Moi et François Mitterrand : la désopilante mythomanie d’Olivier Broche

« Je n’en fais pas une affaire d’état mais à partir de 1983, François Mitterrand et moi-même avons tenu une correspondance assidue ».

Passer une heure et quelque en compagnie d’Hervé Laugier (sommes-nous réellement dans une salle de conférence ? dans l’antichambre de l’Elysée? Ou, plus probablement, dans le salon d’Hervé ?). L’écouter nous raconter la naissance d’une grande et indestructible amitié, non seulement avec François Mitterrand, mais aussi avec Jacques Chirac. Le voir revivre sa relation, moins ardente certes, mais réelle, avec Nicolas Sarkozy. Apprendre que François Hollande voit en lui un confident…
De tous ces témoignages d’amitié, Hervé Laugier a conservé des traces qu’il nous expose, avec une fierté teintée d’affection. Ce sont des dizaines, des centaines de lettres, datées, signées du Président de la République himself. Toujours la même lettre, la même circulaire. Mais Hervé est le seul à ne pas comprendre…

moi-et-francois-mitterrand_1@Giovanni Cittadini Cesi

« Et même si nous nous sommes, par la force des choses, quelque peu éloignés l’un de l’autre, le fil n’est pas tout à fait rompu. »

Hervé nous fait sourire, il nous fait rire, il nous attendrit.
Car derrière ces grands discours, ces révélations liées aux trente dernières années de règne présidentiel français, Hervé cache une immense solitude. Il nous parle de François, de Jacques, de Nicolas, de l’autre François… pour éviter de trop évoquer l’absence de celle qui l’a quitté il y a fort longtemps.

moi-et-francois-mitterrand_2

Il fallait un immense comédien pour s’approprier le texte d’Hervé Le Tellier, cette curieuse correspondance à sens unique. Seul sur scène, sorte de « nobody » surgi de nulle part, Olivier Broche est parfait, excellent, magistral.  Le comique de répétition fonctionne ici, grâce à l’incroyable palette du jeu qu’il sait déployer : tendresse, folie, intelligence, colère parfois, sensibilité toujours.
Tout en délicatesse et en douceur, il nous renvoie l’image de ces êtres solitaires qui s’inventent des histoires incroyables. Juste pour continuer à vivre…

MOI ET FRANCOIS MITTERRAND – Une pièce de Hervé Le Tellier
Mise en scène : Benjamin Guillard
Avec Olivier Broche
A partir du 25 janvier 2017 à la Pépinière Théâtre – du mardi au samedi à 19 h

 

L’Opéra panique « démantibulé »

Une salle pleine un vendredi soir, un théâtre de quartier au plateau noir et aux projecteurs aux gélatines multicolores. Quatre comédiens au style british. Une pièce aux répliques minimalistes, construite avec des ruptures, des répétitions et des contradictions, du théâtre de l’absurde en somme, grinçant comme une corde de pendu, qui nous montre le totalitarisme en action, avec cruauté, à travers de petites scènes à thèmes, à caractères, qui nous trimbalent de l’armée à la philosophie jusqu’à l’aristocratie, en passant par l’amitié. Quinze histoires, quinze thèmes. Le tout rythmé par des onomatopées musicales faites d’une chorale de basse-cour avec le caquetage des poules et le grognement des cochons (très réussi), du piano pour débuter, du ukulélé pour final, du chant lyrique et même du rap en cours de route.

L'Opéra panique, Alejandro Jodorowsky, Ida Vincent, Compagnie L'Ours à Plumes, Pianopanier, Théâter Darius Milhaud@Sarah Coulaud

Le son comme un fil conducteur de la pièce qui porte bien son nom d’ « opéra », même si, dès le début, Madame Loyal (Ida Vincent) nous dit qu’on soit rassuré, il ne s’agit pas d’un opéra. Et « panique », oui, car on s’excite, on vocifère, on s’égosille, on pète des câbles sur scène. La bouche surtout a son rôle à jouer dans cette comédie, où la mise en scène des expressions du visage va jusqu’à nous présenter, une sorte d’entracte en forme de collation, sur le plateau, amenant les larmes aux yeux de la comédienne Aline Barré, qui gobe un Flamby sous les mines effarées et hilares des spectateurs. Va-t-elle vomir ? Non, elle ne vomira pas.
Pourtant, à la fin de « L’Opéra panique », une légère nausée s’est emparée de nous, avec tout cet absurde qui ne mène nulle part, sauf à l’illusion d’une vie qui serait belle. Ce serait le message d’Alejandro Jodorowsky et qui mène aussi à l’accumulation des corps découpés, déchirés, cassés, poignardés, fusillés, déhanchés, saccadés, démantibulés. Oui, dans cette pièce, le corps, le texte et la mise en scène sont démantibulés jusqu’à nous faire rire d’horreur. Les comédiens (Aline Barré, Tullio Cipriano, Cécile Feuillet, Johann Proust et Ida Vincent), égaux et performants, portent leurs personnages avec justesse et déraison et également dans l’univers du mime, presque comme au cirque.

L’OPERA PANIQUE – Compagnie L’Ours à Plumes
Une pièce d’Alejandro Jodorowsky
Mise en scène : Ida Vincent
Avec : Aline Barré, Tullio Cipriano, Cécile Feuillet, Johann Proust, Ida Vincent
Jusqu’au 14 avril au Théâtre Darius Milhaud – les vendredis à 21h

Abigail’s Party : fête des voisins version Mike Leigh

Dans Abigail’s party, vous ne croiserez ni Abigail ni aucun de ses invités. De la soirée d’Abigail, vous n’entendrez qu’un vague fond sonore. Car l’action se passe à côté, chez Beverly et Peter. Ces deux-là ne semblent pas s’entendre à merveille, leur couple bat de l’aile. Est-ce sa faute à lui, qui travaille trop ? Ou bien la sienne, à elle, qui semble ne pas faire grand chose de ses journées, à part pourrir celles de son mari ? L’ambiance n’est clairement pas au beau fixe. Mais ce soir, c’est la fête : Beverly a tenu à organiser une « contre-party », histoire de lier connaissance avec ses nouveaux voisins, Angela et Antony. Susan, la mère d’Abigail, expulsée pour l’occasion de son propre foyer, sera également de la fiesta.

Très vite, un malaise s’installe. Beverly est nerveuse, un brin hystérique, agressive avec son mari. Perfection est le mot d’ordre de sa soirée. Ses invités doivent être bien installés ; il faut qu’ils aient de quoi boire, fumer, grignoter. Il faut qu’ils puissent s’amuser, danser, flirter. Elle fait attention à chacun de leurs gestes, mettant un point d’honneur à s’imposer comme l’hôtesse modèle.

Abigail's party, Mike Leigh, Thierry Harcourt, Poche-Montparnasse, Thierry Harcourt, Lara Suyeux, Dimitri Pataud, Alexie Ribes@Victor Tonnelli

« Oh c’est drôle, on s’est tous mariés au moment où vous divorciez ! » 

Et pourtant peu à peu, l’alcool aidant, tout va déraper. Entre Susan qui vomit ses tripes aux toilettes, Antony qui disparait mystérieusement à la soirée d’Abigail, Angela qui picole bien trop pour s’apercevoir que Beverly drague ouvertement son mari, Peter qui menace son épouse avec un couteau à beurre… la soirée exemplaire tourne au fiasco.

Thierry Harcourt, l’un des metteurs en scène les plus anglophiles du moment, qui nous avait régalés avec The Servant, nous offre un spectacle pétillant, rock-and-roll, drôle et plein de noirceur à la fois. Les décors et costumes nous plongent directement dans un monde qui nous rend un peu nostalgiques, non pas des pantalons pattes d’eph, mais de l’insouciance qui régnait à l’époque des seventies.

Abigail's Party, Poche Montparnasse, Thierry Harcourt, Lara Suyeux, Mike Leigh, interview Pianopanier@Fabien Dumas

« – Ah bon, je suis inculte maintenant ?
– Non, pas maintenant, tu l’as toujours été ! » 

Face au jeune couple formé par Alexie Ribes – parfaite en jeune écervelée – et Cédric Carlier – désopilant, entre flegme britannique et côté nigaud – face à une Séverine Vincent totalement désabusée, face à un Dimitri Rataud qui tarde à se rebeller, on tombe sous le charme d’une Lara Suyeux qui tient de bout en bout le rôle un peu monstrueux de Beverly. Elle éructe, minaude, se trémousse, se déhanche, elle va même jusqu’à aboyer ; cette fille-là est capable de tout. Mais qu’est ce qui fait courir Beverly ? Les toutes dernières secondes du spectacle donnent un éclairage bien différent à la soirée et au comportement de sa « gentille organisatrice ». Alors, rendez-vous sur le dance-floor du Théâtre de Poche-Montparnasse pour une soirée détonnante !

ABIGAIL’S PARTY
Á l’affiche du Théâtre de Poche-Montparnasse – du 17 janvier au 28 février 2017 (mardi au samedi 21h, dimanche 15h)
Une pièce de Mike Leigh
Adaptation : Gérard Sibleyras
Mise en scène : Thierry Harcourt
Avec : Cédric Carlier, Dimitri Rataud, Alexie Ribes, Lara Suyeux et Séverine Vincent

HYSTERIKON … attention, talents !

Une promo qui claque, des acteurs talentueux, un texte intelligent et une mise en scène effervescente : HYSTERIKON, c’est tout cela  ! Vous allez apprendre à les connaître. En lisant le synopsis de la pièce, on pourrait s’attendre à une énième critique de la société de consommation, un de ces trucs déjà vus 100 fois, qui ne suscite, au mieux, qu’un rictus de sympathie, un soubresaut corporel d’approbation. Mais le texte d’Ingrid Lausund écrit en 2001 et qui a déjà rencontré un grand succès en Allemagne, est beaucoup plus subtil que cela. Toujours se méfier des apparences !

« Mode de paiement : le liquide, la carte bancaire, le chèque – on connaît. Mais également les rêves, l’honnêteté, la dignité, les convictions, les amis, ses enfants, son partenaire.
Tout cela peut s’échanger contre n’importe quoi.
Ici les petits pois sont authentiques. Ici les gens ne sont pas authentiques.
Ce sont des imitations, des fictions, des inventions. »

Dans ce supermarché qui a envahi la scène du Théâtre de Verre un peu comme la consommation envahit nos vies (faut-il souligner au passage la scénographie méticuleuse et particulièrement réussie), on fait ses courses tels des zombies, sous le regard « orwelien » et cynique d’un caissier charismatique et provocateur ; tout à la fois narrateur, acteur et procureur.

Hysterikon, Ingrid Lausund, Vera Stadler, Quentin Gouverneur, Thibaud Erpicum, Vera Stadler, Robin Migné, Cindy Rizzo, Marie Wyler, Quentin Gouverneur, Richard Pfeiffer, Compagnie le peuple aveugle, Théâtre de Verre, Pianopanier

On erre, on se cherche, on s’observe, on s’aime… On se surprend à rêver, le temps est parfois suspendu, et puis on se fait entrainer de plus belle dans des interludes de musique et de danse qui apportent une lumière réjouissante et un rythme plein d’audace à la profondeur du texte. De ces propositions qui ne se refusent pas.

Vous avez certainement déjà eu cette impression au théâtre, de vous retrouver un soir de première, témoin de quelque chose en devenir, d’une création en train d’éclore. Un de ces soirs pas comme les autres, où il se passe vraiment quelque chose. Une sorte de processus chimique captivant avec ses couleurs, ses formes, ses fumées, ses effluves, ses transformations, ses hésitations aussi… Tous les ingrédients sont là, les idées foisonnent, le talent déborde, le rythme est travaillé, l’énergie contagieuse, il y a parfois du trop et parfois du pas assez, il y a des longueurs et aussi des moments trop courts qu’on voudrait voir durer, soulignés davantage… Car l’émotion est bien là, à portée de souffle.

C’est cela, la magie du théâtre, le privilège singulier de cet art éphémère… On écrit une nouvelle page chaque soir, ça n’est jamais fini, jamais pareil, il reste toujours des choses à parfaire, certaines à repenser, d’autres à sublimer. On se remet en question, on ressent le public, et on continue avec le trac d’une première… inquiet de savoir enfin ce qu’on a suscité.

HYSTERIKON par la Compagnie Le Peuple Aveugle est sur cette trajectoire, l’arc est bandé, la flèche ira loin. C’est un petit joyau serti de pierres à polir… par votre regard, vos rires et vos bravos.

Hysterikon, Ingrid Lausund, Vera Stadler, Quentin Gouverneur, Thibaud Erpicum, Vera Stadler, Robin Migné, Cindy Rizzo, Marie Wyler, Quentin Gouverneur, Richard Pfeiffer, Compagnie le peuple aveugle, Théâtre de Verre, Pianopanier

HYSTERIKON
Á l’affiche du Théâtre de Verre  – jusqu’au 13 février 2017
Une pièce d’Ingrid Lausund
Mise en scène : Quentin Gouverneur et Vera Stadler
Avec : Thibaud Erpicum, Vera Stadler, Robin Migné, Cindy Rizzo, Marie Wyler, Quentin Gouverneur, Richard Pfeiffer

On agite bien haut les mains pour les enfants du silence

Sarah est sourde. Pas malentendante. Sourde. Totalement sourde. En-dehors des autres sourds de naissance, personne ne peut imaginer le monde dans lequel elle vit. « Etre sourd n’est pas le contraire d’entendre, c’est un silence rempli de bruits ». Un monde où la musique est perçue par des vibrations. Un monde dans lequel on se sent exclu des entendants, mais aussi des malentendants. « Les malentendants pensent qu’ils valent mieux que les sourds ». Jacques est persuadé que Sarah pourrait apprendre à lire sur les lèvres, et sans doute même à parler. Par conscience professionnelle pour l’élève d’abord, par amour pour celle qu’il a épousée ensuite, il revient patiemment à la charge, jour après jour.

Les enfants du silence, Mark Medoff, Anne-Marie Etienne, Comédie-Française, Théâtre Antoine, Françoise Gillard, Catherine Salviat, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Laurent Natrella, Coraly Zahonero, Elliot Jenicot, Anna Cervinka@CosimoMicroMagliocca

« Toute ma vie, j’ai été la création des autres ; la première chose que j’ai pu comprendre, c’est que tout le monde devait entendre et que c’était bien. Et que moi je ne pouvais pas et que c’était mal. » 

Mais Sarah ne s’en laisse pas plus compter par son mari que par sa mère : aucune raison pour elle de se soumettre à cet apprentissage. Ceux qui veulent communiquer avec elle n’ont qu’à étudier son propre jargon : celui des signes. Dans le rôle de Sarah, réfugiée dans un silence qu’elle accepte, qu’elle aime, dont elle est fière, Françoise Gillard nous livre un discours empli d’émotion, d’intensité, de bruissements d’âme. Il fallait toute la virtuosité de cette comédienne rare pour nous faire poser le premier pas dans le monde des sourds.

Les enfants du silence, Mark Medoff, Anne-Marie Etienne, Comédie-Française, Théâtre Antoine, Françoise Gillard, Catherine Salviat, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Laurent Natrella, Coraly Zahonero, Elliot Jenicot, Anna Cervinka

« Je t’aime parce que tu as le courage d’être toi-même. »

Face à elle, Laurent Natrella fait défiler toute la palette de son talent pour la contraindre au dialogue. Tantôt délicat et tendre, tantôt brusque et violent, toujours subtil et terriblement touchant.
Dans les parages de ces deux-là, on croise Denis et Lydia, deux autres élèves de l’institut. Malentendants, ils ont appris à lire sur les lèvres et à parler. La langue des signes est devenue pour eux un outil d’interprétation. Une sorte de pont entre le monde de Sarah et celui de Jacques. Aux yeux de Sarah, ces deux-là sont forcément des traîtres, des vendus. Anna Cervinka et Elliot Jenicot ont « réappris » à parler. Qui ne les a jamais vus sur scène pensera qu’ils sont réellement malentendants. Certaines de leurs scènes provoquent l’hilarité, notamment lorsque l’avocate (impeccable Coraly Zahonero) s’immisce dans ce dialogue de sourds.
En 2015, la Comédie-Française avait relevé le défi de faire jouer ce texte par des entendants sur la scène du Vieux-Colombier. C’était une première. Cette saison, le Théâtre Antoine remporte un autre pari : celui d’accueillir la prestigieuse troupe dans ses murs. Célébrant ainsi une autre rencontre entre deux mondes encore bien éloignés l’un de l’autre, eux aussi…
Jusqu’à la fin du mois, direction les grands boulevards pour secouer bien haut les mains. Les sourds et malentendants applaudissent ainsi : bienvenus chez eux…

LES ENFANTS DU SILENCE
Á l’affiche du Théâtre Antoine – du 17 janvier au 28 février 2017 (mardi au samedi 21h, dimanche 15h)
Une pièce de Mark Medoff
Mise en scène : Anne-Marie Etienne
Avec : Catherine Salviat, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Laurent Natrella, Coraly Zahonero, Elliot Jenicot, Anna Cervinka

Dans L’Avaleur, Xavier Gallais est… énorme !

Ils semblent droit sortis d’un cartoon des années 70. Perruques (en plumes !) et hauts de costumes flashy leur donnent une allure loufoque et irréelle à la fois. On se croirait presque dans un conte pour enfants, si le sujet de la pièce n’était pas, quant à lui, terriblement réel… Robin Renucci, en plus de son rôle de narrateur, campe le Directeur Général du CFC (le Câble Français de Cherbourg), une société florissante mais vieillissante. Il est le bras droit du « numéro un » du CFC (Jean-Marie Winling), caricature du chef d’entreprise vieille école, entre paternalisme et refus de la modernité. Aux côtés de ce Pdg « old school », aussi amoureuse de l’homme que de la société qu’il dirige, Nadine Darmon incarne l’assistante dévouée corps et âme. Parfait négatif de cette mère dont elle s’est vite éloignée, Maryline Fontaine est une brillante juriste émargeant à plusieurs milliers d’euros pour le compte d’un prestigieux cabinet d’avocats d’affaires.
Et puis, de l’autre côté du plateau, confortablement installé dans son luxueux bureau de la City londonienne, débordant de son fauteuil: Xavier Kafaim. Enorme, Xavier Gallais l’est au sens propre comme au figuré. Charismatique à souhait, séduisant, bourré d’esprit et d’humour, il a tôt fait de nous charmer, subjuguer, fasciner, ensorceler, griser.
C’est lui, l’Avaleur, l’ogre de ce conte pour adultes. Ses trois uniques centres d’intérêt sont les chiens, les pâtisseries et… l’argent !

L'Avaleur, Other People's Money, Jerry Sterner, Robin Renucci, Les Tréteaux de France, Maison des Métallos, Xavier Gallais, Nadine Darmon, Marilyn Fontaine, Jean-Marie Winling, critique coup de coeur, Pianopanier
@ Jean-Christophe Bardot

« Mais l’argent c’est mieux, parce que ça ne chie pas partout et que ça ne rend pas obèse ! »

L’Avaleur ne se gave pas uniquement d’éclairs au chocolat, il engloutit vos sociétés. Il n’a pas le besoin, mais le désir de l’argent. Et ce désir est infini.
Quel meilleur moyen, en l’an 2000, pour faire fortune, que de s’adonner aux lois du capitalisme moderne, des OPA sauvages, des hedge funds, white nights, poison pills et autres stratégies juridico-financières ?
Voici que l’Avaleur a jeté son dévolu sur le CFC : grâce aux marchés financiers, Cherbourg est à portée de gosier de Londres. Une bataille se prépare. Une guerre sauvage entre l’ancien et le nouveau capitalisme, arbitrée par Alex pour qui tous les coups sont permis. Une lutte entre deux esprits brillants, un duel captivant dans lequel la séduction se révèlera la meilleure des armes.

L'Avaleur, Other People's Money, Jerry Sterner, Robin Renucci, Les Tréteaux de France, Maison des Métallos, Xavier Gallais, Nadine Darmon, Marilyn Fontaine, Jean-Marie Winling, critique coup de coeur, Pianopanier

« C’est pas illégal, c’est immoral. »

La mise en scène de Robin Renucci ultra rythmée, sans aucun temps mort, nous tient en haleine pendant deux heures. Sur fond de solos de batterie, on devient peu à peu « accro » aux allers-retours entre Cherbourg et Londres. On est séduit par ce jeu de go entre un Robin des Bois des temps modernes (« je prends aux riches pour donner à la classe moyenne…supérieure ! ») et cette ambitieuse avocate qui clame haut et fort qu’elle est la meilleure.
Ils ne sont finalement pas aussi rivaux que l’on pourrait croire, comme le confirmera un dénouement en tous points semblable, lui aussi, à ceux de nos contes pour enfants…

L’AVALEUR
Á l’affiche de la Maison des Métallos – du 31 janvier au 18 février 2017 (mardi au vendredi 20h, samedi 18h et dimanche 16h)
Texte d’après Other People’s Money de Jerry Sterner
Mise en scène : Robin Renucci
Avec : Nadine Darmon, Marilyne Fontaine, Xavier Gallais, Robin Renucci et Jean-Marie Winling

J’ai couru comme dans un rêve : la folle chevauchée des Sans Cou

Les premières minutes, on se retrouve en plein milieu d’un groupe de paroles. Pour peu qu’on soit à l’aise, on peut même être pris à partie par Igor Mendjisky – en alternance avec Romain Cottard. Il joue le rôle du narrateur, du « coach » – en bref : du metteur en scène. Chacun leur tour, les six protagonistes se présentent à ce « maître de cérémonie ». La joyeuse bande est constituée d’une fratrie : Blandine, Gabriel et Martin, de leur oncle qui les a élevés suite à la mort accidentelle de leurs parents, du meilleur ami de Martin – Joseph alias Jojo – et de Sarah, l’amoureuse de Martin. Durant ce préambule, on éclate de rire, on s’apprête à passer des moments drolatiques. Et puis, brutalement, Martin s’écroule, et tout bascule. Une blouse blanche lui confie qu’une tumeur au cerveau le condamne à très court terme. Martin a trente ans. « Ils ne peuvent pas me guérir parce que je suis trop jeune ». Au même moment, Sarah lui apprend qu’elle est enceinte de leur premier enfant.
Que se passe-t-il dans la tête de Martin ? Que faire, que décider ? Une seule réponse possible à ses yeux : se réfugier chez son oncle, finir ses jours entouré de sa tribu. Une tribu qui mettra tout en oeuvre pour l’aider à vivre pleinement ses derniers instants.

« On est un peu tous les personnages d’une pièce absurde. Qui nous a foutus dans ce bordel ? »

De l’absurde, il y en a à revendre dans ce spectacle : les Sans Cou auraient pu s’appeler « les Sans Limite » tant leurs créations fourmillent de propositions délirantes. Le côté « joyeux bordel » en déroutera sans doute plus d’un. Mais la formidable énergie de ce collectif est tellement communicative qu’on lui pardonne de partir dans tous les sens.
Certaines scènes très réussies parviennent à gommer le côté inabouti des autres. Martin à la rencontre de ses héros : Matisse, Marlon Brando, Victor Hugo, Maryline Monroe et… Mère Thérésa. Martin faisant la connaissance de sa fille, grâce à un « retour vers le futur ». Martin, sur son lit de mort, écoutant la très jolie histoire d’Oncle Ben’s. Et puis surtout, Martin et Sarah, juste avant la fin, la fin de Martin, la fin de leur histoire, la fin de la pièce. Mais cette fin-là recommencera demain, parce qu’on est au théâtre, et parce que les Sans Cou ne sont pas sans ressource…

J’AI COURU COMME DANS UN REVE
Á l’affiche du Monfort Théâtre – du 24 janvier au 4 février 2017 (du mardi au samedi 20h30)
Une pièce d’Igor Mendjisky / Compagnie Les Sans Cou
Mise en scène : Igor Mendjisky
Avec : Éléonore Joncquez ou Raphaële Bouchard, Esther Van Den Driessche, Clément Aubert, Igor Mendjisky ou Romain Cottard, Paul Jeanson, Arnaud Pfeiffer, Frédéric Van Den Dressée

20 000 lieues sous les mers : le fabuleux monde de Némo

En ce moment, en plein coeur de Paris, il est possible d’embarquer pour un fabuleux voyage sous-marin. Et ce ne sont ni vidéo 3D ni installation high-tech qui vous entraîneront à 20 000 lieues sous les mers. Car Valérie Lesort-Hecq et Christian Hecq ont eu l’idée géniale de recourir à la complicité de marionnettes pour nous faire vivre cette aventure.
Des marionnettes en latex qui s’invitent à la Comédie-Française : il ne faut pas louper ça!

2OOOO lieues sous les mers_Louis Arène© Brigitte Enguérand / coll. Comédie-Française

Nul besoin d’avoir lu le roman de Jules Verne : les néophytes plongeront à 20 000% autant que les fans du récit. On admire l’ingéniosité du Capitaine Némo interprété par un Christian Hecq tout en retenue et parfait dans son côté misanthrope. On fait la connaissance de trois compères débarqués par hasard et par accident sur le fameux Nautilus. Christian Gonon en belliqueux Ned Land, Nicolas Lormeau en Professeur Aronnax, Benjamin Lavernhe en désopilant serviteur de ce dernier. On sursaute et l’on bondit de son siège à plusieurs reprises, de peur de se faire accoster par des créatures aussi inquiétantes que poulpes criminels, poissons lanternes et araignées de mer géantes. On pleure de rire face aux pitreries de Flippos – étonnant Noam Morgensztern- et du Sauvage – Thomas Guerry, extérieur à la troupe, reprenant le rôle créé par Elliott Jenicot sur la saison précédente. Tout au long du périple, on se laisse entraîner par la voix chaude et envoûtante de Cécile Brune.

20 000 LIEUES SOUS LES MERS

On part très très loin, on découvre une sorte de quatrième dimension, une matrice insoupçonnée. En bref, on accomplit un réjouissant, un passionnant voyage, et c’est pour ce genre de voyage que l’on hante les salles de spectacle. Un immense merci à Valérie Lesort-Hecq et à Christian Hecq pour leurs talents de magiciens ! Leur équipage un peu dingue nous transforme, le temps d’une soirée, en créatures subaquatiques…

Le seul bémol de ce « 20 000 lieues sous les mers », c’est qu’il est très compliqué de trouver des places pour y assister. Accrochez-vous, cela vaut le coup, tellement c’est une réussite :

1 – Réussite dans l’adaptation du roman de Jules Verne : un véritable « condensé de fidélité ».
2 – Réussite dans la mise en scène et l’interprétation : le plaisir que les comédiens du Français prennent à ce voyage est palpable et contagieux.
3 – Réussite dans la conception et la manipulation des fameux « poissons-marionnettes », prodigieusement mis en lumière par Pascal Laajili, l’un des maîtres en la matière.

Ce spectacle a reçu le Molière 2016 (bien mérité) de la création visuelle.


20 000 lieues sous les mers
Á l’affiche du Théâtre du Vieux-Colombier – du 25  janvier au 12 mars 2017 (20h30, dimanche 15h)
Adaptation et mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq
Avec : Christian Gonon, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Benjamin Lavernhe, Noam Morgensztern, Thomas Guerry et la voix de Cécile Brune

Darius : flairons l’indicible !

Nous rencontrons Claire (Clémentine Célarié), chercheuse au CNRS, demandant à Paul (Pierre Cassignard), « nez », de créer différentes senteurs, afin que son fils de 19 ans, Darius, puisse reconnaître un certain nombre d’ambiances et notamment celles des villes où ils ont voyagé ensemble.

Pendant 1h20, les échanges entre Claire et Paul se font par écrit, sans aucun contact physique direct. Lors de la première correspondance, Paul refuse catégoriquement la prestation mais Claire va mettre à profit sa force de conviction, afin que Paul reprenne son bâton de pèlerin à la découverte de nouveaux paysages et à l’invention de parfums uniques.

Sa créativité est grandement stimulée par l’intérêt manifesté par Darius à l’émanation de nouvelles effluves et par une demande de création de plus en plus subtile : des villes (Rome, Amsterdam, …) à d’autres environnements comme… celui de la saga Star Wars.

« Des senteurs ambrées, rocailleuses, ensoleillées, avec quelques notes métalliques car un drôle de petit robot traîne dans les parages. »

L’écriture de Jean-Benoît Patricot, docteur en pharmacie, agit comme un coup de scalpel, découpant le genre humain avec humour et humanité.
Les deux comédiens œuvrent ici avec leur cœur et une maîtrise technique inégalable. Claire est la mère que l’on tente d’être, habitée d’amour et de respect d’un enfant différent. Paul est l’homme blessé qui reprend progressivement confiance en lui pour retrouver le goût de la vie sous toutes ses formes.

Les lumières de Denis Koransky agissent délicatement, comme un révélateur d’émotions dans une mise en scène tout en finesse, voilages et contrastes.
Le caractère unique de cette pièce est d’adresser des sujets peu communs : la relation à l’enfant, la valeur de l’odorat comme vecteur d’accès à la connaissance et la puissance de la joie entre les personnages visibles sur scène… ou pas !

Rejoignez dès à présent ce monde dans l’écrin du Théâtre des Mathurins, la pièce y est à l’affiche jusqu’au 30 avril 2017.

Magali Rossello

DARIUS
Á l’affiche du Théâtre des Mathurins  – du 24 janvier au 30 avril 2017 (mardi au samedi 19h, dimanche 18h)
Texte : Jean-Benoît Patricot
Mise en scène : Anne Bouvier
Avec : Clémentine Célarié et Pierre Cassignard

Le Chien : une petite merveille d’émotion

C’est l’histoire d’un vieil homme qui s’est suicidé 5 jours après la mort brutale de son chien. 5 jours pour écrire une longue lettre à sa fille et lui dire enfin l’indicible. C’est l’histoire d’un jeune adolescent traversé par le pire, porté par le souvenir brûlant des siens, s’obligeant à survivre pour ne pas les faire mourir une seconde fois. Résister 2 fois à l’horreur, tenir bon face à la cruauté de ses bourreaux, ne pas devenir bourreau à son tour en se laissant dévorer par la vengeance… Mais quel peut être le secret de ces survivants, qui ont résisté à tout, qui ne sont plus retenus par rien, capables pourtant de garder foi en l’humain après la traversée d’un abysse d’inhumanité ? Une rencontre, une ressource, un peu de vie, enfin. Grâce à l’amour pur et sans condition… d’un chien. Une leçon d’humanité donnée par un animal ?

Le Chien, Eric-Emmanuel Schmitt, Marie-Françoise et Jean-Claude Broche, Théâtre Rive Gauche, Mathieur Barbier, Patrice Dehent, critique Pianopanier

« Si les hommes ont la naïveté de croire en Dieu, les chiens ont (bien) la naïveté de croire en l’homme. »

Cette pièce est portée par deux acteurs d’une sensibilité à fleur de peau, semblant vivre chaque instant sur scène avec la même intensité que s’il s’agissait d’une première ou d’une dernière. En y prêtant attention, on croit percevoir l’ombre des blessures de ces hommes qui ont vécu, qui savent si bien transmettre les émotions, pudiquement, profondément. Ils nous font entrevoir « cet éclat d’humanité » qui révèle quelque chose d’eux… et de nous. Comme en songe, tu devines, là sur scène, des fragments de ta vie, éclatés dans une partition virile toute en fragilité, enveloppée par les notes de piano qui s’échappent délicatement de leur écrin pour mieux venir à ta rencontre. Un moment de théâtre pur, authentique, sans artifices, avec des mots, des voix, des gestes retenus. Une mise en scène élégante et discrète, qui donne humblement tout son relief au texte d’Eric-Emmanuel Schmitt, l’un de ses plus personnels, travaillé pendant des années. Ce texte qui n’était pas destiné au théâtre, a peut-être trouvé ici une autre part de son destin, un début d’immortalité. « C’est moi, Samuel Heymann ! » – ce cri de l’enfant revenant sur les lieux de l’horreur a rejoint pour toujours les fantômes du théâtre. Il a déchiré l’espace, fait saigner les cœurs et jaillir les larmes; des larmes qui ont su se retenir et ne pas glisser plus bas pour ne pas déranger… suspendues à la suite d’une histoire qui les a fait naitre. La subtilité du jeu donne envie d’y retourner pour concentrer un peu plus son attention sur celui qui ne « parle » pas. Sûr qu’on y ressentirait alors une autre intensité des regards, on y entendrait différemment l’histoire de leurs rides et la patine de leurs voix mûres et pénétrantes, que l’on devine façonnée par l’alcool et la cigarette. Forcément à la fin, tu te lèves, les yeux embués, les joues humides, pour remercier. C’est beau, c’est touchant, c’est profond… Ça ne s’oublie pas.

LE CHIEN

Espace Roseau Avignon, du 6 au 29 juillet 2018 20h10

Une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène : Marie-Françoise et Jean-Claude Broche
Avec : Mathieu Barbier et Patrice Dehent