences si diverses – jeunes ou moins jeunes, secs ou trapus, peaux couleur de sables ou de terres, issus du hip-hop, de la danse traditionnelle marocaine ou du cirque contemporain -, ils construisent un groupe homogène, qui a trouvé sa respiration commune, un engagement physique partagé, une même pulsation.
Näss, c’est aussi une référence au nom du groupe marocain Nass el Ghiwane, dont le son, l’énergie et la résonnance avec la parole de la jeunesse de l’époque ont inspirés Fouad Boussouf.
Alors dans sa danse comme dans la très riche création sonore se mêlent intimement la tradition de la terre natale, et l’urbain du temps et des villes d’aujourd’hui. Des spirales de soufi s’achèvent en figures acrobatiques hip-hop. Les beaux mouvements d’ensemble, enfiévrés, vibrants, où chacun est une particule d’un tout, s’ouvrent parfois pour laisser quelques électrons s’échapper, en soli véloces, ou en pas de deux batailleurs et fraternels, parfois se jouant de la mise en danger de manière spectaculaire.
 

Une rupture se fait, les instruments se taisent pour laisser la place à la seule musique des danseurs, frappes des pieds sur le sol, souffles, forçant l’attention. S’ouvre alors une partition plus nocturne, plus électro, plus violente. Car cela aussi anime les hommes, la colère, l’ombre, le goût de l’affrontement, et l’écriture généreuse et solaire de Fouad Boussouf ne laisse pas ces pulsions plus sombres, plus farouches, de côté. Pourtant ce qu’il nous raconte là, c’est que l’élan de vie est plus fort. Et la rage va se transe-former en fougue, les visages enfin s’éclairer et sourire, et les gestes cent fois répétés se reproduire encore, mais gonflés de joie – et les cœurs des spectateurs, exultants, à l’unisson. On quitte ce spectacle intense et hypnotique les muscles frémissant de musique et de danse, et l’âme réchauffée d’allégresse.

C’était la dernière à La Scala lorsque j’ai assisté à ce spectacle, créé en 2018, à guetter en tournée – celui-ci ou les autres créations de Fouad Boussouf*

Marie-Hélène Guérin

 
NÄSS
Vu à La Scala le 28 avril 2024
Un spectacle de la Compagnie Massala
Chorégraphie Fouad Boussouf
Interprètes Sami Blond, Mathieu Bord, Elie Tremblay, Yanice Djae, Loïc Elice, Justin Gouin, Maëlo Hernandez
Assistant chorégraphie Bruno Domingues Torres | Lumière Fabrice Sarcy | Costumes et scénographie Camille Vallat | Son et arrangements Roman Bestion, Fouad Boussouf, Marion Castor
Tour manager Mathieu Morelle | Régie générale/lumière Romain Perrillat-Collomb, Benoît Cherouvrier
Photos © Charlotte Audureau

* à voir :
Fêu
• MAM de Paris dans le cadre de la Nuit des musées (forme courte) 18 mai
• Théâtre d’Orléans – Scène Nationale 29 mai
• Équinoxe – Scène Nationale de Châteauroux 31 mai

Oüm
• La Manufacture – CDCN de Bordeaux 16 mai
• MAM de Paris dans le cadre de la Nuit des musées (forme courte) 18 mai

Yës
• Théâtre Jacques Carat – Cachan 4 > 5 mai
• Festival Cluny Danse 18 mai
• Collège Gérard Philipe – Villeparisis 21 mai
• Théâtre de la Ville – Paris 23 > 25 mai

Plein Phare Out #2 Spectacles en plein air 24 > 26 mai

Production Compagnie Massala
Reprise de production Le Phare – Centre chorégraphique national du Havre Normandie, direction Fouad Boussouf
Coproduction Théâtre Jean Vilar – Vitry-sur-Seine, Le Prisme – Élancourt, Institut du Monde Arabe – Tourcoing, Fontenay-en- Scènes – Fontenay-sous-Bois, Théâtre des Bergeries – Noisy-le- Sec, La Briqueterie – CDCN du Val-de-¬Marne, Le FLOW – pôle Culture Ville de Lille, Institut français de Marrakech
Soutiens : ADAMI, Conseil départemental du Val- de-Marne, Région Ile-de-France, Ville de Vitry-sur- Seine, SPEDIDAM, Institut Français de Marrakech, Ministère de la Culture, DRAC Normandie, Région Normandie, Ville du Havre, Département de Seine-Maritime, La Briqueterie – CDCN du Val-de-Marne, Le POC d’Alfortville, Centre National de la Danse
Le FLOW – pôle Culture Ville de Lille, Cirques Shems’y – Salé, Maroc, Royal Air Maroc
Théâtre des Bergeries – Noisy-le- Sec, La Briqueterie – CDCN du Val-de-Marne

La vie en vrai (avec Anne Sylvestre), un spectacle en-chanteur

Marie Fortuit, la comédienne, brune, voix grave, au grain charnu et Lucie Sansen, la musicienne, blonde, voix plus flûtée et cristalline, yin-yang assumé autant que discret, sont parfaites de délicatesse, de légèreté et de gravité pour donner à effleurer l’univers d’Anne Sylvestre. 

“Effleurer”, car en une heure, on ne peut qu’effleurer, toucher du bout du doigt, picorer parmi ces décennies de chansons et d’engagements d’Anne Sylvestre, chanteuse, militante, femme sorcière, sororale compagne d’esprit de ses auditeurices. Elles le font avec beaucoup d’intelligence, de malice et d’émotion.

 
© GuillaumeNiemetzky
 
Le spectacle s’ouvre sur un plateau habité simplement de la voix de Michèle Bernard, rendant hommage à sa consœur et amie. Les deux comparses surgissent, pour un entretien croisé hilarant, dézingueur des lieux communs du « male gaze ». Le ton est donné, complice, drôle, féministe. Mais oui, « féministe », ce n’est pas un gros mot ! « Féministe, c’est la seule étiquette que je ne voudrais pas qu’on me décolle », proclamait Anne Sylvestre. 
Marie Fortuit rappelle avec Audre Lordre que « la colère est nécessaire », pour ne pas admettre les violences imposées aux femmes par un patriarcat bien assis (et rassis) pendant la longue carrière la chanteuse, pour avoir le cran d’être libre, tête haute et âme claire. La colère d’Anne Sylvestre est sans amertume, colère de joyeuse rébellion. 
Mots et mélodies d’Anne Sylvestre s’enchevêtrent à la vie de Marie : elle en compose une balade pleine de charme(s) entre confidences intimes, questionnements sociologiques, et chansons, interprétées d’une belle voix ample, sur les orchestrations savoureuses de Lucie.

Merci pour la tendresse, chantait Anne Sylvestre.
“Merci pour la tendresse”, a-t-on envie d’adresser à Marie Fortuit et Lucie Sansen, pour ce gracieux moment de théâtre et de vie, délicat et profond, chaleureux, puissant et poétique.




Marie-Hélène Guérin

 

© Esmeralda Da Costa
 

LA VIE EN VRAI (AVEC ANNE SYLVESTRE)
Au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, salle Christian Bérard, jusqu’au 5 mai 2024
Conception Marie Fortuit • Arrangements musicaux Lucie Sansen
Collaboration artistique Agathe Charnet et Mélanie Charreton • Scénographie Louise Sari • Création lumière et régie générale Thomas Cottereau • Régie son Jules Tremoy
Administration et diffusion Olivier Talpaert – En votre compagnie
Presse Delphine Menjaud / collectif overjoyed
Photos © Guillaume Niemetzky
et Esmeralda Da Costa

Ce spectacle s’inscrit dans la saison Jeune Création de la Salle Christian-Bérard, en partenariat avec Prémisses.

Production : Les Louves à Minuit
Co-production : CDN de Besançon
Soutiens : Le Phénix – scène nationale de Valenciennes – pôle européen de création, Comédie de Béthune – Centre dramatique national, Les Plateaux Sauvages (Paris), Théâtre de l’Atelier (Paris).

Le Cercle de l’Athénée et des Bouffes du Nord et sa Fondation soutiennent la saison Jeune Création 23-24 du Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet.

À la ligne, un seul-en-scène puissant et sensible à la Huchette

Y’a de la joie à la Huchette !
La chanson revient comme un mantra et s’impose comme une évidence.
C’est l’histoire vraie* de Joseph, ouvrier intérimaire.
Malgré des études de Lettres brillantes, Joseph se retrouve sur la ligne de production d’un abattoir breton. Un boulot inattendu ! Mais bon, « l’usine c’est pour les sous » .
Alors, va pour l’inattendu ! Suivons la ligne. Suivons Joseph !
Mais suivre Joseph dans son quotidien, c’est comprendre que la ligne, même implacablement droite, n’est pas le chemin le plus court entre l’homme et son accomplissement. Suivre Joseph, c’est entrer « en usine » comme d’autres entrent en religion. C’est croiser des collègues hauts en couleurs, des chefaillons bas de plafond, des odeurs putrides, des sons à vous crever les tympans. C’est s’exposer à la souffrance des corps, celle des hommes épuisés, celle de bêtes suppliciées. C’est se demander chaque jour pourquoi on le fait et chaque jour y retourner sinon, ça manque ! Suivre Joseph dans son quotidien, c’est écrire tout ça, cette expérience, cet épuisant foisonnement de vie et de mort mêlées ! Écrire pour témoigner, parce que c’est nécessaire, jusqu’à ce que la fatigue, l’inhumaine fatigue vienne à bout de cette nécessité. Parce que l’Usine, ça épuise tout. Tout, sauf la dignité, le partage, la solidarité… les rêves ! Tout sauf la joie. L’indicible, l’incompréhensible joie. La joie comme tuteur devant les vicissitudes de la vie ouvrière. La joie qui tient debout.
Au centre du plateau, le guitariste Tonio Matias accompagne et ponctue le récit de rythmes, de notes, de chants. Double musical de Joseph, frère de labeur. Compagnon précieux pour route sinueuse.
Autour de lui, sur tous les fronts, d’une humanité rayonnante et combative, Grégoire Bourbier incarne Joseph. Une performance puissante et digne, sensible et engagée. Il frappe fort et juste. Bravo ! La mise en scène de J-P Daguerre est au cordeau ! Millimétrée, précise, empathique.
C’est sûr, Y’a de la joie à la Huchette !

CLDDM

*(Joseph Ponthus, décédé prématurément en 2021, a publié « A la ligne », roman autobiographique, en 2019).

À LA LIGNE
Au Théâtre de La Huchette, du mardi au samedi à 21h jusqu’au 26 juin 2024
De Joseph Ponthus
Adaptation Xavier Berlioz, Grégoire Bourbier, Frédéric Warringuez
Avec Grégoire Bourbier, accompagnement musical Tonio Matias ou Valerio Zaina
Musiques et arrangements : Tonio Matias
Mise en scène : Jean-Philippe Daguerre
Lumière : Moïse Hill
Régie : Yves Thuillier
Durée : 1h05

Clôture de l’amour, manifeste théâtral

Ce soir-là, au Théâtre 14, est une soirée particulière. Nous assistons à la 200e représentation d’une pièce référence du théâtre contemporain français, la plus grande œuvre de Pascal Rambert, l’auteur français le plus joué et le plus représenté au monde. Depuis 2011 et sa création triomphale au festival d’Avignon, Audrey Bonnet et Stanislas Nordey interprètent le double monologue Clôture de l’amour. D’autres l’ont fait après eux, dans d’autres mises en scène, dans d’autres langues. Mais Audrey Bonnet et Stanislas Nordey restent les maîtres de ce texte, écrit pour eux, et dont les personnages portent leurs prénoms.
C’est l’histoire d’une rupture, d’un couple qui se sépare. Point. L’histoire est aussi simple que cela. Et il n’y aura pas de rebondissements, pas de péripéties. Pas d’intrigue. C’est un texte avant tout et un spectacle sur la langue. La langue qui claque, la langue projetée, la langue débitée. Les mots de Pascal Rambert qui résonnent, que l’on entend loin, très loin. Le déversement du verbe, un tsunami verbal qui nous ébranle, comme l’auteur sait nous le proposer. Les flots qui sortent de la bouche de ses interprètes, à gros remous, emportant tout sur leur passage, laissant les comédiens vidés et les spectateurs chahutés, bouleversés. Lorsque la lumière s’éteint puis se rallume pour les saluts, on observe le plateau hébété, comme ces images du journal télévisé après une inondation. Sidération. Tout a été chamboulé, lavé, remué par la force et la brutalité du courant.


 
Clôture de l’amour est composée de deux parties, deux monologues et un choc. D’une brutalité et d’une violence inouïe. Carambolage. L’homme s’élance immédiatement, sans attendre. Il annonce que c’est fini. Catégoriquement. Sans conditions. Sans négociation. Unilatéralement. Il met tout à terre. Il coupe net. La femme est là. Elle reçoit. Encaisse. Parfois, l’émotion la submerge. Le vase déborde mais elle attend. Elle attend que l’homme termine, qu’il vide sa cartouche. Elle entend tout. Retient tout. Elle prépare déjà sa réponse. Puis, elle répond. Contre-attaque. C’est le début de la joute. D’une intensité inouïe. D’une précision et d’une clarté absolues. Elle vise dans le mille à chaque fois, à chaque mot. Elle déploie ici son ultime geste face à celui qui a tout détruit, qui est allé trop loin. Elle place et dit la vérité.
Il n’y a plus d’amour. Ou plutôt si. Il y a tant d’amour. Trop d’amour. Chaque mot, chaque coup, chaque geste, chaque larme, chaque respiration transpire l’amour. Mais le coup est parti et rien ne peut l’arrêter. Il faut avancer et tout détruire, saccager, piétiner ce qu’il reste. Le désastre. Désolant.
Audrey Bonnet et Stanislas Nordey sont spectaculaires. Au présent constamment sur le plateau, droit dans leurs adresses mutuelles, d’une rectitude phénoménale, ils se sont totalement emparés du texte et des mots de Pascal Rambert. Il n’y a plus de Pascal Rambert. Il y a Audrey et Stan. C’est tout. La guerre est déclarée. L’affrontement inéluctable.

Clôture de l’amour est une formidable pièce sur le théâtre, sur le travail de l’acteur au plateau dans une intense dialectique avec son partenaire. C’est Audrey qui le formule. Elle énonce la définition du théâtre, la plus simple, la plus vraie qui soit. Une personne s’avance et parle. Une autre entre et elle n’est pas d’accord. C’est là que commence le travail. Ce sont des acteurs qui travaillent pendant près de deux heures.
Un texte fondamental pour comprendre le théâtre et plonger si profondément dans la pensée, dans l’âme, dans ce que l’être humain peut ressentir de plus central, de plus essentiel. Clôture de l’amour est un manifeste.

Alban Wal de Tarlé

 

CLÔTURE DE L’AMOUR
Au Théâtre 14 jusqu’au 4 mai
Texte, conception, réalisation Pascal Rambert
Avec Audrey Bonnet et Stanislas Nordey

Parures La Bourette
Musique arrangement Alexandre Meyer de la chanson Happe (Alain Bashung – Jean Fauque), avec l’aimable autorisation des éditions Barclay/Universal©. Le chœur est interprété par la chorale de la Cité Scolaire François Villon, Paris 14ème, sous la direction d’Amaury Pierre et de Rebecca Meyer.
Lumières Pascal Rambert et Jean-François Besnard
Régie générale Félix Löhmann | Régie lumière Olivier Bourguignon
Direction de production Pauline Roussille | Coordination de production Sabine Aznar
Production déléguée Structure Production
Coproduction Festival d’Avignon, Théâtre du Nord – CDN Lille Tourcoing
Le texte de Clôture de l’amour est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs.

Le Chat sur la photo : du théâtre-magie pour minots malins qui n’ont peur de rien

C’était la dernière à Paris lorsque j’ai assisté à la représentation, alors pas moyen de se précipiter sur le site du Lavoir Moderne Parisien pour réserver une chouette sortie avec vos bambins. Mais à noter dans un coin de sa tête, à voir en tournée ou à l’occasion d’une reprise…

Dans la chaleureuse salle du Lavoir Moderne Parisien, on rajoute des coussins devant le premier rang pour accueillir tous les minots. Pas de vidéo, de tulle ou de châssis : sans fioritures, de plain-pied au centre d’un espace carré, une maison de bois, entre maquette, boîte à surprise et maison de poupée, grande comme un enfant, trône. C’est l’astucieux décor d’un spectacle gai et coloré, qui s’adresse aux petits (à partir de 4 ans) sans les prendre pour des bébés.

Cela fait dix jours qu’Anya, quatre ans et demi, attend que son chat revienne à la maison. Dix jours aussi que les objets se disparaissent un par un : sa lampe girafe, les chemises de papa, et maintenant la photo du chat. Qu’arrive-t-il à tous ces objets familiers ? Jusqu’où ces « désapparitions » vont-elles aller ?
Un peu inquiète mais intrépide, Anya va mener l’enquête. Accompagnée de son doudou Froussard, elle affrontera ses peurs avec fantaisie et courage ! « Divorçation » des parents ? Invasion de sorciers noctambules ? Fantômes dans le grenier ? Ouf, derrière toutes ces inquiétudes et ces mystères, une réponse lumineuse attend Anya, invitation joyeuse à accepter le changement, et à aller vagabonder sur les chemins de la curiosité et de la découverte !

Marie-Camille Le Baccon, toute jeune comédienne passée par l’ESCA d’Asnières, joue Anya avec une fraîcheur et une spontanéité irrésistibles, sans minauderie ni bêtification. Guillaume Riant fait un doudou bonhomme à souhait, et amuse beaucoup aussi dans quelques rôles annexes.

Ce « Chat sur la photo » aborde les anxiétés des enfants sans ambages, mais avec finesse et légèreté, et rappelle pertinemment aux adultes qu’il vaut généralement mieux parler aux enfants plutôt que de laisser leur imagination fertile partir en quête de réponses…
Avec un texte très malicieux, une mise en scène ludique parsemée d’astuces de magie – qui surprennent les plus grands et émerveillent les plus petits – et un incroyable travail sur le son, la Compagnie de Louise a inventé là un bien joli spectacle mi-polar mi-parcours initiatique, fûté, intelligent et drôle.
Voilà de quoi donner envie de suivre le travail de cette compagnie, et la programmation du Lavoir Moderne Parisien !

Marie-Hélène Guérin

 

LE CHAT SUR LA PHOTO
Un spectacle de la Compagnie de Louise
Vu en avril 2024 au Lavoir Moderne Parisien
Texte : Antonio Carmona
Mise en scène : Odile Grosset-Grange
Avec Marie-Camille Le Baccon ; Guillaume Riant
Magie : Père Alex
Scénographie : Cerise Guyon
Photographies © C. Raynaud de Lage

Production : Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN
Coproduction : La Compagnie de Louise ; Théâtre de la Coupe d’Or – Rochefort