Face au Gorille

Il entre dans la salle par une porte dérobée et nous surprend, nous, public, immédiatement. Un gorille en redingote et haut de forme, très chic, vient nous saluer et entreprend, au pupitre dressé devant nous, de nous entretenir de son bien curieux destin.

Capturé dans la forêt africaine, enfermé dans une caisse à bord d’un cargo, il a traversé les océans pour venir jusqu’à nous. Et pour sortir de sa condition de gorille, on lui propose de devenir un homme. Le Gorille-conférencier nous conte alors son apprentissage : serrer une main, boire de l’alcool, dire bonjour…mais, surtout, être un humain : apprendre les sentiments, apprendre à être sociable, apprendre les différences, les bassesses, les compromissions. Apprendre, surtout, à être un autre, et à être accepté comme tel par la communauté des humains.

 

« Pour les humains, la place d’un singe est dans une cage. Eh bien, alors, voilà : j’allais cesser d’être un singe… »

Alejandro Jodorowsky, dont on connait l’œuvre foisonnante, a pris la nouvelle de Kafka comme point de départ à une réflexion assez vertigineuse et bougrement efficace sur l’absurdité de notre condition. Son fils, Brontis, incarne ce Gorille. Rarement le terme « incarner » avait été plus juste pour définir ce que réalise ce comédien accompli. Perruqué, grimé, cravaté, il nous apostrophe, nous prend à parti, nous interpelle. Il saute, bondit, mime, danse. Quelque fois, ses instincts de Gorille se réveillent, mais l’humanité reprend malgré tout le dessus, à moins que ce ne soit l’inverse… l’homme derrière le Gorille ou le Gorille derrière l’homme ? Qui triomphera ? Brontis nous renvoie la question, en nous transperçant plusieurs fois au cours de ce spectacle de son regard hypnotique. Mais tout cela, avant tout, n’est que théâtre. Et grand théâtre.

 

Ce Gorille a déjà triomphé des centaines de fois en France et à l’étranger : il reprend au Lucernaire cette année, opportunité à ne pas manquer !
1 – Brontis Jodorowsky, qui a travaillé au Théâtre du Soleil, a une maîtrise incroyable de son corps. Il produit, pendant plus d’une heure, une performance scénique proprement hallucinante.
2 – L’adaptation d’Alejandro et Brontis Jodorowsky de la nouvelle de Kafka « Compte-rendu à une académie » est vivante et dynamique : ce gorille nous aura littéralement capturés à son tour.
3 – Cette harangue fiévreuse est un de ces spectacles que l’on n’oublie pas : il renvoie à la vacuité de nos pauvres existences d’humain…qui seraient encore plus ternes sans des spectacles de cette qualité.

Stéphane Aznar

 

LE GORILLE
Au Lucernaire jusqu’au 3 novembre 2019
Un spectacle d’Alejandro et Brontis Jodorowsky d’après une nouvelle de Franz Kafka (Compte-rendu à une académie)
Avec Brontis Jodorowsky

Rien ne saurait manquer : psaume contemporain d’une génération Y

Une boule à facette, des fumigènes, des perruques blondes, un maître de cérémonie qui nous salue d’un “bonsoir” polyglotte : drôle de cabaret que celui-là ! Les perruques pendent comme du linge qui sèche, en guise de discours d’accueil le maître de cérémonie en collants nous lance d’un ton goguenard des interrogations existentielles, et deux comparses tout aussi intégralement collantés de noir poireautent dans un coin accoudés à une table agrémentée de micro…

C’est sur un mode ironique et distancié que la compagnie Avant l’aube, qui nous avait saisi au coeur avec Boys don’t cry, nous fait entrer dans leur exploration de cette génération Y à laquelle ils appartiennent, les “millenials”, les ados de l’an 2000.
 

@ Nicolas Pintea

C’est vif, pétillant et acidulé. Cette jeune compagnie sait parler de l’air du temps, avec le vocabulaire du théâtre d’aujourd’hui, fragmentaire, visuel, mêlé de vidéos et de compositions sonores, alternant scènes, litanies, adresses au spectateur sur un rythme 2.0, en saynètes brèves et disparates qui s’enchaînent comme on clique sur des vidéos suggérées par youtube, en bondissant d’interrogations existentielles en mèmes incontournables…
En gourmandes cerises sur le gâteau, clins d’oeil malicieux et toniques : une apparition pseudo-hologrammique de Thomas Pesquet en “homme du futur”, un frénétique discours de réception des oscars par une Marion Cotillard plus vraie que nature…
Vincent Calas, déjà remarqué dans Boys don’t cry, fredonne “Qu’on me donne l’envie”, et ces paroles n’ont pas l’air d’être si bêtes, on est touché par ce désir d’envie… Au détour d’une phrase il se métamorphose en Mélanie Laurent, on vous laissera apprécier le moment savoureux ! En leitmotiv : un Pop club presque d’un autre temps (dernière émission en 2005…), où s’affrontent en arguties nébuleuses autant qu’hilarantes un intello défaitiste d’arrière-garde persuadé qu’après lui le déluge et une plus jeune mais tout autant intello, qui tente de faire entendre la voix de ces congénères à coup de citation de philosophes pré-socratiques.
 

@ Nicolas Pintea

Les comédiens (Vincent Calas, Agathe Charnet – aussi autrice du texte – et Lillah Vial) sont tous trois parfaits de légèreté, de justesse, de spontanéité, et de gravité quand il le faut. Car, dans cette ambiance pop, surgissent aussi des éclats de ces joies folles de la jeunesse, des amitiés et des fêtes, et sourd parfois quelque chose de plus sombre. Une parenthèse récurrente, plus lyrique, plus introspective : les unes, l’autre, passe un coup de fil à leur mère, porte ouverte entre leur enfance et l’âge adulte, entre la génération d’avant et la leur, entre l’intimité et la société. Là, s’y dénudent les confessions, les nostalgies et les ambitions, les peurs et les rêves – pas si éloignés de ceux qui tenaillaient ceux qui avaient 20 ans lorsque eux sont nés, finalement. La compagnie Avant l’aube a envie de nous murmurer à l’oreille, par la voix samplée de Xavier Dolan, que, malgré tout, “tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais”… “Tout est possible à qui rêve, ose…” : beau programme que se donne et applique ce collectif !

“…je n’ai pas de french manucure, je n’ai pas de carte gold, pas d’enfants, pas d’exigence, je n’ai pas de contrat, je n’ai pas de fous-rires, je n’ai pas, je n’ai pas… mais ! j’ai de l’énergie, j’ai des désirs, j’ai une coloc sympa, j’ai du temps, j’ai facebook, j’ai deux licences, j’ai besoin de vacances, j’ai 27 ans…”

Rien ne saurait me manquer : autoportrait fiévreux et joueur, tendre et alerte, multiple et vivace d’une jeunesse d’aujourd’hui, fiévreuse et joueuse, multiple et vivace, et à l’appétit vorace…

Marie-Hélène Guérin

 

RIEN NE SAURAIT ME MANQUER (j’ai découvert Pierre Rabhi sur mon IPhone 7)
Un spectacle de la compagnie Avant l’aube
Reprise au théâtre Le Lavoir Moderne Parisien du 2 au 6 octobre 2019
Texte : Agathe Charnet
Mise en scène : Maya Ernest assistée de Julie Ohnimus
Création musicale : Augustin Charnet
Avec Vincent Calas, Agathe Charnet et Lillah Vial

Le beau revers de la médaille

Aristote disait que « la vertu est le juste milieu entre deux vices ». Tout serait donc une question d’équilibre. Facile. Or, en matière de vie de couple, et de vie tout court, allez chasser le vice pour la vertu, le vice revient au galop. C’est presque trop facile en fait, mais voilà donc le coeur du problème.

Ils ont tout pour être heureux : un appartement, un travail (lui est chasseur de tête chez Publicis, elle s’occupe de leur fille en attendant de reprendre sa carrière), un enfant, ils s’aiment parfaitement à coup de chabada-bada et d’amour chamalow. En plus de cela, ils sont blonds, ils sont beaux, et ils se le disent. Bien évidemment, filer le grand amour n’existe pas, et il va vite y avoir de l’eau dans le gaz.

Jusque là, le sujet est bien connu : une histoire de couple avec ses travers et ses disputes. Sujet bien d’actualité, car qui ne se sent pas concerné par le manque de temps, la peur de mal gérer le fait d’être parent, l’absence de sens dans son travail, le bruit constant de la ville, la charge mentale des tâches du quotidien… Tout cela est à la fois très vrai, très pertinent et aussi un tantinet cliché. Sauf que Elodie Navarre et Emmanuel Noblet interprètent ce couple explosif avec une énergie débordante dans une mise en scène de Côme de Bellescize qui évite justement de tomber dans le cliché. Il y a du rythme, il y a du mordant, et c’est impertinent. C’est drôle aussi. Oui, vous allez rire !

La question qui se pose : jusqu’où va-t-on dans cette spirale infernale ? Lui, prend de la coke pour tenir le rythme. Elle, pète littéralement un câble quand lui finit sa tranche de jambon préférée à elle, cachée derrière les yaourts. Triste drame inévitable du couple ? Et comme pour échapper à cette guerre conjugale permanente, leur petite fille autiste s’emmure dans le silence de sa chambre, jusqu’au jour où quittant le foyer familial, elle se remet à parler. Là, prise de conscience des parents, réajustement du couple, rééquilibre de vie nécessaire et vital. Tout est bien qui finit bien. Ce n’est pas pour autant un conte de fée, mais bien une peinture réelle des pantins que nous devenons si l’on ne se pose pas la question du sens, de l’effort, du silence et de l’amour véritable et durable. Car non, l’amour durable n’est pas démodé ou impossible, il demande de passer par d’innombrables batailles… qui en valent la peine. Allez voir Les Beaux, vous comprendrez.

Anne-Céline Trambouze

LES BEAUX
Théâtre du Petit Saint-Martin jusqu’au 9 novembre 2019 (mardi au samedi 21h)
De : Léonore Confino
Mise en scène : Côme de Bellescize
Avec Elodie Navarre et Emmanuel Noblet

crédits photo : Emilie Brouchon

Les Vagues ou six personnages en quête de sens

Vague, vogue, onde, vagabonde, variations.

La variation, si elle n’est pas mathématique ou temporelle, peut évoquer de manière un peu plus romantique et mélancolique, celle de la musique qui répète un thème en le modifiant légèrement, en l’ornementant et en lui donnant une forme nouvelle. Un peu comme le ressac qui revient aux oreilles mais chaque fois différemment. Ce bruit du ressac, c’est un peu ce qui nous revient en pleine face quand la mort surgit autour de nous, sans prévenir, comme pour nous faire replonger en nous-mêmes et faire table rase.

Il y a Bernard, Louis, Neville, Jinny, Susan et Rhoda. Perceval lui, est mort. Voilà donc six personnages qui – à défaut d’être en quête d’auteur – voyagent en quête d’eux-mêmes, de leurs amitiés, de leurs amours. Six consciences voguant de l’enfance à l’âge adulte, six intériorités qui manifestent leur rapport au deuil et au monde. Georgia Azoulay revisite ce roman expérimental de Virginia Woolf en y entrelaçant sa propre écriture qui se fond parfaitement dans le flux de l’histoire. Sa mise en scène dessine tout en dentelle l’insouciance et la beauté de l’enfance grâce à l’énergie jaillissante de ses acteurs et actrices. Elle rappelle que ces êtres, si beaux, si fragiles, sont toujours au bord de quelque chose, de l’envie, de l’angoisse, de la jalousie, de la mort. Ils incarnent cette variation-là, voguant, vagabondant mais vivant. Et c’est cette force de vie qui l’emporte avec éclat.

Anne-Céline Trambouze

LES VAGUES
Théâtre de Belleville du 4 au 27 septembre 2019
D’après : Virginia Woolf
De : Georgia Azoulay
Mise en scène : Georgia Azoulay
Avec Théophile Charenat, Alexandra d’Hérouville, Thomas Ducasse, Marie Guignard, Laura Mélinand et Pénélope Levy

La Commission des destins

On les avait découverts à Avignon en 2018, qui était décidément une ruche de belles surprises avec des créations toutes fraîches et particulièrement réussies. A peine sortis du Cours Florent, Marc Tourneboeuf et Martin Campestre n’y sont pas allés par quatre chemins: La Commission des destins, une pure création de leur cru. S’inspirant de leur vies, de leur parcours étudiant et des succès rencontrés lors de leurs prestations très remarquées de la profession, au Casino de Paris en 2016 et 2017, ils ont tout fait eux mêmes. Le texte est brillantissime, la mise en scène pétillante, les créations vidéo sont bluffantes de professionnalisme, concoctées avec leur complice Sully Robert, qui manie les fonds verts et les montages à la perfection.

En 2018, le Cours Florent leur a décerné son prix spécial du jury, consacrant ainsi une création brillante et un parcours promis à un bel avenir. On comprend pourquoi.

La Commission des destins, un spectacle de la compagnie Les Métronomes infidèles

Dans un genre très comique et rythmé, propulsés par une complicité contagieuse, les deux comédiens utilisent la scène avec une énergie hors norme, pour mettre leurs personnages en quête de réponses sur la question brûlante du destin. Ils décident de prendre rendez-vous avec l’Illustre Commission des Destins pour tenter de trouver de l’aide auprès des maîtres de la profession. Commence alors pour eux un périple initiatique bordé de découvertes en tous genres, un voyage parsemé d’épreuves qui les conduira, peut-être, au-delà de leurs propres envies.

Mais trouveront-ils les réponses ?

Ces deux talents-là sentent la poudre, le rythme du spectacle est endiablé, le texte est très travaillé et les parti pris de mise en scène nous offrent un spectacle total, qui exploite pleinement la puissance scénique de la vidéo, des lumières et du son.

Voilà un duo qui va faire parler de lui. Alors foncez !!

LA COMMISSION DES DESTINS
à La Comédie des Boulevards jusqu’au 4 Janvier 2020, les vendredis et samedis à 20h
Un spectacle de et avec Martin Campestre et Marc Tourneboeuf

 

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=42lRtAgCCAo?rel=0&w=560&h=315]

Et le coeur fume encore

ET LE COEUR FUME ENCORE … le plus beau titre de spectacle de ce festival, nous parle de la guerre d’Algérie.

On a tous en nous quelque chose de cette histoire-là. Cette histoire là, c’est aussi la notre.

Elle nous compose et elle nous abîme. On cherche à l’enfouir. On ne la dit pas ou trop peu, ou mal.

Impatiente et blessée, elle refait toujours surface pour mordre et quand les mots finissent par jaillir, ils sont comme les excréments d’une douleur qui n’en finit pas de tordre les corps et les cœurs.

On n’a jamais fait son procès, mais elle est coupable ; Coupable d’avoir balayé l’innocence de ceux qui ont plongé naïvement dans sa tragédie, sans comprendre que la violence est un processus sans fin qui aura toujours raison des enfants qu’elle manipule.

Elle est partout et nulle part, objet de convoitises et d’instrumentalisation, elle est belle et tragique, elle est fleurie d’amour et ensanglantée de haine, elle incarne autant la lâcheté des hommes que leur capacité au courage suprême.

”Et le cœur fume encore” nous emporte dans les histoires emmêlées de nos mémoires pour leur redonner vie, parce que pour comprendre le présent il faut convoquer le passé, il faut réussir à raconter ce qui s’est passé, réussir à écouter, exorciser les non-dits et les tabous.

Dans “Et le coeur fume encore” politique, littérature et témoignages forment l’ADN d’une écriture riche, intelligente, terriblement drôle et bouleversante de vrai. Le spectacle convoque nos mémoires, ses fantômes et leurs enfants: soldats, membres du FLN, anciens de l’OAS, harkis, enfants et petits-enfants de tous les protagonistes de cette folie humaine. Ils sont tous là. Ils ont tous en commun la souffrance, les regrets et la honte… et ce besoin irrépressible de parler. Ils ont transmis malgré eux un poids bien lourd à porter pour les héritiers, que nous sommes tous devenus.

Ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont fait ou laissé faire, ils n’en parlent pas.

Et puisque rien ne se résoudra sans la parole, alors la magie du théâtre a une chance d’opérer.

et le coeur fume encore

et le coeur fume encore

‘’J’en ai vu depuis 4 ans des valeurs tomber en poussière, pour lesquelles nous avions combattus.
A quel moment c’est courageux, d’obéir aux ordres? ’’

 

Alors, toi qui veux des histoires et du vrai,
Toi qui veux vibrer, rire et réfléchir,
Toi qui penses que tout parfois va trop vite,
Toi qui veux arrêter le temps l’espace d’un spectacle
Toi qui te demandes parfois si le théâtre sert à quelque chose

Vas voir ET LE CŒUR FUME ENCORE !

Tu embrasseras un spectacle magnifique, interprété par des acteurs totalement habités par leur sujet et leurs personnages, qui jouent cette histoire avec leurs tripes et avec leur cœur.

Et tu jouiras à ce moment précis où tu verras devant toi sur scène ces quelques éclats de toi-même. Alors tu comprendras pourquoi nos cœurs fument encore …

Et tu souriras.

 

 

Festival d’Avignon du 4 au 26 Juillet 2019, (relâchés les 10 et 17 Juillet) à 18h05

au 11 • GILGAMESH BELLEVILLE, 11, bd Raspail – 84000 – Avignon

 

Conception montage et écriture: Alice Carré et Margaux Eskenazi, avec des extraits du Cadavre encerclé de Kateb Yacine et la préface d’Edouard Glissant, Assia Djebar, Jérôme Lindon

Mise en scène : Margaux Eskenazi

Interprète(s) : Armelle Abibou, Malek Lamraoui, Loup Balthazar, Yannick Morzelle, Raphael Naasz, Christophe Ntakabanyura, Eva Rami

Compagnie NOVA

Régie lumière & vidéo : M. Flores régie son J. Martin Prod. E. Ghafoorian

JOULIKS

JOULIKS, c’est une histoire de famille et une histoire d’amour, racontées par une fillette de 7 ans.

Ses parents, Vera et Zak, vivent une relation passionnelle. JOULIKS dans la langue de Zak ça veut dire voyous. Un jour, les Vieux reviennent à la maison après 7 ans de séparation, sept années d’absence qui n’ont pas comblé le gouffre qui sépare sa mère de sa grand-mère. La Petite voit bien ce que font ces Grands ; elle ressent les choses plus intensément, elle les raconte à sa façon, sans non-dits sans hypocrisie, avec son langage venu d’ailleurs et que les adultes ont oublié.

La Petite dit les mots dans une langue du cœur à vous faire rougir les yeux ; à vous mettre de la lumière dans vos sourires ; à vous donner envie de la suivre dans son monde, avec les joues mouillées de ces larmes qui savent plus trop dans quel sens aller. Elle nous dit ce que les adultes ne savent plus dire parce que les adultes ils sont handicapés de la parole et à force de se dire mal les choses, ils se sont amputés de leurs émotions. Elle nous raconte une tragédie, mais avec elle le drame s’efface toujours derrière l’amour.

jouliks Marie-Christine Lê-Huu

Vous vous rappelez ces moments, quand les mots ne viennent plus et où vous avez envie de vous sauver des autres? … ‘’C’est pour se faire des souvenirs pour le retour, c’est pour les retours souvent, que je pars’’.  Ces moments-là, on les garde avec soi pour toujours.

Quand on a vu JOULIKS, c’est pareil. On repart avec, on garde les mots, les images, les regards, les rires et les silences avec soi pour se faire plein de souvenirs et les raconter aux autres, parce que c’est mieux quand on le partage le bonheur, il est plus beau le bonheur partagé. Et même le malheur quand on le raconte bien, des fois il se transforme en sourire et il vient se poser comme une caresse.

Cette pièce est exceptionnelle et parmi 1000, voici 4 bonnes raisons d’aller voir JOULIKS :

  1. Le texte de la québécoise Marie-Christine Lê-Huu est d’une rare et singulière intensité poétique. Magique !
  2. L’interprétation collective est parfaite, les 6 comédiens sont brillants, la mise en scène est d’une réjouissante créativité. Eva Dumont qui incarne la Petite, offre une interprétation EX-CE-PTIO-NELLE et inoubliable. France Renard est d’une incandescente et naturelle beauté, comme son personnage
  3. Cette pièce va vous fabriquer des souvenirs, les souvenirs ça sert à être racontés et ça fait du bien. Les souvenirs c’est comme le bonheur, ça diminue pas quand on les partage, alors partageons les !
  4. Une création Avignon 2019 qui sera sans nul doute une révélation du OFF et un énorme coup de cœur

 

Texte de Marie-Christine Lê-Huu

Mise en scène de Clémence CARAYOL

Interprète(s) : Bérengère DAUTUN ancienne Sociétaire de la Comédie-Française, Eva DUMONT, France RENARD, Jean-Hugues COURTASSOL, Alain FABRE, Aurélien GOUAS

Création lumières et décors: Jean-Yves Perruchon
Musique originale: Karim Lekehal

du 5 au 28 Juillet 2019 au Théâtres des Lucioles , 10 rempart Saint Lazare 84000 – Avignon

à 16h45 (relâches les 9, 16 et 23 juillet)

Le Dernier Cèdre du Liban : Je t’aime en héritage

C’est l’histoire d’Anna Duval, journaliste hors norme qui défie la guerre, court les conflits, shoote les impacts de balles sur les corps décharnés pour en ramener les fantômes à l’occident qui veut voir et savoir.

Un portrait sans concession d’une femme virile, comme seule une femme peut l’être, avec ses forces et ses failles. Une femme qui vit plus vite, plus fort, en recherche de l’adrénaline des émotions fortes, qui fuit pour oublier ses blessures, mais qui se trahit par les verres de whisky qu’elle avale et sa quête de sexe rapide sans lendemain. Une femme fière et invincible qui flirte avec la mort au Vietnam, défie ses geôliers du Hezbollah à Beyrouth, échappe au crash du vol UTA en snobant Arafat, se soûle pendant que Rostropovitch donne des fissures au mur de Berlin à coups de cordes de violoncelle.

Elle fait la guerre à la guerre, pour se faire aussi la guerre à elle-même, hantée par les survivants qu’elle fuit bien plus que par les morts qu’elle photographie. Une guerre fascinante, esthétique, qui déroule inexorablement son scénario macabre sous un ciel toujours bleu, “comme si le ciel n’en avait rien à foutre des hommes.” Elle la trouve belle la guerre, elle la trouve fascinante la guerre. Elle n’a sans doute pas trouvé plus fort prétexte pour parler au monde et pour se laver un peu, elle qui se trouve si sale.

Le dernier cèdre du Liban, Aïda Asgharzadeh, Nikola Carton, Magali Genoud et Azeddine Benamara, Condition des Soies, Festival Off Avignon 2017, Pianopanier

Une femme qui passe son temps à défier la vie, et qui se fait surprendre lorsque c’est à elle de la donner.  Alors arrive Eva, qu’elle va abandonner à la naissance, parce qu’elle préfère “mourir loin d’elle à côté de gens qu’elle ne connait pas, plutôt que de vivre à ses côtés”.

Quand la mort s’annonce, comme si c’était “son tour de payer son dû pour toutes les horreurs qu’elle a photographiées”, Eva a 18 ans, et Anna va lui laisser un héritage, un “INCENDIE” façon Wajdi Mouawad, une boite contenant des enregistrements et les secrets de sa vie.

Magali Genoud crève le plateau d’une prestation duale époustouflante : elle est Eva et Anna. Son partenaire Azeddine Benamara tout en charisme lui sert les répliques, les joutes physiques et les silences, incarnant avec superbe l’homme de toutes ces vies, vies données, vies sauvées, vies hors normes et multiples qui donnent naissance à l’éternité.

Le dernier cèdre du Liban, Aïda Asgharzadeh, Nikola Carton, Magali Genoud et Azeddine Benamara, Condition des Soies, Festival Off Avignon 2017, Pianopanier

Le dernier cèdre du Liban, c’est la métaphore de la vie éternelle, l’âme qui survit à l’enveloppe charnelle, la luciole qui murmure qu’on ne meurt jamais entièrement, qu’il reste toujours quelque chose… c’est le plus douloureux et le plus beau des héritages qui fait enfin éclore le JE T’AIME libérateur, attendu toute une vie et qui semblait ne vouloir jamais venir.

Le dernier cèdre du Liban, c’est une salle debout, transportée par une histoire de passions passionnante, écrite par des doigts de fée, transcendée par une mise en scène et une musique qui se disent JE T’AIME dans la plus parfaite des harmonies.

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=6X293A3d2w8]

LE DERNIER CEDRE DU LIBAN
À l’affiche du Théâtre des Lucioles à 18h35, Festival Off d’Avignon du 5 au 28 Juillet 2019
Texte : Aïda Asghardzadeh
Mise en scène : Nikola Carton
Avec :  Magali Genoud et Azeddine Benamara
Scénographie et lumières : Vincent Lefèvre

L’enseignement de l’ignorance

A Avignon cette année, “L’Enseignement de l’ignorance” a accueilli son 4444e spectateur et joue quasi complet, comme en 2016 et en 2017.

Le texte directement inspiré de l’essai controversé de Jean-Claude Michéa, est un coup de poing, qui ne laisse que peu de temps à la respiration. Il est projeté, arrêté, suspendu aux notes de musique de Seb Lanz et aux regards interrogateurs des deux acteurs complices qui le découvrent, en même temps que le spectateur. On se surprend à penser qu’il ne puisse s’agir ici que d’exagération, de déformation, d’une outrageuse provocation et on lit interpellé des phrases ciselées, au rythme des notes de musique.

L'enseignement de l'ignorance

Nous sommes face à un monde où les élites, bien loin d’œuvrer au progrès de l’humanité, n’auraient pour dessein cynique que de fabriquer des individus dociles, dépourvus de capacités de réflexion et d’indignation, un monde d’ignorance, de consommateurs béats, avides de superflus et dont le niveau se doit cesser de baisser pour servir au mieux les intérêts de la vieille “main invisible” d’Adam Smith.

Sauf que ce monde-là n’est pas post apocalyptique façon “wall-E”, mais bel et bien le nôtre, le monde d’aujourd’hui, le monde de l’ignorance… recherchée.

Sauf que dans cette tragédie, il serait trop simple de nous poser en victime et de désigner le seul libéralisme sauvage comme coupable. L’ENSEIGNEMENT DE L’IGNORANCE nous confronte aussi et avant tout à nous-mêmes.

Si nous y regardons de plus près, c’est notre égoïsme et notre capacité à l’indifférence qui nous sautent violemment à la figure, nous faisant le plus souvent “préférer une catastrophe mondiale à une égratignure sur notre doigt”.

L'enseignement de l'ignorance, Jean-Claude Michéa, Sab Lanz, festival d'Avignon, Compagnie DDCM

Si le désastre écologique, dans lequel plonge une modernité qui se dit évoluée et se pense invincible, nous a habitué à nous questionner sur le monde que nous allons laisser à nos enfants, Seb Lanz prend le contrepied et se réapproprie la formule de Jaime Semprun : “Quels enfants laisserons nous à notre monde?”. Comment est il possible que le développement économique porté au rang de quasi religion et adopté par une planète qui ne jure que par la croissance comme déesse bienfaitrice de l’humanité, bien loin de rassasier notre égoïsme, semble au contraire nourrir le monstre sans fin et annoncer un épilogue effrayant ? Promotion de l’ignorance par complicité collective et inaptitude à la réflexion.

On se souvient de la tirade d’un ex dirigeant de TF1 qui assumait avec naturel et non sans cynisme que la grille de programmes avait pour vocation première de rendre le cerveau du téléspectateur disponible pour les plages de publicité. Et en 2013 à l’occasion de la sortie de son livre ”petite poucette” Michel Serres, mêlant amusement et stupéfaction consternée, faisait remarquer que nous avions gagné 3h37 d’espérance de vie par jour par rapport à nos ancêtres et que c’est exactement le temps que nous passons devant la télé. Nous y sommes !

Alors pour une fois, méfions-nous vraiment du complot, méfions nous surtout de nous-mêmes, et attendons la suite que Seb Lanz nous prépare, avec impatience…”LA CULTURE DU NARCISSISME” … comme si ignorance et narcissisme n’étaient que des jumeaux maléfiques, des ombres de soi. Un spectacle prémonitoire qui devrait être rendu obligatoire.

L’ENSEIGNEMENT DE L’IGNORANCE – Compagnie DDCM
Auteurs : Jean-Claude Michéa, Seb Lanz
Avec : Héléna Vautrin, Fred Guittet, Seb Lanz

au Théâtres des Carmes André Benedetto à 10h00

Je vole… et le reste je le dirai aux ombres

 

“Au moment où il se jette par la fenêtre, Richard réalise enfin son rêve d’enfant.
Voler.
Cette pièce prend corps dans l’espace de sa chute.
Une seconde.”

 

Nous sommes le 28 mars 2002, il est 10 h. 20 minutes et 37 secondes.
Richard Durn se jette par la fenêtre de la salle d’interrogatoire et durant une seconde, dans sa tête, tout reprend vie : sa mère, son seul ami, la vendeuse d’armes, le professeur d’art dramatique, Roberto Zucco, l’amoureuse de Bosnie, Robocop, l’adjointe au maire et Brad Pitt. Il sera 10h 20 minutes et 37 secondes longtemps.

“Je m’appelle Richard, et j’ai un pouvoir extraordinaire. Je vole.
Je sais que cet envol ne durera qu’une seconde et qu’ensuite ce sera comme si je n’avais jamais existé,
mais cette seconde sera la chose la plus importante de ma vie.”

 

Jean-Christophe Dollé, dont on avait aimé Timeline ou il y a quelques années Mangez-le si vous voulez, est parti en quête de ce qui a pu être une réalité de Richard Durn, cet homme sans histoire qui un jour est entré dans la salle de Conseil municipal de sa ville et en a abattu les membres. Des bribes, des souvenirs des uns, des autres, des notes de journal intime, des fragments de rapport de police…
Parcelles de réalité, rassemblées pour tenter de trouver un fil, saisir le point de basculement.
Pas de réalisme pour traiter cette réalité, pas de réalisme car comment savoir ? comment représenter l’indicible ?

En fond de scène, une boîte noire, façade ouverte. C’est le lieu où les trois acteurs ne sont pas dans la vie de Richard, le lieu où on l’envisage, l’interroge, le remémore, l’enquête. Le lieu où on le reconstitue aussi. Les acteurs s’y changent, passent la perruque de la mère, le blouson de l’ami; y convoquent Hegel et Nietzsche pour théoriser la violence, Freud peut-être ? le rapport au père ? ou la mère ?; soupèsent le poids de la libido face à celui de la pression sociale, qu’est-ce qui peut faire pencher la balance irrémédiablement ?

Richard, celui qui est passé à l’acte, n’apparaît jamais. Son portrait est taillé en creux, par les échanges de ses interlocuteurs, dans leurs mots ou les réactions de leur corps. Celui qui a tué puis s’est tué restera une absence, un trou noir dans l’espace où ont sombré des vies brisées, celles interrompues de ceux qui sont morts, celles altérées à jamais de ceux qui restent.
Je vole... et le reste je le dirai aux ombres, un spectacle de la cie f.o.u.i.c Photo © JC Lemasson

“En une seconde il peut se produire une infinité de choses”

Le temps se déforme. En une seconde, il peut se produire une infinité de choses. JC Dollé a travaillé avec Arthur Chavaudret, pratiquant la “magie nouvelle” avec le Collectif 14:20, pour donner corps à ces distorsions du temps, et l’on voit des instants bégayer ou se suspendre, s’étirer ou se télescoper. Non pas comme le temps se mesure, mais comme le temps se perçoit. Des tremblements de la réalité. La poésie surgit au détour d’un étonnement, jamais décorative, toujours porteuse de sens.

Avec une pudeur immense, Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève et Julien Derivaz nous entraînent à leur suite dans les méandres de la psyché du tueur. Ce sont tous trois de fins acteurs. Ils ont le goût du jeu, et la conscience de l’humanité de leurs personnages. Clotilde Morgiève a un talent rare pour passer d’un personnage à l’autre, d’un âge à l’autre, d’un état à l’autre, faisant oublier d’un geste qui elle était la seconde d’avant, gardant toujours la même justesse, la même expressivité ultra-sensible.
L’écriture comme la mise en scène, étoffées par un travail sur le son et la composition musicale d’une qualité et d’une pertinence qui méritent d’être soulignée, sont d’une intelligence, d’une fluidité et d’une précision remarquables. Dollé a le sens des images puissantes, de celles qui persistent. Du réel, les f.o.u.i.c. font théâtre, et du théâtre, matière à vibrer et à penser.

Marie-Hélène Guérin

 

JE VOLE… ET LE RESTE JE LE DIRAI AUX OMBRES
Ecrit par Jean-Christophe Dollé
Mise en scène : Jean-Christophe Dollé et Clotilde Morgiève
Avec Jean-Christophe Dollé, Julien Derivaz, Clotilde Morgiève
et les voix de Félicien Juttner et Nina Cauchard
Musique Collectif N.O.E
Avignon Off 2019 : au Théâtre des Gémeaux jusqu’au 28 juillet à 10h