Je suis trop vert : la classe !

Avec un gros parallélépipède plein de trappes et de caches, trois fantastiques comédiennes, une justesse d’observation ravageuse et une vivacité d’écriture de chaque instant, David Lescot, dont on avait beaucoup aimé la Revue rouge en 2017, concocte un régal de spectacle « jeunesse ».

Je suis trop vert fait suite à J’ai trop peur et J’ai trop d’amis, que le Théâtre de la Ville a la bonne idée de reprendre pour ceux qui veulent faire plus ample connaissance avec le jeune héros, « moi », 10 ans et des poussières. Dans J’ai trop peur, il affrontait le grand passage de l’école élémentaire au collège (et « la première année au collège, c’est tout simplement horrible ! Tout le monde le sait ! »), puis découvrait dans J’ai trop d’amis la complexité des relations sociales.
On est en novembre, « moi », le jeune héros de la trilogie, se sent bien dans sa classe. Grande nouvelle pour lui et ses camarades : la 6e D va partir en classe verte, après les vacances de Noël, au cœur de la Bretagne. Des semaines à ne penser plus qu’à ça !
 

Des cailloux se mettent dans le soulier du projet, qui démarre un peu boiteux : sur les vingt-neuf familles de la 6e D, trois ne souscrivent pas, et, déception-frustration-j’suis trop vert ! il ne faut pas plus de deux désaffections sinon, annulation ! Merci l’amitié et la solidarité, obstacles pécuniaires ou hypocondriaques sont balayés et les mômes se retrouvent enfin dans le car scolaire pour LA CLASSE VERTE !

Le jeu des chaises musicales pour les places dans le car, la sensation du réveil un peu vaseux après une nuit de route, la symphonie des bruits de la ferme – tracteur, broyeur à grain, chiens, coups de marteau, vaches, poules… – bruités en direct, pour le plus grand plaisir de l’auditoire -, les cours en pyjama, les matériaux réels manipulés par les comédiennes – feuilles mortes, terre, grains de maïs… : on s’y voit, on y est !
Dans le texte comme dans la mise en scène, le spectacle fourmille de ces mille détails « bien vus » qui titillent l’imagination des petits ou les souvenirs des grands.
 

La classe est accueillie par les deux ados de la ferme, Cameron et Valérie. L’occasion pour les élèves et les petits spectateurs citadins de découvrir à quoi ressemble une journée de travail à la ferme, aérer la terre, préparer l’engrais, nourrir les animaux, finir la journée bien crotté et bien crevé !, manger les légumes qu’on récolte, – voir d’un peu plus près le lien entre la nature et les humain.e.s qui l’utilisent et en dépendent.

Avec Valérie, 13 ans, qui prône d’un air bourru une agroécologie douce et respectueuse, « moi » met les mains dans la terre, et la tête dans un autre monde, fait d’autres rythmes, d’autres façons de vivre, d’autres légendes.
 

« Les parents t’ont appris plein de trucs, mais ça, ça va être toi qui va leur apprendre »
dit « moi », à sa petite sœur, militante écolo de 3 ans

David Lescot a eu l’idée très futée de faire porter le message de l’éco-responsabilité contemporaine à la petite sœur du narrateur. Mini-activiste radicale de 3 ans, restée à la maison avec papa-maman, elle jette ses jouets en plastique, éteint les lumières et, toute zozotante et zézayante, elle somme la famille de remplacer le chauffage par des paires de chaussettes et des pulls pour sauver les pitits pinguins et les zou’s blancs. Manière de faire un peu de pédagogie avec beaucoup d’humour !

La petite sœur ce jour-là était interprétée par Lyn Thibault, qui jouait aussi d’autres personnages. Sur scène avec elle Camille Bernon portait aussi plusieurs rôles, tandis que Sarah Brannens restait « moi ». Mais ça aurait pu être l’une ou l’autre ou leurs acolytes Elise Marie, Lia Khizioua-Ibanez et Marion Verstraeten : comme dans les volets précédents, elles échangent leurs rôles au gré des représentations. Il y a fort à parier que toutes les combinaisons soient également réjouissantes ! Elles ont toutes beaucoup de précision dans le dessin des différents protagonistes qu’elles interprètent, et une belle énergie, fraîche, enjouée et communicative.

« Nous on sent qu’on a changé, mais les autres ont pas bougé,
alors y a un décalage »
« moi »

À voir avec des enfants dès 7-8 ans : la mise en scène astucieuse, le décor à malice, les dialogues vifs et imagés, le jeu punchy des interprètes les embarqueront allègrement dans ce voyage initiatique. Un spectacle tonifiant, plein de vie et de gourmandise, qui aborde joyeusement et sans naïveté aussi bien l’esprit de groupe que les moments qui font grandir ou les questions liées à l’environnement, pour des gamins des villes et des champs d’aujourd’hui.
 

Marie-Hélène Guérin

 


 
JE SUIS TROP VERT
À La Manufacture (Avignon) du 5 au 22 juillet à 9h50
Texte et mise en scène David Lescot
Scénographie François Gauthier-Lafaye | Lumières Juliette Besançon | Costumes Mariane Delayre
Assistante à la mise en scène Mona Taïbi
Avec en alternance Lyn Thibault, Élise Marie, Sarah Brannens, Lia Khizioua-Ibanez, Marion Verstraeten, Camille Bernon
Photos © Christophe Raynaud de Lage

À VOIR EN TOURNÉE
 du 2 au 17 novembre au Théâtre de la Ville – Paris / les 9-10 et 16 novembre : L’Intégrale
 19 et 20 novembre au Théâtre+Cinéma – Scène nationale de Narbonne
 21 novembre à Narbonne / programmation du Crédit Agricole
 22 novembre à Lattes / programmation du Crédit Agricole
 26 novembre à Nîmes / programmation du Crédit Agricole
 28 novembre à Mende / programmation du Crédit Agricole
 du 9 au 18 décembre au TNG – Centre Dramatique de Lyon
 du 13 au 15 janvier au Théâtre de l’Olivier – Istres / Scènes et cinés
 du 30 janvier au 1er février au Théâtre des Sablons – Neuilly
 les 27 et 28 février à la MCL – Gauchy
 les 12 et 13 mars au Théâtre André Malraux – Reuil-Malmaison
 du 13 au 16 avril à Les Petits devant, les grands derrière – Poitiers
 les 28 et 29 avril au Théâtre du Champ du Roy – Guingamp

Production Compagnie du Kaïros. Coproduction Théâtre de la Ville-Paris.
La Compagnie du Kaïros est soutenue par le ministèrede la Culture – DRAC Île-de-France.
Le texte de la pièce est édité aux Solitaires Intempestifs, collection jeunesse,
avec les illustrations d’Anne Simon. Parution : octobre 2024

© Anne Simon

Wasted : portrait d’une jeunesse en feu (et en cendres). Un texte vibrant de Kae Tempest porté par une jeune et belle troupe.

En mars 2023, on découvrait WASTED (Dévasté.e.s) de Kae Tempest, mis en scène par Martin Jobert, dans la petite salle du Nouveau Théâtre de l’Atalante (NTA). Depuis, le spectacle a poursuivi son beau chemin, et il fait cet été partie de la bouillonnante programmation du 11.Avignon.

« Il n’y a pas si longtemps, on avait 13 ans, on avait peur de rien. On était jeune, tout était romantique et vrai. Puis quelque chose a changé »
Wasted parle de ce moment particulier de la jeunesse où tout n’est plus possible ; mais où tout est encore à advenir. Une ligne de crête, un point de tension. Ce moment où on se rend compte qu’on est passé à côté de son « ancien futur glorieux ». C’est sûr, on ne sera pas footballeur professionnel, on ne sera pas rock star, c’est sûr, on ne sera pas agent secret. Mais on a à peine plus de 25 ans, on en a encore, de la vie devant soi.

Charlotte, Ted, Dany se retrouvent ce soir-là pour célébrer la mort de leur copain Tony. Ils les a quitté ils étaient ados. Ils le fêteront comme on peut fêter à pas trente ans, dans l’ivresse, les stupéfiants, la musique, la danse, dans les confidences éméchées, les souvenirs flous, les perspectives d’un âge adulte qu’on craint gris, dans les joies et les tristesses folles de l’alcool et de l’amitié.
Ils sont tragiques et poignants, beaux, dérisoires et drôles.
Simon Cohen, Tristan Pellegrino, Kim Verschueren, très joliment accompagnés par les compositions musicales électro et le chant de tête hypnotique de Raphaël Mars, ont l’âge et la fièvre des personnages.
Le jeu est parfois encore un peu frais, ça se comprend, les quatre jeunes gens sortent à peine de l’école, déjà au fil de la représentation ils gagnent en assurance et en liberté, mais ils sont déjà justes et vibrants, ils ont une belle énergie, ils donnent vie à leurs personnages. J’y retrouve ma jeunesse, ma bande de potes, nos craintes, nos rêves, nos indéfectibles liens, notre soif d’absolu, nos failles et nos consolations.

Avec une certaine économie de moyens et des idées gracieuses, soutenu par les décors et les lumières très graphiques de Louis Heiliger et Gauthier Le Goff, Martin Jobert trouve le bon rythme et crée des images discrètement spectaculaires, où des poussières d’étoiles enivrent ses personnages et irisent les spectateurs…
L’abrupte poésie de l’écriture de Kae Tempest, dont on aime la pulsation, la rugosité, dont on aime le désespoir bouillonnant et la fébrilité, dont on aime la ville et les êtres dont iel la peuple, est restituée telle quelle, accent français mais débit fluide et timbre plein, par des apartés en anglais (surtitrés); les dialogues et les relations entre les personnages ont de la vérité et de la chair. Ces jeunes gens, nerveux et doux, pleins de larmes, de fous rires, d’amitié et de désirs, touchent.

Marie-Hélène Guérin

 


WASTED

De Kae Tempest
Un spectacle de la compagnie Méchant Méchant
Vu au Nouveau Théâtre de l’Atalante en mars 2023,
à retrouver au 11.Avignon du 5 au 24 juillet 2025 à 15h05
Traduction Gabriel Dufay et Oona Spengler – La pièce Fracassés (WASTED) de Kae Tempest est éditée et représentée par l’ARCHE – Editeur & Agence théâtrale
Mise en scène Martin Jobert, assisté de Fabien Chapeira
Avec Simon Cohen, Tristan Pellegrino, Kim Verschueren en alternance avec Chloé Zufferey
Musique Raphaël Mars
Photo Paul Desveaux

Il n’y a pas de Ajar

C’est quoi Delphine Horvilleur ?
Rabbin libéral, revuiste, animatrice, autrice plutôt d’essais, médiatisée, elle se colte dans Il n’y pas de Ajar à l’écriture de fiction théâtrale.
Elle est soutenue par la présence très impressionnante de l’actrice et metteuse en scène Johanna Nizard, qui seule en scène, magnifie, dans la cour des grands, le texte de Delphine Horvilleur.

L’idée de départ est d’imaginer qu’Emile Ajar alias Romain Gary aurait eu un fils imaginaire, reclus dans une cave, qui soliloquerait, avec philosophie comme on dit, pour un visiteur imaginaire, de son rapport avec son père, avec Dieu, avec sa judéité et avec sa laïcité, avec la société et beaucoup de questions identitaires qu’elle pose, comme par exemple, celle du genre ou des communautarismes ou du monde des « pareils », avec le langage, avec la psychanalyse, pour conclure sur l’esquive des assignations déterministes.

Mais il faut d’abord rappeler qui était Romain Gary. Romain Gary est un écrivain français qui a obtenu deux prix Goncourt (ce qui est impossible) en écrivant sous pseudonyme, celui d’Emile Ajar, son second prix Goncourt et d’autres livres. Il s’est également attribué d’autres pseudonymes dont la pièce de Delphine Horviller ne parle pas. Romain Gary s’est suicidé en se tirant une balle dans la gorge, révélant par ce fait le pot au rose de ses multiples identités.

@ Pauline Le Goff

L’ensemble de ce seule-en-scène a la profondeur des réflexions d’une intellectuelle qui se laisse aller au délire littéraire, ouvrant des portes que l’écriture sérieuse d’essais ne lui a pas permis jusqu’ici. Et sa puissance créative crée un personnage gouailleur à la logorrhée intarissable, sûr de lui, drôle, attachant et plein d’humanité.
Il s’agit du fils d’Emile Ajar, Abraham Ajar, initiales A.A, qui est interprété par Johanna Nizard, qui, elle aussi, se transforme sous nos yeux ébahis de spectateurs et nos oreilles attentives. Ses travestissements et ses dénudements, au sens propre comme au sens figuré, nous réjouissent et sa puissance vocale et oraculaire, passant d’une voix de fausset à une voix de stentor, au physique d’une reine toute-puissante à celui d’un baroudeur des sous-sol de la ville, en passant encore par des mystifications que je vous laisse la primeur de découvrir.

La multiplicité de la personnalité, le refus des assignations à un moi unique et fort qui nous enfermerait forcément, et l’acceptation d’être plusieurs, de ne pas se laisser déterminer, c’est la thèse de nombreux écrivains comme Virginia Woolf ou comme le philosophe Gilles Deleuze et le philosophe-psychanalyste Felix Guatari ou encore, l’écrivain Fernando Pessoa et ses nombreux hétéronymes. Mais ce sont tous des gens qui ont mal fini…

Ce que Delphine Horviller extrait de la pensée d’Emile Ajar, est qu’au-delà du sang et de l’inné, là où intervient l’acquis, et notamment la transmission littéraire, serait la voie royale contre les assignations et serait notre véritable identité. Nous sommes ce que nous lisons.

@ Pauline Le Goff

Le plateau évoque un no man’s land fait de poteaux de miroirs et de couvertures de survie chiffonnées en guise de sol, le tout reflétant la lumière sourde des projecteurs et nous plaçant dans un univers atemporel et glacé. On se serait presque imaginé près d’un fleuve, sous un pont ou quelque chose comme ça, mais il m’aura fallu l’explicitation du texte pour savoir que la scène se situe dans une cave.

Il y a beaucoup de choses sur « le fait d’être juif » dans ce spectacle et peut-être que ce n’aurait pas été la question centrale de Romain Gary s’il avait pu répondre, et pendant un bon moment, on a l’impression d’être justement dans une pièce traitant d’un problème communautaire.
Quelque chose du moi pré-penseur, de la peau analysée par Didier Anzieu, est en jeu dans ce texte et dans sa représentation théâtrale.

Un spectacle original, puissant, drôle, qui nous fait réfléchir, avec des partis pris à l’emporte-pièce, dans lesquels l’identification sera aisée à trouver.

Isabelle Buisson,
Les Ateliers d’Ecriture à la Ligne

Il n’y a pas de Ajar
Au 11.Avignon du 5 au 24 juillet 2025 à 15h45
de Delphine Horvilleur
Mis en scène par Arnaud Aldigé et Johanna Nizard
Avec Johanna Nizard

Conversation entre Jean ordinaires : d’extraordinaires Jean ordinaires.

En fond de scène un grand tableau blanc, une estrade (blanche), des projecteurs tendus d’un tulle (blanc) créent un espace théâtral ouvert et mobile. Trois gars en caleçon blanc (ou sans), chaussettes et chapeau d’aviateur y trônent, stoïques : « tu trouves ça normal, toi » ?
Il est bien possible qu’on soit dans le pire cauchemar du comédien Jean-Claude Pouliquen : comédien en situation de « hum tu vois quoi » (comme le précise, faussement pudique, Jean-François Auguste – ici metteur en scène et partenaire de jeu), mais comédien de toutes façons, avec un bon vieux pire cauchemar de comédien « rentrer en scène tout nu, ne pas savoir mon texte, ne pas savoir dans quelle pièce je joue ».

Jean-Claude et Jean-François se connaissent et travaillent ensemble depuis 20 ans, c’est la première fois qu’ils jouent ensemble. Jean-Claude avait intégré dans les années 90 l’aventure de l’Atelier Catalyse lancée par Madeleine Louarn à Morlaix, Jean-François l’a rencontré en 2007 à l’occasion d’un spectacle qu’il co-mettait en scène avec Madeleine Louarn.
Nos deux « Jean » sont accompagnés parfois, c‘était le cas de la représentation à laquelle j’ai assistée, d’un Yoann Robert (Yoann c’est Jean aussi, en breton par exemple, ouf, la cohérence est sauve) pour l’adaptation et l’interprétation en Langue des Signes Françaises : sa présence, parfaitement intégrée au duo, offre un contrepoint très intéressant, qui apporte une touche graphique autant qu’expressive.

L’autrice Laëtitia Ajonohun a fait de leurs histoires personnelles et communes, de leurs réalités et de leurs cheminements, un matériau de théâtre : avec sa complicité, ils nous entraînent dans leur « conversation entre Jean ordinaires », interrogeant leur amour des mots des autres et de la scène, leur relation artistique et amicale, et les grandes questions de la normalité et de l’altérité.

Jean-Claude et Jean-François dialoguent, soliloquent, dansent, dessinent, s’autoportraitisent, s’autofictionnent, partagent, revendiquent, rêvent… Ils se sont inventés une chorégraphie d’échos et résonnances, de symétries et de dissonances pour créer un univers scénique très vivace fourmillant d’eux-mêmes et du monde.
Parfois, dans cette pièce-mosaïque, fragmentaire et colorée, Jean-Claude et Jean-François créent une bulle théâtrale, un moment à part, un magnifique monologue de roi, des Ailes du désir qui frémissent des mots d’un Jean qui s’appelle Peter Handke.
Parfois Jean-Claude reste en suspens, Jean-François reprend le geste ou le mot arrêtés pour ranimer le dire, relancer l’élan, le spectacle piétine d’un pas, s’imperfectionne et c’est émouvant et poétique comme ces céramiques japonaises auxquelles la fêlure donne encore plus de valeur.

Confidences et questionnements existentiels, fragments de grands textes ou karaokés de chanteurs populaires, quizz des citations de Jean (Racine, -Baptiste Poquelin, Seberg, Cocteau, -Claude van Damme) et jeu des « Monsieur et Madame ont un fils » (ou Monsieur et Monsieur, ou Madame et Madame, car les Jean ici présents aiment que les gens s’aiment et parentèlent à leur guise) : miscellanées terriblement drôles, facétieuses, poignantes, à leur(s) image(s). Un spectacle farfelu, pétillant et tendre. Une déclaration d’amour à l’a-normalité, à la beauté des Jean et des gens ordinaires et extra-ordinaires.

Marie-Hélène Guérin

 

CONVERSATION ENTRE JEAN ORDINAIRES
Vu au Théâtre Ouvert le 24 mai 2025
Texte Laëtitia Ajanohun
Mise en scène, scénographie Jean-François Auguste
Avec Jean-François Auguste, Jean-Claude Pouliquen
et Yoann Robert pour l’adaptation en LSF
Création lumière Nicolas Bordes | Création sonore Antoine Quoniam | Collaboration artistique Morgane Bourhis
Photos © Christophe Raynaud de Lage

À voir à partir de 12 ans

À retrouver les 5 et 6 juin à l’Espace des Arts à Chalons-sur-Saône (71)

2025/2026 :
Semaine du 6 octobre – Théâtre Silvia Monfort à Paris (75)
Semaine du 24 novembre – Les Passerelles Scène de Paris Vallée de la Marne à Pontault Combault (77)
Semaine du 15 décembre – La Filature Scène nationale de Mulhouse (68)
4 et 5 février – Le Point du jour à Lyon (69)

Production For Happy People & Co
Co-Production CNCA – Centre National pour la Création Adaptée de Morlaix, La Comédie de Caen CDN de Normandie,

Dans le cadre d’une commande d’écriture et de résidence d’auteurs dans le cadre du dispositif de soutien aux auteurs dramatiques du Ministère de la Culture et du projet Parcours en Actes de la Comédie de Caen en partenariat avec l’IMEC
— Lauréat des Plateaux 2023 collectif Scènes 77

La compagnie est soutenue par la Direction des Affaires Culturelles d’Ile-de-France au titre du conventionnement. La compagnie est soutenue par la Région Ile-de-France au titre de la Permanence Artistique et Culturelle.

Wonnangatta : un road-movie âpre porté par deux magnifiques interprètes

C’est un fait-divers réel qui nourrit le texte d’Angus Cerini, dont la percutante traduction de Dominique Hollier nous transmet la langue sèche et rocailleuse, la poésie abrupte et sauvage des descriptions de la nature, l’envoûtement des litanies, les ellipses qui compressent ou diluent le temps.
Wonnangatta aux sonorités lointaines est le nom d’une bourgade au fin fond du bush où s’est déroulé le crime non élucidé le plus célèbre d’Australie.
1917. Harry rend une visite chaque mois à son ami Jim Barclay, pour lui amener son courrier. Ce jour-là, Jim a laissé un mot « Serais là ce soir ». Le mois suivant, le mot est toujours là. Rien n’a bougé. Jim a disparu. Le garçon de ferme a disparu. Deux qui manquent, le compte est vite fait pour Harry, une victime, un coupable.
Le chien de Jim mènera Harry et son comparse Riggall jusqu’au lit de la rivière, où affleure le crâne du cadavre de Jim, enterré jusqu’au cou. Harry et Riggall débutent alors un périple à la recherche du garçon de ferme.
Le fait-divers réel se mue en road-movie déréalisé, aux limites du fantastique, dans un espace abstrait créé par le metteur en scène Jacques Vincey lui-même et Caty Olive, qui signe aussi une création lumière qui fait elle-même décor.

Le chemin vers la cabane du garçon de ferme est long, tout est loin de tout dans le bush, les distances se comptent en heures, en jours de route à cheval, en errements et en divagations.

Vincent Winterhalter et Serge Hazanavicius vont parcourir ce trajet côte à côte, dans ce décor de briques anthracites – noir goudron, gris poussière – avec lesquelles ils creusent la berge de la rivière, montent des colonnes de pierre, bricolent des sièges, formant eux-mêmes le paysage au gré de leur avancée, et c’est une belle et intelligente idée que cela, ce paysage métamorphosé, modelé, par les voyageurs, par leurs besoins et leurs peurs. Le chaos gagne en même temps que la colère d’Harry gonfle, et que Riggall doute.

L’espace abstrait se charge de menus gestes concrets, on tient des rênes, on creuse une fosse, on tapote la tête d’un chien, on trébuche dans des broussailles, on renoue un lacet.
Dialogues et narration circulent de l’un à l’autre, d’une langue rustique mais heureusement d’un jeu sans pittoresque. Vincent Winterhalter et Serge Hazanavicius, fringues fatiguées aux couleurs éteintes, debout au milieu de la roche et du vent, offrent leurs corps solides et leurs voix râpées à Harry et Riggal – l’un tenu par la rage l’autre retenu par la peur, deux solitudes marchant à l’aveugle au bord d’un précipice.

D’une séduction aride, dans une remarquable économie de gestes et d’images, soutenu par une création sonore riche, pleine de textures musicales ou concrètes, se déploie ce road-movie âpre et brumeux. Le spectacle se dissout finalement dans l’irrésolu de l’enquête et le brouillard des hauts plateaux. Il en restera le charnel de la langue roulant comme cailloux au fond d’une rivière, et surtout une magnifique incarnation, dense, précise, des deux acteurs, « deux hommes à cheval et un chien debout tout au sommet de la terre, et de tous côtés l’univers qui se déploie ». Sobres et puissants.

Marie-Hélène Guérin

 

WONNANGATTA
Un spectacle de La compagnie Sirènes
Aux Plateaux sauvages jusqu’au 24 mai 2025
Texte Angus Cerini
Traduction Dominique Hollier
Mise en scène Jacques Vincey
Avec Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter

À partir de 15 ans

Collaboration artistique Céline Gaudier | Scénographie Caty Olive et Jacques Vincey | Création lumière Caty Olive | Création musicale Alexandre Meyer | Costumes Anaïs Romand | Regard chorégraphique Stefany Ganachaud
Régie générale Sébastien Mathé | Régie son Maël Fusillier | Régie lumière Thomas Cany
Photographies © Christophe Raynaud de Lage

Production Compagnie Sirènes | Coproduction Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia et Halle aux grains – Scène nationale de Blois | Coréalisation Les Plateaux Sauvages | Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
Le texte a reçu le soutien à la traduction de la Maison Antoine Vitez et d’Artcena.
La Compagnie Sirènes est conventionnée par le Ministère de la Culture. Jacques Vincey est artiste associé à la Maison de la Culture de Bourges.
Wonnangatta a été produit pour la première fois par la Sydney Theatre Company le 21 septembre 2020 au Roslyn Packer Theatre.

Louise : du « théâtre d’objets et de personnages » spectaculaire, touchant, et vivifiant.

Attention, objet théâtral inattendu !

Un plateau tout de noir vêtu nous ferme son œil au ras de la scène. D’étranges ombres, pingouins dégingandés finalement plus patauds que lugubres, errent parmi le public, cousines des « Sans-visage » du Voyage de Chihiro et des Taupes de Philippe Quesne. Le rideau tombe bientôt, soyeux, avalanche de suie qui dévoile un décor tout de lignes, d’angles et de gris.

En fond de scène, une façade de bois clair percée d’ouvertures se fait boîte à malice d’où, en guise de présentation, surgissent – par tous les interstices possibles et sur un rythme effréné – une tignasse, des pieds, des jambes acrobates, une casquette de steward, des talons hauts : parcelles électrisées des Louise qui vont finir par envahir le plateau avec leur folle énergie et leurs personnalités échevelées.

Les Louise, filles-sœurs d’autres Louise, célèbres ou anonymes, passant en filigrane, Louise Michel, Louise Bourgeois, sans doute une Louise grand-mère paysanne, certainement une Louise danseuse de cabaret, femmes conquérantes, femmes en quête d’elles-mêmes, de liberté, de sororité, de leur place dans le monde.

C’est dans une sorte de « tentative d’épuisement des possibilités d’un lieu théâtral et de ses habitantes » que le Suisse Martin Zimmerman projette les quatre artistes.
L’escalier devient dangereusement toboggan, les godillots se font perruques, le sol se dérobe, le lampadaire fugue, le décor ne cesse de s’assembler et se désassembler, ouvert, fermé, bois clair, noir, miroir, laboratoire, nightclub, agora, coin de rue, salle de sport – recomposition permanente des lieux et de leurs usages en un mouvement perpétuel.
Comme l’espace qu’elles manipulent, transforment et investissent, Bérengère Bodin, Methinee Wongtrakoon, Marianna De Sanctis, Rosalba Torres Guerrero sont multiples et singulières. Chanteuses, danseuses, acrobates, d’âges, de silhouettes, de parcours divers, mais d’une même maîtrise de leur art, et d’une même généreuse folie. Lui et elles, interprètes et co-créatrices, dessinent leurs personnages par l’absurde, les poussant au bout de leurs obstinations, trouvant un équilibre dans un continuel déséquilibre, allant toujours presque trop loin, pour être exactement au bon endroit, celui où chaque Louise nous offre sa poésie, sa vérité, sa vulnérabilité et sa puissance.

Martin Zimmerman et ses quatre interprètes, toutes épatantes, nous invite à un cabaret contemporain, un « théâtre d’objets et de personnages », comme il le définit lui-même, une sorte de cirque dont les quatre artistes seraient tout à la fois les animaux, les dresseuses, les clowns, les acrobates, les écuyères et les agrès, les objets et les sujets. La danse y a une grande part, une brève citation de Fase d’Anne Teresa de Keersmaeker rappelle que Rosalba Torres Guerrero a passé une petite dizaine d’années dans la compagnie Rosas. Une chorégraphie ironique, et belle pourtant, offre un des moments de grâce du spectacle. Mais l’on y chante beaucoup aussi, et l’on y manie les arts circassiens tout autant, avec beaucoup d’humour, une virtuosité sans faille, et une immense tendresse.
On se délecte aussi de l’impeccable création sonore de Tobias Preisig, qui enveloppe le public de nappes sonores électro saturées de crépitements et vrombissements, alternant avec de réjouissantes ritournelles pop pseudo brésiliennes, des reprises décalées de tubes pop ou d’émouvantes envolées de cordes.

Tout est beau et drôle et poignant dans le monde de ces Louise, leurs dégaines post-punk, leurs grommelots et pépiements d’oiseaux, leurs tentatives de dompter leur monde, leur façon d’être uniques et de faire chœur. D’une beauté un peu sauvage, d’une drôlerie parfois pathétique, d’une émotion qui serre le cœur et finalement l’emplit de joie. Spectaculaire, touchant, et vivifiant.

Marie-Hélène Guérin

 

LOUISE
Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 24 mai 2025
Conception, mise en scène, chorégraphie : Martin Zimmermann
Créé avec et interprété par Bérengère Bodin, Methinee Wongtrakoon, Marianna De Sanctis, Rosalba Torres Guerrero
Création musicale : Tobias Preisig | Dramaturgie : Sabine Geistlich | Scénographie : Simeon Meier, Martin Zimmermann | Collaboration artistique et chorégraphique : Romain Guion | Création costumes : Susanne Boner | Création lumière : Ueli Kappeler | Création son : Andy Neresheimer
Création régie plateau : Doris Berger | Assistanat plateau : Noah Geistlich
Photos © Admill Kuyler

Mentions de production
Équipe technique Doris Berger, Franck Bourgoin, Jérôme Bueche, Ueli Kappeler, Lea Meierhofer, Andy Neresheimer, Jan Olieslagers | Administration Alain Vuignier | Productrice internationale Claire Béjanin assistée de Manon Lacoste
Bureau technique Ueli Kappeler | Communication MZ Atelier
Production : MZ Atelier
Coproduction : Schauspielhaus Zürich, Fabriktheater Rote Fabrik Zürich, Theater Winterthur, Theater Casino Zug | TMGZ, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg,Théâtre de Carouge, Manège – Maubeuge, scène nationale transfrontalière, maisondelaculture de Bourges / scène nationale, Kurtheater Baden
Avec le soutien de Ernst Göhner Stiftung, Fondation Jan Michalski, Landis & Gyr Stiftung
Remerciements : Tanzhaus Zürich, Theater Neumarkt, Darko Soolfrank
Résidence de fin de création au Schauspielhaus Zürich – Schiffbau
Première le 30 novembre 2024 au Schauspielhaus Zürich Schiffbau
Martin Zimmermann bénéficie d’un contrat coopératif de subvention entre la Ville de Zurich Affaires culturelles, le Service aux affaires culturelles du Canton de Zurich et Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture.
Martin Zimmermann est artiste associé à la maisondelaculture de Bourges – Scène nationale.

Carte blanche à Fouad Boussouf au musée du Quai Branly

De Fouad Boussouf, on avait beaucoup aimé Fêu et plus encore Näss (les gens). On avait aimé la puissance, le charnel, la joie qui se dégagent de ces deux créations intenses et fiévreuses. On avait aimé des danseur.euse.s la beauté de leur engagement physique, leur façon d’être multiples et de faire corps, de faire groupe, leur technique puissante et vivante. On avait aimé les musiques hypnotiques, les couleurs vibrantes.

Les deux week-ends à venir (17-18 et 24-25 mai), le musée du quai Branly – Jacques Chirac invite le chorégraphe, danseur et directeur du Phare, Centre chorégraphique National du Havre Normandie à programmer deux week-ends au musée. Un programme de spectacles, performances et ateliers qui célèbre la virtuosité, la puissance des corps et rend hommage à la diva égyptienne Oum Kalthoum. Il y aura des danseurs dans les jardins ou dans les coursives du musée, des acrobaties aériennes au ras du sol, des sensations fortes, de la poésie dans l’air… Et le bonheur, le plaisir de découvrir ou revoir Feû les 17 et 18 : dix femmes puissantes, magiciennes-sorcières, dans une exploration palpitante de la force vitale du mouvement perpétuel, et Oüm, les 24 et 25 : six danseur.euses, et deux musiciens rendent hommage à Oum Kalthoum et à Omar Khayyam, poète persan du XIe siècle qui célébrait l’ivresse, la transe et l’amour, dans une création où chant, poésie, danse et musique s’unissent pour célébrer le temps présent.

Pour en savoir plus : Invitation à Fouad Boussouf, programme complet
 

Fouad Boussouf © Musée du quai Branly-Jacques Chirac / photo Mehrak Habibi

Un somptueux Peter Pan, par la compagnie Théâtre Amer

Peter Pan, Peter comme tous les petits garçons de sa génération, Pan comme le dieu Pan, paradoxal dieu de la fertilité qui donne son nom à l’enfant éternel, à celui qui ne féconde que des rêves et qui empêche de grandir ; Peter Pan, pas adulte, pas enfant non plus, figé entre les deux – figé, ce qui est l’inverse de l’état d’enfance. Peter Pan, né des jeux des enfants Llewelyn Davies sous l’œil attentif et attendri de James Matthew Barrie (il deviendra leur tuteur à la mort de leurs parents), support infini d’imaginaire, petit diablotin si familier qu’il a donné son nom à un trouble psychologique…

La compagnie Théâtre Amer en offre un tableau somptueux, d’une esthétique gothique sophistiquée, tout en soignant des dialogues dont l’humour et la vivacité ravissent petits et grands.

Ça gronde et ça fumerolle sur le plateau du Théâtre Paris-Villette, du rouge tranche sur le noir de la scène. C’est Sir James Matthew Barrie en personne, maquillage expressionniste et robe de chambre soyeuse, qui ouvre la porte du Never land.

Il y a de la magie, de l’enfance, et de la sauvagerie dans ce Peter Pan.

Car Peter Pan n’est pas une histoire gentillette : le dieu Pan est un sacré sacripant, Peter a l’égoïsme d’un chiot mal sevré, Clochette a le cœur à double tranchant. Le Capitaine Crochet est un être cultivé, poétique et plein de fureur. Les Enfants perdus sont sans pitié. L’amour d’une mère est infini, Wendy et ses frères savent que leur mère laissera toujours la fenêtre ouverte pour qu’ils puissent rentrer. Mais Peter Pan sait que non, lui était revenu, il n’avait pas voulu rentrer, c’était trop tôt. Et quand il est revenu à nouveau, la fenêtre était fermée, sa mère était penchée vers un autre berceau. Alors maintenant, c’est trop tard. « Rentrer ? Pour quoi faire ? devenir un adulte ? non merci ! »
Car oui, qu’est-ce que ne pas être Peter Pan, qu’est-ce que quitter le pays des Enfants perdus ? Quitter le rêve ? Apprendre que l’amour d’une mère se partage, ne pas pouvoir assouvir sa voracité absolue, perdre sa place de tyran bien-aimé ? Sortir de la roue éternelle de la répétition, retrouver le cours du temps qui s’écoule…
Peter Pan, c’est la matrice des jeux éternels, le foyer vivifiant de l’imagination, c’est « la jeunesse et la joie », mais c’est aussi l’avidité, la tyrannie, un dévoreur d’âme, celui qui évince sans hésiter de son royaume les enfants qui grandissent. Absolu de l’enfance et interdiction d’en sortir. Liberté et prison.

Mathieu Coblentz fait de Peter Pan un conte féroce et fiévreux, dont un humour gamin désamorce la cruauté, secouant par surprise enfants et adultes de grands éclats de rire. De la dualité de Peter Pan, il fait logique et matière de jeu, où obscurité et fantaisie se télescopent sans cesse.

La scénographie très stylisée joue des arts de la scène, des artifices assumés. On y trouve des élégances et des exacerbations de théâtre nô, du faste baroque, une utilisation de la mécanique du théâtre et un dépouillement très contemporains. La robe de velours carmin de Wendy semble un rideau de scène, des guindes tombées des cintres seront les barreaux de la cage où le capitaine enfermera les enfants sur son navire. Les cordages dessinent aussi bien des haubans de vaisseau qu’un chapiteau de cirque, dont le capitaine Crochet en frac, canne et chapeau serait un Maître Loyal gothique.
Les interprètes sont fantastiques. Mi-timburtoniens mi-clowns, ils jouent la comédie, chantent, dansent, se métamorphosent avec un sens du théâtral et du rythme impeccables.

Du théâtre d’ombre, quelques pas de danse, du sérieux et du potache, du clavecin et des guitares électriques, des madrigaux et du rock. Des fumigènes et une balançoire. Des pluies de bulles ou d’étoiles, des figurines volantes se découpant en ombres chinoises, une fée Clochette qui virevolte au-dessus du public dans un crépitement d’ailes, tout fait sens et poésie dans ce spectacle flamboyant, admirablement maîtrisé, baroque et punk, ténébreux, merveilleux et émerveillant.

Le Capitaine Crochet quittera son manteau de pirate pour redevenir Sir James Matthew Barrie et conclura, en un retour à la douceur tout en délicatesse, par un bel hommage à la fois au Capitaine Crochet, du Neverland l’adulte, le mal-aimé, et à l’enfant, celui qui invente et imagine, celui qui peut être la fée, le crocodile, Peter Pan et même le Capitaine Crochet.

À voir à partir de 8 ans (validé par mon accompagnant-référent, 8 ans)

Marie-Hélène Guérin

 

PETER PAN
au Théâtre Paris Villette jusqu’au 28 avril
Un spectacle de la compagnie Théâtre Amer
D’après l’œuvre de Sir James Matthew Barrie
Traduction d’Yvette Métral, Flammarion, 1981
Mise en scène, adaptation et scénographie Mathieu Coblentz
Avec Judith Périllat, Florian Westerhoff et Jo Zeugma (création avec Philippe Gouin)
Collaboration artistique, lumière et scénographie Vincent Lefèvre | Dramaturgie Marion Canelas | Création sonore Simon Denis et Nicolas Roy | Régie son Clément Combacal | Création musicale Jo Zeugma | Costumes Sophie Bouilleaux-Rynne | Décor et accessoires Jérôme Nicol | Construction Philippe Gauliard
Remerciements Philippe Gouin pour les masques, le regard chorégraphique et la participation à la création musicale (Brief Candle)
Photos © Bouky

Durée : 1h
Tout public à partir de 8 ans

Production : Théâtre Amer
Coproduction : Théâtre National Populaire, Villeurbanne ; L’Archipel, Pôle d’action culturelle de la ville de Fouesnant/Scène de territoire pour le Théâtre de Fouesnant-les Glénan ; Centre culturel Athéna, Auray ; Maison du Théâtre, Brest ; Centre culturel de Fougères agglomération ; Théâtre du Champ au Roy, Guingamp ; Théâtre du Pays de Morlaix-Scène de territoire pour le théâtre ; Les Bords de Scènes-Grand-Orly Seine Bièvre ; Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper ; Très tôt Théâtre, scène conventionnée jeunes publics, Quimper ; Le Canal, scène conventionnée d’intérêt national art et création pour le théâtre, Redon ; La Paillette-Rennes.
Aides et soutiens : DRAC Bretagne, Région Bretagne, Conseil départemental du Finistère et Théâtre Paris-Villette.

Le texte intégral de Peter and Wendy, traduit de l’anglais par Yvette Métral, est disponible en Librio.iant

Deux pas vers les étoiles : ode au rêve !

Deux pas vers les étoiles : un titre poétique et une affiche rêveuse nous prennent par la main pour nous emmener vers un fantastique spectacle jeunesse délicat et intelligent, plein de tendresse et de rire, profond comme une question d’enfant et léger comme un sourire.

Junior et Cornelia, dix ans, encore des petits, au bord de se sentir des grands, vont faire ensemble deux pas vers les étoiles.

« Mais toi aussi
t’es bizarre »

Ils sont persuadés qu’ils ne sont pas amis, vu qu’ils n’ont pas d’amis.
Deux mômes un peu singuliers « – Toi tu fais toujours tout comme il faut – Et toi tu es toujours dans la lune », qui vont, le temps d’une esquisse de fugue, se découvrir l’un l’autre et soi-même, et grandir un peu.

Junior, c’est celui qui fait « tout comme il faut ». Premier de la classe. Jamais pris en défaut. Surtout qu’il rêve de devenir astronaute, et que « pour être astronaute, il faut être parfait, c’est tout ». Et surtout que, pour ne pas décevoir son héros de papa, il faut être parfait, c’est tout…
Mais Junior vient de rater un examen de math. Pas moyen d’annoncer ça à l’exigeant paternel, plutôt en profiter pour réaliser tout de suite son rêve, et rallier Houston, USA, depuis sa province canadienne, pour intégrer la NASA. Un sac à dos avec des provisions, des papiers d’identité au nom de son père pour être officiellement majeur, une lampe torche, un guide touristique des USA… et bientôt une complice imprévue, la fûtée Cornélia, qui ne compte pas laisser son camarade fuguer tout seul.
Cornélia, c’est celle qui « est toujours dans la lune », la pas carrée, la pas mignonne, la pas-tout-comme-il-faut, la pas-complètement-là, celle qu’on ne voit pas quand elle lève la main en classe.

« – Sur la lune, les mers sont des déserts de poussière
Mais pourquoi on continue à les appeler comme ça ? demande Cornélia
– Parce que souvent on rêve avant de savoir. »

Lui rêve d’être astronaute « pour aller dans des endroits tout neufs, où tout est possible », elle rêve d’être « belle pour être vue, pour être aimée ; pour exister tout le temps ».
En partageant leurs secrets, en remontant par les mots et la confiance accordée à l’autre à la source de leurs rêves, ils vont trouver le chemin vers un lieu où tout est possible, où l’on existe tout le temps, un lieu qui est pile à l’intersection entre l’acceptation de soi et l’affection de l’autre, un lieu qui rend plus fort quand on y a trouvé sa place, et qu’on peut emporter partout, où qu’on soit.

 

 
Dans une scénographie, tout en simplicité, modeste et maline, où les protagonistes dessinent au feutre blanc à même le sol la géométrie de leurs discussions ou pérégrinations – marelle, lignes et cercles, rails de train, Manon Lheureux et Quentin Ballif incarnent avec justesse et précision ces deux gamins, évoquant avec fraîcheur l’enfance sans jamais la surjouer. La mise en scène de David Antoniotti, joueuse, tout en mouvement, offre une partition très visuelle dont on se régale ; petits et grands s’amusent de bon cœur des péripéties de la mini-fugue, et on apprécie tout autant les parenthèses plus intimes, chorégraphiques (signées Sarah Locar) ou oniriques.
Jean-Rock Gaudreault, auteur québécois, a donné une langue très vivante à Junior et Cornelia, une langue vraie et juste, rythmique et rapide comme la pensée des deux petits héros. La poésie qui l’enrichit et la fait décoller du quotidien l’aère et la densifie.

C’est un bien joli chemin initiatique et aventurier qu’auront suivi Junior et Cornelia, une invitation à rêver, car rêver fait exister les rêves et donne la force de faire.
« Le théâtre comme déclencheur d’humanité », professe la compagnie du Crépuscule, qui produit ce spectacle. Le théâtre comme déclencheur d’humanité, et le rêve comme déclencheur de vie !
Et si la fugue n’a (peut-être) pas conduit jusqu’à Houston, Junior et Cornélia ont fait leur mue, l’un quittant son habit de « tout comme il faut » l’autre sa cape d’invisibilité, ils ont marché sur des sentiers nouveaux, ont défriché leurs possibles et fait deux pas vers les étoiles… et nous avec. Un spectacle bref (moins d’une heure, parfait pour le jeune public) mais un grand voyage ! on y rit, on s’y émeut, on en ressort avec le cœur souriant.

Marie-Hélène Guérin

 

DEUX PAS VERS LES ÉTOILES
un spectacle de la Compagnie du Crépuscule
vu au Théâtre Darius Milhaud
Une pièce de Jean-Rock Gaudreault
Mise en scène David Antoniotti
Avec Manon Lheureux, Quentin Ballif
Chorégraphie Sarah Locar
Photos © Judith Policar et AM_pixel

Durée : 50 mn

 

Sans faire de bruit : un seule-en-scène sensible et précieux

À la Péniche Pop les 2, 3 et 4 avril on a pu voir un précieux et inattendu petit bijou : Sans faire de bruit, un seule-en-scène qui nous plonge au creux d’une famille bouleversée par la tombée en surdité de la mère de famille.

Louve Reiniche-Larroche, initiatrice du projet, magnifique interprète, et coautrice avec Tal Reuveny (qui signe l’impeccable mise en scène), nous embarque dans ce qui semble être du théâtre documentaire. Quelques années après que sa mère, Brigitte, ait brutalement perdu ses facultés d’audition, Louve a entamé un travail d’enquête dans sa famille, interrogeant Brigitte, ses parents, ses enfants, sa belle-fille, sa petite-fille Ava, 3 ans au moment du « basculement », 5 ans au moment de l’enquête. De riches extraits de ses entretiens constituent la trame du spectacle, étoffés d’enregistrements de vie de famille.
 


 

Mais, en un geste théâtral subtil et très beau, Louve Reiniche-Larroche métamorphose cette matière documentaire. Elle la rend au présent en faisant traverser son corps par les voix de sa famille. Il y a comme un vertige à entendre ces hommes, ces femmes de tous âges parler par la bouche de Louve, en parfaite synchronisation labiale. Comme un envoûtement. C’est une chamane douce et subtile qui fait vivre d’autres êtres et d’autres temps à travers elle, si finement que les deux passés, celui des jours où Brigitte puis les siens ont commencé à vivre avec cette surdité et celui des jours où Louve a mené les entretiens, celui de l’événement et celui de l’interrogation – et la contemporéanéité de la restitution sont comme fondus en un seul temps. Voix absentes rendues présentes par sa corporalité.
 


 

C’est un voyage dans le cœur mouvant d’une famille, où un repère – cette mère « pilier » – qui, se transformant, va faire bouger chacun.
C’est aussi dans un voyage dans la puissance du son et du silence.
La création sonore, palpitante, de Jonathan Lefèvre-Reich, nous fait savourer la force d’évocation des bruits du quotidien, conversations indistinctes, rires, couverts qui s’entrechoquent – on a tous ces sons familiers quelque part dans notre mémoire -, cris d’animaux, interjections – souvenirs très personnels et pourtant très partagés, et nous fait effleurer du bout des oreilles l’étrangeté et la violence des sons qu’a pu percevoir Brigitte avant de ne plus entendre, et du bout du cœur le désarroi qu’a ressenti cette psychanalyste privée de son outil de travail.
 


 

C’est aussi un splendide travail visuel (mise en scène Tal Reuveny, scénographie Goni Shifron, création d’objet Doriane Ayxandri, lumières Louise Rustan), où des mouchoirs en papier, un abat-jour, une chevelure peuvent devenir des marionnettes, et faire vivre devant nous une belle-fille, un fils, une mère…
L’acte est esthétique mais aussi effectif : plongé dans le noir, le public écoute autrement, partageant brièvement cette sensation de modification intime quand un sens fait défaut.

Sans faire de bruit est une expérience sensorielle troublante et rare, un spectacle puissant et doux, d’une drôlerie folle – les protagonistes n’en manquent pas ! – et d’une poésie infinie.
À voir de toute urgence (dates de tournée ci-dessous).

La Péniche Pop qui l’accueille est un lieu de création artistique pluridisciplinaire où, par le théâtre, des performances, des conférences, on interroge les rôles et fonctions que jouent la musique et les sons pour l’individu, les communautés, la société ou les écosystèmes : un lieu foisonnant, à découvrir !

Marie-Hélène Guérin

 

SANS FAIRE DE BRUIT
Un spectacle de la compagnie Nachepa
Vu le 3 avril à la Péniche Pop
Création, texte Louve Reiniche-Larroche et Tal Reuveny
Mise en scène Tal Reuveny
Interprétation Louve Reiniche-Larroche
Création sonore Jonathan Lefèvre-Reich | Scénographie Goni Shifron | Création d’objet Doriane Ayxandri | Création lumière Louise Rustan
Photo Fred Mauviel
Attaché de presse Olivier Saksik – Elektronlibre

→ Ce spectacle n’est pas accessible aux personnes sourdes et malentendantes, une version inclusive est en création pour la saison 2025-2026.
→ spectacle lauréat du prix du jury du Festival Impatience 2024

À VOIR EN TOURNÉE :

21 avril au 4 mai 25- festival Komidi, La Réunion
29,30,31 mai 25 – CDN Bourgogne, festival en mai

2025-26 (en construction)
15 novembre 25 – La Courée, Collégien (77)
du 17 au 20 novembre 25 – Les Bains douches, le Havre
24,25 novembre 25 – Supernova, Sorano, Toulouse
27 novembre – Manufacture CDCN Nouvelle Aquitaine
4 et 5 décembre 25- co-accueil Université de Tours et T°
10 janvier 26 – Espace Michel Simon, Noisy le grand
4 et 5 février 26 – le Pommier, Neuchâtel, Suisse
6-7 mars 26 – La Paillettes MJC, Rennes
10-11 mars 26 – Théâtre de Guingamp
du 16 au 20 mars 26 – Théâtre du Beauvaisis
Du 3 au 12 avril – L’estive Ariège Foix – tournée itinérante (dates exactes à confirmer)
23 avril 26 – Théâtre des 4 Saisons, Gradignan
28-29 avril 26 – Théâtre d’Angoulême
du 6 au 9 mai 26 – Théâtre Nanterres-Amandiers

En partenariat avec le Théâtre Paris-Villette, qui a présenté le spectacle du 6 au 15 mars 2025