20000 bulles sous les mers : une pétillante fantaisie maritime pour écolos en herbe !

De doux flonflons un brin nostalgiques, cousins de René Aubry ou Yann Tiersen, nous accueillent dans la petite et coquette salle du Funambule.
Bottés de caoutchouc et vêtus de rayures marins en vrais p’tits titis bretons, Plick et Plock, deux marins pêcheurs impatients jouent en vain de la canne à pêche. Leurs mimiques et burlesqueries amusent d’emblée les plus petits, qui sans compassion aucune se bidonnent aux grondements des estomacs vides pleurant pitance ! Plus rien à s’mettre sous la dent, et c’est pas la vieille godasse qu’on remonte finalement du fond des eaux qui va améliorer le dîner…
Les deux marins pêcheurs privés de poisson prennent le mors aux dents et décident de partir en quête du plus gros mammifère des océans : la baleine.

Les voilà embarqués dans une aventure pleine de rebondissements, qui les fera rencontrer une Toute-petite-sirène, César le Homard, de gracieuses méduses et autres espadons-pirates, tout coincés dans la même galère, le ventre d’une baleine qui a bien du mal à digérer les monceaux de détritus qui se sont entassés dans son estomac, la faute aux humains pas bien soigneux de la mer de leur planète-mère.

Airs du répertoire traditionnel comme Pique la baleine ou Les Trois Marins de Groix et morceaux originaux rythment le spectacle et ponctuent l’action, très joliment interprétés par Eva Dumont, et Serge Ayala, tous deux aussi comédiens alertes et délicats que clowns farfelus.

Le décor de bric et de broc est malin et charmant, astucieusement modulables à vue et au gré de l’histoire par les deux comédiens, un banc retourné sur un demi-bidon se métamorphose en bateau, une voile en baleine…

Il y a du merveilleux dans cette « fable écologique »; on y crée tout un bestiaire incroyablement poétique avec mille babioles des placards de la cuisine recyclées en marionnettes « low tech » dont les enfants (et parents) curieux découvriront les secrets de fabrication après le spectacle lors d’un « bord de scène » (très apprécié des spectateurs), et on y invente de joyeuses solidarités trans-espèces.
C’est plein de fraîcheur, tendre, cocasse et pertinent. La pédagogie se fait avec le sourire, sans être anxiogène mais sans mièvrerie.
Une bien jolie façon de stimuler l’imaginaire et la conscience écologique des minots, avec fantaisie et malice.

Marie-Hélène Guérin

 

20000 BULLES SOUS LES MERS
Vu au Théâtre Le Funambule
Un spectacle de la compagnie L’Oiseau Lune
Texte et mise en scène Serge Ayala et Eva Dumont
Avec Serge Ayala et Eva Dumont, en alternance avec Alix Mercier
Durée 45 minutes
Pour jeune et moins jeune public, dès 3 ans

Contre-jour : vibrant palimpseste

Sous la crépitante et joyeuse rumeur d’une salle pleine, froissements de manteaux, bavardages, se dévoile un plateau presque nu, où prend place un vaste cadre de bois sombre, enserrant une surface douce, blonde, légèrement ondulée.

L’obscurité se fait, surgit un chant hispanique, aux accords familiers et vibrants, de ces chants qu’on imagine d’amour sans doute, peut-être de travail, de luttes ou de résistance.
Le jour se lève sur une jeune femme en tailleur, simple et sereine comme une pierre dans un jardin japonais. Quatre danseuses lui font face, elles à l’extérieur encore de l’aire de danse…
Une gracile s’y engage enfin, s’y déplace comme ces insectes d’eau effleurant à peine la surface. Dans le silence, toutes la rejoignent, à chacune son trajet.
Elles sont vêtues comme pour des vacances d’été, cheveux noués flous, sourires aux lèvres.
Elles sont douces et athlétiques, rampantes et aériennes, unes et unies.

© Bart Grietens

Elles marchent les unes sur les autres comme dans ce duo de Boris Charmatz qu’on a vu faire récemment l’ouverture de La Ronde au Grand Palais (extrait de Herses, 1997) mais sans poids, presque comme suspendues, comme sur un tapis de soie accueillant et fragile.
Il y a du circassien et du hiphop dans leur gestuelle, on y lit la variété de leurs expériences, et les débuts comme acrobate d’Alexander Vantournhout, concepteur et chorégraphe de ce Contre-jour – qui avant la danse contemporaine s’était frotté aux arts du cirque. Mais la virtuosité et la technique dont elles font preuve avancent à bas bruit, se fondent dans la poésie des images et l’humanité du propos.

D’étranges portés au ras du sol les métamorphosent en des êtres mutants dont les membres se prolongent les uns les autres.
Des chutes en spirales se font mouvement perpétuel où le sacrifice de la verticalité des unes permet le redressement des autres.
Le groupe a ses flux et ses reflux, une ou deux s’en détachent pour un solo net comme une flèche décochée ou des pas de deux très physiques où pourtant nul rapport de domination ne semble altérer la fluidité des échanges.
Puis elles se rejoignent, se posent, reprennent leur souffle, chantent.

L’espace se sculpte de silence, de leurs voix et de leurs respirations. Plus tard, pour un moment, l’air s’emplit de crissements, de coups sourds, comme une redite distordue des sonorités créées par leur danse.

A mi-parcours, un écran, reflet dressé de l’aire de sable, restitue à la verticale la vidéo de ce qu’on ne voit pas, nous, mais qu’on devine, à l’horizontal de nos regards, les traces dessinées par le pas des danseuses, signes éphémères, prémices d’écriture, et l’on rejoint l’étymologie de la chorégraphie – l’écriture, et le chœur. Traces effacées, reprises, continuées, superposées, effacées… Contre-Jour, comme un palimpseste vibrant et sensible.

Elles se font disparaître, se fondent en mettant leurs pas dans les pas de celles qui les précèdent, en mettant les empreintes de leurs pieds dans celles de leurs mains, nul ne pourra savoir combien d’êtres ont marché là.
Mais fuient-elles, se dissimulent-elles ? Dans les sourires qu’on lit sur leur visage, dans leurs regards clairs et droits, dans leurs corps puissants et tranquilles, on ne décrypte pas la peur, mais plutôt le goût du secret joyeux, de l’échappée belle.
La sauvagerie qui affleure parfois n’a pas le goût de la violence mais celle de la fougue et de la liberté.
Les duos, les ensembles, parlent d’équilibre, de soutien, d’écoute, de jeu aussi. Parlent d’une sororité en mouvement, de bienveillance.
Il y a de la grâce et de la douceur. Avec de beaux sentiments on peut faire de belles choses.
On sort ému, le cœur comme allégé et raffermi, de ce spectacle rare, où la délicatesse est une force.

Marie-Hélène Guérin

 

CONTRE-JOUR
Création au 104, première mondiale
Un spectacle de la compagnie not standing
Concept & chorégraphie : Alexander Vantournhout
Créé avec et interprété par : Philomène Authelet, Tina Breiova, Noémi Devaux, Ariadna Gironès Mata et Aymara Parola
Dramaturgie : Rudi Laermans et Sébastien Hendrickx
Coach vocal et dramaturgie musicale : Fabienne Seveillac
Création lumière : Harry Cole
Costumes : Sofie Durnez
Vidéographie : Stanislav Dobak

Dates de tournée à retrouver ici : tourdates

Amour amère : amour a-mère, par delà le bien et le mal

Edouard et Marie-Joséphine se sont aimés, trente années. Trente années à faire jaillir la vie, à bâtir, entreprendre, fonder une famille, fructifier. Leur rencontre a été un coup de foudre, de ces évidences inéluctables.
Avant, oh, avant, ils s’attendaient… dans les affres d’une jeunesse, d’une enfance d’orphelin ballotté de famille d’accueil en famille d’accueil; dans la morosité d’un médiocre mariage, pour échapper à une mère mal aimante.
Mais aujourd’hui, on enterre Marie-Jo. Edouard s’échappe un instant du brouhaha des amis, de la famille, réunis dans la pièce adjacente. Clope au bec, lunettes noires, voix au grain rocailleux, belle gueule, l’homme se réfugie près du cercueil de la très-aimée, se laisse aller aux confidences…
Penaud et malicieux, il cache sa clope éteinte dans les fleurs du cercueil.


Un cercueil, des banquettes marbrées comme des tombeaux. Quelques taches de rouge, fleurs couvrant le catafalque, bouquet au bras de l’homme. La scénographie est élégante, d’une netteté très graphique.
Des vrombissements de voitures traversent le spectacle, le crissement de l’accident qui a failli les emporter, le feulement de l’Impala bleue 1965 qui fait partie de leur flotte de location de « Tacots Rétro ».

« Putain de douleur,
putain que j’ai pleuré, je devais ressembler à Heïdi »

Chant d’amour rieur, tendre, rageur.
Avec lui, comme lui, on a le cœur serré et l’œil pétillant, parce qu’une vie, un amour, c’est comme ça, d’ombres, de sourires, d’éclats.
La deuxième clope rejoint la première…

« Elle a 15 ans de plus que moi,
la majeure partie de l’année »

Par moment, les lumières baissent, se resserrent autour de l’acteur, un piano égrène quelques notes, on glisse de la confidence au monologue intime, Edouard nous oublie, se replie. Son tangage, sa déambulation s’interrompent. L’attention des spectateurs se densifie.
Elle est morte d’un cancer, lui ne tardera pas. Maintenant qu’il a trouvé une place pour ses clopes, plus d’hésitation, hop, au milieu des fleurs. Dans les volutes de fumées, les confidences s’égrènent, et l’étau du secret se desserre.

« L’amour est un animal étrange »

Jean-Pierre Bouvier est bouleversant.
Une interprétation implacable, d’une fine justesse dans chacune de ses nuances, un art précis de la rupture, un condensé d’humanité, avec ses houles et ses douceurs, ses rires de gaieté et de douleur.
« L’amour est un animal étrange », nous dit-il, et chacun se fera juge, ou acceptera de ne pas juger, cet amour étrange, étrangement émouvant.

Marie-Hélène Guérin

 


AMOUR AMÈRE
Au théâtre La Bruyère automne 2021
De Neil Labute, adapté par Dominique Piat
Mise en scène et interprétation : Jean-Pierre Bouvier

Itmahrag, jeunesse à corps perdus

Né dans l’Egypte des années 2010, dans les quartiers les plus populaires, le mahraganat (festivals, en arabe), de taxis en mariages, de fêtes de rue en clubs branchés, joue la bande-son de l’après-Moubarak. Musique et danse de la jeunesse, aux rythmes mêlant rap, électro et réminiscences traditionnelles, aux sonorités sales des enregistrements bricolés avec du matériel de fortune, à l’arrache, musique de l’impulsion et de la rébellion aux textes crus et subversifs…
Si punk, si jeune, si rebelle, qu’en 2020, le mahraganat est interdit de scène en Egypte par le syndicat des musiciens : il est estimé immoral, « regorgeant d’allusions sexuelles, et dénué des qualités sentimentales » qu’attendent – selon le-dit syndicat – les « familles égyptiennes ».

Le chorégraphe Olivier Dubois, depuis longtemps un pied à Paris, l’autre au Caire, fait une passerelle entre ses deux lieux de vie et de création, et porte aujourd’hui à la scène ce son de la rue avec un groupe de quatre danseurs et trois musiciens.
Ce sera Itmahrag, mot qu’il extrait et tord de la langue égyptienne pour lui faire clamer un appel à l’exultation, à la fête : « festoyons, vivons le moment présent ! ». Itmahrag nous parlera d’une jeunesse « qui se déleste d’un passé, ô combien chargé de millénaires, et vit son présent », dans une danse incendiaire qui « vous fait rougir le sang, effraie tout autant, brûle souvent et toujours vous réchauffe ».

© Mossab El Shamy
Sur scène, une immense roue, entre moucharabieh et rampe de spot de night-club, nous darde de son œil géant.
Des jeunes homes véloces et bavards sous la lumière blanche des pleins-feux arpentent le plateau, 7 jeunes gens, 7 micros, voix de trottoirs et de rues, de déambulations de potes mâles, alertes, joyeuses et chamaillardes.
Chaque interprète se présente, glissant de l’anglais à l’arabe, de « chambrages » où l’on retrouve l’humour railleur et vif de l’Egyptien parisien Albert Cossery en litanies entêtantes et lancinantes.

Ils sont distincts dans le générique mais sur le plateau danseurs et chanteurs s’emparent sans distinction des mots ou des gestes. Corps et voix ont chez tous le même nerf, la même rapidité nonchalante.

Les spectateurs non arabophones sont laissés aux sonorités non sous-titrées, flottant bercés de syllabes inconnues… jusqu’à ce que… « i suppose there’s some people that doesn’t speak arabic here, so let’s speak english… ». On quitte le fantasme, on revient sur terre, « we we’re talking about our real lifes. Our real lifes are not what you’ve seen… ». De menaçants couteaux sont déguisés en jeux de fête de foire ou inversement…

La bagarre a un air de « l’air de rien », un reste de jeux d’enfance brusques et fanfarons.
Mais la nécessité d’expulser la violence et la fougue est un noyau brûlant, une braise sous les pieds bondissants de la jeune troupe.
Un inattendu ralenti, un grondement tellurique, tordent la fête et le quotidien.

© François Stemmer

Itmahrag est fragmentaire, multiple.
Monologues tendus aux sonorités électroniques et sourdes se bousculent d’éclats de voix quotidiens et familiers.

Mais une longue séquence finale renoue avec la densité et l’unicité de Tragédie ou Souls, le moucharabieh techno mué en lune noire, grondements sismiques, lumières épileptiques.
Le vocabulaire graphique et rythmique d’Olivier Dubois envahit le plateau, les corps et les gestes des danseurs, envahit yeux, oreilles, cages thoraciques des spectateurs.

Se jeter à corps (é)perdus, courses effrénées, reptations chutes et rebonds, tension rétention expulsion, air saturé d’électricité et de violence. Des hommes pourtant dansent ensemble et se prennent dans les bras, un homme rit sous les bombes, folie ou pulsion de survie, folie sans doute, s’il ne reste plus que cela pour la survie.

Des corps vifs et acérés, une danse énergique, frondeuse et généreuse, torses dégagés, épaules rejetés, corps solides et déployés, talons enracinés, ancrés dans le sol : sur les ruines, la jeunesse chante et danse, et sa fougue palpite et déborde, et c’est une pulsion contagieuse et salvatrice !

Marie-Hélène Guérin

 

Talaa – sun is rising / طلعة – par les interprètes d’Itmahrag

 
ITMAHRAG
اتمهرج

Au 104 dans le cadre du Festival Séquence Danse Paris
et dans le cadre du Printemps de la danse arabe 2021
Direction artistique et chorégraphie : Olivier Dubois
Interprètes : musiciens : Ali elCaptin, Ibrahim X, Shobra Elgeneral • danseurs : Ali Abdelfattah, Mohand Qader, Moustafa Jimmy, Mohamed Toto
Composition musique : directeur musical : François Caffenne • compositeur : François Caffenne & Ali elCaptin • musicien et chanteurs : Ali elCaptin, ibrahim X, Shobra Elgeneral
Assistant artistique : Cyril Accorsi
Lumières : Emmanuel Gary
Scénographie : Paf atelier & Olivier Dubois

Dates de tournée (sous réserve des mesures gouvernementales) :
17-20 mars 2021 : Chaillot, Théâtre National de la Danse
1er-3 juin 2021 : Biennale de la Danse de Lyon

En attendant, retrouver d’un clic ici la compagnie Olivier Dubois sur sa chaîne vidéos

Tout ça pour l’amour ! : un bain de vitalité et d’intelligence

Ce soir-là, le Petit Montparnasse nous avait semblé bien grand.

La petite salle, nichée au bout de sa ruelle pavée, accueillait une des surprises les plus passionnantes de la saison. On la retrouve avec gourmandise au Théâtre de l’Œuvre.

Dans le noir qui se fait, encore bruissant des affairements du public, une belle voix surgit, nous embarque dans une de ces lugubres chansons réalistes début XXe, l’attention est captée, l’atmosphère a une gravité crépusculaire…
Solennité immédiatement brisée en éclats de rire par l’irruption en roulé-boulé d’une improbable professeur de « littérature et latin ». Acrobaties, jambes en l’air, accent suisse marqué, grosses lunettes, débit de mitraillette. Et vlan, c’est parti mon kiki !
 


 

« POUR BIEN RÊVER,
IL NE FAUT PAS DORMIR »

« Pour bien rêver, il ne faut pas dormir », beau programme clamé et tenu par Edwige Baily et Julien Poncet, les co-auteurs de cette pépite.

Assoiffés de théâtre, pour se dégager de la sidération de la pandémie, par goût de la vie et de leur métier, Edwige Baily et Julien Poncet se jettent au printemps 2021 dans la création de ce texte. Pour transformer l’attente et l’immobilité en temps de travail, pour faire ce que fait l’art et le spectacle vivant : ajouter au monde une palpitation supplémentaire, même infime.

Brassant dans leur chaudron d’alchimistes faits réels, souvenirs d’enfance, bulletins d’information, grands mythes fondateurs, culture savante et populaire, ils concoctent une potion des plus revigorantes.

Gainsbourg se frotte à Camus, Barbara fredonne avec Aragon, Jean Ferrat, le Che Guevara, Sgnanarelle, le Petit Chaperon rouge, Sophocle et Bettelheim déboulent en cascades, en torrents, chantés, dits, narrés, cités. Autant de grains de sel savoureux bondissant dans cette parole érudite et cocasse – déclaration d’amour échevelée à l’amour, à la littérature, à l’ivresse (« de vin, de poésie ou de vertu, à votre guise », disait Baudelaire…).
 

 
Deux fils s’entrecroisent pour tisser ce spectacle inattendu : celui de l’extravagante enseignante sans âge et sans inhibition, celui de la douce et jeune professeur. Seule en scène, mais deux voix, deux rythmes, presque deux corps distincts.

On reconnaît l’histoire de Gabrielle Russier, déjà portée à l’écran ou gravée sur quelques microsillons au fil des décennies. Professeur de lettres, à la fin des années 60’ elle avait aimé son élève mineur, fut emprisonnée pour cette liaison illicite, et se suicida, à l’âge de 32 ans, des suites de cette condamnation.

Edwige Baily interprète ce double fictionnel de Gabrielle Russier avec finesse et retenue, fait percevoir son enthousiasme, son romantisme et son intelligence sans forcer le trait, avec une belle justesse, sobre, chaleureuse et gaie.
En contrepoint, une pythie fantasmagorique, une Gabrielle Russier libérée de ses entraves, une sorcière de l’enseignement vient bousculer la narration, déployant le mythe d’Antigone pour parler de ce qui portait Gabrielle Russier et l’a jetée aux gémonies. Pour parler des femmes d’hier et d’aujourd’hui, pour parler de littérature, de soif d’absolu, de liberté, d’intégrité. Beaucoup des femmes. Surtout de liberté. Edwige Baily se transforme alors en gargouille, en corbeau, en sphinge farfelue et furieuse, dans une effervescence un brin punk. La tranquillité du plateau s’en trouve tout aussi chamboulée que celle du spectateur ! Sur scène elle fait des choses qui « ne se font pas », comme Gabrielle Russier, comme Antigone, faisaient des choses qui « ne se faisaient pas ».
 

 
Passant d’un registre à l’autre avec une grande fluidité, Edwige Baily excelle dans les deux, avec une grande liberté de jeu, précise et généreuse aussi bien dans l’outrance que dans la délicatesse. La création sonore et les lumières sont soignées, pleines de pertinence, lui offrant un espace de jeu très élégant et actuel, à l’image de la mise en scène, qui a le muscle sec, fine, vive et nette.

Tout ça pour l’amour, c’est un de ces spectacles qui rappelle pourquoi on aime le théâtre.
Tout ça pour l’amour, ça pulse et ça émeut, on rit, on se fait secouer les neurones, on rit encore, on a du beau dans les yeux, les oreilles et dans la tête.
On en sort avec l’envie de le partager, les yeux pétillants, l’âme en joie, le cœur encore ému du destin fracassé de cette femme débordante d’amour, et l’esprit revigoré par ce joyeux bain de vitalité et d’intelligence.

Marie-Hélène Guérin

 

TOUT ÇA POUR L’AMOUR !
Au Théâtre de l’Œuvre, du 20 octobre au 31 décembre 2022
D’Edwige Baily & Julien Poncet
Mise en scène Julien Poncet
Avec Edwige Baily
Scénographie et costumes Renata Gorka
Lumières Julien Poncet
Sound design Raphaël Chambouvet

Architecture en pierre de taille

Le pape du festival d’Avignon est Pascal Rambert, et la cour d’honneur est son palais. Rares sont ceux ayant aussi bien su mettre en valeur les murs et les voûtes de ce lieu mythique, et encore plus rares ceux ayant réussi au contraire à faire oublier la magie du Palais des Papes pour mieux transporter leur public. Pascal Rambert a, paradoxalement, relevé le défi de conjuguer ces deux prouesses.

Tout commence par une ronde, une danse si légère qu’elle en semble suspendue dans le temps. Un instant de communion et d’alchimie totales entre les neuf comédiens qui vont s’affronter. Puis résonnent la voix grave de Jacques Weber, et les mots violents de Pascal Rambert.
Car Architecture est une histoire de violence : sur fond d’un XXe siècle tragique, une famille d’intellectuels se déchire comme se déchirera bientôt l’Europe de part laquelle ils voyagent.

Les thèmes de la guerre, bien sûr, mais aussi et surtout de la famille et en particulier des relations entre les pères et les fils, autant de sujets chers à Pascal Rambert, constituent le cœur de ce texte riche, poétique, puissant, moderne, ébranlant, fort, marquant. Entre face-à-faces pleins de tension et monologues foisonnants, passionnants et bouleversants, ces répliques, ces mots, frappent de plein fouet, pénètrent, poignardent, laissant des cicatrices ineffaçables et salvatrices. Et si la langue et les mots brûlants et violents de Pascal Rambert, faisant écho au plus profond de chacun, constituent les solides et indispensables fondations de cette Architecture, les neuf comédiens qui s’affrontent sur scène en sont indéniablement les piliers essentiels, bravant les tourments d’une époque qui les dépasse. Ces mastodontes donnent vie aux personnages et aux mots de Rambert, avec un talent tel qu’il semble obligatoire de saluer chacune de ces performances.

Jacques Weber incarne avec puissance le patriarche violent et vieillissant, figure du vieux monde ; Stanislas Nordey tient droit face aux reproches amers de son père, (dés)articulant chaque mot pour mieux le planter dans le cœur des autres protagonistes et des spectateurs ; Marie-Sophie Ferdane prête sa voix cuivrée et sa bravoure au rôle de la seconde femme de Jacques, pièce rapportée à une famille qui peine à l’intégrer ; Anne Brochet et Emmanuelle Béart incarnent deux sœurs aux destins parallèles avec subtilité et violence ; Denis Podalydès et Pascal Rénéric, en alternance, campent avec fragilité et émotion le fils aîné, musicien bègue incompris, aimant passionnément sa femme, Audrey Bonnet, magnifique de légèreté et de force jusqu’à un monologue final particulièrement puissant et avec laquelle il constitue un couple à l’alchimie évidente ; Arthur Nauzyciel est d’une grande justesse, en militaire teigneux, tour à tour effrayant et vulnérable, belliqueux et résigné ; enfin, Laurent Poitrenaux détonne : à la fois drôle, touchant ou profondément antipathique, il est ce gibbon inquiétant, élastique et impressionnant.

Ainsi, pour notre plus grand plaisir, ces neuf comédiens de marbre brut, véritables mastodontes monolithiques, s’affrontent sur une scène sublimée. Sublimée tout d’abord par la scénographie, d’une pureté éblouissante, qui voit le plateau divisé en îlots qui forment cet écosystème familial. Sublimée par les lumières d’Yves Godin, entre froideur et chaleur, évoluant en harmonie avec le cours du récit, épousant le texte et son cheminement.
Architecture est un grand spectacle, une succession d’images lumineuses et marquantes, de scènes d’anthologie parfois si féériques que l’instant semble figé, un chef-d’œuvre porté par une troupe impressionnante et talentueuse, un de ces instants de théâtre total, une étincelle dans le paysage théâtral, qui illumine la Cour d’honneur et notre âme de spectateur.

Nathan Aznar

Teaser Architecture

ARCHITECTURE
Vu au festival d’Avignon 2019,
à voir actuellement aux Bouffes du Nord, jusqu’au 22 décembre
Texte, mise en scène et installation Pascal Rambert/ collaboration artistique Pauline Roussille/ lumière Yves Godin/ costumes Anaïs Romand/ musique Alexandre Meyer/ chorégraphie Thierry Thieu Nineang / chant Francine Acolas / conseil mobilier Harold Mollet
Avec Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès de la Comédie-Française, en alternance avec Pascal Rénéric, Laurent Poitrenaux, Jacques Weber
Photos © Christophe Raynaud de Lage
Création le 4 juillet 2019 au Festival d’Avignon – Cour d’honneur du palais des papes
Dates de tournée 2019-2020 ici

Warm : enfer ou back room ?

Vous avez envie de voir autre chose, de l’hors du commun, de la performance scénique, de l’intensité, « Warm » vous époustouflera.

Peut-on être excité sexuellement au théâtre ? C’est une question que l’on peut se poser en assistant à une représentation de « Warm ». Le théâtre n’est pas l’image, le théâtre, c’est le corps de loin et la voix qui vous arrive et c’est ce que nous donne à voir superbement « Warm ». On vous demandera de laisser vos effets aux vestiaires, car dans la salle, soyez prévenus « ça va chauffer ».
C’est assurément un texte écrit par un homme que nous donne à entendre Béatrice Dalle, qui a beaucoup de courage de se colleter à cette violence textuelle et physique, à cette succession de verbes violents, dévorateurs, exigeants et mettant en avant la maîtresse femme, pur désir et pur fantasme vus par l’esprit masculin. Elle y vit l’incarnation de ce désir et nous le retranscrit par la voix et de temps en temps avec son corps, qui voudrait lui aussi s’exprimer, mais comment faire, debout, presque figée, face à un lutrin, un micro à la main, pour que le corps vive également, pour que la voix ne soit pas que montée de la jouissance, mais puisse aussi se libérer et atteindre l’orgasme ?

Ceux qui vivent à travers leur corps sur le plateau, ce sont le porteur Wilmer Marquez et le voltigeur Edward Aleman. Pourquoi deux hommes et pas deux femmes, ou un homme et une femme ou deux femmes ? A quoi correspond ce fantasme de voltigeurs ? Fraternité ? Homosexualité ? Rêve de partouze ? Il faut cependant préciser que le spectacle est né de cette rencontre entre le metteur en scène David Bobée et le duo d’acrobates colombiens et que le texte n’est venu qu’après. Des corps qui symboliseraient « ça », cette tentative de montrer « ça », avec la grâce et la force et la beauté des corps de ces deux hommes et sans une once de vulgarité.

La maîtresse femme se veut dominatrice alors que bien souvent, elle n’est que commentatrice et non ordonnatrice des événements de ses fantasmes incarnés par les exploits acrobatiques d’Edward Aleman et Wilmer Marquez. Sauf à certains moments, où elle aime à dominer par la parole, presque contraindre, presque sadique. Elle se saoule de ses propres inventions et incantations, tandis que les hommes-objets, interchangeables, morceaux du meilleur de chaque fraction de corps et de visages archivés par l’inconscient désirant de celle qui fantasme, ne paraissent au début que des gymnastes -enfin quand je dis « que », ce n’est pas réducteur, leurs prouesses nous impressionnent- et deviennent peu à peu des lutteurs qui ratent, tombent, déchoient, s’abandonnent à leur fatigue, à leur faiblesse, que leur transpiration, provoquée par la chaleur sur le plateau, oblige à se surpasser et qui, parfois, malgré les injonctions diaboliques de la maîtresse femme, n’en font qu’à leur tête et à leur corps.

@ Arnaud Bertereau

Quelle est cette femme si crue, si sans histoire, qui jouit de manipuler les corps comme une marionnettiste, ce spectacle circassien de l’intérieur de sa tête ?
Même si Béatrice Dalle est tout à fait impressionnante dans son interprétation qu’elle restitue avec force et intensité, elle demeure cependant jeune pour ce jeu de rôle rude et masculin, où l’on oscille entre enfer et back-room ; j’aurais imaginé une femme vieille, à la peau fripée, à la voix éraillée, pour ces invocations, pour cette poésie sonore, car oui, il s’agit bien de poésie, que ce soit celle des voltigeurs, de Beatrice Dalle, du texte de Ronan Chéneau, de la musique de Frédéric Délias, de la création lumière de Stéphanie Babi Aubert ou de l’installation et de la direction de David Bobée.
On en prend plein la vue, plein la tête, plein les oreilles avec la mise en scène faite de la lectrice au micro par Béatrice Dalle, du jeu acrobatique des porteurs-voltigeurs, des miroirs en fond de scène qui donnent l’impression de fondre et provoquent des mirages tant la chaleur produite par les projecteurs à chaque flanc de la scène brûle tout.

Or, le spectateur, peut-il vraiment partager cette expérience avec ceux qui sont sur scène ? Pas vraiment. On est bien sûr fascinés par ce qu’on voit et ce qu’on entend, beaucoup de nos sens sont en éveil, mais on est également capturés, avec l’envie de ne plus subir cette oppression, cette folie tout à fait réussie. Le spectateur reste forcément en retrait. Aurait-il été possible d’imaginer une immense partouze au théâtre du Rond-Point ?

Isabelle Buisson

 

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=9Zyj4qw-McQ&w=560&h=315]
WARM
Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 5 janvier 2020
Texte : Ronan Chéneau
Installation et direction : David Bobée
Avec : Béatrice Dalle
Acrobates : Edward Aleman, Wilmer Marquez
Lumière et installation : Stéphanie Babi Aubert
Musique : Frédéric Deslias

La Magie lente, plongée en eaux sombres et remontée vers la surface

“Madame le ministre, monsieur le doyen…”
Le narrateur s’apprête à livrer l’ “histoire d’un homme” à une assemblée docte autant qu’institutionnelle. On nous annonce une conférence, c’est un témoignage intime qui va se dérouler devant nous.

“Il y a au fond de moi une épave, et ça remonte morceau par morceau, l’enfant que j’étais.
On ne voit rien en surface que de l’eau, du bleu-vert,
et en dessous, l’épave qui remonte par morceaux.”

 

Depuis 10 ans, Louvier croit que ses désirs sont des hallucinations, car le psychiatre que, troublé par des pensées sexuelles obsessionnelles, dépressif, il avait consulté alors, ne pouvait entendre ces désirs. Puisque ses pulsions ne peuvent être, le psychiatre les définit comme distorsions mentales, et voilà Louvier définit comme hétérosexuel schizophréne. Il lui faudra pas à pas devenir l’homosexuel bipolaire qu’on lui a refusé d’être, et rester schizophrène le temps de faire le chemin.

“- Bipolaire, c’est moins grave que schizophrène ou je me trompe ?
– Dans votre cas, vous avez raison.
– Alors c’est une bonne nouvelle.”

 

Ce qui va se dévoiler là, c’est le trajet que Louvois, accompagné par un nouveau psychiatre, consulté parce que le mal-être ne se résout pas, va accomplir pour déconstruire ce diagnostic, cette définition de lui-même imposée par un tiers.
La “magie lente”, c’est le lent et difficile apprentissage d’être soi, ce “bain révélateur” qui s’opère par le langage, par la cure psychanalytique, cette alchimie précieuse que les mots peuvent opérer.
Louvier et son nouveau thérapeute vont dénouer les fils de l’enfance, faire surgir de derrière les murs épais du déni et de l’innommable, ou plutôt le trop longtemps innommé, le traumatisme de l’enfance violée, l’inceste.

“Ce qui n’est pas dit pourrit dans le noir sans pour autant exister”

 

Le texte de Denis Lachaud est à la fois très cru et très pudique, on appelle une bite une bite, et un pédophile un pédophile, on parle de douleur et d’effroi, on avance à mots modestes et pourtant puissants vers la reconstruction d’un être.
Le jeu comme la mise en scène tiennent à distance tout pathos. Des chaises noires, toutes simples, des verres ou des bouteilles d’eau posées sur l’assise; à l’avant-scène, une table de bureau, un ordinateur portable. Dans le texte, il était écrit que ce spectacle serait joué par un homme seul : le metteur en scène Pierre Notte l’a pris au mot, et c’est l’acteur qui assure la régie, se chargeant des changements de lumière ou des lancements sonores. La voix à peine plus posée pour le thérapeute, à peine plus brisée pour Louvier, Benoît Giros entrelace les deux facettes du travail de la psychanalyse, glisse de celui qui écoute à celui qui dit, de celui qui dévoile à celui qui entrevoit, enfin. Pas de lyrisme, pas de fioriture, si l’émotion nait c’est avec retenue, presque discrétion. Un travail exemplaire d’intelligence et de justesse.

Marie-Hélène Guérin

 

LA MAGIE LENTE
A Paris-Villette du 21 novembre au 7 décembre 2019
Texte Denis Lachaud
Mise en scène Pierre Notte
Avec Benoit Giros

L’effort d’être spectateur

Avant même que le spectacle ne démarre, il est là, maître d’un lieu qu’il semble bien connaître et apprécier. Le prolifique Pierre Notte nous accueille, pieds nus et haut de forme couvrant son crâne rasé de près.
C’est une forme de conférence qui va suivre, sur la place du spectateur. Une prise de parole sur l’effort – sur LES efforts multiples – que doit déployer tout individu dès lors qu’il décide d’assister à un spectacle “vivant”.

S’appuyant sur de nombreux exemples concrets, citant les plus grands artistes et philosophes ayant écrit sur le théâtre (Koltès, Daney, Finkelkraut, Deleuze, Mnouchkine…), Pierre Notte étaye son propos de digressions qui font de ce moment une parenthèse emplie d’éclats de rires parfois moqueurs, souvent complice, toujours reconnaissants.

« J’accepte et je peux souhaiter que la neige qui tombe sur le plateau ne soit pas de la vraie neige.» 

Ce que l’on aime dans L’effort d’être spectateur, c’est que Pierre Notte évoque des petits travers dans lesquels nous nous reconnaissons forcément un peu : lutter à peine contre le sommeil, toussoter en début de représentation, donner son assentiment en soupirant bruyamment…
Mais surtout, il nous rappelle que parfois, on peut se sentir en symbiose totale avec ce qui se passe au plateau – pur moment de bonheur.

Avec un texte si foisonnant, si documenté, si précis, nul besoin d’une lourde scénographie. D’autant que le texte est porté par l’auteur lui-même, et que l’on découvre ou redécouvre à l’occasion que Pierre Notte est un excellent comédien, n’en déplaise à ce journaliste dont la plume l’a un jour tellement blessé.

« Je raffole de l’intrusion du réel sur le plateau quand elle vient par principe contrecarrer un monde d’artifices. »

Il suffit de quelques accessoires – un harmonica, des escarpins à paillettes, une bouteille d’eau, un hula-hoop, des gants de boxe – d’une belle création lumière signée Eric Shoenzetter et le tour est joué !
Et le bougre nous en joue un beau, de tour : celui de nous faire nous sentir, au bout d’une heure vingt, tellement fiers d’être spectateurs…

 

3 raisons d’aller faire L’effort d’être spectateur :

  • Si l’on connait bien le Pierre Notte auteur et metteur en scène, on a moins d’occasions de découvrir le Pierre Notte comédien : un vrai bonheur de spectateur…
  • Nul besoin d’une scénographie compliquée, quelques accessoires, des jeux de lumière, et surtout la participation, l’implication de chaque spectateur.
  • Au bout du compte, on ressort avec le sentiment, non pas d’avoir fourni un gros effort, mais celui d’avoir été en communion avec tous les autres spectateurs !

-Sabine Aznar-

L’EFFORT D’ÊTRE SPECTATEUR
Texte, mise en scène et interprétation Pierre Notte
À l’affiche du Théâtre du Rond-Point, du 6 novembre au 1er décembre 2019

L’Histoire d’une femme : la claque salutaire de Pierre Notte

L’histoire de départ de cette femme, c’est l’histoire de bien trop de femmes, peut-être l’histoire de toutes les femmes… Toutes celles qui, un jour ou l’autre, voire tous les jours, ont été blessées, humiliées, meurtries. Ces histoires qui les renvoient à leur condition de femme, précisément. Ces incidents provoqués par des hommes, nécessairement, qu’ils soient leurs pères, leurs buralistes, leurs voisins…
Ce genre d’épisodes glauques -insultes verbales, agressions physiques…- la femme de l’histoire ne veut plus en parler. Un jour, elle prend le parti, purement et simplement, de se taire.

 

Je l’ai vu ralentir, lui mettre une main aux fesses, et repartir en riant.”

La femme se retrouve à terre, après la main aux fesses de trop, et elle décide en se relevant de ne plus jamais adresser la parole à aucun homme. Pas plus à son compagnon qu’à son médecin, pas davantage à son patron qu’à son frère. Décision bien radicale et qui n’attire pas forcément l’empathie…
C’est en ce sens, notamment, que le texte de Pierre Notte est très réussi : il n’est en rien manichéen, pas plus que ne l’est son héroïne.
La pièce interroge, pose question sur la posture à adopter. Quelles seraient, quelles sont nos propres réactions ? Trop ou pas assez radicales ? Le silence est-il la meilleure des armes ? Sans doute pas, mais pour la femme de l’histoire il est devenu vital…

Muriel Gaudin s’est emparée du texte dense, parfois très cru, toujours extrêmement poétique de Pierre Notte avec une vitalité, une force, une énergie palpables et communicatives. Elle est non seulement cette femme qui se raconte, mais également toute une galerie de personnages masculins qui la hantent, la maltraitent, l’irritent, et parfois, mine de rien, la réconfortent…
La mise en scène très minimaliste – une table, une chaise, un verre et une carafe d’eau – concentre toute l’attention sur la palette de jeu de cette brillant comédienne.

On sort un peu sonné avec, contrairement à l’héroïne, une formidable envie de crier : allez écouter l’histoire d’une femme !

 

 

L’HISTOIRE D’UNE FEMME
Théâtre du Rond-Point, du 6 novembre au 1er décembre 2019
Texte et mise en scène : Pierre Notte
Avec Muriel Gaudin