Lost in Stockholm : des vivants et des morts, comédie métaphysique

Derrière le rideau de fil blanc qui sépare le rationnel de l’irrationnel, on distingue quelques stèles disséminées du « cimetière boisé de Stockholm »
Un groupe de touristes avance cahin-caha comme les aveugles de Bruegel, en file cahotante et la main sur l’épaule du prédécesseur : six Français anxieux, yeux bandés dans le Skogskyrkogården, le-dit « cimetière boisé », cornaqués par deux grands et toniques travel planners. Un chagrin d’amour, le deuil d’un jeune frère, une thérapie de couple, plusieurs crises existentielles et autres dépendances aux psychotropes, à sa môman ou au déni de réalité… : on n’a pas lu le catalogue promotionnel de l’agence de voyage Sverige Creative Travel, mais le public cible semble avoir bien besoin de changer d’air ! Alors, quoi de mieux pour retrouver le sens de la vie qu’une bonne expérience scandinave mêlant nature, culture, fromage en tube, épreuves physiques et saine camaraderie de nuit dans un cimetière boisé ?
 

 

« Au début j’ai trouvé que c’était gai et ludique, ce colin-maillard, que ça nous ramenait à cette part d’enfance qu’on enfouit trop vite » dit Antoine de Lavalette, perdu à Stockholm

Tatiania Breidi et Paul Desveaux, les codirecteurs du Studio | ESCA s’attachent à « inscrire le Studio | ESCA au centre de la fabrication d’un théâtre contemporain, non seulement en confiant l’écriture d’une pièce à un.e auteur.rice confirmé.e, mais aussi en choisissant des sujets qui pourraient questionner notre temps ». Les jeunes interprètes sont ainsi plongés au cœur de l’élaboration d’un texte.
Après Samuel Gallet (En répétition – Expérience #1 de Samuel Gallet a été publié le 18 janvier 2024 aux Éditions Espace 34.) et Pauline Sales, c’est Fabrice Melquiot qui rencontre les apprenti.e.s et la comédienne Anne Le Guernec. Trois jours de dialogues et de travail. De leurs confessions, photos, anecdotes et envies partagées, l’auteur nourrira une farce métaphysique, métaphore légèrement dépressive et très drôle de la société française actuelle.

 

 
Le duo de travel planners suédois se tient droit, articule net et pense pragmatique ; les Français se chamaillent, trébuchent, se relèvent, re-trébuchent et se plaignent de tout ; les fossoyeurs, jumeaux vampires élégants, mélancoliques et quantiques, creusent des tombes, philosophent, oublient ou se souviennent.
Jumeaux quoi ? ah, oui, hum, je n’avais pas précisé : nous sommes dans le cimetière boisé de Stockholm, y résident évidemment quelques vampires et les pullulantes mouches noires typiques de la région.
Les vivants et les ni vivants ni morts se croisent et se télescopent sur les chemins initiatiques de ce lieu des morts, les uns comme les autres à la recherche de la source de leur vitalité.

Les Français égarés dans leurs tourments psychologiques en quête de mieux-être se sont remis entre les mains vigoureuses des tour operators de l’agence Sverige Creative Travel.
Chacun perdu dans son trouble émotionnel ou psychologique, ils tâtonnent de l’esprit et du cœur comme ils tâtonnaient plus tôt yeux bandés pour trouver où poser leurs pas. Les 2 heures de la pièce (qui passent bien vite !) leur laisseront le temps d’avancer sur leur chemin, et entrevoir ou construire des issues possibles. Les Suédois, eux, savent d’où ils viennent, ce qu’ils veulent et comment l’obtenir… Déambulation erratique contre pas de charge. On verra bien qui atteindra son but !
 

« C’est quand même dommage qu’on ne puisse pas être heureux », dit Emile Louis, qui vit mal son patronyme

Dans ce conte contemporain, on goûte l’écriture qu’on aime de Melquiot, son prosaïsme et sa poésie, si habile à restituer la trivialité comme à instiller du lyrisme, et on apprécie qu’elle aille ici musarder plus franchement sur les rives de la comédie qu’à l’accoutumée.
Le langage est quasiment un sujet en soi de cette pièce dont on savoure le malin et réjouissant travail sur l’oralité. Chaque groupe a son propre registre linguistique, permettant d’astucieux jeux de contraste : la langue quotidienne, familière, très spontanée, des Français, chacun dans son style ; le français des tour operators délicieusement déformé de barbarismes et d’approximatives traductions littérales; les échanges sophistiqués et aériens des fossoyeurs vampires, clowns blancs qui citent comme si de rien n’était Einstein et Thoreau, dissertant sur la relativité de l’espace-temps et l’opposition (ou non) de penser versus agir, et s’interrogeant sur la condition humaine et le menu de ce soir.
Au commencement était le verbe, et l’on rit et philosophe de bon cœur dans cet étrange et bavard espace game aux protagonistes farfelus. Mais le corps a la part belle aussi, et la mise en scène de Paul Desveaux est alerte et physique, tout en mouvements, chutes, courses, enlacements et frictions, sac et ressac du groupe s’atomisant ou se ressoudant au gré des épreuves. Il a aussi accordé à ses interprètes (et son public) quelques parenthèses joliment chorégraphiées par Jean-Marc Hoolbecq, rafraîchissantes comme une page blanche entre deux chapitres ou une lamelle de gingembre entre deux sushis.
Les comédiens sont encore en apprentissage – à l’exception d’Anne Le Guernec, qui incarne la suédoise Agneta et a étoffé la troupe de son expérience : l’épreuve du plateau fera bientôt gagner en liberté de jeu à certains qui sont encore un peu appliqués, mais on reçoit avec délectation le talent de cette troupe issue de la formidable pépinière qu’est l’ESCA. Coup de cœur personnel pour les interprètes d’Emile Louis, Antoine et Lola, mais toute l’équipe est fantastique, on aime la plasticité de leur jeu, leur rigueur mais aussi la générosité de leur engagement physique, la justesse de leur incarnation et le plaisir qu’ils ont à habiter leurs personnages et la scène.
Au-delà d’un travail d’école, et du régal de découvrir ses interprètes plus que prometteurs, c’est un vrai spectacle abouti auquel on assiste, une comédie métaphysique, jouissive, décalée et stimulante, à voir aussi avec des adolescents, qui apprécieront la drôlerie et le rythme du spectacle, autant que la fougue et la jeunesse des interprètes.

Marie-Hélène Guérin

 

LOST IN STOCKHOLM
de Fabrice Melquiot
Mise en scène Paul Desveaux
Avec Johmereena Baro : Jade Mathurin, Valentin Campagne : Hugo al-Charif, Maïa Laiter : Eve Robinson, Anne Le Guernec : Agneta Johnasson, Omar Mounir Alaoui en alternance avec Ilan Benattar : Fouad al-Charif, Côme Paillard : Antoine de Lavalette, Maéva Pinto Lopes : Lola Bacha-Martins, Rosa Pradinas : Mona Pirelli, Simon Rodrigues Pereira : Ingemund Johnasson, Alexis Ruotolo : Emile Louis

Assistanat à la mise en scène Lucie Baumann, scénographie Paul Desveaux, chorégraphie Jean-Marc Hoolbecq, lumières Laurent Schneegans, costumes Philippine Lefèvre, musique Emmanuel Derlon, construction de décors Les Ateliers du Spectacle, régie Emmanuel Derlon, presse Elektronlibre / Olivier Saksik accompagné de Sophie Alavi et Mathilde Desrousseaux
Photos répétitions (noir & blanc) Paul Desveaux / Photos Laurent Schneegans

Sans tambour : Être drôle n’empêche pas d’être triste. Et réciproquement. Un réjouissant désastre !

Samuel Achache poursuit avec Florent Hubert, déjà complice sur Le Crocodile trompeur – libre adaptation de Didon et Enée d’Henry Purcell, salué d’un Molière du Spectacle musical en 2014, son exploration des liens entre théâtre et musique.
Un piano resté suspendu au-dessus d’un plancher absent, des chaises de velours rouge, une bâche de chantier, une maison dont on ne sait encore si elle est en construction ou en destruction : le beau décor fracassé de Lisa Navarro invente d’emblée un espace de jeu poétique et chaotique.
Dans cette apocalypse encore tranquille, Léo-Antonin Lutinier, en chef d’orchestre échevelé, dégingandé et lunaire, lance avec emphase un 45-tours, qui sera interprété, grésillements, rayures et ralentis inclus, par un petit ensemble instrumental hétéroclite aux couleurs chaudes (flûte traversière alto, clarinette basse, violoncelle, saxophone, accordéon) : le prologue, bref et rieur, sème les premiers grains de folie.

© Jean-Louis Fernandez

Des coups de marteau, comme les trois coups du lever de rideau au théâtre : les cloisons de placo de la cuisine s’effondrent, dévoilant tuyauteries, gravats, mises au point, corps à corps et ruptures. La femme qui fut amoureuse passionnée dit : « partir à l’aventure », il répond : « payer le Renault Scénic », elle aurait aimé entendre : « partir à l’aventure en Renault Scénic », car elle aurait aimé encore l’aimer. Mais, malgré le combat acharné que mène l’homme, gants de vaisselle et arguments aux poings, les verres sales et les reproches s’entassent dans l’évier, et l’heure n’est plus au rafistolage : Sans tambour procède avec jubilation à la démolition de la maison et du couple.
Eve Risser traduit au piano préparé les angoisses de l’homme, Léo-Antonin Lutinier, comédien au chant encore plus émouvant de sa fragilité, se fait clown blanc mélancolique et farfelu : la musique et le théâtre sans cesse s’entremêlent, finissent par ne faire plus qu’un – diction rythmique ou chant déclamé, parole redoublée ou poursuivie par le chant clair de la soprano Agathe Peyrat, lieder en parenthèses gracieuses ou créations contemporaines en contrepoint de l’action. Les interprètes – au jeu, au chant, aux instruments – sont tous également fins, justes, précis.

© Christophe Raynaud de Lage

Les lieder de Schumann fendent l’âme et Tristan et Yseult nous rappellent que les philtres d’amour sont des poisons. Mais ici, on fait du laid le beau, on déguise le pathétique en burlesque et « si le monde ne tourne pas rond, on va en changer le sens ». Dans un étrange institut, on combat la maladie du désir – en comblant le manque par des éboulis – de murs, de chansons d’amour… L’homme quitté, Lionel Dray, « raté magnifique », massue à l’épaule, finit par se tenir en équilibre précaire sur les montants du guéridon qu’il a méticuleusement détruit ; un autre romantique désolé plonge dans un piano empli de ses propres larmes pour y noyer son chagrin et le forcer à remonter vers le lobe frontal (où on devrait mieux savoir quoi en faire qu’en le laissant se prélasser dans les méandres du cœur)…
Être drôle n’empêche pas d’être triste. Être triste n’empêche pas d’être drôle. Et être drôle et triste n’empêche pas d’être beau.
C’est la magie de ce délicieux spectacle inattendu, incroyablement maîtrisé et parfaitement déglingué, poignant et joyeux, où des ruines finit par naître l’apaisement, où entre les gravats il y a place pour la rêverie, où sur la maison désossée peut enfin se lever une lumière pleine de douceur et riche d’attente. On en sort étonnamment réjouis et ensoleillés.

Marie-Hélène Guérin

 

SANS TAMBOUR
Au Théâtre des Bouffes du Nord du 25 février au 9 mars 2025
Mise en scène Samuel Achache
Direction musicale Florent Hubert
Arrangements collectifs à partir de lieder de Schumann tirés de : Liederkreis op.39, Frauenliebe und Leben op.42, Myrthen op. 25, Dichterliebe op.48, Liederkreis op.24
Compositions d’Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser
De et avec Gulrim Choï, Lionel Dray, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Sébastien Innocenti, Sarah Le Picard, Léo-Antonin Lutinier, Agathe Peyrat, Eve Risser
Scénographie Lisa Navarro | Costumes Pauline Kieffer | Lumières César Godefroy | Collaboration à la dramaturgie Sarah Le Picard, Lucile Rose | Assistante costumes et accessoires Eloïse Simonis

Punk.e.s à La Scala : bonbon acidulé

temps de lecture 6 mn

1976, « Le futur est tellement noir qu’il a disparu »

Leurs chemins vont bientôt se croiser dans les rues des nuits londoniennes. Le quatuor est éclectique, elles ont entre 14 et 21 ans, nées fin des années 50 début des années 70. Une brune lesbienne de Newcastle virée de la maison pour cause d’allergie paternelle à ses préférences affectives : Tessa Pollit (Kim Verschueren) ; une Espagnole militante antifranquiste qui a fait de la tôle : Paloma dite Palmolive (Salomé Dienis Meulien) ; une petite ouvrière débarquée d’Australie qui garde ses jobs deux jours – Viv Albertine (Camille Timmerman) ; une ado nourrie aux bonnes manières et à la contre-culture par sa maman Nora, fille de magnat de la presse allemande et future épouse de Johhny Rotten : Ari Up (Charlotte Avias). Quatre gamines (trop) vite grandies. Quatre indociles.

C’est Nora Forster, maman d’Ari Up et bientôt manager du groupe The Slits, qui sera la narratrice de l’aventure du quatuor, portée avec humour par Rachel Arditi, irrésistible en perruque et accent berlinois.

Elles veulent devenir Patti Smith, et n’ont plus ou moins jamais tenu un instrument. Ari Up et Palmolive fondent les Slits, bientôt rejointes par Tessa, Viv puis Budgie, futur batteur des Siouxie ans the Banshees. Les silex de leurs individualités se frottent et mettent le feu aux poudres. Elles se lancent dans la musique comme si leur vie en dépendait. Elles jouent vite et fort. Elles ne sont pas devenues Patti Smith, elles font du punk et vivent comme elles l’entendent. Dans cette Angleterre thatchérienne appauvrie et corsetée, elles jettent leur rage, leur insolence et leur fureur sur scène.
Leurs arguments rhétoriques favoris : tirer à la carabine (PalmOlive) ou s’immoler par le feu (Ari Up). Elles bosseront leurs instruments et affineront peu à peu leur pensée politique sous l’influence de Nora et de leurs « grands frères » des Sex Pistols ou des Clashs. Elles ne se revendiquent pas féministes, même pas « groupe de filles » (« – on est un groupe. » « – de filles » « – non, un groupe ») mais se vivent féministes, féroce liberté, sororité joyeuse et combative et pied de nez au patriarcat. Ça ne suffira pas à les inscrire durablement dans l’imaginaire collectif, mais les amateurs eux se souviennent qu’elles furent parmi les premières femmes à jouer du punk. Et qu’elles furent – car elles l’avaient vu venir avec ses gros sabots, leur producteur, qui voulait jouer à la poupée avec elle, leur choisir leurs tenues, leurs noms, leur répertoire… – le premier groupe au monde à obtenir le contrôle total de leur image auprès de leur maison de disque.

Ce sont les personnalités des membres du groupe qui font la matière de PUNK•E•S, plus que leur musique. Rachel Arditi et Justine Heynemann s’attachent à elles et leurs compères (tous interprétés avec justesse et fantaisie par James Borniche), font un portrait vivace et tonique de cette bande, sans passer sous silence leurs parts d’ombres et les heurts de la vie, mais sans s’y appesantir.
On les quitte adultes, car après le no future, il y a un futur… des enfants, la maladie, d’autres pays, de la musique encore, de la danse, de l’écriture, d’autres façons de continuer à vivre sa vie de femme et d’artiste.

Les six interprètes, tou.te.s fantastiques, jouent rôles et musique avec une belle énergie, et presque trop de technique pour cette musique un peu cracra que fut le punk. Où sont passés les morceaux des Slits, on ne sait pas trop, hormis leur titre le plus emblématique Typical Girl – qui moquait le mythe de « la fille standard« ; mais on se réjouira d’un plaisir spontané d’entendre de bien bonnes reprises de standards de l’époque (playlist aux petits oignons croisant Clash, Sex Pistols, Iggy Pop et chanson anarcho-républicaine espagnole…), exécutées avec une jubilation communicative.
La mise en scène et l’écriture sont rythmiques et pétillantes, coup de chapeau aux maquillages et perruques très seventies, et aux costumes délicieusement insolents.

Dans une scénographie joliment indus’ et graphique, faite d’échafaudages où des néons claquant couleurs primaires, précisent, comme tracés à main levée, un mât de bateau, une échelle, une alcôve, où neige de papier et nuages de bulles glissent un souffle de poésie, PUNK•E•S, bonbon acidulé aussi tendre que piquant, dresse en creux un tableau de l’époque, et surtout rend un enthousiasmant hommage à la soif de vivre, à la folle énergie et l’humour de ces enfants punkes. C’est jouissif, ragaillardissant, et salué d’une ovation debout tous les soirs par des spectateurs électrisés.

Marie-Hélène Guérin

 

PUNK•E•S
Ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres

À La Scala – Paris du 26 février au 30 mars 2025
De Rachel Arditi et Justine Heynemann
Mise en scène Justine Heynemann
Avec Rachel Arditi, Charlotte Avias, James Borniche, Salomé Diénis Meulien, Camille Timmerman et Kim Verschueren
Photos © Arnaud Dufau

Assistantes à la mise en scène Stéphanie Froeliger et Marine Torre
Scénographie Marie Hervé | Compositeur Julien Carton  | Lumières Héléna Castelli | Chorégraphe Alexandra Trovato | Régie son Soizic Tietto | Costumes Camille Aït-Allouache | Perruques et maquillage Julie Poulain | Régie générale Fouad Souaker

Production : Soy Création et ZD Production
Co-production ville de St Quentin, Théâtre de St Maur et scène nationale de Chalon-sur Saône.
Soutiens : Fonds théâtre SACD, Région Île-de-France, ADAMI

R.O.B.I.N. : la justice sociale comme Zone à défendre

Au Théâtre Paris Villette dont la programmation jeunesse est toujours passionnante, on voit en ce moment une transposition actuelle très réussie de l’histoire de Robin des bois.

Sur tout le fond de scène, un pan de forêt emprisonné derrière des barreaux. Planté devant, un petit panneau nous prévient : « Histoire triste ». Bientôt enlevé par une main énergique. Il n’est pas l’heure de se laisser abattre.

Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz ont installé le jeune Robin et sa sœur Christabelle dans une ville d’aujourd’hui avec des rues des commerces un hôpital vaille-que-vaille des écoles couci-couça une forêt-mais-où-on-n’a-pas-le-droit-d’aller. Les parents s’étaient rencontrés à la fête de la brioche, un jour d’été où l’air était « doux comme un agneau ». Maman travaille à réparer des trucs et des machins, des mobylettes et des grille-pains, des fers à souder et des robots ménagers, et Papa est employé aux espaces verts de la ville. Ils répondent au bucolique nom de Desbois, et lorsqu’il fallut déclarer leur premier enfant, un discret air de rébellion leur souffla à l’oreille le joli prénom de Robin. Puis pour la cadette le poétique Christabelle, ce qui a un certain panache, n’est-ce-pas.
La cité est régie par Guy de Guibourne, bigboss bétonneur, engrangeur de dîmes et gabelles, grand interdiseur de tout : d’aller dans la forêt, d’écouter la chanson fétiche des Desbois « Quand le vent se lève » – de Johnny L’Ecarlate – (qui cousinerait gentiment avec L’Estaca de Lluis Llach ?), de courir en descente, de courir tout court, et de bien trop d’autres choses encore.

Ça ne va pas si mal chez les Desbois. Malgré les factures de tout trop cher on s’aime et on s’amuse, on apprend à tirer à l’arc et on chante en catimini « Quand le vent se lève » de Johnny L’Ecarlate. Ça ne va pas si mal, ça va bien même.

Jusqu’au jour où la rejetonne Guibourne humilie Robin devant tous les copains d’école en lui lançant « pauvre nul de sale pauvre ». Claque morale qui révèle à Robin le concret de la violence de la domination de classe.
Jusqu’au lendemain où le papa Guibourne décide de lancer la ville dans un « projet fédérateur » destiné fort populistement à souder la population autour de la perspective du bonheur que peut apporter un parc de loisirs aquatiques. Avec 22 toboggans. L’hôpital et l’école peuvent bien attendre. Les maisons rasées et les arbres coupés pour faire place n’avaient qu’à pas être là. Pour trouver les fonds, trois dispositions nettes et efficaces, prenons-en de la graine :
– Obligation d’acheter des trucs neufs
– Obligation de jeter les vieux trucs
– Interdiction de réparer les trucs
Le progrès par la dé-décroissance. Et voilà comment la famille Desbois, dont la maman est réparatrice-de-trucs, passe de modeste à si pauvre qu’elle doit voler pour se nourrir. Le salut viendra de la forêt, terre-mère où les enfants trouveront refuge, formant une utopique communauté sylvestre avec d’autres jeunes, qui y cherchaient eux aussi havre, chaleur humaine, saine subsistance et possibilité de s’inventer une vie.

« – Et qui était le chef de votre bande ?
– Pas de chef.
– Comment ça, pas de chef ? Un groupe sans chef, c’est comme un repas sans viande, ça n’existe pas !
– Et comment faisiez-vous pour acheter des trucs ?
– On n’achète pas de trucs.
– Mais comment ! comment est-ce possible ! »

Sept années passent, Christabelle et ses compagnons se font arrêter dans la forêt. S’ouvre alors le second volet de la pièce, un procès qui les voient être accusés d’association de malfaiteurs (autre nom d’une manifestation pacifique), travestissement (autre nom d’un bal masqué), sabotage, vols en bande organisée…
Mais qui sabote quoi, et qui vole qui ? qui se dissimule et qui ment ? qui blesse la collectivité et qui la répare ?
Un malicieux retournement de situation retourne l’axe du procès : et si Robin – ou R.O.B.I.N. – était le nom d’une organisation secrète visant à mieux répartir les richesses ? et si les hors-la-loi n’étaient pas ceux qui sont sur le banc des accusés ?

Clémence Barbier, Paul Moulin et Maïa Sandoz ont concocté une salutaire et tonique adaptation du mythe de Robin des bois. L’écriture est rythmée, souvent poétique, toujours franche et vive. Les quatre interprètes se font enfants, adultes, riches ou pauvres, juges ou accusés, leur souplesse de jeu et une grande limpidité de mise en scène permettent de ne jamais s’égarer entre les protagonistes.
Maïa Sandoz a su créer une belle théâtralité, faite de simplicité et d’onirisme, autour de cette histoire qui, de tristement banale, prend une enthousiasmante ampleur. La scénographie est légère, tout en mouvements, les lumières et la création sonore sont soignées, l’espace est utilisé astucieusement, les accessoires et les costumes ont de l’esprit.
R.O.B.I.N. s’adresse aux enfants avec malice et maturité. Le texte aborde sans métaphore édulcorante mais avec beaucoup de fraîcheur et de frontalité les questions de la justice sociale et de l’impact de la société capitaliste et de consommation sur la nature, et les êtres vivants qui l’habitent, et offre une joyeuse leçon de solidarité et de désobéissance civile.
L’espoir est une Z.A.D. et R.O.B.I.N. la défend avec élan et une joie vivifiante !
A voir en famille à partir de 8 ans.

Marie-Hélène Guérin

 

R.O.B.I.N.
Au Théâtre Paris-Villette jusqu’au 2 mars 2025
texte Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz / mise en scène Maïa Sandoz / jeu (en alternance) Clémence Barbier, Maxime Coggio, Jeanne Godard, Anysia Mabe, Angie Mercier, Paul Moulin, Soulaymane Rkiba, Aurélie Vérillon / avec les voix de Ariane Begoin, Matthieu Carle, Sienna Leymarie, Manon Moulin, Quentin Rivet, Achille Riou, Maïa Sandoz / assistanat à la mise en scène Élisa Bourreau / mission relations publiques Mathéo Chalvignac / collaboration chorégraphique Gilles Nicolas / scénographie Catherine Cosme, David Ferré, Maïa Sandoz / lumière Romane Metaireau / costumes Muriel Senaux / musique Christophe Danvin / création sonore Grégoire Leymarie / régie générale David Ferré / intervention graphique Louise et Guillaume Moitessier / administration, production Agnès Carré / diffusion Olivier Talpaert – En votre Cie
Photos ©Laurent Schneegans

production  Théâtre de L’Argument / coproduction Théâtre des 2 Rives – Charenton-le-Pont, Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, Théâtre de l’Usine de Saint-Céré, Les Célestins – Théâtre Lyon / soutiens Théâtre du Fil de l’Eau – Pantin, région Ile de France, ville de Paris, TNBA / avec la participation du Jeune Théâtre national / Le Théâtre de L’Argument est conventionné par la DRAC Île-de-France et le Conseil départemental du Val-de-Marne

Frères de lait, de Nosfell : voyage musical poétique et joyeux

Un homme en noir, svelte silhouette, pieds nus et tête dans les nuages, fait naître des cordes sous ses doigts un lancinant bourdon. De la sonorité hypnotique de son instrument – un rebec peut-être ? –, il ouvre le chemin qui va emmener son auditoire loin dans le temps, dans l’espace, dans l’imaginaire.

« Il y a quelque temps », commence le narrateur, tel un conteur d’hier et de toujours. Il y a quelque temps, il était une fois, dans un ailleurs, dans un autrefois, deux enfants naquirent, l’un d’un côté d’une frontière, l’autre, de l’autre côté. La vie les fit frères de lait, ils grandirent ensemble puis aimèrent tous deux la même femme, qui eut un fils, qui fut le père du conteur ; le père du conteur était-il le frère né de ce côté-ci de la frontière, ou de l’autre ? La grand-mère garda son secret, quelle importance, ce côté-ci ou l’autre ?

« – Grand-mère, parle-moi de mes racines
– Vous voulez que je vous raconte mon histoire pour savoir d’où vous venez ? mon histoire n’appartient qu’à moi seule. Vos racines sont là où vous les plantez. »

Né des souvenirs hérités de son père et d’un récent voyage au Maroc, où Nosfell a reconstitué l’histoire singulière de sa grand-mère, Frères de lait nous embarque dans un voyage musical doux et drôle dans un monde où les humain.e.s seraient tou.te.s frères et sœurs de lait.
S’inspirant de ses racines, mêlant à sa glossolalie personnelle la langue berbère du peuple amazigh de ses aïeux, Nosfell invente et déploie sur scène une communauté tendre et joueuse, en compagnie de Julien Ferranti, présence solaire, corps trapu, danseur fidèle de Philippe Découflé, Myriam Jarmache jeune femme vif-argent au timbre lyrique.

Une guitare, quelques boucles sonores, beaucoup d’inventivité, et surtout leurs corps, leurs voix : Nosfell – voix très claire, très haute, puis soudainement, râpeuse, dans des graves ténébreux à la Vladimir Vissotsky –, Julien et Myriam font de leur peau des instruments de percussions, font de leurs danses des rituels prophylactiques, de leurs gorges des caisses de résonances, jouent de leurs tessitures, s’amusent comme des gamins à se faire ours mal léché, cantatrice épileptique, loup-garou.
Ils chantent en klokobetz, la langue que Nosfell, , artiste singulier et polymorphe, ancien étudiant en langues orientales et fils de père polyglotte, a développé pour exprimer sa mythologie propre. Sans point de repère sémantique, on s’y perd, on s’y berce, on se laisse envahir par les sensations, et le sens se structure par la rêverie, la vibration…
Des harmonies Renaissance dérivent vers des polyphonies d’Europe de l’Est, des mélopées chamanes se distordent en post pop Björkienne : semble s’élaborer là une sorte de folklore pour un monde encore à venir.

Il faut entrer dans ce spectacle à la douce dinguerie l’âme enfantine prête au jeu, accueillir leur poésie tout à la fois mystique et ludique. Il s’en dégage beaucoup de joie, de tendresse et une étrange beauté.

Le spectacle ne jouait que 2 fois dans le cadre du festival des Singulier.es, il n’est plus à l’affiche, il faut le guetter ailleurs, ici ou là.
Mais le festival, lui, n’est pas clos : on ne peut que vous encourager à aller à la découverte des propositions de ce festival foisonnant et passionnant, dont la 9e édition accueille comme chaque année des formes hybrides, multiples et inventives, pour s’interroger sur le monde d’aujourd’hui. En savoir plus : ici

Marie-Hélène Guérin

 

FRÈRES DE LAIT
Vu dans le cadre du festival des SINGULIER.ES au 104
Conception, composition musicale, chorégraphie : Nosfell
Pièce pour trois interprètes : Julien Ferranti, Myriam Jarmache et Nosfell
Collaboration artistique : Tatiana Julien | co-composition musicale : Julien Perraudeau | dramaturgie : Tünde Deak | scénographie, lumière : Yannick Fouassier | création, confection des costumes : Marion Egner | création son : Nicolas Delbart | assistanat, regard extérieur : Clémence Galliard | graphisme, typographie et mise en livre : Jérémy Barrault | illustrations : Ludovic Debeurme
Production sensible · Rebecca Dutkiewicz, Lucie Mollier

Photos © Camille Graule

Une maison de poupée marionnettique, sombre, somptueuse et libératoire

Avant de nous emmener dans « sa » Maison de poupée, Yngvild Aspeli, directrice artistique de la compagnie Plexus Polaire, artiste associée au CDN Dijon-Bourgogneet directrice artistique du Figurteatret i Nordland (Nordland Visual Theatre) de Stansund, en Norvège, nous prend par la main et par l’oreille en nous glissant en confidence, seule à l’avant-scène, devant un tulle noir, ce qui l’a conduit jusqu’à la « Nora » de la Maison de poupée de Henrick Ibsen. Le petit bruit d’un oiseau qui se cogne contre une fenêtre, un jour pluvieux et tranquille. Minuscule et triste fracas qui a creusé un chemin dans son esprit jusqu’à la « petite alouette » Nora, comme l’appelle son époux, petite alouette fracassée contre les conventions sociales de son époque.

Le rideau de tulle s’effondre en ondulations aquatiques. Derrière apparaît un intérieur bourgeois, Yngvild Aspeli y entre, n’est plus Yngvild Aspeli l’adaptatrice, la metteuse en scène, mais Yngvild Aspeli la comédienne, bientôt Nora. Sur le plateau chaleureusement éclairé, un salon, une famille de carte postale, un Norman Rockwell scandinave. Presque une maison de poupée. Papier peint aux couleurs fraîches, parquet et canapé. Père de famille en costume, digne ami de la famille et ribambelle de bambins blonds, trois petits horribles adorables enfants tyranniques. Impeccables. Immobiles. Semblant scruter les spectateurs de leurs regards peints.

Yngvild Aspeli met les marionnettes au cœur de son travail, particulièrement les marionnettes à taille réelle. Le réalisme et l’étrangeté de ces grandes figures troublent et inquiètent, tiraillant le spectateur entre la tentation de l’illusion et l’impossibilité de la confusion (d’ailleurs, quand elles ne « jouent » pas, les marionnettes sont manipulées sans ménagement par Yngvild Aspeli, qui les déplace parfois cocassement comme de vulgaires porte-manteaux). Dans cette pièce où l’apparence compte tant et où le mensonge sert de colonne vertébrale, les marionnettes, poupées de théâtre, sont un idéal support d’humanité.
 

 

Nora – Tout commence avec l’argent.
Ou plutôt le manque d’argent

C’était un temps où les femmes n’avaient pas le droit d’emprunter de l’argent en leur nom propre. C’était un temps où un homme ne pouvait souffrir de recevoir de l’aide d’une femme. Alors Nora pour aider à son insu Torvald, son mari, malade, n’a eu d’autre recours que de falsifier la signature de son père pour faire un emprunt et leur permettre de faire le voyage qui a permis à son mari de recouvrer la santé. Voilà 8 ans qu’elle économise pour rembourser la dette et cela est léger comme l’air puisque Torvald est sauvé, leurs enfants grandissent, elle est heureuse, et Noël approche. Mais un grain de sable se glisse dans l’engrenage : Krogstad qui avait prêté l’argent à Nora dévoile le mensonge de Nora à son mari et menace de le rendre public – qui loin de s’attendrir des risques pris par sa femme pour le sauver s’en offusque, se trouve heurté par l’idée que sa femme ait pu prendre une telle initiative sans s’en référer à lui et surtout s’inquiète du qu’en-dira-t-on, de la tache que jetterait la révélation d’un tel scandale sur sa réputation.
 

 

Torvald – Aucun homme ne sacrifierait son honneur pour la femme qu’il aime.
Nora – C’est ce que font des milliers de femmes.

Dans des notes sur la rédaction de la Maison de poupée, Ibsen relevait que « une femme ne peut pas être elle-même dans la société contemporaine, c’est une société d’hommes avec des lois écrites par les hommes, dont les conseillers et les juges évaluent le comportement féminin à partir d’un point de vue masculin » : sa Maison de poupée se fait la mise en chair et en mouvement de cette idée.

Nora est traitée comme une enfant par son époux, comme elle l’était par son père, comme les femmes l’étaient souvent, le sont moins, parfois encore, par les hommes. Son geste de femme adulte resté secret était sa fierté, mis au jour il la met au ban de la société, elle devient littéralement une criminelle, et sa perception d’elle-même et de sa place dans son foyer s’effrite, les araignées de l’angoisse et de la peur envahissent son esprit et le décor.

Dans cette pièce où l’apparence compte tant et où le mensonge sert de colonne vertébrale, les marionnettes, poupées de théâtre, sont un idéal support d’humanité.
Tous les personnages, le couple, les ami.e.s de la famille, le prêteur, les enfants, sont incarnés par deux interprètes/marionnettistes : Yngvild Aspeli, qui est à l’origine de l’adaptation, et partage la mise en scène avec Paola Rizza, collaboratrice sur plusieurs spectacles de la compagnie Plexus Polaire, et Viktor Lukawski, passé comme Yngvild et Paola par l’École Jacques Lecoq. Sans marionnette (Yngvild Aspeli jouant Nora, puis plus tard Viktor Lukawski jouant Torvald) ou avec, ils sont des interprètes saisissants.
 

 
Une passionnante création sonore, impressionniste et prenante, soutient l’atmosphère, dans un décor de plus en plus abstrait au fil du délitement intérieur de Nora. Tandis que le drame domestique se noue, quand les rideaux aux fenêtres se lèvent, ce n’est pas sur l’extérieur : c’est sur les méandres de la psyché de Nora, un entrelacs de racines, de filaments synaptiques, une obscurité d’où surgissent des araignées de plus en plus grandes, de plus en plus voraces.
Mais Henrick Ibsen et Yngvidl Aspeli après avoir tenu serré le cou tendre de la petite alouette entre les pattes sans haine mais sans amour de l’époux, après avoir fait s’effondrer le petit monde bien ordonné de Nora, après avoir déchiqueté son système de valeur, après avoir fait avaler sa tête par une monstrueuse araignée, lui ouvrent la fenêtre et la laissent s’envoler. Elle a ouvert les yeux, elle a secoué les oripeaux de la convenance. Sur les décombres de l’ancien monde, elle peut danser.
Une fable sombre, somptueuse et libératoire.

Marie-Hélène Guérin

 


 
UNE MAISON DE POUPÉE
Spectacle en anglais avec surtitres
Un spectacle de la compagnie Plexus Polaire
D’après la pièce de Henrik Ibsen
Mise en scène Yngvild Aspeli, Paola Rizza
Actrice-marionnettiste Yngvild Aspeli
Acteur-marionnettiste Viktor Lukawski
Composition musique Guro Skumsnes Moe | Chorale Oslo 14 Ensemble
Fabrication marionnettes : Yngvild Aspeli, Sébastien Puech, Carole Allemand, Pascale Blaison, Delphine Cerf, Romain Duverne
Scénographie François Gauthier-Lafaye | Chorégraphie Cécile Laloy | Lumières Vincent Loubière | Costumes Benjamin Moreau | Son Simon Masson | Plateau et manipulation Alix Weugue | Dramaturgie Pauline Thimonnier

 

 

À RETROUVER EN TOURNÉE :
27 et 28 février 2025 Le Manège – Scène Nationale de Reims (51) 12 — 14 mars 2025 La Coursive – Scène Nationale de la Rochelle (17) 19 et 20 mars 2025 Théâtre les Colonnes / Miramas (13) 25 — 28 mars 2025 Les 2 scènes – CDN de Besançon (25) 2 — 4 avril 2025 MC2 / Grenoble (38) 8 avril 2025 Le Théâtre – Scène nationale de Mâcon (71) 10 avril 2025 L’Arc – Scène Nationale le Creusot (71) 16 avril 2025 Scènes du Jura / Dole (39) 19 avril 2025 Quai 9 Lanester – Théâtre à la Coque, CNMA / Lorient (56)

Mentions de production
Fabrication décor Eclektik Sceno | Directrice de production et diffusion Claire Costa | Administration Anne-Laure Doucet | Administration de tournée Gaedig Bonabesse et Iris Oriol | Chargée de production et diffusion Noémie Jorez
Production Plexus Polaire
Coproduction Théâtre Dijon Bourgogne – CDN, Les Gémeaux – Scène nationale de Sceaux, Le Bateau Feu – Scène nationale de Dunkerque, Le Trident – Scène nationale de Cherbourg, Le Manège – Scène nationale de Reims, Figurteatret i Nordland, Stamsund (Norvège), Bærum Kulturhus (Norvège), Nordland Teater, Mo i Rana (Norvège), Teater Innlandet, Hamar (Norvège), Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, Ljubljana Puppet Theatre / Lutkovno gledališce Ljubljana (Slovénie)
Soutiens Kulturrådet / Arts Council Norway (Norvège), DGCA – ministère de la Culture, DRAC et Région Bourgogne-Franche-Comté, Département de l’Yonne
 

Bâtards : une comédie féministe mi-pop mi-punk

Au Théâtre de l’Atalante, on a pu voir (et encore jusqu’au 24 janvier) Bâtards : une comédie politique et rafraîchissante, qui parle d’amour, de coryphée, de sirène, de baignoire à nettoyer : bref, de la vie !

Louise Dupuis et Julien Storini ont fondé une histoire d’amour puis une famille et une compagnie, La Très Neuve. Comme cela, ils peuvent être enceints conjointement puisque co-enfantant textes et mises en scène.
 

 
Bâtards, c’est l’histoire d’un spectacle raté à cause d’une rupture, nous promettent-ils.
Louise et Julien invitent le public à assister à leur séparation. Louise devait écrire une fiction inspirée de leur histoire d’amour : la rencontre poétique et charnelle de deux randonneur.euse.s sur le chemin de Compostelle. Mais, depuis, entre eux, c’est fini. On entre alors dans l’histoire des répétitions de ce spectacle avorté, dans l’histoire de leur rupture.

Bâtards, c’est un spectacle mi-pop mi-punk qui gratte les plaies du couple hétéro contemporain avec autodérision et tendresse. Lutte des classes et du langage, évolution des questions de genre, rapports de domination orientent la pièce vers une utopie féministe hardcore qui ne prétend pas ré-inventer pas le sujet mais le traite avec acuité, fantaisie et un sens du détail savoureux.
Les hommes en passe d’être grandremplacés par une nouvelle génération de non-hommes bien décidé.e.s à rompre avec l’héritage patriarcal symbolique et matériel (passionnante Lise Lomi, en bouillonnant.e ado utopiquement né.e de deux mères, chimérique « licorne sans corne » qui porte l’espoir de lendemains plus libres) ne sont pour autant pas les méchants. Ils sont plutôt aussi paumés que les femmes, soumis aux mouvements de la tectonique des plaques entre standards anciens et aspirations nouvelles…
 

 
L’écriture de Louise Dupuis, autrice et fine interprète du rôle de « Louise », est vive, dans un « théâtre du réel » à double fond, foutraque et toujours au bord de l’implosion. Des brèves et hallucinées séquences visuelles onirico-surréalistes aèrent et décalent encore ce théâtre pseudo-réaliste, où l’on croise aussi bien une sirène nommée Ariel que Jean-Luc Mélenchon en short. Louise Dupuis laissera tomber quotidienneté et second degré pour un final ardent, en forme de manifeste lyrique sous influence paulb.preciadienne pour une société soulagée radicalement des problèmes de rapport hommes/femmes.
Les comédien.ne.s sont tous fantastiques. Impeccablement dirigé.e.s, les cinq interprètes sont justes, généreuxses, précis.es, avec un sens du rythme et un art du dé-rythme qui ajoutent un sacré grain de sel à la drôlerie de ce spectacle fougueux et enjoué.

Bâtards est le deuxième spectacle de La Très Neuve compagnie, il a reçu la mention spécial du jury du prix T13 du Théâtre 13 en 2023.

Marie-Hélène Guérin

 

BÂTARDS
Un spectacle de La Très Neuve compagnie
Au Nouveau Théâtre de l’Atalante jusqu’au 24 janvier 2025
Écriture et mise en scène Louise Dupuis
Avec Louise Dupuis, Thomas Gourdy, Lucile Oza, Lise Lomi, Julien Storini
Dramaturgie maxime Lévèque | Collaboration artistique Louise Roch | Création lumières Victor Inisan | Création sonore Julien Storini | Scénographie Louise Dupuis
Crédits photos Mélie Néel

Le Père Goriot, déjà les illusions perdues… une belle adaptation contemporaine

L’ancien Théâtre de Ménilmontant, Paris XXe, vient d’être repris par Serge Paumier et Nathalie Lucas. Ils l’ont baptisé Théâtre des Gémeaux Parisiens, en parallèle au Théâtre des Gémeaux d’Avignon qu’ils dirigent depuis 2019. Ils y font vœu d’en faire un lieu de création éclectique exigeant autant qu’un lieu de vie chaleureux.

En ce moment, on y voit un Père Goriot passionnant, sorti de sa gangue XIXe par David Goldzahl, qui a préservé la langue et la trame du texte tout en lui offrant une fraîcheur contemporaine.
Les codes du théâtre actuel sont maniés avec dextérité et sans lourdeur, allégés de cocasserie. L’adaptation alterne narration et jeu parfois dans une même phrase, avec beaucoup de fluidité.
En fond de scène, sous les pampilles du lustre de jais, une galerie de hautes boîtes noires tendues de tulle, mi-cachots mi-vitrines d’exposition, seront tout aussi bien ruelles parisiennes, salons bourgeois, modeste chambrette de la pension Vauquer ou loge à l’Opéra. La très réussie création musicale joue parfois de manière réjouissante des anachronismes – les sons d’aujourd’hui pouvant se faire parfaits traducteurs des humeurs d’hier. La scénographie dépouillée, élégante et nette, sous les belles lumières de Denis Koransky, vives de néons ou en clairs-obscurs à la Rembrandt offre un beau terrain de jeu à des comédiens plus qu’habiles.
 

 

« Rastignac – Le monde est infâme
Madame de Beauséant – Non, il va son train.»

Le Père Goriot est un des maillons de l’immense Comédie humaine (une centaine d’ouvrages — romans, nouvelles, contes aussi bien qu’essais, par laquelle Balzac se promettait de composer une « histoire naturelle de la société », susceptible de « représenter le drame qui se joue dans une société. »)
Si le personnage éponyme porte en lui la folie d’un amour paternel s’exacerbant du rejet de ses filles, thème qui structure le roman comme la pièce, c’est plutôt Rastignac, le jeune étudiant provincial qui cherche à se faire une place dans la haute société, qui est à l’avant-scène de cette adaptation, et avec lui l’avidité du monde, l’arrivisme, la soif du paraître.
 

 

« – Allez mon vieux, secoue les branches de l’arbre généalogique »

C’est Duncan Talhouët qui porte ce rôle pivot de Rastignac, ne le quittant qu’un instant, tandis que ces comparses se chargent de tous les autres personnages, majeurs ou annexes, nobles ou modestes – sans que l’on ne soit jamais égaré dans le récit tant l’adaptation et les codes de jeu sont limpides.
Duncan Talhouët est un Rastignac candide et ambitieux, calculateur autant que pantin des passions des autres, et qui va perdre ses illusions sans tarder. Duncan Talhouët est un peu plus adulte qu’on n’imagine ce jeune étudiant, mais il donne du charme et une intéressante complexité à son Rastignac.
Delphine Depardieu a de la finesse, un jeu sincère et droit, plein de fantaisie, elle excelle aussi bien dans la rusticité de quelque femme du peuple que dans l’aristocratique détachement des filles Goriot, toutes deux mariées noblement, ou la tendresse amère de la vicomtesse de Beauséant, lointaine cousine de Rastignac, souffrant d’être mal aimée.
Jean-Benoît Souilh est un épatant comédien, très généreux, dont on apprécie la remarquable plasticité et l’engagement physique. Il donne chair et cœur – bon ou mauvais – à tous les personnages qu’il incarne, notamment le Père Goriot et Vautrin, qu’il rend touchants au-delà de leurs disgrâces.

À voir pour le plaisir de la langue de Balzac, pour découvrir ou retrouver le piment de son portrait de la société parisienne ; pour la qualité de l’adaptation et de la mise en scène, impeccables, acérées comme une flèche, qui condensent avec vivacité le sel et le suc du roman ; pour le régal de ce trio d’acteurs très justes, joueurs et précis.

Marie-Hélène Guérin

 


 
LE PÈRE GORIOT
Aux Théâtre des Gémeaux Parisiens, jusqu’au 30 décembre 2024
D’Honoré de Balzac
Adaptation et mise en scène David Goldzahl
Avec Delphine Depardieu, Jean-Benoît Souilh et Duncan Talhouët
Scénographie et Costumes Charlotte Villermet | Lumières Denis Koransky | Son Xavier Ferri
Crédit photos © Studio photo de Jarnac
 

Madame ose Bashung au Rond-Point : Madame ose Bashung, osez Madame !

Un vent de folie souffle sur le Rond-Point… On y bashungue, on y flamboie, on s’y esclaffe, on s’y émeut, en compagnie des belles queens échappées du cabaret de Madame Arthur et leurs acolytes musicien.ne.s.

Sébastien Vion/Corrine, magistralalala M.C. de cette cérémonie, avait à 16 ans vécu une expérience « incroyable, à la fois violente et poétique, bruyante et irrévérencieuse, métallique et sensible… » en découvrant Alain Bashung sur scène. Quelques paires d’années plus tard, il a partagé ce bonheur avec ses camarades du cabaret Madame Arthur en inventant un hommage baroque et merveilleux, que le théâtre du Rond-Point accueille pour deux semaines dans l’écrin de sa grande salle.

Pendant que le public prend place, les chevaux hennissant sur le rideau rouge, squelettes courant de Muybridge ou mustangs sauvages dans la pampa, plongent la salle dans une ambiance onirique.

Une « Madonna ardéchoise » (pétulante Patachtouille, la plus burlesque du trio), une « vraie méchante et fausse maigre » (iconique Corrine, maîtresse de cérémonie à la présence charismatique) et un « double poney » (fringante Brenda Mour, visage idéal, silhouette et voix spectaculaires) vont pendant une heure et demi faire palpiter le fantôme de Bashung et vibrer leurs et ses aficionados.

Insensées et magnifiques, jamais elles n’imitent mais plutôt s’approprient tubes attendus comme titres plus confidentiels, qui gardent toute leur puissance originelle. Un impeccable quatuor à cordes – attelage à l’enthousiasme partagé issu du Rainbow Symphony Orchestra –, un guitariste, Christophe Rodomisto – électrique au propre comme au figuré et une pianiste au masque expressionniste, Cosmé McMoon, les accompagnent avec élan et talent. Damien Chauvin leur a composé des arrangements réjouissants.
Voix profonde et basse pour Corrine et Brenda Mour ou plus colorature pour la lyrique Patachtouille, splendidement emperruquées, maquillées, corsetées, perchées sur hauts talons, ces queens sculpturales insufflent au répertoire de Bashung, respecté bousculé décalé amplifié, une poésie folle et un humour jouissif.

Brenda Mour fait résonner Osez Joséphine comme dans les plaines du Far West, Les petits enfants qui tombent des balcons interprétée par une Patachtouille échevelée ressemble à du Fréhel grande époque, Corrine déclamant sotto voce Vénus, sous le scintillement d’une boule à facette, fait passer un frisson dans l’assemblée.
Les chansons sortent un peu, beaucoup, passionnément, de leurs rails familiers, on les écoute, on les entend d’autant plus. Un aparté de Cosmé McMoon qui quitte son piano pour [Tuer] la pianiste, une lampe qui se balance au plafond pour un ténébreux La nuit je mens, un numéro de sangles aériennes à couper le souffle (par Quentin Signori ) pour des Volutes qui partent en fumée et on en a le cœur tout tremblant; avant qu’un improbable trio de catcheuses mexicaines ne déboule pour Bombez le torse, bombez ou que Patachtouille ne transforme Vertiges de l’amour ou Ma Petite Entreprise en sketchs loufoques !

Sous les projecteurs, ce sont Corrine, Brenda Mour et Patachtouille qui brillent, mais ce sont aussi Sébastien Vion, Kova Rea et Julien Fanthou qui habitent la scène sous les atours de leurs drags, et c’est troublant et touchant de voir se télescoper la forme de perfection très sophistiquée des créatures de cabaret mi-somptueuses mi-plastoc, et ces interprètes avec leurs beautés atypiques, avec leurs chairs, leurs voix, leur humour marqués par leur vie, leur passé, leurs combats, avec leurs costumes qui les dénudent et leurs nudités qui les cachent.

Il ne faut pas oublier que le cabaret est intrinsèquement un espace politique, ou même un acte politique. Ici, dans cette salle qui est une institution parisienne (mais qui, du haut de son presque demi-siècle d’ancienneté, rappelle de saison en saison que la jeunesse n’est pas une question d’âge !), on semble loin d’un lieu noctambule ou interlope. Mais cela n’empêche : là-bas ou ici, le cabaret, d’autant plus le cabaret drag – est un endroit de prise de parole, de créativité, d’altérité, de joie, le lieu d’une liberté qui semble acquise mais qui reste fragile – alors, fêtons cette liberté !

Un spectacle pétillant, impertinent, poétique, follement drôle, follement poignant, que le public, ébouriffé, enjoyé, ravivé, salue d’une ovation debout ! Une fête à s’offrir pour les fêtes.

Marie-Hélène Guérin

 

MADAME OSE BASHUNG
De la Cie Le Skaï et l’Osier
Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 28 décembre 2024
Conception et mise en scène : Sébastien Vion
Chanteurs et performeurs : Corrine / Sébastien Vion, Brenda Mour / Kova Rea, Patachtouille / Julien Fanthou
Piano (du 12 au 23 décembre et le 28 décembre) : Cosme McMoon / Delphine Dussaux
Et (les 26 et 27 décembre) : Charly Voodoo
Guitare : Christophe Rodomisto
Quatuor à cordes du Rainbow Symphony Orchestra : (alto) : Juliette Belliard | (violoncelle) : Adrien Legendre | (1er violon) : Laurent Lescane | (2e violon) : Vladimir Spach
Sangles aériennes : Quentin Signori
Arrangements : Damien Chauvin
Régie générale et régie lumière : Gilles Richard | Régie son : Mustapha Aichouche | Habillage et accessoires : Anna Rinzo | Perruques et coiffures : Kevin Jacotot | Costumes latex : Arthur Avellano | Vidéos : Collectif La Garçonnière :, Tifenn Ann D, Syr Raillard, Thibaut Rozand | Bande son d’entrée : Nicol
Photos Monsieur Gac et Charlène Yves

Les titres du spectacle :
OSEZ JOSÉPHINE – 1991 – Album éponyme – Musique Alain Bashung – Paroles Jean Fauque & Alain Bashung | VERTIGE DE L’AMOUR – 1980 – Album Pizza – Musique Alain Bashung – Paroles Boris Bergman | VENUS – 2008 – Album Bleu Pétrole – Musique Arman Méliès, Gérard Manset – Paroles Gérard Manset | S.O.S AMOR – 1985 – Album Live Tour – Musique Paroles Didier Golmanas & Alain Bashung | LES PETITS ENFANTS – 1979 – Album Roulette russe – Musique & Paroles Alain Bashung | LA NUIT JE MENS – 1998 – Album Fantaisie militaire – Musique Alain Bashung, Édith Fambuena & Jean-Louis Piérot – Paroles Jean Fauque & Alain Bashung | JE FUME POUR OUBLIER QUE TU BOIS – 1979 – Album Roulette russe – Musique Alain Bashung – Boris Bergman & Alain Bashung | JE TUERAI LA PIANISTE – 2008 – Album Bleu Pétrole – Musique Gaëtan Roussel & Alain Bashung – Paroles Gérard Manset | BOMBEZ – 1989 – Album Novice – Musique Alain Bashung – Paroles Jean Fauque | BIJOU, BIJOU – 1979 – Album Roulette russe – Musique Alain Bashung – Paroles Daniel Tardieu, Boris Bergman | MONTEVIDEO – 2018 – Album En amont – Musique & Paroles Mickael Furnon | MA PETITE ENTREPRISE – 1994 – Album Chatterton – Musique Alain Bashung – Paroles Jean Fauque & Alain Bashung | VOLUTES – 1991 – Album Osez Joséphine – Musique Alain Bashung – Paroles Jean Fauque | MADAME RÊVE – 1991 – Album Osez Joséphine – Musique Alain Bashung – Paroles Pierre Grillet | GABY – 1979 – Album Roulette russe
– Musique Alain Bashung – Paroles Boris Bergman

Production déléguée « J’aime beaucoup ce que vous faites ! » – Christophe et Jérôme Paris Marty
Diffusion « Fantatouch » – Fanta Touré
Avec le soutien de la SPEDIDAM

Cartoon (ou Ne faites pas ça chez vous !)

Dans un bien joli décor de maisons de poupée format « pavillon de banlieue 1/1 », vit la famille Normal ; Norman et Norma, les radieux parents, 2,4 enfants (Dorothy, l’aînée, Jimmy, le cadet, et un bébé), un gros chien et un (gros) poisson rouge dans un gros bocal.
Une famille tout ce qu’il y a de plus normale. La journée commence, Papa lit le journal, maman donne le biberon à bébé avant de partir au travail, Dorothy houspille son frangin, et Jimmy est toujours le petit nouveau au collège. Tous les jours ? oui, tous les jours. Ah mais comment peut-on être TOUS les jours le petit nouveau ?

C’est que la famille Normal ressemble à une famille normale, mais vit selon des règles PAS DU TOUT normales… Bébé n’a toujours pas de prénom mais parle, comme le chien, et le poisson (qui lui a un prénom, il s’appelle Sushi). C’est que ce sont des cartoons : comme Woody Woodpecker et Bipbip le Coyotte, comme Grizzy et les lemmings, comme les Poussins de Claude Ponti, ils ne ressentent jamais la douleur. Ils ne vieillissent pas, et ne meurent jamais, jamais… et chaque matin tout redémarre à zéro. Tremblement de terre, électrocution, explosion de gaz, l’épisode suivant les ramène intacts au petit-déjeuner, Papa lit son journal, maman donne le biberon et caetera.

« Tous les jours un nouvel épisode
Inédit.
Repartant de zéro.
Tout peut arriver
Absolument tout.
On est allés dans l’espace.
En Afrique.
Sur la Lune.
Au milieu des dinosaures.
Et dans toutes les grandes capitales du monde.
On a eu des super-pouvoirs.
Deux fois.
On a été rapetissés.
On a été des géants.
On a été hantés.
On a été des fantômes.
On a été célèbres.
Tout peut arriver
Absolument tout.
Si ce n’est que.
On ne vieillit jamais.
On n’est jamais blessés.
On ne ressent jamais la douleur.
Et jamais
Jamais
Jamais
On ne meurt. »

Jusqu’à ce qu’un grain de sable dans l’engrenage… Maman Norma Normal, génie de profession, et donc comme il se doit tête en l’air, ramène une fiole expérimentale à la maison… Bébé en boit (devient invisible, tout ou partie), Jimmy en boit (se met à ressentir des choses – notamment quand on le frappe avec une poêle à frire ou qu’on devient son ami), le poisson rouge en boit (devient muet). Et le lendemain, ça ne reprend pas à zéro, bébé est toujours invisible, Jimmy change et y prend goût, et le poisson ne pipe toujours plus mot. L’heure des remises en question sonne pour la famille Normal !

Familière de l’univers de Mike Kenny , auteur jeunesse britannique dont elle a déjà mis en scène plusieurs textes, Odile Grosset-Grange renverse le rêve enfantin de devenir un héros de dessin animé cul par-dessus tête, et nous tend en miroir un héros de dessin animé qui aimerait devenir un enfant. On sait au moins depuis La Petite Sirène que quitter la fiction pour le réel a un prix… Mike Kenny et Odile Grosset-Grange, eux, n’ont pas le tragique en ligne de mire, mais la vitalité ! « si on arrêtait d’être des cartoons, on mourrait ! – oui, mais en ayant vécu ! »

« Quand je vais dans des classes, je dis toujours aux enfants et aux jeunes que je rencontre que ce qui me plaît par-dessus tout au théâtre, c’est que tout y est possible. Avec Cartoon, nous allons tester ensemble les limites de cette affirmation… » propose Odile Grosset-Grange. Alors elle pioche dans le magnifique coffre à jouets du théâtre pour en sortir des marionnettes et du dessin animé, un spectaculaire décor à transformation mêlant vidéo et construction, des cascades, des gags, des chansons, des courses poursuites et de l’émotion ! Un vrai feu d’artifice(s) au service d’un joyeux spectacle, qui pose, l’air de rien, des questions aussi simples qu’essentielles, comme celles que savent si bien poser les enfants : qu’est-ce qu’être normal ? est-ce que vouloir trop protéger autorise à empêcher de vivre ? est-ce que recommencer éternellement sa « journée de la marmotte », c’est une vie ? si au bout, il y a la mort, est-ce qu’être vivant vaut le coût ? mais est-ce que ne pas vivre vaut le coût de ne pas mourir ?

Un spectacle pour petits – mais pas trop petits – et grands, au rythme effréné soutenu par le jeu survitaminé des acteurs au top joliment vêtus de costumes pop pleins de peps, pour explorer de manière ludique et réjouissante des questions existentielles entre deux éclats de rire.

Marie-Hélène Guérin

 

 

CARTOON ou N’ESSAYEZ PAS ÇA CHEZ VOUS !
Un spectacle de La Compagnie de Louise
Au Théâtre Paris Villette jusqu’au 5 janvier 2025
À voir en famille à partir de 7 ans
Texte Mike Kenny | Traduction Séverine Magois
Mise en scène Odile Grosset-Grange
Avec François Chary, Julien Cigana, Antonin Dufeutrelle, Delphine Lamand, Pierre Lefebvre-Adrien, Pauline Vaubaillon
Assistant à la mise en scène Carles Romero-Vidal | Régie Générale de création Nicolas Barrot | Régie Générale Farid Laroussi en alternance avec François Michaudel | Lumières (création et régie) Erwan Tassel | Stagiaire Lumière Tom Bouchardon | Scénographie Stephan Zimmerli assisté d’Irène Vignaud | Dessins Stephan Zimmerli | Accessoires Irène Vignaud | Conception Machinerie et Magie Vincent Wüthrich | Conseil Marionnettes Brice Berthoud | Fabrication Marionnettes Caroline Dubuisson | Création Musicale et Son Vincent Hulot | Régie Son Vincent Hulot en alternance avec Camille Urvoy et Sébastien Villeroy | Costumes Séverine Thiebault | Création Perruque Noï Karunayadhaj | Chorégraphe Gianni Joseph | Plateau / Vidéo Emmanuel Larue | Plateau Marion Denier | Construction des Décors et machinerie Jipanco | Direction de Production / Diffusion Caroline Sazerat – Richard | Chargées de Production Mathilde Göhler ; Emilienne Guiffan | Diffusion Caroline Namer | Presse Elektron Libre – Olivier Saksik

Photos © Christophe Raynaud de Lage

Production La Compagnie de Louise / coproductions La Coupe d’Or – Théâtre de Rochefort, La Coursive – Scène nationale de La Rochelle, Théâtre d’Angoulême – Scène nationale d’Angoulême, OARA (Office artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine), L’Odyssée – Théâtre de Périgueux, Théâtre de Gascogne – Scènes de Mont de Marsan, Ferme du Buisson – Scène nationale de Noisiel, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN, Les Tréteaux de France – CDN / coproductions – fonds de soutien Fond de soutien à la production mutualisé de S’il vous plaît, Scène Conventionnée de Thouars, les 3T – Scène conventionnée de Châtellerault, Scènes de Territoire – Scène conventionnée du Bocage Bressuirais, Fonds de production jeunesse Nouvelle-Aquitaine en coopération avec la DRAC Nouvelle-Aquitaine / soutiens Adami, Fonds d’Insertion professionnelle de l’École supérieure de théâtre de l’Union – DRAC Nouvelle-Aquitaine et Région Nouvelle-Aquitaine / accueil et soutien en résidence Théâtre d’Angoulême – Scène nationale, Ferme du Buisson – Scène nationale, OARA dans le cadre de la Résidence Méca, La Coupe d’Or – Théâtre de Rochefort, Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN / accueil le soutien complémentaire de la Direction générale de la création artistique / La Compagnie de Louise est soutenue pour son projet par La Ville de La Rochelle, Le Département de la Charente-Maritime, La Région Nouvelle-Aquitaine et le Ministère de la Culture – DRAC site de Poitiers. La Compagnie de Louise est conventionnée par le Ministère de la culture – DRAC Nouvelle-Aquitaine Site de Poitiers