La Nuit où le jour s’est levé : une nuit solaire…

“Lancer un caillou sur la carte du monde”

Puis ramasser le caillou tombé sur le Brésil et décider de s’envoler vers ce pays lointain, inconnu, inédit, secret et forcément fascinant.
C’est sur ce coup de tête que Suzanne quitte la France, son frère Gino, et une vie sans doute un peu trop dénuée de sens…
Arrivée à Belo Horizonte – une ville dont le nom même est une invitation au voyage – Suzanne devient bénévole dans un couvent au sein duquel viennent parfois se réfugier des femmes sur le point d’accoucher.
Une nuit – l’une de ces “nuits où même dormir te donne chaud” – Suzanne aide Soeur Maria Luz à mettre au monde un enfant. Cet enfant-là que sa mère sera forcée d’abandonner à peine le premier cri jailli. Cet enfant-là pour lequel Suzanne éprouvera une sorte de coup de foudre. Cet enfant-là qui éveillera à jamais son instinct maternel. Cet enfant-là, Tiago, qu’elle décidera, coûte que coûte, d’adopter et de ramener en France.

La nuit où le jour s'est levé Olivier Letellier
© Christophe Raynaud de Lage

“Se perdre pour mieux se retrouver”

Aucun obstacle ne sera assez fort pour empêcher Suzanne de devenir mère. Ni la hargne de la police brésilienne, ni les lourdeurs kafkaïennes de l’administration. Ni même la terreur de se faire enlever Tiago au poste frontière entre l’Espagne et la France. Pour cette femme que le cri d’un enfant a métamorphosée en une seconde, plus rien ne compte que l’amour infini, éternel, illimité… Maternel…
Pour que Suzanne puisse un jour raconter à Tiago “son histoire vraie vivante”, il lui faut aller jusqu’au bout du parcours.
Un parcours initiatique, un parcours de vie qui chavire le spectateur. Lentement, doucement, délicatement. À l’image de la roue Cyr maniée par l’un des trois comédiens mais dans laquelle s’imbriquent si habilement les deux autres. Car ils ne sont que trois sur scène, pour interpréter ce texte écrit à six mains. Trois auteurs, trois comédiens, pour clore la trilogie d’Olivier Letellier “Maintenant que je sais/Je ne veux plus/Me taire”, qui avait été présentée à Chaillot la saison dernière et dans laquelle on croisait déjà certains personnages de La Nuit où le jour s’est levé.

la nuit où le jour s'est levé Olivier letellier

“Je serai un arbre généalogique à moi toute seule”

Trois formidables acteurs (Clément Bertani, Jérome Fauvel et Théo Touvet) passent d’un rôle à l’autre, se les échangent, les font tourner à la manière de cet immense cerceau qui est l’un des seuls accessoires au plateau. Car la scénographie est toute simple, épurée, brillante, pénétrante. Elle fait la part belle aux jeux de lumière signés Sébastien Revel et à la création sonore de Mikael Plunian. Le résultat bouleverse petits et grands, chacun s’appropriant l’histoire de Suzanne par un niveau de lecture différent. Olivier Letellier est un formidable conteur, et lorsqu’il nous raconte l’évidence d’être une mère, tout le monde, absolument tout le monde est touché au cœur.

la nuit où le jour s'est levé Olivier letellier

LA NUIT OÙ LE JOUR S’EST LEVÉ – spectacle vu le 3 Novembre 2016 au Théâtre des Abbesses
Du 3 au 10 Novembre 2016
Texte et co-écriture au plateau : Sylvain Levey, Magali Mougel, Catherine Verlaguet
Mise en scène : Olivier Letellier
Avec : Clément Bertani, Jérôme Fauvel, Théo Touvet

 

Train-Train à la Comédie Bastille : Interzone

Trois femmes aux existences éloignées se retrouvent dans le compartiment d’un train qui les mènera à Destination en passant par Maturité. Il y a Bruna (Gaëlle Lebert), aux longs cheveux noirs, à la féminité impeccable et à la voix des italiennes du Sud dont on se demande parfois si elles sont hommes ou femmes et qui craint la confrontation avec son père à Destination ; il y a Sabine (Sandrine Molaro), dite ça, qui attend un homme qui a « perdu sa mobilité », qui ne viendra pas et préférera se débarrasser d’elle sans même lui parler ; il y a Marie Douceur (Aurélie Boquien), pas si douce que ça, qui, enceinte, peut-être du contrôleur du train, sera hissée dans le compartiment malgré elle. Ces trois-là sont orchestrés par un personnage masculin, Wilhem (David Talbot) tantôt « contrôleur », tantôt « couchettiste », tout dépend de la casquette et du patron.

Train-train e pericoloso spoergersi
@B Basset

On suit, tout au long du voyage, le rapprochement de chaque personnage et leurs conversations, où ils nous livrent peu à peu des pans de leur existence, de leurs failles et de leurs attentes.
L’ambiance parfaitement réussie et maîtrisée, au rythme lent et déstructuré, porte la pièce de bout en bout dans une espèce d’interzone où l’auteur, David Talbot, nous entraîne à travers le fil conducteur de la question du genre. Se mêlent alors les genres et les rôles pour ne plus laisser place qu’à une montée de la cruauté et de la folie des personnages. Tout se mélange dans cette pièce et pourtant le train poursuit son chemin jusqu’à Destination, nous emportant de métaphore en métaphore et de symbolisation en symbolisation.

Train-Train Sandrine Molaro

La mise en scène, très ingénieuse, pleine de trouvailles, avec une bande sonore qui fait quasi un quatrième personnage, mêle, elle aussi, les genres et les registres et ne laisse rien au hasard. C’est une mise en scène du détail et de l’infinitésimal.
Le jeu des comédiens, très travaillé, frôle l’excellence et nous embarque ailleurs.
Enfin une pièce innovante à l’humour subtil d’où, même si on ne rit pas à gorge déployée, on sort époustouflé et grandi.

traintrain-affiche

TRAIN-TRAIN è pericoloso sporgersi – Une pièce de David Talbot
Mise en scène : La Compagnie C’est bien agréable
Avec : Aurélie BOQUIEN, David TALBOT, Gaëlle LEBERT, Sandrine MOLARO
Jusqu’au 26 décembre à la Comédie Bastille  – les dimanche et lundi à 20 h

La Pluie, qui reste après la poussière…

“Je ne sais pas où ils allaient, je sais seulement que les gens ne revenaient jamais.”

Plus qu’un spectacle “de” marionnettes, ce spectacle à l’affiche du Lucernaire est un spectacle “avec” des marionnettes. Alexandre Haslé donne vie à celles qu’il a fabriquées. Leur prêtant une partie de son corps. Il n’est donc pas seul en scène, mais accompagné par dix-sept personnages, dont le principal, la narratrice Hanna, est une femme très âgée qui va bientôt mourir et qui se souvient… Elle était jeune, elle habitait près d’une voie ferrée, elle voyait monter des tas de gens dans des trains. Et ces voyageurs mystérieux, ces inconnus furtivement aperçus lui confiaient des objets personnels avant de monter dans ces trains…

la pluie Lucernaire
@D Guyomar

“Aujourd’hui,je ne peux plus rien faire d’autre que me souvenir.”

Peu à peu, Hanna parvient à remonter au plus loin de sa mémoire, à faire revivre les objets que tous ces gens lui ont confiés avant de s’évanouir à jamais… Le spectateur a un avantage sur Hanna : il sait que ces gens ne reviendront pas. Il sait que les objets entassés au fur et à mesure des déportations ne seront jamais réclamés. Qu’ils demeureront dans la maison d’Hanna, passant de l’état d’orphelins à celui de poussière. L’ampleur de la catastrophe qui se bâtit sous les yeux d’Hanna est proportionnelle au nombre d’objets qu’on lui donne : ils seront un jour tellement nombreux qu’elle sera forcée d’aller dormir dehors. Devenant ainsi, à force de tant recevoir, une exilée de plus. Comme exilée d’elle-même.

la pluie Lucernaire

Les objets étant devenus poussière, toutes ces vies croisées et jamais revenues n’existent plus désormais que dans le souvenir d’Hanna. Et Hanna va mourir… La femme en noir et au bouquet de fleurs jaunes, le gros homme à la pomme, le violoniste et le saltimbanque, la très jeune femme, sorte de réminiscence de la jeunesse d’Hanna : tous défilent sous nos yeux chavirés.
Et parmi tous ces gens qui lui ont remis des objets, une personne a marqué Hanna plus que les autres. Un petit garçon qui lui a donné la seule chose qu’il avait : de la pluie dans une bouteille.
Avoir le courage d’évoquer tous ces objets. Parler des gens qui les lui confièrent. Ranimer l’ombre du petit garçon. Se libérer de son fantôme avant de mourir. C’est bien de cela dont nous parle le magnifique texte de Keene.
En donnant vie à cette pièce troublante de poésie, les marionnettes d’Alexandre Haslé la transcendent et la subliment. Le résultat est bouleversant, poignant, troublant, captivant, hypnotique. Un spectacle dont on ne ressort pas indemne. Un spectacle essentiel, indispensable, fondamental, presque vital…

La Pluie – Une pièce de Daniel Keene
Vu au Lucernaire le 12 octobre 2016
Fabrication, mise en scène et jeu : Alexandre Haslé
Avec la complicité de Manon Choserot
Jusqu’au 26 novembre 2016 – 19 h mardi au samedi

La (complètement folle) Cantatrice chauve comme vous ne l’avez jamais vue

” La vérité ne se trouve d’ailleurs pas dans les livres, mais dans la vie.”
La Cantatrice chauve : un spectacle qu’on a déjà vu et revu, un classique. Pas facile de s’emparer de ce texte de 1950 et de le faire entendre aujourd’hui en lui donnant un nouveau souffle. C’est pourtant ce que fait la Compagnie Cybele qui se réapproprie la pièce de Ionesco avec culot et panache.

la cantatrice chauve Lucernaire
@Antoine Denis

” Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi à la rubrique de l’état civil dans le journal, donne-t-on toujours l’âge des personnes décédées et jamais celui des nouveaux-nés? “

Deux couples, les Smith et les Martin, un pompier, et la bonne. Tous ces personnages ont le visage maquillé de blanc, un peu comme s’ils étaient figés dans leur propre carcan et dans leurs absurdes farandoles de mots. Ils sont mi-marionnettes, mi-clowns tristes, mi-mélancoliques, mi-effrayants. Effrayants par l’absurdité de leurs propos, de leurs inquiétudes et de leurs préoccupations. Drôles aussi, parce qu’ils sont tous déjantés.

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Un Poyo Rojo : un concentré d’énergie et de sensualité

Lorsqu’on s’installe dans la salle Jean Tardieu du Rond-Point – ils sont déjà là, les bougres…- on ne sait pas trop ce qu’on vient voir. On se souvient d’avoir été frustré la saison précédente : la blessure d’un des deux artistes avait entrainé l’annulation du spectacle. Blessé comment, pourquoi ? De quoi s’agit-il au juste ? Match de boxe ? Combat de coq ? Lutte endiablée ? Mise “à mâle” ?
Un Poyo Rojo c’est tout cela à la fois. Mais c’est par dessus tout une danse de vie. Une ode à l’amour, à la passion, à la miraculeuse relation qu’entraine une si forte proximité. Car ces deux-là se connaissent par cœur, à tel point que leurs corps s’attirent tels des aimants.
Dès les premières minutes, une douceur brutale règne sur le plateau. Alfonso Barón et Luciano Rosso se défient du regard, se jaugent tels des animaux avant d’enchaîner les figures, d’entrer dans la danse qui les mènera au combat. Mi-comédiens mi-danseurs, ils font de chaque micro parcelle de leurs corps un simple prodige.

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© Paola Evelina

Les prémices de ce spectacle inclassable se déroulent dans un silence total. S’il n’était couvert par l’écho de leur souffle court, on entendrait battre leurs cœurs à l’unisson.
Et puis d’un coup, des sons de radio s’en mêlent, crachotés par une chaine portative délicieusement old-school. Dès lors, les pas de danse de nos deux compères seront calés sur la programmation retransmise en direct. Quelle est la part d’improvisation ? Trouvent-ils l’inspiration à force de faire défiler les stations, alternant flash info, tubes disco et standards de la chanson française ? Ou bien cherchent-ils, à force de zapper sur les ondes, le morceau qui s’accordera le mieux au déroulé du spectacle ? Peu importe, seul le résultat compte : ils parviennent ainsi à nous intégrer totalement dans l’immédiateté de leur pas de deux. Peu à peu l’alchimie qui les unit gagne du terrain : l’énergie communicative d’Alfonso et Luciano se loge en chacun de nous et cela fait un bien fou !

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Ils arrivent tout droit de Buenos Aires où ils jouent à guichet fermé depuis 2008, 3 raisons d’aller les découvrir au Rond-Point :
1 – Ils dansent comme des dieux ; dieux du stade, dieux de l’arène, dieux de la scène.
2 – Mais il serait réducteur de les classer dans la catégorie “danse contemporaine” : ils nous offrent un succulent moment de théâtre qui fait la part belle à l’improvisation.
3 – La jolie surprise tient au troisième personnage : une radio vintage qui nous connecte aux joies du direct…

 

UN POYO ROJO – spectacle vu le 20 Septembre 2016 au Théâtre du Rond-Point.
Du 13 Septembre au 8 Octobre 2016
Conception et Mise en scène : Hermes Gaido
Avec : Alfonso Barón et Luciano Rosso

Les brillantes Pyrénées de Victor Hugo

Entrer au Lucernaire, c’est à chaque fois une petite fête. Dans ce théâtre composé de plusieurs salles de moins de 120 places chacune, d’un cinéma, d’une librairie, d’un restaurant et d’un café squatté par les étudiants du 6ème arrondissement, il règne un désordre empreint d’un charme sans pareil et d’une certaine nostalgie. C’est une accumulation de livres en éditions originales, de spectacles sans gros budgets mais sélectionnés avec exigence, de films qu’on a ratés dans les grands cinémas, de spectateurs hétéroclites ouverts à l’inconnu et sensibles à la tradition des salles d’art et d’essai.

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©Fabienne Rappeneau

“Voyager, c’est naitre et mourir à chaque instant.” – Victor Hugo

Dans la file d’attente pour le spectacle « Pyrénées, le voyage de l’été 1843 », il y a des vieux, des jeunes, des bobos, des petits ménages tout propres, des curieux et des profs amoureux de Victor Hugo. Tous viennent écouter le compte-rendu élégant que l’écrivain de 41 ans a fait de son voyage d’un mois en 1843, un voyage qui nous entraîne jusqu’au pays basque français et espagnol. Le comédien Julien Rochefort se promène dans une jolie lumière, avec pour seul décor un tabouret, un petit carnet et une gourde d’eau fraîche. Il nous sert avec malice et quelques manières de précieux le texte d’Hugo, magnifique, plein d’allant, brillant, drôle.

pyrenees ou le voyage de l'été 1843 Lucernaire

Ce qui fait tout le génie de ce récit qui pourrait nous assommer au bout de 10 minutes, c’est qu’Hugo ne s’attache finalement pas du tout à ce que l’on pourrait appeler « la carte postale » des différentes villes et villages traversés. Il se plonge avec délice dans des détails proustiens, le souvenir d’une amourette platonique vécue à Bayonne par exemple, dans la description lapidaire de l’embarcation vers l’île d’Oléron qu’il trouve apparemment affreuse, ou dans le scrupuleux inventaire de ses repas en villes de province. On est heureux d’assister à ce petit miracle du théâtre, le public oscille entre rires et sourires devant un Julien Rochefort souvent lunaire, toujours sensible, qui dévoile avec gravité à la dernière minute la blessure et le remord indélébiles du grand Victor Hugo.

Pyrénées ou le voyage de l'été 1843

Pyrénées ou le voyage de l’été 1843 – spectacle vu le 17 septembre 2016 au Lucernaire
Un texte de Victor Hugo
Adaptation et mise en scène : Sylvie Blotnikas
Avec : Julien Rochefort

Le Voyage en Uruguay : un road-trip un peu spécial

Et oui, ça y est ! C’est la rentrée… Les vacances sont finies, Paris est de nouveau bondé. Ceux qui ont eu la chance de partir se consolent à coups de photos et souvenirs. Les autres rêvent de grands espaces et attendent leur tour…. Il est un lieu où les uns et les autres peuvent se retrouver et poursuivre leur quête d’évasion. Ce lieu au nom prédestiné, c’est la salle Paradis du Lucernaire. Tout en haut du théâtre perchée, elle accueille un spectacle savoureux, touchant, tendre et délicat.

LeVoyageEnUruguay
©Juliette Parisot

Laissez-vous convier à un double voyage. Voyage vers l’autre bout du monde, précisément l’Uruguay. Et voyage à travers la mémoire d’un petit garçon d’une dizaine d’années. Le garçonnet en question, c’est Clément Hervieu-Léger, et l’histoire qu’il nous raconte, il l’a entendue des dizaines et des dizaines de fois. Car l’un des héros du récit n’est autre que son grand-père, qui fut un éleveur normand réputé. En 1950, un riche propriétaire uruguayen rendit visite à sa Ferme Neuve et lui acheta trois taureaux et deux vaches. L’odyssée venait de débuter…

Le voyage en Uruguay

Depuis des années, je ne sais plus très bien ce qui est la vérité. Je sais simplement que c’est une belle histoire intitulée Le Voyage en Uruguay – Clément Hervieu-Léger.

En 1950, les expéditions sont forcément au long cours et c’est tant mieux. Aux côtés de Philippe, un jeune cousin du grand-père chargé d’acheminer les bêtes de Beaumontel – Normandie à Montevideo – Uruguay, nous voici entrainés à bord d’un train puis d’un paquebot, pour une sorte de “road-trip maritime”. Au gré de la traversée, on s’attache à Philippe, incarné par un Guillaume Ravoire chaleureux, poétique, lumineux, pénétrant, sensible et éloquent. S’appuyant sur un texte précis, tendre et pittoresque, Daniel San Pedro  nous offre un spectacle totalement dépaysant, véritable parenthèse enchantée. Grâce à l’empathie immédiate que provoque en nous son comédien – ces deux-là se connaissent bien, et leur complicité plane sur le plateau – on se laisse volontiers et totalement embarquer outre-Atlantique.

Cette histoire à deux voix, entre songe et réalité, nous fait immédiatement partir ou repartir : en vacances, en enfance, dans une contrée où l’on se sent définitivement libre et serein.

Le voyage en Uruguay – spectacle vu le 3 septembre 2016 au Lucernaire
Un texte de Clément Hervieu-Léger
Mise en scène : Daniel San Pedro
Avec : Guillaume Ravoire

DON QUICHOTTE ou DON QUICHOTTE de la Mancha…

Qui n’a pas une image de Don Quichotte, le chevalier errant… ?

Jean-Laurent Silvi nous invite à revisiter ce mythe par un original et audacieux choix de découpage scénique. En effet, il intercale parmi les principaux épisodes de la vie de Don Quichotte (Sylvain Mossot) et de son écuyer Sancho Pança (Axel Blind) des interviews de chacun des héros par une journaliste (Barbara Castin) directement échappée d’une émission de télé-réalité …
La mise en scène efficace et dépouillée (trois cubes noirs) met les comédiens en pleine lumière et rend les tableaux irrésistibles :
Don Quichotte, chevauchant Rossinante, livre bataille contre les moulins à vent qu’il prend pour des géants !
La scène avec Cardénio dans la forêt est mémorable.

Tout en respectant l’essence du texte de Cervantès (1200 pages), Jean-Laurent Silvi parvient à toucher le spectateur grâce à un niveau de dérision admirable.
Sylvain Mossot et Axel Blind incarnent les héros mythiques avec toute la puissance physique décrite dans le roman, sans gommer la finesse et la sensibilité des caractères. Le flamboyant et fou Don Quichotte évolue dans un monde parallèle, tandis que Sancho nous interpelle par sa lucidité, son sens de l’amitié et son intelligence de la vie.
La parfaite diction des comédiens, le rythme trépidant des répliques et des confrontations physiques nous transportent dans un voyage onirique. À ne pas manquer lors, d’une future programmation parisienne…

Magali Rossello

«DON QUICHOTTE, FARCE EPIQUE» d’après Cervantès, avec Sylvain Mossot, Axel Blind, Barbara Castin et Anthony Henrot – spectacle vu le 18 août 2016 / par Magali
A l’affiche du Lucernaire, jusqu’au 20 août
Mise en scène : Jean-Laurent Silvi

La trop bruyante solitude d’un amoureux des mots

35 ans. 35 ans hors du monde. 35 ans sous terre, au trou, dans une cave. Avec pour unique trace de vie celle de dizaines de souris espiègles et polissonnes.
Est-il prisonnier ? Dangereux terroriste ? Bandit de grand chemin ? Rebut de la société ? Que nenni ! Hanta n’est qu’un simple ouvrier. Ouvrier d’une presse mécanique. Toute la journée, depuis donc 35 ans, il broie des livres dans le noir et broie du noir car il broie des livres. Mais pour rien au monde il n’échangerait sa place ni son emploi. Car cette place lui permet de sauver des dizaines, des centaines de livres. Cet emploi contribue à lutter contre l’obscurantisme. Face à la censure, Hanta a trouvé un subterfuge. Philosophe, humaniste, il se dévoile peu à peu homme de lettres, à mesure qu’il subtilise et cache tous ces (ses?) ouvrages. Kant, Hegel, Nietzsche… sont devenus au fil des ans ses compagnons d’infortune. Grâce à eux, pour eux et avec eux, il tente d’oublier son amour perdu – une jeune tzigane qui n’eut pas la chance, elle, d’être soustraite à la barbarie nazie.

 

Une Trop Bruyante Solitude Thierry Gibault
©Pauline Le Goff

Quand il ne reste rien, demeurent les voix, dans l’espace vide… qui nous invitent à tout réinventer – Laurent Fréchuret.

Thierry Gibault incarne ce héros bibliophile avec une conviction, une densité, une intensité exceptionnelles. Pour l’accompagner dans ce projet dont il est à l’origine, Laurent Fréchuret a opté pour une mise en scène tout en sobriété.
Une simple ampoule pour éclairer les vêtements maculés de Hanta. Un jeu de lumière signé Eric Rossi pour évoquer tour à tour la salle de presse ou les rues de Prague. En fond sonore, le ronronnement doux et régulier d’une machinerie. C’est presque rien et pourtant on voyage dans la vie d’Hanta, on souffre avec lui, on est suspendu à ses lèvres, on écoute et on vit son histoire.
À la fois reconnaissant et plein d’empathie, on est admiratif d’une telle bravoure. Son héroïsme et sa rébellion nous touchent au plus profond. Et pour un peu, on serait prêt à demeurer 35 ans sous terre, à l’écouter nous dire des vers…

 

Une trop bruyante solitude – spectacle vu le 28 juillet 2016 au Théâtre des Halles
Un texte de Bohumil Hrabal
Adaptation et mise en scène : Laurent Fréchuret
Avec : Thierry Gibault

Encore une nuit et je serai trop vieille, l’âge d’aimer

Geneviève de Kermabon sait parler des corps et des désirs.

Après Sous ma peau, spectacle intense sur le désir à l’âge adulte, composé à partir d’écrits de Grisélidis Réal, artiste et prostituée, et d’autres témoignages, Geneviève de Kermabon donne forme à la question de la sexualité des adolescents. Là encore elle nourrit son travail de rencontres, et les propos des jeunes gens interrogés gorgent son texte de réel. La liberté de leurs confidences témoigne sans nul doute de la confiance qu’elle a su leur inspirer.

Encore une nuit et je serai trop vieille, le désir en question

C’est l’histoire de Rosie… Rosie est une adolescente aux formes généreuses, entravée par son éducation, la difficulté d’accepter son corps, le regard des autres et par l’autocensure.
Elle aimerait, mais elle n’ose pas…
Alors elle écoute les confidences des autres, leurs histoires intimes, parfois crues, souvent drôles…

 

« L’amour avec un grand A,
c’est le fait d’être complètement nu de l’intérieur devant quelqu’un »

Rosie, c’est un ample personnage en jean XXL, à la poitrine faite de 2 demi-mappemondes, au visage de loupe. Elle trône au centre d’une piste peuplé d’un apparent bric-à-brac profus, pas loin d’une installation d’art brut, ou de cet « art pauvre » qui redonne une valeur artistique à des matériaux dits modestes.

Silhouettes à taille humaine, corps de tuyaux, ressorts, bras articulés. Amas de fils de fer qui se déploieront en un gracieux couple pour une danse lascive. Ces « machines » signées Soux prendront la voix de ces « autres » dont Rosie guette la parole, leurs visages de plexiglas animés en transparence par le visage de l’artiste, leurs corps mus ou abandonnés au gré de ses mouvements.

Des empilements d’accessoires, masques, perruques, photos, accrochés à des patères, posés sur un coin de chaise : bientôt un jeune homme romantique, bientôt une jeune fille amusée. Menue, vive, avec ou sans masque, Geneviève de Kermabon a 15 ans, 20 ans, garçon ou fille, ou pétillante grand-mère – pour un souvenir d’une adolescence d’un autre temps – avec la même crédibilité.

 

« La première fois, ça a duré 6 secondes, il était trop désolé,
mais moi j’men fous, des premières fois, y’en aura des tas »

Il y a de la fraicheur et du sérieux – car les sentiments et le sexe peuvent être choses très sérieuses ! – dans ces mots adolescents. Il y a aussi des dévoilements inattendus, touchants ou cruels. A un Robin figuré par un portrait du Caravage, sa mère déboussolée : « je préférerais te voir mort que pédé » « alors si c’est ça, je vais choper le SIDA ». Un bref et dur silence.

Marionnettes, masques, mise en scène joueuse, interprétation décalée : ainsi portée, la parole peut s’adresser autant aux adolescents qu’aux adultes, et être sans inhibitions, spontanée, sans que jamais l’on se retrouve voyeur malsain, déplacé. La finesse de jeu de l’actrice, la justesse et la malice de son regard sans jugement, au contraire, nous font spectateur attentif et sensible de ce portrait aux multiples facettes, tendrement humain.

 

ENCORE UNE NUIT ET JE SERAI TROP VIEILLE – spectacle vu le 14 juillet 2016
À l’affiche du théâtre Les 3 Soleils
Un spectacle conçu et interprété par Geneviève de Kermabon