An Irish Story : humour et cup of tea contre vents et marées !
La petite salle de la Scala abrite dans son cocon un bien joli seule-en-scène.
Une petite estrade, un pouf moumoute, une pile de livres, et en guise de mur de fond une frise de photos de famille : dans un décor tout simple et accueillant, Kelly Ruisseau, pseudonyme modeste de l’autrice/interprète/personnage, nous embarque dans la quête de ses origines.
Dans la légende familiale maternelle plane l’ombre du grand-père, Peter O’Farrel, né dans les années 30 en Irlande du Sud, parti s’installer en Angleterre dans les années 50 et qui disparaît dans les années 70.
Puisque personne n’en disait rien, Kelly ado en faisait un grand-père palimpseste, sur l’absence duquel elle dessinait des existences toujours plus romanesques, et s’en accommodait bien.
Mais on grandit, et les mystères, ça commence à bien faire ! Kelly Ruisseau va devenir mère, et puisqu’elle ajoute une branche à l’arbre généalogique, veut retrouver le chemin vers ses racines, pour se délier du poids du silence.
Pas moyen d’y parvenir en ligne droite et en prise directe puisque sa mère semble avoir posé un tabou inaltérable sur le sujet, alors on va louvoyer, et tel le saumon, remonter la rivière à contre-courant vers l’origine. Kelly la Parisienne embarque son frangin à Londres puisqu’on sait que le grand-père y célébra son mariage après-guerre, que leur mère y naquit (trois mois après le mariage, est-ce bien catholique ?) et qu’y vit toujours la grand-mère. Et si la grand-mère n’est pas plus loquace que la mère, on ira jusqu’en Irlande, s’il le faut (il le faudra) !
L’interprète seule-en-scène incarne avec agilité le ban et l’arrière-ban familial, de Kelly la Parisienne aux grands-tantes restées dans la bourgade d’origine, en passant par l’employée des archives londonienne et le charmeur joueur de fiddle du fin fond du pub irlandais. Bilingue, et comédienne souple et alerte, elle fait remonter la langue anglaise et l’accent irlandais au fil des générations, les « r » roulant délicieusement dans l’anglais de moins en moins britannique plus on se rapproche de la source gaélique de la famille. C’est un vrai feu follet, elle est joueuse, bondissante, se métamorphose en un éclair, chacun de ses personnages prend vie et sens en un changement de posture, de timbre et de lueur dans l’œil.
Le trajet de Peter O’Farrel témoigne de la dureté de la société, et du temps où il vivait – où un pas de travers pouvait mettre au ban de la communauté, où l’Irlandais était pour Sa Majesty la Queen un sujet de moindre valeur qu’on pouvait déplacer au gré des besoins britanniques. Et se fait le porte-parole de tous les exils, de toutes les familles dé-racinées de notre siècle, poussées hors de leur sillon par les nécessités politiques ou économiques. Mais si Kelly Rivière et/ou Ruisseau ne passe pas cet aspect sous silence, on navigue avec beaucoup d’allant et de fraîcheur dans sa généalogie : humour and cups of tea contre vents et marées !
C’est à une quête/enquête pleine de rebondissement et de gaieté qu’elle nous convie, où les tabous de ce côté-ci de la Manche ne sont qu’une « irish story » vus de l’autre côté et où le secret le plus important qui sera révélé ne sera pas celui (attention, divulgâchage !) d’une disparition, mais celui d’un amour.
Cette histoire irlandaise touche et enjoue le public depuis sa création, bonbon acidulé et tendre dont il fait bon se régaler !
Marie-Hélène Guérin
AN IRISH STORY
Un spectacle de la Compagnie Innisfree
A la Scala-Paris jusqu’au 23 juin 2025
Texte, mise en scène et jeu Kelly Rivière
Collaboration artistique Jalie Barcilon, David Jungman, Suzanne Marrot, Sarah Siré
Scénographie Grégoire Faucheux et Anne Vaglio | Costume Elizabeth Cerqueira | Collaboration artistique à la lumière Anne Vaglio | Régie Générale Frédéric Evrard en alternance avec Agathe Patonnier | Administration et production Agnès Carré
Photos David Jungman
Production Compagnie Innisfree
Soutiens : SPEDIDAM, Fonds de soutien AFC Avignon Off, Fondation E.C.Art-POMARET, Festival Off Avignon IF, Maison Maria Casarès, Château de Monthelon, Studio Thor de Bruxelles, Samovar à Bagnolet, Théâtre de la Girandole à Montreuil, Groupe Leader Intérim, Théâtre de Belleville